Ce lundi, je m’éveille en pensant aux porcs, qui sont de drôles d’animaux. Qui sont de grands sensibles. Qui sont des êtres sensibles et intelligents, comme chacun devrait le savoir. Or une funeste recombinaison génétique, qui proviendrait d’eux, via les élevages qu’on connaît ou qu’on imagine, semble menacer l’humanité d’une pandémie de grippe d’autant plus délicate qu’on ne sait pas grand chose d’elle.
À quand un Grenelle de l’élevage industriel ? Je ne suis pas sûr que nos Excellences n’aient pas déjà songé à une farce supplémentaire. Quoi qu’il en soit, deux choses. Je vous renvoie à un mien article, publié ici en décembre 2007 ( lire ici). J’y parlais du MRSA, une saloperie qui a tué plus d’Américains en 2006 que le sida. Et qui vient, vous l’aurez deviné, du cochon, chez qui tout n’est pas bon.
La deuxième chose que je voulais vous signaler est une lecture. Nous sommes en plein progrès, n’est-ce pas ? Les mœurs sont de plus en plus douces, les relations entre humains de plus en plus pacifiques, et le traitement que nous réservons aux animaux s’améliore de jour en jour. Pas vrai ? Une lecture, donc. À la charnière entre Moyen Âge et révolution industrielle, l’extraordinaire Olivier de Serres crée, dans l’Ardèche actuelle, une ferme modèle dans laquelle il imagine quantité d’améliorations pratiques du domaine agricole. Né au cours de la Renaissance, en 1539, de Serres en tire un ouvrage merveilleux, Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, paru en 1600. Il est en réalité le grand pionnier des agronomes modernes. Sully et Henri IV le tiendront au reste en très grande estime.
Or que dit-il des animaux d’élevage ? Ou plutôt, comment en parle-t-il ? C’est passionnant. C’est édifiant. Car Olivier de Serres aime visiblement, d’amour oserait-on écrire, le bétail. Page après page, il passe en revue tout ce qui doit être fait par l’homme pour contenter les bêtes qui le servent. Comme on est loin du temps d’aujourd’hui ! Tout y passe : les conditions du vêlage, la qualité des herbages, la nécessité de belles étables. Quelle leçon de vie et de maintien !
Jugeons ensemble : « Quant à leur logis [celui des animaux ] et particulier gouvernement, il en sera traicté en lieu convenable, selon le naturel de chacune espèce de bestail ». Ou encore : « En campagne durant l’esté, les vaches seront menées aux pasquis, et ce dès la poincte du jour, pour manger l’herbe en la frescheur de la matinée, avec la rosée. Environ les dix heures, les serrera-t-on dans les estableries, où séjourneront durant la grande chaleur (…), laquelle passée, ou pour le moins abaissée, qui sera environ les deux ou trois heures de l’après-midi, les amenera-on au pastis jusques à l’entrée de la nuict, lors les enfermant dans le logis jusques au lendemain ». Le pastis, il faut peut-être le préciser, désigne le pré.
Lisez donc, si vous en avez le temps, et considérons en attendant le souci de ce que nous appelons aujourd’hui le « bien-être animal ». De Serres ne tarit pas d’évocations douces et presque amicales à l’endroit du bétail. « Les veaux à laict, et les bouveaux et genices, marcheront ensemble, pour la sympathie de leurs mœurs et aages ». Autrement dit, il convient de tenir compte de la personnalité des animaux et de leur âge… On n’en finirait pas de décrire la méticulosité tendre avec laquelle Olivier De Serres octroie ses conseils d’élevage. Respect des veaux et de leurs mères, jugées amoureuses de leurs petits. Respect des bœufs, auxquels le bouvier doit accorder de nombreux soins quotidiens, dont la recherche des « espines et pierres qui souventes fois » s’attachent aux pieds de l’animal pendant la journée. Quant aux étables, mazette, on aimerait qu’elles soient en activité aujourd’hui. « Les estables seront appropriées au bestail, comme j’ai dict, grandes, aux grandes bestes : petites, aux petites, et pour toutes en général, sèches et aérées, afin qu’aucune humidité n’y séjourne, pour petite qu’elle soit, estant tous-jours contraire à toute sorte d’animaux ».
C’est bien dommage, mais il faut arrêter. Et considérer qu’en 1600, en France, l’un des grands du pays, ayant l’oreille du roi, explique comme une évidence qu’il faut bien traiter les animaux. Et qu’ils ne sont pas tous identiques. Qu’ils ne sont pas, en somme, de simples numéros. Mais c’était au temps noir de la barbarie.