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Monsanto et DuPont se crêpent le chignon (grandiose)

Cela commence à bien faire. Ceci est le deuxième article consécutif écrit le rire aux lèvres. Il est vrai que le précédent était un rire de bonheur, et que celui-là sera plus proche du ricanement. Mais enfin, les faits sont là : je ris. Et je ris à propos de deux des plus grands philanthropes que notre terre malmenée porte : Monsanto à main droite, DuPont à main gauche (et inversement).

Monsanto, transnationale d’origine américaine, née en 1901, a d’abord fabriqué des produits chimiques, dont des PCB (pyralène) qui continuent de gravement polluer les eaux de partout et d’ailleurs. Voir l’état de notre pauvre Rhône. Mais bien entendu, cela, c’est la société qui en paie les conséquences. Monsanto a ensuite fabriqué pour l’armée américaine le fameux Agent orange, ce délicieux herbicide qui devait détruire la forêt tropicale vietnamienne et ses habitants, humains compris. Depuis quinze ans, car rien n’arrête le progrès, Monsanto fait dans les OGM et fourgue dans le monde entier son fameux Roundup, herbicide présenté dans la publicité mensongère de Monsanto comme biodégradable et respectant l’environnement. L’entreprise a été condamnée par le tribunal de Lyon en 2007 dans cette (petite) affaire.

DuPont ? Cette transnationale, elle aussi d’origine américaine, a été fondée en 1802 par un petit gars de chez nous, Éleutère  Irénée du Pont, qui avait fui la révolution de 1789. DuPont a commencé par faire de la poudre à canon – ah ! – avant de devenir peu à peu l’un des plus grands groupes mondiaux de la chimie. Précisons que cette noble entreprise a eu, elle aussi, des soucis judiciaires. Elle a ainsi été condamnée aux États-Unis à 16,5 millions de dollars d’amende pour avoir caché des informations sur la toxicité de certains composants du téflon. Et à plus de 300 millions de dollars d’amende à la suite d’une incroyable affaire de pollution touchant 60 000 personnes vivant près de ses usines.

DuPont et Monsanto, excellentes gens comme on vient de voir, sont malheureusement irascibles. Je viens de lire un papier du journaliste Carey Gillam, de Reuters (ici), désolant en tout point. Les deux géants sont en train se mettre une peignée majeure sous le nez des caméras, ou presque. Je résume, et vous irez voir l’original en anglais si cela vous tente. DuPont accuse Monsanto de pratiques anticoncurrentielles illégales. On n’a pas le droit de rire, il faut attendre la suite. Là-dessus, le patron de Monsanto, Hugh Grant – non, pas celui du ciné et des whores de Los Angeles – adresse un courrier à celui de DuPont, Charles Hollyday. Et que lui dit-il sans hésiter ? Que DuPont s’est livrée à, je cite, « une sérieuse attaque contre l’éthique du business ». Et ce n’est pas tout, même si c’est incroyable. Monsanto affirme que DuPont aurait utilisé des faux documents et payé des mercenaires pour critiquer son concurrent. Déclaration de Scott Partridge, fameux avocat de Monsanto : « Ce n’est que la partie émergée d’un iceberg de coups tordus. Je n’ai jamais vu une entreprise se comporter de cette façon ». Venant du monsieur, on peut tenir le propos comme un compliment absolu.

Un ajout, pour la route, et cette fois, je donne le droit de se marrer, éventuellement autour d’un verre entre amis. DuPont, très crédible chevalier blanc, estime que « ce n’est pas simplement un problème DuPont. C’est un problème de concurrence. Ils [Monsanto] ont gagné grâce au  pouvoir d’un monopole illégal », précisant même que Monsanto a lourdement porté préjudice aux paysans. L’enjeu de cette bataille de chiffonniers transfrontières, vous l’aurez peut-être compris, c’est l’industrie des semences, la clé de voûte d’un pouvoir sans précédent dans l’histoire humaine.

Or, il y a dix ans, DuPont contrôlait 40 % du très juteux marché américain des semences de maïs. Le chiffre est tombé à 30 %, au profit de Monsanto. Un Monsanto qui prépare la saison agricole 2010 avec gourmandise. En 2009, le Roundup destiné au soja valait 52 dollars pour un acre, soit 0,4 hectare. En 2010, la nouvelle version dite Roundup Ready 2 coûtera 74 dollars. Heureusement, l’université d’été socialiste de La Rochelle approche. Vivement le discours !

PS : Une bise pour Madeleine

À vos portefeuilles ! (aider Terre de liens, tout de suite)

Vous me direz si le contre-emploi me va bien au teint. Car, retenez votre souffle, je vais vous parler d’une information heureuse autant que positive. Je sais bien que cela ne saurait annuler à vos yeux les milliers de mauvaises nouvelles dont je vous abreuve depuis bientôt deux ans, mais on fait ce qu’on peut. Appelons cela un début. Qui ne risque rien n’a rien, et pierre qui roule n’amasse pas mousse, même si tout ce qui brille n’est pas or.

Terre de liens (ici) est une association géniale, qui a créé en 2006, avec la Nef, société coopérative de finances solidaires (ici), un outil. Ni tranchant comme une faucille, ni contondant comme un marteau. Un outil de rêve, qui serait une treille, une maille, un pont de lianes aussi solide que celui, en acier, de Tancarville. Mais qui tiendrait dans la main, et qui tendrait d’ailleurs la main à qui le veut bien. Je m’égare ? Je m’égare.

Cet outil, c’est une épargne collective qui permet d’acheter des terres agricoles partout en France, puis de les mettre à disposition de paysans bio sous la forme d’un bail particulier. Voilà des gens qui en ont marre de seulement radoter. Ils agissent, constatant que 200 fermes continuent de disparaître chaque semaine en France, et que 160 hectares de terres agricoles sont sacrifiées chaque jour au dieu Béton de notre monde de pacotille. Ils agissent, alors que ce gouvernement ne sait pas quoi faire pour honorer sa minuscule promesse de faire passer l’agriculture bio de 2 % de la surface agricole à 6 % en 2012. Ils agissent, au moment où 50 % des produits bio consommés en France sont importés, pour la raison centrale que la FNSEA et tous les pouvoirs depuis 1945 ont étouffé de concert toute chance de vrai renouveau de l’agriculture humaine, écologique et prospère.

J’arrête là ma péroraison. Les gens de Terre de liens ne se contentent pas d’acheter et d’offrir des baux très avantageux. Là où leurs forces le permettent, ils tentent de faire de la politique, dans le sens simple et vrai de ce mot. Ils mettent en mouvement, interrogent les acteurs locaux, remuent les inerties et les courbatures, créent de nouveaux espaces vivants de combat. Alors, je vais vous dire : ils peuvent compter sur mon argent. Et j’espère bien, si vous en avez un peu, sur le vôtre. Car en l’occurrence, nulle lamentation en vue : de l’action, du concret, et même au passage la grande joie de participer à une œuvre utile à tous et à soi.

Courant juillet, mon ami Patrick m’a montré au passage de son auto un lieu superbe, en bordure de rivière, où Terre de liens était en train d’installer des paysans. Je ne sais si cela marchera, on s’en doute. Mais enfin, j’en trépignais intérieurement. La propriété se compose d’1,5 hectare de terre cultivable et arrosable, de 2 hectares de pâtures, de 15 hectares de bois. Une misère, dans l’univers productiviste des saigneurs en place. Pourtant, un homme a décidé de relever le gant, et de se lancer dans le maraîchage biologique, à l’aide de la traction animale. La remarquable association Prommata (ici) donnera la main, car elle pense, cette rétrograde, que l’animal est moderne, et pour tout dire, éternel.

Eh bien voilà, je vous ai dit ce que je souhaitais vous dire. En espérant que le choc de tant d’optimisme ne vous aura pas fait perdre de vue que je suis toujours le même.

PS : Je dois ajouter que le réseau de boutiques BIOCOOP (ici) joue un rôle de premier plan dans toute cette histoire. Ces magasins sont une bénédiction.

Lanillis, riante commune bretonne (avec pesticides)

Foldingue comme tout. Lannilis est une petite ville bretonne de 5 000 habitants, coincée entre deux abers, c’est-à-dire des rias. Qu’est-ce qu’une ria ? Bonne question. Un aber – donc une ria -, est cette partie de la vallée d’un fleuve que la mer recouvre à marée haute. C’est beau. Cela peut être très beau, comme l’est le Goyen entre Pont-Croix et Audierne, pour ceux qui connaissent.

Donc, Lannilis, au nord de Brest, tout près de ce furieux Atlantique que j’adore. Mais la zone entière, alentour, qu’on appelle le Léon, est sinistrée. Sur le plan écologique, qui commande tout, je radote. Avant, le Léon était pauvre, très pauvre. Une terre à paysans, s’échinant sur des parcelles toujours plus petites, à mesure que se succédaient les héritages. Si j’écris cela, c’est pour me faire bien voir. Pour montrer que je ne suis pas un nostalgique. Alors que je le suis.

Et puis vint Alexis Gourvennec. Un paysan pauvre, lui aussi, plein d’idées neuves, dont certaines ont tout révolutionné ici et là. En 1961, alors qu’il n’a que 25 ans, il lance la Société d’intérêt collectif agricole (Sica) du pays de Léon. Puis quantité d’autres choses. Il triomphe. La Sica devient une arme de guerre commerciale, qui permet aux petits paysans de se fédérer, et de ne plus brader leurs choux-fleurs et leurs artichauts.

Ce mouvement obtient de Paris, ce Paris gaulliste des années 60 – Edgard Pisani en tête -, quantité de crédits, qui seront utilisés pour des routes, un port en eau profonde, Roscoff, des lignes téléphoniques, etc. Le progrès, quoi. Côté légumes, idem. Engrais, tracteurs et pesticides à tout va transforment le Léon en ce que les journalistes appelèrent la « ceinture dorée » de la Bretagne. Un monde avait changé de base.

Et maintenant que le progrès a passé ? Eh bien, la région ne peut plus boire son eau, farcie par toutes les molécules chimiques épandues depuis cinquante ans. J’écris cela en pensant aux Chroniques martiennes, livre de science-fiction de Ray Bradbury. Car nous sommes dans la science-fiction, non ? Un pays soi-disant moderne qui ne peut plus boire son eau n’existe plus que dans les romans, non ?

Si. La suite le démontre aisément. En mai dernier, on découvre une extraordinaire pollution dans un forage en profondeur, à plus de 140 mètres, censé abreuver Lannilis à partir de 2010. Désormais, en effet, il faut aller chercher de l’eau là où les molécules ne sont pas – pas encore – arrivées. Tout est très bien détaillé sur le site de l’association S-EAU-S (ici). J’en profite pour signaler l’excellent travail critique de l’écologiste breton Gérard Borvon.

Revenons à la pollution du Lanveur, ce fameux forage. Au cours d’un simple contrôle de routine, on découvre 5,9 microgrammes par litre de métazachlore, un herbicide redoutable. Soit la bagatelle de 59 fois la dose légale admissible. Le maire porte plainte, la population s’affole, à juste titre. À l’heure où j’écris, le plus probable est qu’un foutu connard a jeté du poison dans ce qui devait servir à toute la communauté.

Mais les questions ne s’arrêtent pas là. Car pour l’heure, les besoins de Lannilis en eau dépendent à 60 % d’une usine de traitement située sur une rivière affreusement polluée, l’Aber-Wrac’h. L’usine de Kernillis joue à répétition un épisode de Mission Impossible : rendre buvable ce qui ne le sera plus jamais. Pour ne pas priver d’eau une zone de 80 000 habitants, la rivière jouit – est-ce bien le mot ? – de dérogations sans fin. Une loi européenne interdit en effet d’utiliser une eau qui contient plus de 50 mg de nitrates par litre d’eau, même pour la dénitrifier et la rendre « potable ». Après d’innombrables discussions de marchands de tapis, l’Aber-Wrac’h a obtenu un dernier (?) sursis. À la fin 2009, elle ne devra pas dépasser plus de 18 jours dans l’année la valeur maximale de 50 mg de nitrates par litre. Or elle l’a fait 200 fois en 2008 !

Résumons. Le captage en eau profonde, prévu en 2010, a été salopé par un salopard. Sera-t-il aux normes d’ici là ? Nul ne sait. Il faudrait sans aucun doute prévoir des mesures – sévères – de protection de la zone de captage. Bonjour l’ambiance. Et dans le cas où ce forage ne serait pas utilisable l’an prochain, Lannilis pourrait bien dépendre à 100 % de l’usine de Kernilis, qui pompe dans une rivière si dégueulasse qu’elle pourrait, au moins théoriquement, devoir fermer.

Voici une gracieuse boucle qui se referme sur le clac d’une mâchoire d’acier. Dernier point : faut-il incriminer Gourvennec, l’homme de la « modernisation » du Léon ? Là est toute la question, à laquelle je vous laisse réfléchir. Mais si vous en arriviez à cette conclusion, je vous conseillerais alors de penser aussi à Edgard Pisani. Oui, le vieux sage. Je ne me moque pas, je le jure. Pisani a pris les armes contre les fascistes allemands, ce qui ne peut s’oublier. Aujourd’hui qu’il a 91 ans, plus personne n’ose dire le moindre mal de lui. Il est celui qui a tout vu et tout compris avant le reste du monde.

Ce pourrait être vrai, mais c’est faux. Nul davantage que lui n’a voulu cette Bretagne folle de ses élevages concentrationnaires, de ses lisiers et de ses eaux innommables. D’ailleurs non, il n’a rien voulu. Mais il a fait, Dieu sait. Avec l’aide d’une armée de technocrates, d’ingénieurs, et de Gourvennec. Et maintenant que sonne l’heure des bilans, tiens donc, il n’y a plus personne pour assumer quelque responsabilité que ce soit. Je rappelle que Pisani est devenu sur le tard socialiste. Je rappelle que Cresson, Rocard, Nallet, tous socialistes ci-devant ministres de l’Agriculture, pensaient comme Pisani, et firent de même. Je rappelle que je n’aime pas ces gens. Je rappelle que leurs clones sont au pouvoir, qui lancent sans que nul ne se lève les nanotechnologies et les biocarburants. Je rappelle que j’en ai marre.

Ce ridicule qui ne tue plus que les poissons

Franchement grotesque. Mais en même temps révélateur de tout l’édifice caché des pouvoirs réels. Qui commande en France ? Selon la plupart des journalistes, qui écrivent sur le sujet des milliers d’articles, monsieur Sarkozy et son verbe. Son verbe, c’est-à-dire, selon les cas, celui de monsieur Henri Guaino, celui de monsieur Patrick Buisson, celui de madame Emmanuelle Mignon, etc.

Le premier cité, qui aura décidément tout raté, a servi Chirac, Séguin, Pasqua, Sarkozy enfin. Il est l’auteur de l’infâme discours prononcé à Dakar par Sarkozy en juillet 2007, dont j’extrais ceci : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Guaino est aussi l’auteur, au moins pour partie, du discours prononcé l’autre jour par son maître au Congrès de Versailles. En bon ventriloque, il lui a fait parler du Conseil national de la résistance (CNR), créé en 1943, en pleine nuit noire, et présidé d’abord par Jean Moulin. Sarkozy, vantant l’antifascisme armé, vantant ce CNR qui réclamait dès 1944 la nationalisation des banques, de l’énergie, des transports, la création de la Sécu ! Pauvre Henri Guaino. Pauvres de nous.

Les autres précités ont encore moins d’intérêt que ce dernier. Ils incarnent l’aile droite, l’aile dure de ce sarkozysme de pacotille. Buisson est un ancien de l’extrême-droite, où il resta bien plus longtemps que Longuet et Madelin. Mignon, ancienne étudiante en théologie, est une catholique fervente, qui a été responsable des Scouts unitaires de France. Ite missa est.

Il est d’autres plumes dans le vaste poulailler de notre président, mais baste, l’essentiel est dit. Cet homme-là ne parle que par d’autres. Ce qu’il pense vraiment, nul ne le sait. Ou plutôt, évidemment, chacun peut le savoir. Rien d’important n’a pu changer chez cet homme de Neuilly, dont l’expérience de la vie se réduit aux coups fourrés des congrès UDR, puis RPR, puis UMP. Il n’a rien lu. Il n’a pas une vraie minute pour songer aux problèmes de ce temps. Il ne sait du réel que ce que ses petites mains lui concoctent, sous la forme de fiches ne dépassant que rarement un feuillet, soit 1500 signes. Il n’est pas étonnant dans ces conditions qu’il aime à ce point la télé, où tout s’engloutit à mesure. Où tout disparaît chaque jour, pour ne plus jamais revenir.

Je m’échauffe la bile pour rien. Je le sais. Je me dis que je le sais, et je le fais quand même. Ce n’est pas malin, non. Mais aussi, et c’est mon excuse sincère, je viens de découvrir une nouvelle qui nous dit exactement la réalité du pouvoir et des pouvoirs. Pendant des mois, les journaux nous auront saoulés de ce Grenelle de la mer, où des utilités comme Isabelle Autissier faisaient tapisserie (ici). On allait voir ce qu’on allait voir. On allait sauver la mer. On allait monter au ciel pour y décrocher la lune. Ô tristes sots !

Voici la nouvelle : l’amuseur public Jean-Louis Borloo n’est plus seulement ministre de l’Écologie et du Développement durable. Il est aussi celui de la Mer. Cette mer qu’on voit danser le long des golfes clairs, vous savez bien. Ministre de la mer, mais sans les poissons. Car le ministre de la pêche est un certain Bruno Le Maire, qui est également ministre de l’Agriculture (ici). La pêche, qu’on se le dise, appartient au champion du productivisme, ce qui est d’une logique imparable.

Le Maire a décidé de prendre l’affaire à bras-le-corps, comme le rapporte le quotidien Le Télégramme (ici) : « La pêche est, dit-il, confrontée à des défis difficiles “au croisement du débat environnemental, de la sécurité sanitaire, du carburant”. L’un des défis clef est celui de la réforme de la PCP, la Politique Commune des Pêches. Bruno Le Maire compte bien se battre dans l’intérêt de la pêche française. Pour ce faire, il reprend l’idée des Assises de la pêche qui auront lieu après l’été, sur le littoral, avec un objectif: “Ces assises doivent être concluantes” ».

Autrement dit, après un Grenelle de la mer qui aura permis de prendre de belles photos de vacances de madame Autissier et de monsieur Orsenna, place aux choses sérieuses. Place à des Assises de la pêche, où l’objectif central, sinon unique, sera de trouver une manière de racler un peu plus encore des fonds marins dévastés par des décennies de folie industrielle.

Questions subsidiaires ? Qui a, cette fois, écrit le scénario du Grenelle de la mer ?  Quel conseiller ? Qui écrira demain le script des Assises de la pêche ? Quelle conseillère ? Réponse : je m’en fous. Une chose reste évidente : ceux qui ont accepté de cautionnner la bouffonnerie de ce Grenelle-là sont-ils si éloignés du maître queux qui les a réunis ? Comme dirait l’autre, las palabras entonces no sirven, son palabras. Alors les paroles ne servent à rien, car ce ne sont que des paroles.

Un bien beau ministre de l’Agriculture (Bruno Le Maire)

 J’ai parfois l’impression qu’ils font ça pour me faire plaisir. Je sais, cela ressemble fort à un accès de mégalomanie. Mais non, car je dois ajouter que, quand je pense cela, je ris. D’eux comme de moi. Ce n’est donc pas si grave que cela en a l’air. Bon, les faits. Les faits se réduisent en l’occurrence à une tribune publiée dans le quotidien Libération le 22 juin. Il y a donc deux jours. Signataires : Serge Orru, Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Didier Lorioux (président de la Fédération Nationale des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Dominique Marion (président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique), Jacques Morineau (président du Réseau Agriculture Durable), Cécile Ostria (directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot) et enfin François Veillerette, mon complice du livre Pesticides, révélations sur un scandale français.

Une véritable dream team, l’authentique reconstitution du groupe informel ayant siégé au Grenelle de l’Environnement. Pas tout à fait, d’ailleurs : il manque dans le lot un représentant de France Nature Environnement (FNE), qui aura probablement trouvé l’initiative extrémiste. FNE, je le radote, est financée essentiellement par les services d’État et se montre en conséquence très reconnaissante. Une tribune, donc, dans Libération (ici), adressée au monarque qui nous gouverne si bien. Pour lui demander de nommer au ministère de l’Agriculture une personnalité marquant un changement de cap. Je cite : « Nous appelons avec la plus grande force le Président de la République à initier une révolution écologique au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche en choisissant une personnalité capable de relever ce défi et en inscrivant explicitement la préservation des ressources naturelles dans la lettre de mission du futur ministre ».

Cela, les garçons et les filles, s’appelle du lobbying. On tente d’influer, d’influencer, en pratiquant le sous-entendu, l’implicite. L’implicite, c’est que Sarkozy doit envoyer un signe. Ben oui, quoi. On appelle cela une stratégie win-win, où tout le monde gagne. Les écologistes officiels siègent au Grenelle et crédibilisent Sarko-l’écolo, mais en échange, celui-ci leur accorde réceptions fleuries, (petits) honneurs entre amis, discussions et respectabilité. Cela, c’est le schéma idéal. D’où la tribune publiée dans Libération.

À ce moment précis, Sarkozy doit montrer sa bonne volonté. Mais hélas, point. Rien de rien. Au lieu de nommer au ministère de l’Agriculture un révolutionnaire antiproductiviste, le voilà qui se moque. Car ne craignons pas de le révéler, Sarkozy est un moqueur. La preuve par Bruno Le Maire, notre nouveau ministre de l’Agriculture. S’il est une chose certaine, c’est que Le Maire ne connaît strictement rien au sujet. Que dalle. Énarque, agrégé de lettres, pote avec Villepin, homme de cabinet, il ne sait aucun des enjeux de l’agriculture française. Il lui faudra un an pour comprendre trois bricoles, et pendant cette année, les lobbies qui tiennent la rue de Varenne – siège du ministère – lui auront fait comprendre qui commande. Et ce ne sera pas lui.

J’ajoute, sans forfanterie, que j’ai lu un livre de Le Maire, Des hommes d’État (Grasset). Il y raconte, sous forme d’un éphéméride, son passage au cabinet de Villepin entre 2005 et 2007, quand ce grand personnage était Premier ministre. Que vous dire ? Le Maire écrit mieux que la presque totalité de la classe politique, ce qui ne veut pas dire grand chose. Il n’y a pas de quoi se relever la nuit, mais au moins, il n’y a pas de faute, et l’on peut se laisser bercer par le ronron. Sur le fond, c’est aussi creux que l’aura été le pouvoir chancelant des dernières années Chirac. Je n’ai noté pour ma part qu’un seul passage digne d’un véritable intérêt. Je vous l’offre aussitôt : nous sommes le 17 janvier 2006 à l’hôtel Matignon, où plusieurs Excellences sont réunies. Il y a Villepin, bien sûr, Sarkozy -il est alors ministre des flics – et Jean-Louis Debré, le président de l’Assemblée nationale.

Ces précieuses personnalités papotent autour d’une vague proposition d’obliger les services secrets à rendre des comptes au Parlement. Sarkozy : « C’est une très bonne idée. Au moins, on apprendra peut-être quelque chose sur ce qu’ils font. Parce que je ne sais pas, vous, Dominique, Jean-Louis, vous avez été ministres de l’Intérieur, on ne sait jamais trop ce qu’ils fabriquent, c’est un mystère ». Debré : « Et c’est peut-être mieux comme cela, Nicolas ». Beau comme l’antique, vous ne trouvez pas ? Ceux qui nous gouvernent avouent sans fard leur ignorance de pans entiers de la réalité qu’ils sont censés incarner.

Où veux-je en venir ? Nulle part. J’ai divagué, mais sans oublier néanmoins mon point de départ. Les écologistes officiels ont envoyé un message public au Prince, qui les a envoyés promener, probablement parce qu’il n’éprouve aucune crainte d’eux. Je crois qu’il a raison. Si les écologistes officiels étaient plus écologistes et moins officiels, ils publieraient une nouvelle tribune pour dire cette évidence que Sarkozy les a joliment blousés en nommant à l’Agriculture – poste décisif s’il en est – un politicien à peine différent des autres, et qui ne s’attaquera bien sûr à aucune des causes structurelles du productivisme. J’ai le sentiment qu’il n’y aura pas de seconde tribune. Mais il est vrai qu’il s’agit d’un affreux procès d’intention. J’ai honte.