Archives de catégorie : Agriculture(s)

Fièvre du soja au journal Le Monde

C’est ennuyeux, car ce n’est pas la première fois que je vous entretiens du journal Le Monde. Et de la même manière très critique. S’agirait-il d’une fixation ? Je ne le crois pas. Et d’un, je suis un lecteur de fort longue date, ce qui donne tout de même quelques droits. Et de deux, ce quotidien est dit de référence, ce qui signifie sauf erreur qu’on se réfère constamment à ses articles, supposés dire le vrai dans un monde d’incertitude et de pacotille. Et de trois, je suis journaliste, ce qui n’est pas un cadeau, mais n’est pas davantage une tare, a priori du moins. Je veux dire que cela aide à voir un journal tel qu’il est fabriqué, par une petite équipe aux choix discutables, sinon discutés. Bref. Je suis furieux. La lecture du Monde daté du 30 octobre 2007 m’a fait bondir, et j’espère que vous me comprendrez. Mais comme il s’agit d’une histoire à épisodes, le mieux est de raconter cela dans l’ordre, du moins dans celui que je vous propose.

Premier acte le 19 septembre 2007. Le Monde publie ce jour-là une enquête inouïe sur le soja au Brésil, L’Amazonie asphyxiée par le soja, signée de deux noms : Hubert Prolongeau et Béatrice Marie (http://www.infosdelaplanete.org). J’ai croisé Prolongeau il y a vingt ans, puis l’ai perdu de vue, mais je sais qu’il pige pour le Nouvel Obs, Elle, et donc Le Monde. Il n’appartient pas à la rédaction du quotidien, par conséquent. Quant à Béatrice Marie, j’ignore qui elle est. L’article est renversant, car il donne à voir – c’est une première dans la presse française – les liens évidents entre déforestation de l’Amazonie et culture industrielle du soja transgénique. C’est en outre un excellent reportage, dont je sais par expérience à quel point il est difficile à faire. J’applaudis intérieurement. Trop tôt.

Deuxième acte quinze jours plus tard. Une connaissance qui travaille au Monde me parle de tensions autour de l’article. L’ambassade du Brésil à Paris, très attentive comme il se doit à l’image du pays, s’est plainte auprès de la hiérarchie du journal. On commencerait à regarder le reportage d’un tout autre oeil. Bon, cela reste sans importance.

Troisième acte : le gouverneur brésilien du Mato Grosso, Blairo Borges Maggi, débarque à Paris à la mi-octobre, pour une opération de communication de grande ampleur. L’Iddri, un institut dirigé par Laurence Tubiana, ancienne conseillère de Lionel Jospin à Matignon, l’invite le 19 pour une conférence. Son titre, au son inimitable : Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso. Il faut préciser quelques points. Le premier, de loin, c’est que Maggi a été sévèrement étrillé par Prolongeau et Marie. Pour cause, d’ailleurs, car le gouverneur est aussi l’un des industriels du soja les plus puissants au monde. Voici un extrait d’un texte publié par Survival International au printemps 2006, qui vous donnera une idée du monsieur réel : « Le territoire des Enawene Nawe dans l’Etat du Mato Grosso est massivement défriché pour faire place aux plantations de soja et aux activités d’élevage. Le gouverneur de l’Etat et le ‘baron’ du soja, Blairo Maggi, l’un des plus importants producteurs du soja au monde, envisagent de construire des barrages hydroélectriques sur le territoire des Indiens afin de fournir en énergie l’industrie du soja. Maggi fait pression sur le gouvernement fédéral pour que les territoires indiens ne soient pas reconnus dans son Etat ».

Maggi est vraiment un homme important, et je vous invite à lire un article très détaillé qui remet tout en perspective à l’adresse suivante : (http://risal.collectifs.net). Le Monde, à juste titre du coup, suit avec attention la tournée de Maggi en France. On ne peut, je ne peux que supposer des contacts entre le journal, l’ambassade brésilienne à Paris, et l’entourage de Maggi. Comme je ne suis pas l’homme invisible, je n’y ai pas assisté, et j’en suis bien contrit.

Quatrième acte, qui me fait tendre l’oreille et le nez : le 24 octobre, il y a quelques jours à peine, Le Monde publie une lettre de la transnationale Cargill, vivement mise en cause, il est vrai, dans le reportage de septembre. Le service de com de la Cargill conteste toutes les accusations portées contre elle. C’est de bonne guerre, assurément, mais à la lecture de ce courrier, une question se faufile et s’installe en moi : pourquoi diable Le Monde ne répond-il pas à ce courrier, comme il le devrait ? N’y aurait-il rien à rétorquer ? Prolongeau et Marie seraient-ils à ce point incompétents qu’ils aient pu tout inventer ? Cargill s’exprime comme pour rétablir une vérité tronquée. Je dois vous dire que j’en sursaute.

Cinquième acte enfin, dans l’édition datée du 30 octobre, mais vendue dès hier à Paris, le 29. Je découvre avec stupéfaction un article en page 20, signé par la correspondante du Monde en Argentine. C’est un court reportage, probablement, mais ce n’est pas précisé, dans la foulée d’un voyage de presse. Cela se lit au travers des lignes sans difficulté. Et si même je me trompe, ce qu’à Dieu ne plaise, il s’agit d’un spot unique consacré à une entreprise agricole unique, entièrement dédiée au soja. Un « établissement modèle », comme l’indique sans manière la journaliste. Autrement dit, et si vous m’y autorisez, l’équivalent des villages Potemkine de la tsarine Catherine II.

Je ne mets pas en cause la journaliste en question, mais il faut tout de même dire un mot des correspondants installés dans une ville comme Buenos Aires. À l’égal de ceux, Américains ou Suédois, vivant à Paris, ils ne connaissent pas grand-chose au-delà des zones officielles et institutionnelles du pays. C’est ainsi, c’est comme ça. Donc, un bref reportage sur une entreprise « modèle » où l’on cultive intensivement du soja transgénique. Disons que le papier, quelconque, mérite un coin de page. Au mieux.

Mais tel n’est pas le choix de la hiérarchie du Monde. Bien au contraire, la décision est prise de gonfler cet article maigrelet jusqu’à le transformer en baudruche, sur une page entière de notre grand journal ! Avec un titre inouï, garanti 100 % idéologique : Argentine, le salut par le soja. On ajoute en outre de grands tableaux infographiques, une interview qui n’a rien à voir, un encadré lui aussi hors-sujet. Quel est le but d’un tel article ? Celui d’affirmer que le déferlement du soja est une chance véritable pour l’Argentine, qui lui permet de relancer spectaculairement son agriculture. Franchement, cela ne tient pas debout.

Où veux-je en venir ? Sûrement pas à la dénonciation d’un ténébreux complot. Ni même aux insupportables accointances entre ambassade et journalistes peu scrupuleux, qui existent il est vrai. Non, je ne veux pas croire au pire. Mais je suis sûr en revanche que les points évoqués méritent d’être reliés entre eux. Et dans tous les cas, je demeure interdit. L’information, ce serait donc cela ?

Post-scriptum (presque) sans rapport : dans la même édition du Monde, en date du 30 octobre 2007, mais page 7, une brève. Une infime brève invisible pour qui ne ratisse pas l’édition. Une reprise de quelques lignes de l’AFP. À New York, Jean Ziegler, rapporteur de l’ONU pour les questions alimentaires, vient de tonner comme il sait faire. Évoquant le boom sur les agrocarburants, il a fort justement réclamé un moratoire mondial de cinq ans pour arrêter un temps cette nouvelle trouvaille de l’agriculture industrielle. L’affaire est considérable, et met directement en cause le Brésil, et tout près derrière Blairo Maggi, roi du soja. Car le soja est une excellente matière première pour la fabrication d’agrocarburants. Ziegler parle directement de « crime contre l’humanité ». Quoi qu’on pense du personnage Ziegler, cette information mérite à soi seul un sujet. Mais Le Monde choisit un entrefilet. À New York, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, Ziegler a reçu un accueil glacial de deux pays, les États-Unis et le Brésil. Mais Le Monde décide que tout cela ne mérite pas d’être porté à la connaissance de son excellent public français. Ainsi. Asi.

L’animal, cette chose

Ce matin de pluie, je pense à d’autres que moi-même. Au circaète, quand il apparaît au-dessus du vallon et que je bois un verre sur ma terrasse du Sud. Au blaireau, qui n’hésite pas à prendre le même chemin que moi, celui qui mène justement, plus haut, à cette terrasse où la vie est si douce. Au renard qui mulote dans l’un des prés de Jean, un peu plus bas.

Comment, vous n’avez jamais vu un renard muloter ? Mais c’est extraordinaire, savez-vous ? D’abord il entend, quelque chose que nos oreilles saturées ne perçoivent pas. Quelqu’un, à la vérité. Disons un campagnol qui se faufile entre deux herbes. Alors, le renard s’arrête. À la vitesse instantanée du rêve, il bondit. Pas sur sa proie, non pas. En l’air, très haut. Des gens sérieux assurent qu’il peut atteindre quatre mètres, mais je ne parierai pas ma vie sur ce chiffre. En tout cas, il serait sans conteste champion olympique du saut en hauteur, ce qui dérangerait le commentaire de L’Équipe magazine.

Ensuite, le renard s’abat. Et sur le campagnol, le plus souvent sur un campagnol. J’aurais pour ma part préféré dire : le renard campagnole, mais on ne m’a pas demandé mon avis. Va donc pour le mulot. Le renard mulote, boulotte et repart vers de nouvelles aventures. La famille des canidés, à laquelle il appartient, existe sur cette terre depuis environ 40 millions d’années, contre 2 sans doute pour la nôtre.

En ce matin de pluie, je pense à toutes ces bêtes et bestioles. Peut-être l’avez-vous lu, la Commission européenne a décidé il y a un mois de ramener le taux de jachère dans l’Union, dont la France bien sûr, à 0 %. On va cultiver, croyez-moi sur parole, les machines vont tourner, épandre, disperser engrais et pesticides, puis le lisier, c’est-à-dire la merde. La France va se couvrir, comme rarement depuis des décennies, de pluies de molécules chimiques et de merdier géant.

Les troglodytes et papillons, les couleuvres et abeilles, les chevreuils et hérissons qui habitaient dans ces marges du monde industriel, ou qui s’y reposaient un peu, vont devoir changer d’adresse. S’ils peuvent. Et sinon, comme d’habitude, qu’ils meurent. Que pèse réellement un kilo d’orvets ? Ou un filet de rainette ? Ou le coeur palpitant d’un criquet ?

Je me souviens très bien d’un livre paru en 1987, La chasse à la française (éditions Quelle est belle company). D’ailleurs, pour l’occasion, je viens de le ressortir de ma bibliothèque. Son auteur, Roger Mathieu, m’avait sans le savoir sidéré. Car jusqu’au moment de ma lecture, je ne m’étais jamais posé cette question clé : à qui appartient la faune sauvage ?

Mathieu notait que les animaux étaient en fait relégués dans une extravagante catégorie juridique, celle appelée res nullius, autrement dit la chose à personne. Le droit de chasse, hérité de la tradition romaine, renforcé par la révolution française, accordait néanmoins aux nemrods la propriété de l’animal flingué. En revanche, les faisans et cochangliers d’élevage, une fois relâchés, redevenaient, pour quelques minutes au moins, res nullius.

Quand cela cessera-t-il ? Lorsque les poules auront des dents ? Allez savoir. Il y a une quinzaine d’années, je travaillais pour l’un des plus grands journaux français, et je passai quelques minutes de détente, un après-midi, en compagnie de quatre à cinq journalistes, piliers de l’entreprise. À un moment, je me rappelle avoir osé une phrase pourtant quelconque sur le droit éventuel des arbres et des animaux à vivre. Eh bien, la vérité, c’est que tout le monde s’est moqué de moi. Mais gravement, irrémédiablement. Je venais d’énoncer une sornette. Peut-être rient-ils encore, qui sait ?

Je ne suis pas un spécialiste du droit. Je n’y connais même rien. Je suis pourtant certain qu’il faut trouver de toute urgence des moyens d’arrêter le massacre, ici comme ailleurs. La biodiversité, synonyme de la beauté, n’appartient pas à la sottise, à l’appât du gain, à cet incroyable appétit pour la dévastation. Je pense, je suis intiment convaincu qu’il nous faut forger des outils neufs, y compris juridiques, pour juger le crime. Car assez parlé, il faut agir. Tuer des espaces, tuer des espèces, tirer dans le tas, abattre une forêt, vomir dans les mers, autant de crimes.

La crise écologique commande de placer le droit des individus derrière celui de l’avenir commun. Et ce dernier inclut selon moi le droit des plantes et des animaux à être protégés contre nos insupportables errements. Je ne propose pas de sacrifier la liberté des hommes. Je nous conjure d’organiser la coexistence entre nous et le reste, qui est essentiel. Mais avant tout autre considération, je pressens qu’il est nécessaire de parler sans détour, et de nommer le crime. Et de pointer le doigt sur les criminels. Même s’ils nous ressemblent étrangement.

Bzz bzz bye (faites passer)

Mais que font donc nos journaux ? De quoi parlent jour après jour nos chroniqueurs, nos limiers, nos moralistes, nos Laurent Joffrin, Éric Fottorino, FOG, Jean Daniel, Christophe Barbier, BHL, André Glucksmann, Alexandre Adler, Régis Debray, Jean-François Kahn, Alain Minc, Luc Ferry, Max Gallo, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Guy Sorman, et tous autres, en fait innombrables ? Combien de pages pour la publicité en faveur de ce monde ? Combien de colonnes et d’émois consacrés au mystère Cécilia ? Combien de radotages et ratiocinations ?

On chercherait en vain le moindre intérêt, chez eux, pour les abeilles. Or, le Colony Collapse Disorder (CCD), ou Syndrome d’effondrement des colonies, est en train de changer la face du monde, à la différence des migraines de Nicolas Sarkozy. Bien entendu, tel ou tel article a pu, ici ou là, être écrit. La belle affaire ! Je vous parle d’un événement planétaire, aux conséquences dévastatrices. Les commentateurs sont des aveugles qui nous traitent comme des sourds. Demeurés, je m’empresse d’ajouter.

Les abeilles meurent, partout. Le CCD a été repéré fin 2006 aux États-Unis, d’où sa dénomination anglaise. Brutalement, les abeilles ont dit adieu aux ruches. Un beau jour, affreux en somme, elles ont cessé de revenir. Une désertion devant un ennemi invisible. Au cours de l’hiver 2006-2007, entre 25 et 50 % des colonies d’abeilles américaines auraient disparu dans un trou noir. Les estimations varient, comme vous pouvez constater. Comment savoir ce qui arrive à tant d’insectes, domestiques ou sauvages ? Il y aurait environ 20 000 espèces d’abeilles dans le monde, dont un millier chez nous, en France.

Bon, j’ose l’écrire : peu importe, en l’occurrence du moins. Le CDD frappe peu à peu le monde entier, dont l’Europe bien sûr. La dernière hypothèse retenue évoque la piste d’un virus. Peut-être. Je n’en sais strictement rien. Bien des causes ont été avancées, mais toutes reposent, in fine, sur l’affaissement des défenses immunitaires de l’abeille. Elle ne peut plus se défendre contre des parasites, virus ou bactéries qui deviennent du même coup mortels.

Pourquoi cet affaissement ? Le mystère n’en est pas tout à fait un. Le spécialiste mondial de la pollinisation Bernard Vaissière – chercheur à l’Inra – résume son sentiment dans un entretien paru dans Le Monde du 13 octobre dernier (www.lemonde.fr) : « Les causes de leur régression sont connues : élimination de leurs sites de nidification, raréfaction des plantes qui leur fournissent nectar et pollen, maladies et parasites… Et, surtout, épandage de pesticides, particulièrement destructeurs pour les abeilles. Celles-ci, en effet, possèdent très peu de gènes de détoxification, comme l’a confirmé tout récemment le séquençage du génome de l’abeille domestique ».

Je ne suis pas exagérément surpris. Car je vous rappelle que je suis l’auteur (avec l’ami François Veillerette) d’un livre sur le scandale des pesticides. Il n’empêche que je reste songeur. On peut écrire que les abeilles disparaissent et que la cause première de ce drame absolu tient au déferlement de l’agriculture industrielle. Et le monde continue aussitôt sa marche folle, sans seulement ralentir. La déclaration de Vaissière aurait dû faire la une de tous les journaux, y compris télévisés. Car il ajoutait en outre, à propos de la possibilité d’une disparition complète des abeilles : « Il y a cinq ans, j’aurais considéré cette hypothèse comme totalement futuriste. Aujourd’hui, je la prends au sérieux, car le déclin se mesure désormais à l’échelle mondiale. Chez les populations sauvages comme chez l’abeille domestique ».

Le cri de Vaissière aurait dû être lu dans les écoles, proclamé sur la moindre de nos places publiques. Mais il a été relégué dans un (petit) cadre, en pages intérieures. Misère ! On estime pourtant que les insectes, au premier rang desquels les abeilles, contribuent de manière décisive à la production alimentaire mondiale. Leur aide gratuite, sous la forme de pollinisation, représenterait au total 35 % de notre nourriture. 35 % !

Je ne sais rien de l’avenir des abeilles, et je souhaite bien entendu, de toutes mes forces malingres, qu’elles se rétablissent au plus vite. Mais bon sang, quel délire universel ! Quand vous rencontrerez un journaliste, ou un député, ou un freluquet quelconque disposant d’une quelconque tribune publique, parlez-lui du pays. Parlez-lui du pays des abeilles, qui est le nôtre, jusqu’à plus ample informé. Faites passer cette information capitale. Car s’il n’y en avait qu’une, ce pourrait être celle-là. Désolé, sincèrement, je n’arrive pas, ce matin du 22 octobre 2007, à sourire.

Le loup et l’ours à l’Opéra-Bouffe

Mieux vaut prendre cela comme une farce, mais alors grandiose. Si j’avais été une petite souris le 10 octobre 2007, vivant à Paris, j’aurais trottiné en faisant gaffe aux voitures et je me serais planquée sous les gradins du stade Charléty avec une provision de blé dur, pour assister au spectacle. Et j’aurais pris soin de ne pas trop couiner – de rire – pour éviter un mauvais sort.

On donnait ce jour-là un Opéra-Bouffe un peu déjanté, mais quoi, les distractions sont rares. Avec dans les rôles principaux des acteurs de troisième zone, certes, mais en même temps, comme par enchantement, hilarants. Je ne peux citer tout le monde, et je m’en excuse. Les trois meilleurs s’appellent, par ordre d’apparition sur la scène : Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, Philippe Meurs, président des Jeunes Agriculteurs (JA) et Luc Guyau, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (ACPA). Ma préférence va à ce dernier : on aurait juré que sa barbe de brigand de comédie était vraie !

Gloire à l’auteur de la pièce, pour avoir trouvé ce titre génial : « Le loup et l’ours menacent-ils la biodiversité de nos territoires ? ». Pourquoi ce point d’interrogation ? Peut-être pour entretenir le suspense ? Alors là, foi de petite souris, je trouve cela facile. Car la réponse est évidente : c’est oui. Oui, OUI. Après quelques minutes d’échauffement, la messe était dite : les prédateurs sont de grands pervers, qui jouent à l’agneau alors qu’ils sont tous d’affreuses vermines, bonnes à écraser sous la roue d’un tracteur. Pas seulement le loup ou l’ours, mais aussi le lynx et le…vautour (1).

La totalité de la troupe, à l’issue de la représentation, a en effet signé un manifeste qui réclame, et je cite : « l’arrêt de la réintroduction d’ours et son cantonnement dans des zones appropriées, le retrait des loups dans les zones d’élevage, la régulation des populations de vautours et de lynx ». C’est à ce moment précis, je vous le signale à tout hasard, qu’il fallait applaudir.

Bravo ! Les tenants de l’agriculture industrielle n’ont que faire de nos récriminations et révoltes. On le savait. La disparition des paysans et d’une civilisation millénaire ? Pas grave. L’épandage massif et perpétuel de pesticides dangereux pour la santé des hommes, des plantes et des bêtes ? Pas grave. La destruction des paysages, la pollution irrémédiable à court et moyen terme des rivières et des nappes phréatiques ? Pas grave. La raréfaction évidente de tant d’espèces admirables d’abeilles, de papillons, d’oiseaux, en relation directe avec des pratiques criminelles ? Pas grave.
En revanche, mobilisation générale, immédiate, et subventionnée contre 25 ours, dont la plupart, il est vrai, immigrés, une centaine de loups, une poignée de lynx et quelques centaines de vautours. À l’assaut, les preux ! Tuez-les tous, Monsanto et Bayer reconnaîtront les leurs.

Mais vous savez tout, et n’avez pas besoin de moi pour hurler à la mort contre la stupidité. Ces gens sont d’un autre monde. En tout cas d’un autre esprit, radicalement autre. Et c’est fâcheux, quand on souhaite malgré tout avancer. Je voudrais pour finir vous confier une intuition : la défense de la vie sauvage, celle qui échappe à l’emprise humaine, bute sur des obstacles colossaux, qui demeurent en partie invisibles.

Laissons de côté la bêtise, la lâcheté, l’intérêt vil, l’anthropocentrisme, et toutes autres choses connues depuis des lustres. Laissons de côté les causes repérées du grand malheur en cours. Je pressens une autre explication, que j’appellerai, si vous m’y autorisez, choc anthropologique. L’homme ne cesse d’avancer sur cette terre depuis des millénaires. Pourquoi ? Parce que. Il a tout conquis, et tout dévasté. Pourquoi ? Parce que. Et dans notre petit pays de France, il est parvenu à éradiquer totalement la bête. Cet autre insupportable appelé ours, loup, lynx.

Après 1945, et grâce à l’action résolue des amis de Luc Guyau – un joli pied de nez historique -, l’homme de chez nous a, pour la première fois depuis le Néolithique, reculé. Il a abandonné des territoires entiers. Dans certaines vallées reculées, dans le haut des contreforts, sur les estives jadis parcourues par des paysans au travail. Il existe désormais des millions d’hectares en France où l’homme ne pénètre plus que rarement, quand il y va encore. C’est un événement majeur, très peu compris encore. C’est là que la bête éternelle est revenue. Là. Et je pense, et je crois que nos mémoires d’individus se chargent en cette circonstance des brumes de la mémoire collective, celle de l’espèce.

L’homme recule, la bête revient. Les tréfonds de l’âme en sont bouleversés. Faut-il parler de peur, de culpabilité, d’un sentiment de trahison par rapport aux ancêtres, de mise en question de la destinée humaine ? Je ne sais. Probablement de tout cela, et de bien d’autres mystères profonds. Mais si je ne me trompe pas trop, on admettra que la défense du loup, de l’ours, du lynx (et du vautour), à laquelle je suis tant lié, est décisive. Sur ce terrain-là, même s’il faut accepter des compromis, aucun recul n’est envisageable. Ou nous tracerons, avec ces animaux, les lignes d’un avenir possible. Ou l’idée de l’homme, l’autre idée de l’homme mourra. Je vous salue et vous embrasse.

(1) http://www.pyrenees-pireneus.com

Le cochon, le progrès et le rire de l’homme

Vous me permettrez de vous présenter un homme politique admirable, le député UMP Marc Le Fur. Élu des Côtes d’Armor, membre du « Club des amis du cochon » à l’Assemblée nationale, il se bat comme un beau diable pour que vive la Bretagne. Enfin, une certaine Bretagne. Celui que tous appellent « le député du cochon » – allez savoir pourquoi – a donné en janvier 2007 un entretien retentissant au magazine hélas méconnu Porc magazine, que je vous recommande au passage.

Que dit-il ? Que les porcheries industrielles sont l’avenir, un bel avenir pleinement désirable. Citation immédiate qui clouera le bec des moqueurs, je l’espère : « Les producteurs de porc sont de véritables chevaux de course entravés dans leur envie d’entreprendre et leur volonté d’être compétitifs ». Oui. Tel. Marc Le Fur aime tant ses porchers qu’il concocte pour eux, perpétuellement dirait-on, de nouveaux projets de loi. Contestés, il va de soi, par quelques mauvais coucheurs, au premier rang desquels l’association Eau et rivières. Je ne vous donne pas la liste des faits d’arme législatifs de M. Le Fur, car vous pouvez trouver vous-même.

Tout de même ceci : en 2005, à l’occasion d’un débat parlementaire, Marc Le Fur et trois amis députés ont tenté de faire passer un amendement révolutionnaire. Considérant que l’administration, cette rosse, s’en prend aux éleveurs industriels sans la prévenance qu’ils méritent, Le Fur réclamait que, dorénavant, on prévienne ces sympathiques travailleurs de tous les contrôles à domicile. Commentaire d’Eau et Rivières, et sachez que le gras figure bel et bien dans le communiqué d’origine : l’amendement « revient à interdire tout contrôle inopiné et à empêcher les agents de terrain de verbaliser les infractions qu’ils constatent à l’occasion de leur mission. Cet amendement permettrait aussi aux exploitants en infraction ou responsables d’un accident de pollution (…) de masquer les preuves et de tenter de dissimuler par avance toute situation irrégulière ».

Bon, la présentation est faite. Voici le plat de résistance. Je lis ce lundi 8 octobre sur le site du journal économique Les Échos (1) une tribune signée Marc Le Fur. Laquelle a hérité d’un titre facétieux, dont je redoute qu’il n’ait été choisi après lecture par quelque journaliste sceptique : Les biocarburants roulent vers l’inconnu. Je serais à la place de notre honorable député, je protesterais aussitôt. Car où est l’inconnu ? Pemière citation : « Par un curieux balancier de l’histoire, le monde rural apparaît donc, grâce au développement des biocarburants, de nouveau susceptible d’impulser le progrès ». Bien, déjà un premier point : nous sommes dans le sens du progrès. Me voilà autant soulagé que vous.

Le reste est aussi grand que ce court extrait. Marc Le Fur semble préoccupé par la concurrence, et appelle à un sursaut de l’Europe, qu’il ne croit possible qu’à une condition : laisser tomber le biodiesel. Je vous avoue que je ne comprends pas tout. Le biodiesel, c’est chez nous le colza et le tournesol. Le lobby est bien implanté, il est soutenu en haut lieu, il a donc le vent en poupe. Or Le Fur, à mots couverts, s’en prend à ces excellentes personnes, qui ont déjà tant oeuvré. Et il évoque les biocarburants de la deuxième génération, que personne n’a encore vus, et qui pourraient s’accompagner d’un boom sur les arbres transgéniques et des graminées comme l’herbe à éléphant, originaire de Chine.

N’importe. Je vous annonce en exclusivité la naissance d’un sous-lobby des biocarburants, qui prépare la deuxième manche. La première génération a été et demeure une catastrophe planétaire ? Qui détruit les forêts tropicales, affame les peuples et aggrave la crise climatique ? Ce n’est pas grave, voyons la suite. Croyez-en la sagesse d’un Marc Le Fur. La Bretagne a tué son paysage, arraché au moins 160 000 km de talus boisés en quelques décennies (selon des estimations prudentes), pollué ses eaux pour un siècle peut-être, et elle fabrique comme à l’usine des porcs que plus personne ne veut boulotter. Ce n’est pas grave, puisque c’est le progrès.

Deuxième citation, et dernière : « Nous sommes donc face à un choix économique, écologique et stratégique majeur : celui de la constitution d’une filière biocarburant performante, propre, assurant notre indépendance agricole et permettant une utilisation rationnelle de notre espace rural ». Rationnellement, ou plutôt raisonnablement, on me permettra une minute de rire ininterrompu.

(1) Non, ce n’est pas un truc pour vous attirer ailleurs. Le lien vers Les Échos ne fonctionne pas. Mais vous pouvez lire M. Le Fur sur : https://fabrice-nicolino.com/biocarburants/index.php