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Faut-il trembler ? (sur la grippe porcine et Olivier de Serres)

Ce lundi, je m’éveille en pensant aux porcs, qui sont de drôles d’animaux. Qui sont de grands sensibles. Qui sont des êtres sensibles et intelligents, comme chacun devrait le savoir. Or une funeste recombinaison génétique, qui proviendrait d’eux, via les élevages qu’on connaît ou qu’on imagine, semble menacer l’humanité d’une pandémie de grippe d’autant plus délicate qu’on ne sait pas grand chose d’elle.

À quand un Grenelle de l’élevage industriel ? Je ne suis pas sûr que nos Excellences n’aient pas déjà songé à une farce supplémentaire. Quoi qu’il en soit, deux choses. Je vous renvoie à un mien article, publié ici en décembre 2007 ( lire ici). J’y parlais du MRSA, une saloperie qui a tué plus d’Américains en 2006 que le sida. Et qui vient, vous l’aurez deviné, du cochon, chez qui tout n’est pas bon.

La deuxième chose que je voulais vous signaler est une lecture. Nous sommes en plein progrès, n’est-ce pas ? Les mœurs sont de plus en plus douces, les relations entre humains de plus en plus pacifiques, et le traitement que nous réservons aux animaux s’améliore de jour en jour. Pas vrai ? Une lecture, donc. À la charnière entre Moyen Âge et révolution industrielle, l’extraordinaire Olivier de Serres crée, dans l’Ardèche actuelle,  une ferme modèle dans laquelle il imagine quantité d’améliorations pratiques du domaine agricole. Né au cours de la Renaissance, en 1539, de Serres en tire un ouvrage merveilleux, Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, paru en 1600. Il est en réalité le grand pionnier des agronomes modernes. Sully et Henri IV le tiendront au reste en très grande estime.

Or que dit-il des animaux d’élevage ? Ou plutôt, comment en parle-t-il ? C’est passionnant. C’est édifiant. Car Olivier de Serres aime visiblement, d’amour oserait-on écrire, le bétail. Page après page, il passe en revue tout ce qui doit être fait par l’homme pour contenter les bêtes qui le servent. Comme on est loin du temps d’aujourd’hui ! Tout y passe : les conditions du vêlage, la qualité des herbages, la nécessité de belles étables. Quelle leçon de vie et de maintien !

Jugeons ensemble : « Quant à leur logis [celui des animaux ] et particulier gouvernement, il en sera traicté en lieu convenable, selon le naturel de chacune espèce de bestail ». Ou encore : « En campagne durant l’esté, les vaches seront menées aux pasquis, et ce dès la poincte du jour, pour manger l’herbe en la frescheur de la matinée, avec la rosée. Environ les dix heures, les serrera-t-on dans les estableries, où séjourneront durant la grande chaleur (…), laquelle passée, ou pour le moins abaissée, qui sera environ les deux ou trois heures de l’après-midi, les amenera-on au pastis jusques à l’entrée de la nuict, lors les enfermant dans le logis jusques au lendemain ». Le pastis, il faut peut-être le préciser, désigne le pré.

Lisez donc, si vous en avez le temps, et considérons en attendant le souci de ce que nous appelons aujourd’hui le « bien-être animal ». De Serres ne tarit pas d’évocations douces et presque amicales à l’endroit du bétail. « Les veaux à laict, et les bouveaux et genices, marcheront ensemble, pour la sympathie de leurs mœurs et aages ». Autrement dit, il convient de tenir compte de la personnalité des animaux et de leur âge… On n’en finirait pas de décrire la méticulosité tendre avec laquelle Olivier De Serres octroie ses conseils d’élevage. Respect des veaux et de leurs mères, jugées  amoureuses de leurs petits. Respect des bœufs, auxquels le bouvier doit accorder de nombreux soins quotidiens, dont la recherche des « espines et pierres qui souventes fois » s’attachent aux pieds de l’animal pendant la journée. Quant aux étables, mazette, on aimerait qu’elles soient en activité aujourd’hui. « Les estables seront appropriées au bestail, comme j’ai dict, grandes, aux grandes bestes : petites, aux petites, et pour toutes en général, sèches et aérées, afin qu’aucune humidité n’y séjourne, pour petite qu’elle soit, estant tous-jours contraire à toute sorte d’animaux ».

C’est bien dommage, mais il faut arrêter. Et considérer qu’en 1600, en France, l’un des grands du pays, ayant l’oreille du roi, explique comme une évidence qu’il faut bien traiter les animaux. Et qu’ils ne sont pas tous identiques. Qu’ils ne sont pas, en somme, de simples numéros. Mais c’était au temps noir de la barbarie.

L’éternel comique agricole (avec le concours de monsieur Henri Nallet)

Si les enjeux n’étaient notre avenir à tous, je dois avouer que je rigolerais comme un bossu. Pour être franc, je me gondole quand même, et tant pis. Aujourd’hui se tient au Futuroscope de Poitiers le 63 ème congrès de la FNSEA, le syndicat agricole dominant. Le lieu est excellent, car ce parc de loisirs, créé en 1986, n’aura survécu que grâce à de continuelles injections d’argent public. René Monory, ancien président du Sénat et potentat local, avait d’ailleurs obtenu une gare TGV en 2 000, de manière à doper la fréquentation.

Laquelle lambinait un peu : il aura fallu sept années de pertes payées par l’impôt avant que la situation se reprenne un peu, après 2006. Entre la première pierre, posée en 1984, et 2005, le Futuroscope aura englouti 240 millions d’euros d’argent public. Brillant, isn’t it ? C’est en tout cas dans ce lieu édénique que la FNSEA réunit un congrès que tout le monde présente comme explosif. Et, tiens, il y sera justement question de subventions. Qui touchera quoi ? Le reste n’est que littérature de gare.

Je résume. Il n’y a plus assez de sous à donner à tout le monde. Il faut choisir. Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, veut redistribuer 20 % des aides agricoles à partir de 2010. En les enlevant aux céréaliers pour les donner aux éleveurs et à la filière bio. Les céréaliers – leur sens de l’humour est merveilleux – fabriquent des pancartes sur lesquelles on lit : « Barnier fumier ! », et affirment qu’ils perdront dans l’affaire entre 30 et 50 % de leur revenu. Au passage, que le chiffre soit exact ou pas, constatons une nouvelle fois de quelle manière sont payés les paysans en France. Sous la forme de chèques. Certifiés par l’État.

Je vais vous dire trois petites choses que vous risquez de ne pas lire ailleurs. Que se cache-t-il derrière ce « grand choc » entre éleveurs et céréaliers ? Une farce légèrement macabre. Car le plus grand débouché des céréales, en France, et de très loin, est l’alimentation animale. Vous pensez peut-être que les céréaliers, comme leurs agences de com’ le clament depuis des décennies, nourrissent le monde ? Ben non. Ils nourrissent les porcs industriels, les vaches et veaux génétiquement sélectionnés, les poulets concentrationnaires.

Les chiffres sortent rarement dans leur extrême clarté, et je vous conseille donc le survol d’un texte on ne peut plus officiel, le rapport Dormont (ici). En France, 70 % de la Surface agricole utile (SAU) est destinée à la nourriture du bétail. Je sais, c’est incroyable. Mais si on additionne les Surfaces toujours en herbe (STH), vouées au pâturage et celles  des céréales pour les animaux, on arrive bel et bien à 70 % des surfaces agricoles.

Si l’on y ajoute les surfaces vouées aux biocarburants, il faut se pincer pour continuer à croire à la beauté du monde. Car l’objectif de l’Europe, à l’horizon 2020, est toujours de remplacer 10 % des combustibles fossiles actuels par des carburants végétaux, lesquels ne poussent pas dans les cours de HLM. Une estimation prudente juge que la France, en ce cas, devra y consacrer 2,7 millions d’hectares, soit 18,5?% de ses terres cultivables (à ne pas confondre avec la SAU). À moins qu’on n’importe massivement d’Indonésie ou du Cameroun, via Vincent Bolloré, grand ami de Sarkozy et grand planteur de palmiers à huile ?

Pourquoi se faire mal à ce point ? Pourquoi vous infliger pareil traitement ? Parce que je ne peux pas faire autrement. L’agriculture française n’est pas seulement moribonde. Elle est folle, détestable, immorale, et ne pourra jamais être réformée en profondeur. Car les élites de gauche comme de droite sont d’accord sur le fond. Le saviez-vous ? Le grand « modernisateur » de l’agriculture n’est autre qu’Edgard Pisani, ministre de De Gaulle en 1965. Cette même année, en visite sur le terrain, il avait déclaré : « La Bretagne doit devenir l’usine à viande de la France ». Ne l’est-elle pas, pour la gloire éternelle des nitrates et des pesticides ? Et je ne vous parle pas de ce pauvre Henri Nallet, adhérent de la FNSEA dès les années 60 et chargé de mission du noble syndicat entre 1966 à 1970. Comme Pisani, devenu socialiste, Nallet est un homme de gauche. Après 1981, il est conseiller de Mitterrand pour les questions agricoles. En 1985, il sera ministre de l’Agriculture une première fois. En 1988, après la première cohabitation, il devient ministre de l’Agriculture une seconde fois.

Et ? Cet excellent homme n’a pas tout perdu en passant par la FNSEA. Le lobby, ma foi, il connaît. En 2 000, Jacques Servier, patron réputé d’extrême-droite des laboratoires pharmaceutiques Servier, le recrute comme homme-sandwich. Nallet accepte de s’y occuper de lobbying, notamment pour favoriser les Autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. C’est bien, d’utiliser le carnet d’adresses de la République pour un tel ouvrage, non ? C’est bien, de doubler, tripler ou sextupler ses retraites de député et de ministre, non ?

Mais ce n’est pas tout. Servier est un vrai dur, et quand Nallet se met à son service, il le sait, car tout a déjà été écrit (ici). Voici le début de l’article proposé, qui vient du Nouvel Observateur (25 mars 1999) : « Trois colonels de l’armée de terre, deux colonels de la DGSE, trois agents de la DST, un officier du bureau de renseignements de la marine, un général commandant le bureau de renseignements de l’armée de l’air, deux amiraux, trois capitaines de vaisseau, deux colonels et un lieutenant-colonel de l’armée de l’air, un colonel de gendarmerie, un contrôleur général de la police et enfin un simple garde républicain et l’épouse d’un amiral italien. Voilà une troupe bien singulière. Sa mission l’est encore plus. Tous ces retraités font du recrutement. Ils travaillent pour le numéro trois de la pharmacie en France, les laboratoires Servier, une réussite entrepreneuriale souvent citée en exemple, l’œuvre d’une figure du patronat, le docteur Jacques Servier. En langage maison, on appelle ces galonnés des ADG, “attachés de direction générale”, et leur travail, “des analyses de candidature”. En langage policier, on appellerait ça une enquête de proximité. Environnement familial, personnalité, moralité, fréquentations, les candidatures sont passées au crible. Une attention toute particulière est portée aux opinions syndicales et politiques ».

Voilà, ami lecteur. Me suis-je éloigné sans m’en rendre compte de mon sujet de départ ? Je ne le crois pas. Mais tu me diras sans détour ce que tu en penses. N’est-ce pas ?

Qu’elle était verte ma vallée (sur le sort malheureux du sol)

L’inconscience est-elle une barbarie ? Je ramasse les copies dans je ne sais combien de temps. Car de quel temps disposons-nous désormais ? Moi, je ne le sais. Et vous ? L’inconscience est-elle une barbarie ? C’est en tout cas, et sans conteste, une énorme connerie. Partout en France, les élus, travaillés au corps par les experts de la chose, sacrifient sans état d’âme nos sols. Notre sol. Le seul avenir concevable. Ils le font, année après année, sans seulement y réfléchir une seconde. Quels furieux imbéciles !

Quand je ne suis pas derrière cet ordinateur – certains d’entre vous le savent -, je suis ailleurs. Réellement ailleurs. Sur un bout de pierre calcaire, face à un vallon encore oublié par les massacreurs. Il m’arrive pourtant de pester, et souvent même, dès que je prends la route départementale qui mène de S. à N. La rivière coule à main droite, à 300 mètres de la route peut-être. Pendant des siècles et des siècles, son lit supérieur a recueilli des alluvions qui ont fait de cette vallée un jardin flamboyant. Les textes historiques abondent, qui racontent ce que ces terres ont porté pour satisfaire nos besoins. Selon mon goût, il est certain que cette vallée a un droit non humain à l’existence, dans la splendeur de ses courbes.

Et ce droit, nous le bafouons. Enfin, n’exagérons pas mon rôle. Ces foutus connards bafouent le droit de cette sublime vallée à vivre sa vie lente, jusqu’ici hors de portée du pire. Mais le pire advient chaque jour. Quand je dépasse les dernières maisons de S., et que je devrais commencer à admirer les herbes et le vent, les vergers et les champs, il y a toujours une maison, des maisons en construction. Et quelle agressive laideur ! Vous n’avez pas besoin, je crois, de description. C’est souvent compact, carré, imposant, cerclé de fer forgé, couvert de PVC et d’aluminium, avec pelouses et thuyas. Là ! Chez moi ! Devant mon nez ! À un autre temps de ma vie, j’aurais été tenté par la dynamite, je dois le confesser. Mais je suis devenu non-violent. Presque.

Le maire signe donc, en tout cas avalise un mitage atroce des sols les plus beaux de la région. Puis, il n’y a pas que ces maisons-gorgones. Un peu plus loin, en continuité, on trouve un tout nouveau camping avec piscine – sur cette terre de causses ! -, pastiche de quelque désastre californien, et puis une déchetterie. Et puis tant d’autres merdes que je préfère m’en tenir là. En bref, des sols prodigieux disparaissent sous l’immondice. En France, un gros département est ainsi bétonné tous les dix ans. Et ce n’est pas moi qui le prétends.

Non, car l’imagination bureaucratique, qui permet de si bien camoufler, vient de créer un Conservatoire national des sols (ici). Mais si. Rien ne nous aura été épargné. Un Conservatoire. Des sols. Un conservatoire pour des sols qui se sont passés de nous pendant des milliards d’années. Cela donne à réfléchir. L’Inra (Institut national de la recherche agronomique), qui a tant fait depuis sa création pour la destruction des sols de France, est chargé par l’État de créer, à partir de son unité Infosol, ce tout nouveau machin.

Où en est-on ? Comme il n’y a bien entendu pas d’argent, on se contente de maigres échantillonnages. Pas question d’un véritable inventaire de la qualité et de la quantité des sols sur quoi repose notre supposée civilisation. On désespérerait la France au moment où il faut la mobiliser. Malgré tout, là où on cherche, on trouve. Du plomb, des métaux lourds, du lindane partout, alors que ce pesticide est interdit depuis des lustres. Des PCB (polychlorobiphényles). Des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). On trouve de tout, à la Samaritaine des sols, quand on se penche.

Et n’insistons pas sur l’érosion. Ce que c’est ? Un phénomène aussi simple que meurtrier. Un sol est une pellicule fragile, qui contient le germe de toutes les cultures. Si on le maltraite, si on le laboure comme une brute, si on oublie de le protéger par des haies, des talus boisés, si on refuse de tenir compte des pentes pour le travailler, on le tue. Le vent comme l’eau s’attaquent à lui et l’arrachent à la roche-mère. En France, les chiffres varient en fonction des usages du sol. Chaque année, entre 0,5 et 20 tonnes de terre par hectare sont ainsi détruits. Or un sol fertile se constitue en siècles et en millénaires. Chez nous, de 20 à 25 % des terres dites arables sont les victimes d’une érosion grave qui mène au néant. Surtout dans le nord du Bassin parisien, en Picardie, dans le pays de Caux, dans le Languedoc et une partie du sillon rhodanien.

Dans ces conditions, bétonner ma vallée à moi est un crime absurde. Un crime criminel. Commis pour faire plaisir à quelques électeurs gâteux. Cela, au moment où l’Union européenne publie un rapport (ici, en anglais) qui montre que les sols des 27 pays de l’Union stockent la bagatelle de 73 à 79 milliards de tonnes de carbone. Pas du CO2. Du carbone (un kilogramme de CO2 contient 0,2727 kg de carbone). La moitié se trouve dans des tourbières, dont au moins la moitié a été détruite par l’érosion, le drainage, l’urbanisation. Rien n’indique que les choses vont enfin changer. Là se trouve pourtant l’une des clés de la lutte continentale contre le dérèglement climatique.

Je cherche en vain ce que je pourrais ajouter pour vous remonter le moral. Je vous jure que je cherche. Je vous jure que je ne trouve pas. Et comme je ne trouve pas, et comme il n’y a rien à trouver je le crains, laissez-moi radoter à nouveau. La révolte. Il n’y a que cela de vrai. La révolte. Je ne sais pas si elle vient. Mais je l’espère de toutes mes forces.

Nuit de Chine à Pékin

La Chine est notre cauchemar. Les bureaucrates stalino-maoïstes qui règnent là-bas ne seraient rien sans notre soutien à leur folie. Bien sûr, les transnationales jouent un rôle clé dans la dislocation accélérée des sociétés humaines. Évidemment ! Certains d’entre vous savent bien que notre champion Alstom a construit 12 des 26 turbines géantes des Trois-Gorges, ce barrage démentiel sur le Yangtsé. L’exemple n’est là que pour signaler notre rôle direct. Mais la vérité complète est pire. Nous sommes des millions en France à soutenir cette terrible involution par nos achats made in China. Regardez donc vos clés USB.

Au-delà encore, bien que nous en refusions le poids conscient, la grande majorité du peuple français manifeste, par ses votes et ses actes, qu’il préfère une Chine en plein délire qui achète nos produits et soutient notre niveau de vie artificiel qu’une Chine qui serait demeurée pauvre et paysanne. Ce n’est pas du masochisme, j’espère qu’il ne s’agit pas seulement de masochisme. Je crois davantage qu’il exprime une vérité refoulée qui ne peut que saper en silence nos plus fortes déterminations. Le lien entre eux et nous est puissant. La ligne de destruction passe par Paris avant que d’atteindre Pékin. Si je vous embête avec tout cela, c’est que je viens de tomber par hasard sur une chronique publiée dans le numéro 676 de Politis, en 2001. J’en suis l’auteur. Mais je n’en suis pas heureux pour autant, on comprendra sûrement pourquoi.

 Chronique

C’est donc fait, sous les vivats de la (petite) foule (stipendiée) de Doha : la Chine fait partie de l’Organisation mondiale du commerce. A coup certain, nombre d’économies du Nord – et nous tous, donc – y trouveront leur compte, du moins dans un premier temps. La Chine va réellement se mettre à consommer, amis de la croissance, et l’on roulera bientôt en Peugeot, Renault et Nissan jusque dans les chefs-lieux de canton de cet immense pays rural.
L’extrême et inévitable aggravation de l’effet de serre qui s’en suivra ? On s’en fout, voyons. Mais les conséquences prévisibles de cette nouvelle révolution seront aussi sociales et culturelles, pour ne pas dire ontologiques. Le Beijing Fazhi Bao – le Quotidien des lois, publié à Pékin – vient d’annoncer que 60 000 personnes recherchées par la police ont été arrêtées entre le 20 septembre et le 5 novembre, dont 13 000 pour meurtre. Pas mal, hein ? L’opinion chinoise considère, dit-on, que la plupart de ces délinquants sont des paysans à la dérive, partis chercher « fortune » dans les métropoles. Ils seraient 100 millions à ne plus être fixés à la campagne, et à ne pas l’être vraiment en ville. 100 millions !
Mais ce n’est rien encore à côté de ce qui se prépare. L’entrée dans l’OMC de la Chine annonce probablement le plus grand exode rural de toute l’histoire de l’homme, un drame aux dimensions bibliques. D’ores et déjà, les droits de douane passent de 21 à 17 %, prélude à une ouverture en profondeur du marché chinois aux produits de l’agriculture industrielle du Nord. Par quelle espèce de miracle les 800 millions de paysans chinois encore à la terre pourraient-ils résister à un tel déferlement ?
Les bureaucrates chinois sont certes gens prudents, et surtout inquiets pour leur survie politique, mais ils ne pourront rien pour sauver la civilisation paysanne sur laquelle repose pourtant leur pays depuis 4 000 ans. Déjà tout craque : l’épouvantable chantier du barrage des Trois-Gorges n’est pas seulement achevé que Pékin lance une autre opération géante, qui vise à transférer les eaux du Yangtsé vers le Fleuve Jaune et les rivières Huai et Hai, plus au nord. 64 milliards de dollars (!) devraient au total être dépensés, sans qu’aucune évaluation des conséquences écologiques du projet n’ait été conduite.
Ainsi va la « modernisation » capitaliste, ainsi galope la mondialisation. Un pays d’1,3 milliard d’habitants, déjà gravement menacé par la désertification, le manque d’eau et de terres arables, la pollution des rivières et des nappes phréatiques, bascule sous nos yeux dans l’inconnu et les folles aventures. Vive le marché mondial, pardi !

Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs), bis repetita

Préambule qui n’a rien à voir ou presque : Henri Pézerat, mort le 16 février 2009, a été enterré hier par ses amis. À l’heure qu’il est – cela peut changer, je l’espère en tout cas -, aucun article de presse n’a rappelé son rôle proprement historique dans la bataille contre l’amiante. Nous verrons, mais j’y reviendrai. Et maintenant, sans transition, la suite.

Le texte qui suit n’est pas neuf, car il a été publié la première fois ici le 28 janvier 2008, il y a plus d’un an. Le relisant à la suite d’une recherche sur un autre sujet, je me suis dit qu’il méritait bien d’être remis en ligne ( un autre, complémentaire, ici). Souvenez-vous comme l’Espagne inspirait nos politiques de gauche, Ségolène Royal en tête, quand son économie de pacotille brillait encore de tous ses feux toxiques. Ou de droite, quand Aznar entendait détruire le fleuve qui a donné son nom à la péninsule ibérique – l’Ébre – et détourner ses eaux jusqu’aux plantations chimiques de tomates, loin au sud. Tout n’était donc que faux, tout n’était que carton-pâte. Mais il faudrait pourtant faire confiance à ceux qui prétendaient exactement l’inverse. Eh bien, si cela vous dit d’y croire encore, ne vous retournez pas pour voir si je suis là. Car j’ai déjà disparu.

Le 28 janvier 2008. Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : ici). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (ici) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (ici) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics.

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (ici). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.