Archives de catégorie : Beauté

Le Loup a atteint l’océan Atlantique

Vous avez peut-être vu ? Un loup a été trouvé mort le long d’une route. Où ? Près de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), où j’étais en colo quand j’avais dix ans. On n’avait plus vu de loup dans la région si proche du grand océan depuis au moins un siècle.

On ne sait pas de quoi l’animal est mort, et j’espère, contre certaine évidence, que l’homme n’y est pour rien. Mais en attendant les résultats d’analyses, je me dois de saluer une fois de plus l’exploit physique qui pousse des loups revenus d’Italie il y a trente ans à réoccuper leur Empire de jadis. Il faut tâcher d’imaginer le travail ! On envoie quelques éclaireurs depuis les Apennins, arête centrale de l’Italie, qui forment une à une des meutes dans l’arc alpin. Et puis, par un phénomène naturel de dispersion – celui-là même qui les a conduits en France -, ils repartent à l’assaut de leurs territoires historiques, franchissent le Rhône, l’autoroute dite du soleil, la ligne TGV, et foncent vers les Cévennes, le Gévaudan, le Jura, les Vosges, la Marne, la Vendée, la Loire-Atlantique, etc.

Combien sont-ils ? Autour de 600, ce qui est tout à la fois prodigieux et si peu. On sait qu’ils furent des milliers. D’évidence, ils posent des problèmes de cohabitation, et seuls de doux rêveurs sont capables de le nier. L’homme, dans le meilleur des cas, ne peut que tolérer la présence du grand prédateur, concurrent direct pendant des dizaines de siècles qui ont fatalement imprimé leur marque dans la psyché humaine.

Et c’est là toute l’affaire : tolérer cet autre indésirable et potentiellement menaçant. La chute vertigineuse de la biodiversité impose des changements dans l’âme humaine, les changements les plus complexes, les plus incertains, les plus douloureux. Peut-on changer l’âme ? J’avoue que je n’en sais rien, l’espérant de toutes mes forces. Mais je sais aussi qu’il n’est pas d’autre voie que celle du partage de l’espace entre eux et nous. Je ne pense pas seulement aux loups, de loin, mais à tout ce qui vit, plantes et arbres compris. Et quand je parle d’espace, c’est surtout à un espace intérieur que je pense. Nous devons entendre et montrer que cette terre ridiculement petite est à tous. Faute de quoi, et vous le savez, l’homme se retrouvera in fine avec lui-même seulement, et se mordra, et s’égorgera. L’altérité essentielle est l’un des fondements vrais d’une politique de civilisation de la sauvagerie humaine.

Ce programme paraît hors d’atteinte, je le vois bien. La route est si étroite, les précipices si nombreux, le goût du sang si constant qu’on aurait le droit de refermer la porte sur des problèmes d’une telle dimension. Mais tel est notre rôle, à nous qui défendrons le vivant jusqu’à périr. Il faut. On peut nommer cela un devoir. On doit tenir ce dernier pour l’impératif catégorique de Kant. Inconditionnel.

Franchement, les abeilles seulement ?

Vous le savez, ou non. La récolte de miel 2020, en France, est la pire depuis des décennies. 7000 à 9000 tonnes ont pu être récupérées. Deux fois moins que l’année d’avant, et le tiers seulement de ce qu’on obtenait il y a trente ans. Il existe donc des causes profondes à ces désastres à répétition, même si la météo exécrable du printemps et de l’été a pu jouer son rôle. Je ne vous apprends strictement rien : les pesticides sont les grands coupables. Et parmi eux, ces néonicotinoïdes réintroduits l’automne passé par une coalition unissant Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et amoureux fou de l’industrie agricole d’une part, et Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, si je puis dire ce qui n’est pas.

On attend d’un jour à l’autre un arrêté prétendant protéger les abeilles contre les pulvérisations de poisons chimiques. Comme les associations et groupements d’apiculteurs n’ont seulement pas été consultés, on sait le résultat : la FNSEA, dans la main de laquelle Denormandie – et Pompili, oui – mangent, a gagné. J’en suis profondément triste, mais je ne vous lâche pas sans vous signaler cet article très bien fait qui mérite lecture : cliquer ici.

Il renvoie à un article scientifique signé par deux entomologistes et, fait plus rare, un journaliste, Stéphane Foucart, du journal Le Monde (c’est ici). Que dit -il ? Il en appelle à la responsabilité des entomologistes, ces spécialistes des insectes. Qui est grande, qui est immense, car ils disposent de clés permettant d’établir une vérité globale sur l’effondrement des pollinisateurs, essentiels à la vie, à l’évolution des plantes sauvages, mais aussi à l’alimentation des humains. Or beaucoup de spécialistes se laissent embobiner par les communicants de l’industrie des pesticides, qui produisent, comme tant d’autres avant eux « la fabrique de l’ignorance ». Il faut qu’ils se hissent au niveau d’une responsabilité historique.

L’article met en avant le plus grand phénomène de cette sinistre histoire. Les abeilles domestiques, sur lesquelles on concentre son attention, ne sont pas seules, de loin. Est-ce à cause de leur intérêt économique direct et visible que l’on ne parle que d’elles ? En tout cas, le sort des abeilles sauvages et de ces innombrables pollinisateurs qui ne sont pas des abeilles, est finalement plus funeste encore. Car ceux-là ne sont pas câlinés de main d’apiculteurs, éventuellement soignés et nourris. Or il s’agit de la clef de voûte.

Un sursaut ? Sait-on jamais. Mais pas demain. Dès ce matin du 28 octobre 2021, ce serait bien.

Une montagne de déchets pour combler un lac bleu

Publié en mai 2021

Nous sommes à Aytré, au sud immédiat de La Rochelle. Sur le papier, le littoral est une merveille, qui pourrait devenir un lieu unique en France, voire en Europe. Mais la petite ville ouvrière fait face à un projet délirant : transformer un lac littoral – une ancienne carrière – en une immense décharge, là où quelques braves réclament un parc écologique. À l’arrière-plan, un conflit culturel et politique entre Aytré l’ouvrière et La Rochelle la bourgeoise.

C’est immense. Un vrai lac bleu de plus de 7 hectares, entouré de petites falaises de calcaire, blanches bien sûr, où s’accrochent des coquelicots. C’est trop beau. L’eau du bord est cristalline, l’eau du large turquoise. On vient de surprendre le saut de trois grenouilles, et on ne serait pas surpris que la huppe fasciée – tête sable, crête en éventail aux extrémités noires – installe tôt ou tard un nid dans la pierre. C’est une ancienne carrière abandonnée, où les eaux du ciel et de la nappe se sont mêlées à celles de la mer.

Car l’océan est à 30 mètres peut-être, séparé par un minuscule lido de galets que les vagues attaquent et font glisser sur la plage. De gros blocs de pierre ont déjà été arrachés au sentier littoral, menacé de sombrer, lui aussi. Ce matin-là, la marée est haute, brune, audacieuse et mordante. Il ne reste plus, en haut de la plage, qu’un liseré blanc. La Rochelle est toute proche, avec à main droite, au nord, ses immeubles hideux du front de mer. L’imposant siège du conseil départemental est juste à côté et le port des Minimes se cache derrière la Pointe du même nom, qu’on pourrait presque toucher du bout des doigts. Nous sommes pointe de Roux, à Aytré, petite ville ouvrière de 9000 habitants qui prolonge au sud La Rochelle , qui en a 78 000.

« Aytré est devenu le dépotoir de La Rochelle »

C’est de la carrière – jadis le « trou Rizzo » – que l’on a tiré le splendide calcaire du port des Minimes,et ses 4500 places de bateaux de plaisance. Elle est désormais l’objet d’un audacieux projet de transformation en une décharge géante. Des milliers de camions défileraient pendant des années, et y déverseraient au total 750 000 m3 de déchets présentés comme « inertes ». « Je vous le dis, fait Tony Loisel, on prépare les tentes, et s’il le faut, on fera une ZAD, mais on ne laissera pas faire. Jamais. ». C’est un autre matin, et l’on boit le café avec lui dans la salle du conseil municipal d’Aytré, dont il est le maire. Riss regarde avec attention le grand tableau qui couvre tout un mur, façon réalisme socialiste : on y voit en détail un atelier de l’usine Alstom, où l’on assemble encore, en centre-ville, trams et wagons de TGV. L’ancienne classe ouvrière, 1500 employés avec les intérimaires.

Tony Loisel a cinquante ans, le crâne à ras, une barbe de trois jours, et des bras de docker. Avec une sorte de gouaille qui oblige souvent à se marrer avec lui. Il est apparemment de droite – la gauche locale, désunie, a perdu en 2020 un bastion historique -, mais il parle comme un écologiste authentique. Aytré est visiblement sa petite patrie – sa famille est installée à Aytré depuis les anciens temps – et entre deux rires, il tonne : « Aytré est devenu le dépotoir de La Rochelle. Ma ville est assise sur les déchets. La Rochelle en a mis dans le marais de Tasdon, dans le marais de Doux, le quartier de Bongraine a été pollué en profondeur par la SNCF, on a rempli l’arrière-plage d’Aytré avec des déchets ménagers, et maintenant, il faudrait accepter le projet Rochevalor ? C’est non, on en a marre ».

L ‘imagination facétieuse d’une avocate

Rochevalor ? Cette entreprise rochelaise spécialiste des déchets, de la logistique et du terrassement – 800 salariés – présente l’affaire de plaisante manière. La décharge serait une mise en sécurité du site – la mer avance -, et même une bonne action écologique, qui permettrait « la reconquête des milieux naturels littoraux ». De son côté, l’avocate d’un de proprios actuels de la carrière – eux-mêmes en cheville avec Rochevalor – adresse le 20 décembre 2018 au maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine, un courrier désopilant, qui présente l’ancienne carrière comme l’entrée des Enfers. L’eau y est « stagnante », propice à l’apparition de bactéries mortelles – les rares oiseaux y seraient victimes de botulisme -, les abords sont « en totale décrépitude », on n’y voit qu’un « paysage en désolation et l’abandon », sans « aucun caractère esthétique », qui « n’apporte absolument aucun intérêt écologique ». Maître Daphné Verluise est-elle venue sur place ? Elle réclame en tout cas un déclassement de la zone – tenue pour un espace naturel N1 -, tout sauf innocent. Il est en effet nécessaire pour emporter le morceau. Qui est de roi : l’éventuelle décharge pourrait à terme générer un colossal chiffre d’affaires, peut-être 250 millions d’euros.

Loisel n’est pas le seul, de loin, à considérer le projet Rochevalor comme un outrage. Pierre Cuchet, vif et malin adjoint au maire d’Aytré, offre quelques clés supplémentaires. « Nous voulons des relations plus équilibrées avec La Rochelle, et nous voulons sortir de ce rôle imposé de cité-dortoir. Aytré doit être belle. Belle et tranquille. En effet, on peut parler d’un tournant. Le projet de décharge, je le rappelle, est au bord de la mer. Une mer qui a tué trois personnes à Aytré au moment de la tempête Xynthia, et détruit 80 maisons. Or elle monte, et fatalement, atteindra la décharge ».

Christian Ackerman, de son côté, préside un comité de quartier très vivant, le « Fief des galères ». Et il ne sera pas le dernier sur les barricades : « Aucune commune n’a autant subi dans ce domaine qu’Aytré. Les propriétaires du « trou Rizzo » ont senti la bonne affaire, et font le siège de la Rochelle pour obtenir satisfaction. Mais nous demandons aux promoteurs de ne plus penser à leur projet, même en rêve. Car nous serons toujours là pour les contrer ».

Le drapeau jaune et noir du stade Rochelais

Dans ces conditions, qui en veut vraiment ? Jean-François Fountaine, peut-être ? Le maire de La Rochelle, homme (très) fort de la communauté d’agglomération de La Rochelle (CDA, 28 communes, 393 millions d’euros de budget), reçoit Charlie dans son magnifique bureau de la mairie, surchargé d’une histoire parfois glorieuse. Le 23 juin 1940, le maire d’alors Léonce Vieljeux refuse d’abattre le drapeau français qui flotte sur une tour, et finit sous les balles nazies. Ce jour de mai 2021, ce n’est plus le drapeau tricolore qui domine la ville, mais celui, jaune et noir, du stade Rochelais, qui dispute le 2022 la finale de la coupe d’Europe de rugby.

Fountaine est très copain avec Lionel Jospin, qu’il doit voir deux jours plus tard, et a longtemps été socialiste avant de devenir macroniste, comme tant d’autres. Skipper de haut niveau, il a créé en 1976 la société Fountaine-Pajot, qui fabrique des catamarans de croisière. Sympa ? Oui. Madré ? Certes. Quand on l’interroge sur ce sentiment très partagé qu’Aytré est écrasée par la Rochelle, il ouvre de grands yeux, assurant n’avoir jamais entendu parler de cela. « Mais enfin, il n’y a aucune domination. Nos deux villes ne font qu’une, et les déchets dont vous parlez ne sont pas ceux de La Rochelle, mais du territoire. Nous aussi, nous avons nos quartiers ouvriers et populaires, allez donc voir à La Pallice ou Laleu. Nos destins sont liés ! ».

Et le « trou Rizzo » ? Il serait fort simple de dire que cette décharge ne verra jamais le jour, mais Fountaine, en bon marin qu’il est, louvoie. « C’est complexe, il faut regarder de près ». Il dit avoir rencontré par hasard l’un des propriétaires, Jacques Poentis – il n’a pas répondu à un message de Charlie -, puis précise qu’il l’a reçu en mairie, ajoutant : « Vous pensez bien qu’il ne fait pas ça pour la beauté de l’art ». On s’en serait douté un peu. Oui, un mot suffirait, que Fountaine ne veut pas prononcer. « Je crois qu’il faut une maîtrise publique du lieu, et ensuite, on réfléchira. Je ne ferme la porte à rien ».

Les amitiés particulières de l’entreprise Rochevalor

Étrange attitude pour un élu qui vante, comme sur catalogue, une « neutralité carbone » de la ville, prévue en 2040 et la « renaturation » des marais de Tasdon, que La Rochelle partage avec…Aytré. Des mauvaises langues locales soulignent que La Rochelle est un petit monde dans lequel l’étendard du rugby compte beaucoup. Et même énormément pour le maire. Or, ajoutent-elles, l’équipe du stade Rochelais est sponsorisée depuis vingt ans par Franck Sarrion, patron de Rochevalor, actionnaire et administrateur du club, ce qui ne doit tout de même pas trop nuire aux affaires.

Décidément, cette histoire de décharge ne tient pas debout. On retourne sur les lieux du crime possible, par le chemin blanc qui mène, à pied, à la plage de Roux. Le lendemain, au même endroit, on prendra sur les épaules, avec Riss, une mémorable averse, mais cet après-midi-là, plein soleil. Des deux côtés, un marais à sec, grignoté par des plantes invasives, parcouru par des bandes de passereaux tout affairés autour de leurs nids. On reconnaît le chant de la bouscarle de Cetti – une véritable explosion sonore – et la très monotone tirade de la rousserolle effarvatte, qu’on aperçoit d’ailleurs une seconde dans la jumelle, planquée par une tige. Tout est plat, sauf de loin en loin quelques cyprès de Lambert.

Pourquoi saccager ? On rejoint sur place Martine Villenave, conseillère départementale de gauche, effarée. « Je suis à l’origine d’une idée de parc littoral, qui courrait de La Rochelle jusqu’à la commune d’Angoulins au sud, avec Aytré ses marais littoraux au centre. C’est une zone de préemption du Conservatoire du Littoral, et tout reste possible. Mais Fountaine, en qui je n’ai plus aucune confiance, n’est pas clair, et refuse de s’engager. Pourquoi ? ». Même propos chez Jean-Marc Soubeste, qui vient de nous rejoindre près du « trou Rizzo ». Cet ancien adjoint de Fountaine à La Rochelle est responsable d’EELV et rapporte cette anecdote : « Il y a une semaine, au cours d’une séance de la Communauté d’agglo, j’ai réclamé une position claire de cette Assemblée. Fountaine s’est arrangé pour ne pas répondre. Je n’ai plus confiance en lui ».

Du côté du Conservatoire du Littoral, magnifique structure publique qui achète patiemment des terrains littoraux, on est stupéfait. Dans une lettre adressée au préfet en janvier, sa directrice Agnès Pince hurle – diplomatiquement -, affirmant : « Les aspects négatifs de ce projet industriel sont multiples », car il est « en totale incohérence avec (…)les politiques publiques menées en bonne coordination (…) depuis dix ans ». La carte complète de la zone, en couleurs, montre en effet que presque toutes les parcelles sont, au fil des années, devenues la propriété de la CDA de Fountaine, de la ville d’Aytré, du département ou du Conservatoire. Un miracle qui pourrait facilement transformer le tout en un lieu unique en France, sinon en Europe.

40 millions d’euros pour le site Delfau

Une autre affaire empoisonne au sens premier cet espace unique. À 4OO mètres peut-être du « trou Rizzo » se trouve l’un des lieux les plus pollués de la région, appelé le site Delfau. Pendant un siècle à partir de 1899, des générations d’industriels ont fabriqué des engrais, broyé des os et de la merde humaine et animale, équarri des bestiaux, vidangé la ville, déposé ou enfoui des déchets industriels de toute sorte (voir encadré). Il ne reste que des hangars décatis, un vaste bâtiment dont la charpente métallique est à l’air, et un vieux proprio qui se planque, mais n’oublie pas de de louer illégalement des logements en lieu et place des anciens bâtiments. On essaie d’y aller avant d’être arrêté par l’une des occupantes, très énervée, qui réclame des papiers d’identité avant de hurler à l’intrusion dans une propriété privée. A peine aperçoit-on des caravanes, des bagnoles, des transats, et les grands portails métalliques de hangars, dont un au moins cache un vieux transfo électrique qui a vomi des PCB sur le sol.

Mais que fait l’administration ? Des rapports s’entassent depuis des années, qui montrent la présence de locataires, d’un jardin potager au milieu des ruines, d’une balançoire suggérant le séjour d’enfants. Que fait-elle ? Rien. Le préfet joue les muets du sérail (voir encadré) et derrière lui, tous les autres. Il faudrait. Certains penchent pour le cache-misère : étendre des bâches sur le sol, recouvrir d’argile et faire pousser des fleurs, pour 1 million d’euros. Une vraie dépollution coûterait 40 millions d’euros, mais qui paierait pour un site fermé depuis 1992 ?

La nappe phréatique est évidemment atteinte, et comme son écoulement se fait du nord-est au sud-ouest, la pollution a très vraisemblablement atteint depuis longtemps…le « trou Rizzo ». Ce très vilain serpent se mord donc la queue. Résumons : l’impériale La Rochelle – ses ports de plaisance, son Vieux-Port tant couru par les people, ses courses au large, son Aquarium, ses yélomobiles (vélos en libre accès) – remplit les soutes d’Aytré l’ouvrière, qui n’en peut plus. Cette allégorie de la lutte des classes peut sembler une caricature, mais beaucoup, sur place, y croient dur comme fer. Une seule certitude : la pointe de Roux et les marais alentour peuvent devenir l’un des bijoux écologiques de la façade Atlantique. Sauf si on la pourrit une fois encore.

———————————————–

Un courrier pour monsieur le préfet

Charlie a bien entendu demandé un rendez-vous au préfet de Charente-Maritime Nicolas Basselier, car l’État peut à tout instant régler le lourd dossier du « trou Rizzo » et du site Delfau. En donnant à cette haute Excellence plusieurs dates à sa convenance. Mais il a refusé, préférant l’envoi de questions écrites. En retour, l’auteur du reportage Fabrice Nicolino lui a adressé le mail suivant :

Monsieur le préfet,Vous avez refusé de recevoir le journaliste de Charlie que je suis. J’y vois la marque d’un mépris ordinaire et je tenais à vous dire franchement mon point de vue. Dans une vie humaine, il n’y a pas que la conduite d’une carrière. Et un préfet n’est pas au seul service de ses supérieurs dans l’appareil de l’État. Il a également des devoirs vis-à-vis de la société. Et même vis-à-vis de ceux qui tentent de l’informer. Librement, dans mon cas. Je ne vous enverrai aucune question, car j’attendais vos réponses, pas celles piochées dans des documents de la préfecture par l’un de vos collaborateurs. En vous souhaitant le bonjour,

————————————-

L’horreur du site Delfau

L’ancien site industriel Delfau, évoqué dans l’article principal, est une bombe à retardement. Utilisé de 1899 à 1992, il a enrichi des générations d’industriels, qui laissent à la société le soin de payer les conséquences de leur irresponsabilité. Vieille histoire : privatisation des profits, socialisation des pertes. Des analyses montrent une très grave pollution au cadmium et aux métaux lourds, à l’amiante, aux PCB, au mercure, à l’arsenic, aux hydrocarbures, au plomb, au chrome, aux Composés organo-halogénés volatils (COHV).

L’inventaire exhaustif est impossible, car des fosses ont été creusées sur cinq mètres et plus. Au total, il faudrait sans doute enlever du lieu la bagatelle de 140 000 m3 de limon gorgés de poison. La situation est connue de tous, notamment des administrations DREAL et Agence régionale de santé (ARS), mais personne ne bouge. Interrogée par Charlie, l’ARS confirme par la voix de Marc Lavoix qu’aucune « analyse chimique des eaux littorales n’a été diligentée ». C’est sans doute plus prudent, mais dans ces circonstances effarantes, laisser l’ancien propriétaire, encore vivant, louer illégalement des logements à des particuliers s’apparente sans aucun doute à une non-assistance à personne en danger.

Le Groenland envoie au diable l’uranium et les terres rares

Le Groenland envoie au diable l’uranium et les terres rares

Mais quelle claque ! Si cet exemple pouvait être suivi, le monde gagnerait certainement des chances de s’en sortir vivant. Au Groenland, un peuple vient d’envoyer aux pelotes un immense projet de mine, soutenu par l’équivalent de notre cher parti socialiste, le Siumut. Mais commençons.

Une société d’État chinoise est le principal actionnaire d’une compagnie minière fictivement australienne, (ggg.gl). Laquelle est une spécialiste de l’extraction des terres rares, ces 17 métaux stratégiques qui permettent de construire des téléphones portables, des bagnoles électriques, des écrans d’ordinateur ou de télés, en somme toute la merde si délicieusement « moderne ». Les Chinois, dans ce domaine comme dans tant d’autres, sont à l’offensive. Ils tiennent une bonne part du marché mondial, mais savent qu’il faut faire mieux pour assurer leur domination au long cours.

Or les terres rares sont présentes au Groenland, Eldorado minier qui rend fous les tenants de l’extractivisme, cette manière industrielle d’exploiter massivement tout ce que la nature peut offrir. L’île ne compte que 56 000 habitants, dont une très forte majorité sont des Inuits, qu’on appelait autrefois des Esquimaux, et dispose d’un sous-sol gorgé de terres rares et d’uranium, de gaz et de pétrole, de zinc et de plomb, de molybdène, d’or, de diamants, de charbon. L’embêtant, c’est que la glace couvre 80% de l’île, sous la forme d’un inlandsis qui peut atteindre trois kilomètres de profondeur, mais le dérèglement climatique fait fondre la glace, sur terre comme en mer, et ouvre des perspectives .

Le site de Kuannersuit, à quelques kilomètres au nord-est du village de Narsaq, est tenu pour la deuxième réserve au monde de terres rares et la sixième d’uranium. Trois gisements proches, dont celui de Kuannersuit, contiendraient au total 270 000 tonnes d’uranium et 11 millions de tonnes d’oxydes de terres rares (1). Repris en 2010 par ce qui deviendrait Greenland Minerals, le projet est progressivement mis sur orbite, avec des arguments mille fois entendus. 2 000 emplois pour commencer. 800 en vitesse de croisière. Plein d’argent pour attirer le touriste par de nouvelles routes et des hôtels flambant neuf. Son directeur Ib Laursen : « Vous ne pouvez pas vivre dans un musée ( …), Ce n’est pas une république bananière, le pays est immense, une ou deux mines ne détruiront pas sa pureté » (2). Tu parles, Charles ! Selon certaines estimations, la mine ferait augmenter de 45% les émissions de gaz à effet de serre de l’île.

Pendant des années, Kuannersuit devient ce sparadrap du capitaine Haddock, dont personne n’arrive à se défaire. Le temps arrive d’une ultime consultation, prélude à l’exploitation. À l’approche des élections législatives du 6 avril, deux lignes s’opposent frontalement. D’une part, les socialos locaux, déjà évoqués, qu’une scission opposée à Kuannersuit affaiblit. Et de l’autre, Inuit Ataqatigiit – la Communauté inuite -, qu’on présente généralement comme écologiste et de gauche. Sa ligne est loin d’être parfaite, qui met l’accent sur le tourisme, la pêche et les mines, mais son nouveau responsable promet mieux. Múte Egede, 34 ans, a justement grandi à Narsaq, la bourgade la plus proche du projet minier, où son parti a fait presque 70% des voix. Cette partie du Groenland concentre l’essentiel des maigres terres agricoles de l’île, ainsi que quelques troupeaux de moutons, et même de vaches.

Marianne Paviasen, qui incarne mieux encore que Egede le combat contre la mine, a créé dès 2013 un groupe de femmes appelé Urani Naamik – Non à l’uranium – avant de rejoindre le parti de Egede. Toute nouvelle élue, elle voit clair, et loin : le 6 avril a été «  l’élection la plus importante qu’on ait jamais eue au Groenland. Greenland Minerals veut nous faire croire qu’il faut exploiter ces terres rares pour permettre la transition écologique et rendre l’Europe plus verte, mais ça ne peut pas être une bonne méthode de détruire un pays pour en rendre un autre plus propre ». Une leçon universelle.

(1) technology.matthey.com/article/61/2/154-155/#:~:text=The%20Kvanefjeld%20project,%20one%20of,billion%20tonnes%20of%20mineralised%20ore

(2) theguardian.com/environment/2017/jan/28/greenland-narsaq-uranium-mine-dividing-town

—————————–

En Équateur, la gauche vaincue par les Indiens

Vite. Ainsi qu’écrit ici en février, un leader indien a surgi en Équateur, formidable. Yaku Pérez est écologiste, féministe, musicien. Victime apparente de magouilles et truandages, il n’a pas pu participer au second tour des élections présidentielles du 6 avril. Lequel second tour a fini par donner l’avantage à un candidat libéral, le banquier Guillermo Lasso, opposé à celui de la gauche correísta, Andrés Arauz. Que veut dire correísta ? C’est un adjectif formé autour du nom de Rafael Correa, grand ami de Mélenchon et président jusqu’en mai 2017. Celui qui parlait – beaucoup – de « révolution citoyenne ».

Le résultat est une surprise, car sur le papier, Lasso ne pouvait gagner. Mais le parti de Yaku Pérez a préféré le vote blanc, et la colistière de celui-ci, Virna Cedeño, a même préféré voter Lasso. Inconcevable ? Ce qui l’est, c’est qu’un mouvement de gauche entube à ce point la cause indienne, et piétine avec une belle constance celle de l’écologie. Sans prétention à l’exhaustivité, citons la volte-face de Correa sur le pétrole caché sous le parc national de Yasuni, finalement vendu aux transnationales – 2013 – ou l’appel déchirant des Indiens de Sarayaku – 24 avril 2014 -, menacés par une invasion militaire « citoyenne » sur fond d’exploitation pétrolière.

Dans un entretien au magazine américain de gauche New Left Review (septembre-octobre 2012), Correa avait déjà tout dit : « Je ne crois pas que Marx, Engels, Lénine, Mao, Ho Chi Minh ou Castro ont dit non aux mines ou aux ressources naturelles ». Voilà ce qui ne peut pas durer. Un régime chaviste, au Venezuela, lorgnant vers les sables bitumineux du delta de l’Orénoque, pour remplir encore plus les poches des corrompus. Un régime sandiniste, au Nicaragua, vendant le pays aux Chinois pour un nouveau canal de Panama. Un régime luliste – de Lula – au Brésil, se lançant avec ardeur dans le nucléaire, le pétrole, les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie, les biocarburants et les dépenses militaires. La défaite des salauds d’Équateur est une bonne nouvelle.

  1. Voir le blog de Marc de Saint-Upéry, https://blogs.mediapart.fr/saintupery/blog/040718/amerique-latine-quand-melenchon-pedale-dans-la-semoule

—————————

Paquet-cadeau de Fukushima à l’océan mondial

Vous avez vu comme c’est facile ? Malgré des décennies de traités, de résolutions, d’accords, de réunions, de proclamations, de signatures et d’envolées, l’océan mondial reste un sac vomitoire. Ce coup-ci, cela se passe au Japon, où les adorateurs de l’atome ont décidé de jeter en mer une eau rendue gravement radioactive par Fukushima. On parle de 1,25 million de tonnes, ce qui ne signifie rien. Ces gens ne savent pas mieux gérer une catastrophe nucléaire que les suites de 1914-18 et de 1939-45.

Été 1955, dix ans après la guerre. Sur la plage polonaise de Darłówko (mer Baltique), 102 gosses d’un camp de vacances jouent avec un baril corrodé qui laisse échapper un liquide brun-noir. Dommage pour eux. C’est une vieille munition, précurseur du fameux gaz moutarde. Beaucoup d’enfants sont touchés, dont quatre garderont des séquelles aux yeux irréversibles. La seule mer Baltique contiendrait 100 000 à 150 000 mines, 65 000 tonnes d’armes chimiques et un total de 300 000 tonnes de munitions diverses (1).

Bien entendu, ce ne sera jamais récupéré. Entre 1998 et 2009, presque 2000 « rencontres » avec des munitions abandonnées ont eu lieu dans les eaux de Belgique, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Espagne, du Royaume-Uni, d’Irlande et de Suède (2). Environ 60% concernaient des pêcheurs, remontant dans leurs filets des munitions abandonnées. Il y a eu des morts, des blessés, des brûlés. Et les cadeaux de Fukushima sont éternels. Et le crime est résolument parfait, qui ne laissera que des traces invisibles et meurtrières.

(1) https://commons.lib.jmu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2888&context=cisr-journal

(2) https://www.popsci.com/story/environment/chemical-weapons-dumped-in-ocean/?ct=t%28RSS_EMAIL_CAMPAIGN%29

Cinquante ans et plus une seule dent

Le ministère de l’Environnement [ ou de l’Écologie, selon ] a cinquante ans et fait semblant depuis cinquante ans. C’est même pas la faute des ministres, ectoplasmes si contents d’être sur la photo. Le mal est plus profond : ceux qui décident sont ceux qui salopent tout depuis deux siècles.

Presque trop facile. Quand le père Pompidou décide la création d’un ministère de l’Environnement en 1971, il confie la tâche à ce bon monsieur Poujade, maire de Dijon, qui se demanderait pourquoi on l’a choisi s’il n’était pas mort. Sans soute parce qu’il avait été le conseiller d’un ministre de la construction oublié, puis en charge d’une « commission du développement » régionale. Lui-même devait écrire ensuite un livre disant l’évidence dès le titre : « Le ministère de l’impossible ». L’époque était à ce qu’on appela le « gaullisme immobilier » : les combines avec les promoteurs, les lourdes valises de liquide, la traversée de Paris en 13 minutes « grâce » à la voie express qui porte d’ailleurs le nom de son créateur, Pompidou. Ce dernier lâcha : « La ville soit s’adapter à la voiture ». Paris fut à nouveau éventrée.

On ne dressera pas la liste de tous les autres, mais regardons tout de même quelques noms. En 1974, Peyrefitte, l’inénarrable Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’information – flic de la télé – sous de Gaulle. De 1978 à 1981, Michel d’Ornano, dont le cabinet ouvre et couvre en automatique les décharges les plus criminelles, comme celle de Montchanin. De 1984 à 1986, Huguette Bouchardeau – fière PSU -, qui se fait enfler par les ingénieurs de son propre ministère dans l’affaire des déchets de Seveso passés en France. De 1986 à 1988, Alain Carignon, qui finit en taule pour avoir vendu l’eau de Grenoble à la Lyonnaise des Eaux.

De 1989 à 1991, Brice Lalonde, qui fait des bulles avant de copiner avec l’ultralibéral Alain Madelin. De 1995 à 1997, Corinne Lepage, qui en tire le livre « On ne peut rien faire, madame le ministre », qui démontre parfaitement qu’un tel ministère ne sert à rien. De 1997 à 2001, Dominique Voynet, qui accepte de siéger au conseil des ministres où trône un certain Claude Allègre, négateur en chef du dérèglement climatique. Et ne fait rien. De 2001 à 2002, Yves Cochet, inaugurateur de chrysanthèmes. De 2007 à 2009, Jean-Louis Borloo, grand ordonnateur de du grandiose enfumage du Grenelle de l’Environnement avec en guest star Nathalie Kosciusko-Morizet, jouant de la harpe dans son jardin pour Paris-Match. Un dernier pour la route : de Rugy en amoureux transi du homard mayonnaise.

Tout ça ne pèse en réalité de rien. Les ministres passent, qu’on oublie la seconde suivante – qui se souvient de Jarrot, Lepeltier, Olin, Bricq, Borne ? qui se souviendra de Pompili ? – et demeurent les structures. Or sans entrer dans le détail, passionnant, retenons que deux grands corps d’ingénieurs d’État se partagent la direction réelle du ministère : les ingénieurs des Mines et ceux des Ponts, des eaux et forêts. Le pouvoir, c’est eux.

Prenons l’exemple de la Direction générale général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), qui a dans sa besace la biodiversité, la mer, le littoral, l’eau. En août 2019, son dirlo, Paul Delduc, quitte sa fonction, où il est remplacé par Stéphanie Dupuy-Lyon. Le premier est ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts. La seconde est ingénieure des Ponts, des eaux et des forêts. Idem à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui gère le si vaste domaine des pollutions. Son boss, Cédric Bourillet, est ingénieur des Mines et son adjoint, Patrick Soulé, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts. Ces grands personnages savent partager.

Troisième exemple : la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui s’occupe comme il n’est pas difficile de le deviner, du dérèglement climatique. Patron inamovible : Laurent Michel, ingénieur général des Mines.

Tous ces braves gens font partie de ce que Bourdieu appelait la « noblesse d’État », et ce n’est pas un vain mot, puis le corps des Mines existe depuis 1794. Pour l’autre, résultat d’une fusion, il faut distinguer les Ponts et Chaussées, corps né en 1716 et celui du Génie rural, des eaux et des forêts, que certains font remonter à…1291. La France que nous connaissons, c’est eux.

Les ingénieurs des Mines auront mené au cours des deux siècles passés l’industrialisation de la France. Et dans l’après-guerre, créé ou dirigé ELF – le pétrole, les coups d’État en Afrique -, Renault et la bagnole, le nucléaire bien sûr avec EDF, la Cogema, le CEA. Les Ponts, c’est le programme autoroutier, les barrages sur les rivières, les châteaux d’eau et les ronds-points, le béton armé et les cités pourraves de toutes les banlieues. Les Eaux et Forêts, enfin, ont massacré la campagne en remembrant, en arasant des centaines de milliers de km de talus boisés, en aidant à la diffusion massive des pesticides via les directions départementales de l’agriculture dont ils furent les maîtres.

Joyeux, pas vrai ? On crée un ministère en 1971 et on refile les clés à ceux qui ont tout salopé en leur demandant de faire exactement le contraire de ce que leurs chers ancêtres ont fait. En oubliant en plus leur magnifique formation, qui laisse de côté tout ce que l’écologie scientifique a maintes fois établi. Le ministère de l’Environnement de 1971 ? Le ministère de l’Écologie de 2021 ? On sait se marrer, dans les hautes sphères.