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Trois documents sur la chasse (et pour rire jaune)

Cela vous aura échappé, je le crains. Jeudi 12 et vendredi 13 mars, France Nature Environnement (FNE) a organisé à Lille son 33ème congrès national, à l’occasion de ses quarante ans. J’ai beaucoup ferraillé contre ce grand machin qui fédérerait 3 000 associations de protection de la nature en France. Pour ceux qui voudraient des détails, se reporter aux articles enregistrés ici entre le 26 février et le 9 mars. Et, compte tenu de ce que je vais écrire, surtout les articles des 2, 3 et 9 mars 2009.

Alors, et ce grand raout de Lille ? Eh bien, franchement, la honte. Comme un grand, j’ai honte pour tout FNE. Cette structure « écologiste » a permis que le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, adresse une adresse au congrès en ouverture, sous la forme d’un message vidéo. Chantal Jouanno, sous-ministre à l’Écologie, a de son côté ouvert les travaux du deuxième jour, et Jean-Louis Borloo, ministre en titre, les a conclus. Pas mal, non, pour des écologistes ? Il est vrai que les sous viennent pour l’essentiel des poches de l’État. Faut pas se montrer ingrat.

Côté invités, la liste est simplement extraordinaire. Aucun combattant n’en fait partie. Nul paysan bio. Nul Dédé Pochon, résistant à l’agriculture intensive dans les Côtes d’Armor, qu’on aurait pourtant dû porter en triomphe. Pas le moindre lanceur d’alerte. Pas d’hommage à mon si cher Henri Pézerat, mort il y a peu, à qui l’on doit en bonne part l’interdiction de l’amiante en France. Aucune place pour la contestation du monde. Aucun espace pour sa critique, fût-elle policée, à la différence de la mienne.

En revanche,  étaient présents, car invités, la FNSEA, des chambres d’agriculture, l’Inra, l’ONF, les propriétaires privés de forêts, la Caisse des dépôts et de consignations, et cetera. En bref, étaient là ceux qui ont conduit la France là où elle est. Et absents ceux qui défendirent sous les huées une autre voie pour notre pays. C’est équitable. C’est logique. C’est même imparable. Je crois pouvoir écrire sans esprit polémique que les apparatchiki de France Nature Environnement (FNE) ont choisi leur camp. Qui n’est pas le mien.

Je vous mets ci-dessous le texte de deux documents fabuleux, qui montrent à nouveau que FNE sert une politique contraire aux intérêts de l’écologie. Ainsi qu’un lien vers un article, public donc, à la différence des précédents. Ils concernent tous la chasse. J’ai écrit récemment comment les responsables de FNE qui tiennent ce dossier se font balader par les politiciens professionnels comme Borloo. Et comme ils intoxiquent ainsi toute l’opinion écologiste française. Je vous préviens, ces textes ne sont pas drôles à lire, mais ils sont passionnants. Un mot du contexte : les tenants de la chasse, soutenus par un groupe d’études parlementaires – autour de 130 ou 140 députés de droite ou de gauche -, viennent d’obtenir des avantages après lesquels ils couraient depuis des années. Je gage qu’une des raisons de leur triomphe tient justement aux divisions introduites par le réseau Nature de FNE, tenu par la Ligue ROC, longtemps présidée par le grand Théodore Monod.

Ne croyez pas une seconde que je pavoise. Je suis triste. Infiniment triste de constater un tel désastre. Une telle dégringolade. Bon, le premier doc est une lettre du sénateur UMP Ladislas Poniatowski, grand artisan de la nouvelle loi Chasse. Elle est adressée à Charles-Henri de Ponchalon, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Bien entendu, elle n’est pas publique. On y lit toute la vérité. Celle qui s’écrit dans notre dos. Les chasseurs de France sont en train de gagner la partie, avec le soutien empressé, je dirais presque militant, de Jean-Louis Borloo, le grand ami de FNE. Au reste, sachez que Borloo ira à l’Assemblée générale des chasseurs la semaine prochaine, comme il est venu à celle de FNE. On parie ? Il y sera ovationné. Il le mérite.

Le deuxième document est abscons, mais renversant. Il n’est pas davantage public. Les gros durs de la chasse, soit l’Association nationale des chasseurs de gibier d’eau (ANCGE), y écrivent pour leur base tous les acquis obtenus par ce gouvernement compatissant. Si vous lisez, malgré le jargon, vous comprendrez sans peine qu’ils sont sur un petit nuage. Le 9 mars, tandis que FNE préparait les petits fours destinés à Borloo et Jouanno, ce même Borloo recevait ces braves de l’ANCGE. Et des promesses ont été faites, car « certains points importants (…) aborde?s (…) n’ont pu e?tre repris dans le communique? officiel ». Pardi ! Le maître mot de la stratégie des chasseurs est devenu « silence ». Silence et prudence, leurs amis sont pouvoir. Et FNE avalise. Evviva !

Le troisième document éclaire de manière sinistre le deuxième. Il s’agit d’un article de La Voix du Nord (ici), qui vaut la peine d’être lu, copié et recopié. Car il rapporte la joie des mêmes chasseurs d’eau, ceux de l’ANCGE. L’ami Borloo vient de débloquer 190 000 euros pour leur payer de nouvelles huttes de chasse. Il y a donc de l’argent en France, et même au ministère de l’Écologie. Champagne ! Champagne pour Borloo et FNE, désormais tous les deux dans le même bateau. Champagne !

DOC 1 : La lettre de Poniatowski à De Ponchalon, patron des chasseurs (J’ai été obligé de glisser de nombreux sic dans le texte, qui est truffé de fautes d’orthographe).

PALAIS DU LUXEMBOURG – 75291 PARIS  CEDEX 06
MAIRIE – 27680 QUILLEBEUF-SUR-SEINE – TEL : 02 32 57 51 25 – FAX : 02 32 56 55 90
E-MAIL : l.poniatowski@senat.fr

Paris, le 5 mars 2009

Monsieur le Pre?sident

A la veille de l’Assemble?e ge?ne?rale de la Fe?de?ration Nationale des Chasseurs ou j’aurais [sic] le plaisir de vous rencontrer a? nouveau, je souhaitai [sic] vous informer personnellement des changements survenus au sein du groupe chasse du Se?nat que je pre?side depuis 10 anne?es.

Apre?s ma re?e?lection au Se?nat en  septembre 2008, j’ai fais [sic] le choix de m’investir a? la pre?sidence du groupe d’e?tudes sur l’e?nergie, en raison de mon engagement permanent  sur ce dossier complexe et sensible pour notre pays. Lorsque j’e?tais de?pute?, j’ai longtemps pre?side? aux destine?es du  groupe d’e?tudes sur l’e?nergie de l’Assemble?e nationale.

Comme la re?gle du Se?nat interdit a? juste titre de cumuler deux pre?sidences de groupe [sic] d’e?tudes, j’ai de?cide? de passer la main pour le groupe chasse.  C’est mon colle?gue  Pierre Martin, se?nateur de la Somme qui vient d’e?tre e?lu a? la pre?sidence du groupe chasse. Mes colle?gues  ont profite?  de cette e?lection pour me nommer pre?sident d’honneur du groupe chasse.

Bien sur, je tiens a? vous confirmer que mon engagement pour  la chasse reste entier et que je serais [sic] toujours  en premie?re ligne au Se?nat comme ailleurs  pour de?fendre notre passion.

Je profite de cette correspondance pour faire le point sur les proble?mes de la gestion du dossier chasse qui n’ont pas encore trouve? de solutions ou qui sont apparus ces derniers mois. Je voudrais ainsi, rassurer certains d’entre vous et de?mentir certaines fausses informations.

Vous pouvez compter sur moi et sur mon e?troite collaboration avec la Fe?de?ration Nationale des Chasseurs pour que les prochains textes le?gislatifs de simplification de la chasse  soient conformes a? vos attentes et a? l’ide?e que je me fais d’une chasse de?mocratique et populaire.

La proposition de loi que j’ai pre?pare? [sic], de?fendu [sic] et fait vote? [sic]  a? l’unanimite? au Se?nat en mai 2008 et qui a e?te?  vote? [sic] conforme a? l’Assemble?e nationale  le 18 de?cembre 2008 est le parfait exemple de la volonte? politique des e?lus qui de?fendent la chasse et les chasseurs. Et c’est en parfait accord avec Jean Louis Borloo que cette proposition de loi est devenue, a? la surprise ge?ne?rale et  en quelques mois, une loi imme?diatement applicable.

Pourtant vous n’e?tes pas sans savoir que l’ordre du jour du Parlement e?tait  totalement sature? et qu’une telle initiative n’aurait pas pu voir le jour sans un appui politique fort. Sans l’intervention  pertinente de Je?ro?me Bignon, Patrick Ollier et  Jean Franc?ois Cope?  et le soutien total  de Jean Louis Borloo, la « Loi Poniatowski » qui contient de nombreuses avance?es pour les fe?de?rations et les chasseurs, serait toujours en attente d’inscription au Parlement.

Me?me le sujet sensible du de?lit d’entrave a? la chasse, que j’avais retire? des de?bats apre?s un engagement formel du Gouvernement,  va connai?tre une issue favorable. Jean Louis Borloo vient de confirmer au pre?sident de la Fe?de?ration nationale des chasseurs  qu’un de?cret e?tait en pre?paration  a? la Chancellerie et devrait faire l’objet d’une signature rapide apre?s une dernie?re concertation.

Lors de la re?cente rencontre entre le Ministre de tutelle de la chasse franc?aise et la Fe?de?ration Nationale des Chasseurs, des engagements tre?s pre?cis ont e?te? pris sur de nombreux dossiers qui inte?ressent le quotidien des chasseurs. La venue de Jean Louis Borloo a? votre Assemble?e ge?ne?rale sera l’occasion de confirmer  ses engagements et d’annoncer le calendrier de leur re?alisation.

D’ailleurs votre ministre de tutelle qui n’a pas la langue de bois a? clairement reconnu qu’il avait commis des erreurs dans la gestion du dossier chasse ces derniers mois. Il n’a pas he?site? a? remettre en cause certaines de ses propres de?cisions comme sur « la martre et la belette » ou le grand te?tras, qui e?taient des initiatives malheureuses qui de?notent une me?connaissance flagrante de la gestion de la faune sauvage.

Plusieurs des dossiers qui viennent d’e?tre de?bloque?s sont l’application stricte  des engagements du Pre?sident de la Re?publique et notamment ceux pris devant vous lors du Forum de la chasse du 20 fe?vrier 2007. C’est en particulier le cas concernant la gouvernance scientifique. La cre?ation dans les prochains jours du Groupe d’Experts pour les Oiseaux et leur Chasse (GEOC) re?pond a? l’urgence de la mise en place d’une gouvernance scientifique partage?e. Cela e?vitera les de?cisions politiques prises  au gre? des pressions respectives des uns et des autres.

Reste le dossier tre?s sensible des dates d’ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs qui de?pend tre?s largement de Bruxelles et pour lequel nous ne pouvons pas choisir librement. Le travail au sein de la table ronde pre?side?e par mon colle?gue et ami, Je?ro?me Bignon, a donne? un bilan peut-e?tre imparfait aux yeux des chasseurs de gibier d’eau, mais positif puisque 20 jours de chasse supple?mentaires ont e?te? obtenu [sic] pour de nombreuses espe?ces. C’est un bon de?but de reconque?te.

Pour ma part, j’ai l’intime conviction que l’engagement personnel de Jean Louis Borloo  et l’arrive?e de Chantal Jouanno sont des signes positifs qui vont aboutir a? de ve?ritables changements y compris dans l’organisation et dans le financement de la chasse franc?aise. C’est pourquoi je souhaiterais que le monde de la chasse e?vite d’e?tre de?faitiste au moment ou la reconque?te se confirme et conforte notre place au cœur de la ruralite? et de la biodiversite?.

Je vous prie de croire, Monsieur le Pre?sident, a? l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Ladislas PONIATOWSKI

Doc 2 : l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’Eau adresse une lettre à ses membres.

Paris, le 10 mars 2009

JL. BORLOO et J.BIGNON s’engagent pour la chasse du gibier d’eau

Dans le cadre de la rencontre qui s’est tenue le 09/03 au MEEDAT entre JL. BORLOO, J.BIGNON, l’ANCGE, la FACE et l’UFC, certains points importants ont e?te? aborde?s qui n’ont pu e?tre repris dans le communique? officiel.

• PMA huttes : le chantier va e?tre ouvert sans de?lai. Le de?cret Cochet qui bloque cette e?volution sera modifie? comme le demande l’ANCGE depuis plusieurs anne?es et le PMA e?thique huttes introduit dans la re?glementation.
• Mesures le?gislatives : J.BIGNON a re?affirme? la volonte? de l’Assemble?e Nationale d’introduire, via des DDOC (diverses dispositions d’ordre cyne?ge?tique) adosse?es a? la proposition de loi Poniatowski, plusieurs amendements re?pondant a? des reque?tes de l’ANCGE : chasse de nuit en Vende?e, droit de marchepied sur le DPF,…
• AEWA : Le ministre a souhaite? e?tre saisi par l’ANCGE d’une demande officielle de prise en compte de cet accord international dans le droit interne franc?ais. Une note technique a de?ja? e?te? re?alise?e sur le sujet, la reque?te officielle est en cours. Cette de?marche est essentielle pour pouvoir chasser les oies jusqu’au 20 fe?vrier.
• De?placement des huttes et gabions : Conforme?ment aux engagements pris, l’ANCGE a de?ja? transmis au ministre ses propositions de modifications re?glementaires tant pour les huttes des zones humides inte?rieures que pour les gabions du DPM (un proble?me re?current pour les ACM des grandes baies et estuaires).

Voilà, c’est fini pour aujourd’hui. Essayez de garder dans un coin de la tête l’acte 1, scène IV, de la pièce de Shakespeare, l’inoubliable Hamlet. Horatio est capitaine des gardes et Marcellus un simple garde. Dans cette scène, le spectre, qui est le roi Hamlet, père du personnage principal, vient de sortir. Voici la suite :

Horatio : …To what issue will this come ?

Marcellus : Something is rotten in the state of Denmark.

Horatio : ?Heaven will direct it.

Ce qui veut dire à peu près :

Horatio : …Quelle sera l’issue de tout cela ?

Marcellus : Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Horatio : Le ciel avisera.

Un message de Marc Giraud (sur la chasse et FNE)

Marc est un ami, mais aussi un esprit indépendant. Je dois confesser que j’aime beaucoup ce gars. C’est un naturaliste de terrain comme il est peu, et il est également écrivain. Pas écrivant. Écrivain. Son dernier bouquin, où il donne la parole aux animaux pour raconter Darwin et ses découvertes (Darwin, c’est tout bête, Robert Laffont), est un délice dont je me pourlèche encore les babines.

Bon, la suite. Il a suivi ici la polémique autour de France Nature Environnement (FNE) et m’envoie donc une lettre que je qualifierai de soutien. Et qui me touche. Moi, je suis effaré du silence de FNE sur les sujets graves que j’ai évoqués. Je vois bien la tactique à l’œuvre, qui est celle des bureaucrates de tous les pays et de tous les temps. On se tait, car on pense, car on espère que tout sera tôt oublié. Peut-être ont-ils raison. Peut-être auront-ils tort. On verra bien. Mais dans tous les cas, alors que flambe la planète, ce jeu lilliputien est indigne.

Je passe donc la parole à Marc Giraud, que je remercie. Un dernier point : Marc est le vice-président de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Qui n’est pas membre de France Nature Environnement. Bien à vous tous.

La lettre de Marc Giraud

Merci Fabrice Nicolino ! En cette heureuse période de victoire (et elle est belle, mais attendez la suite !), merci à celui qui énonce simplement ce que tant d’autres n’osent pas dire, on ne sait même plus pourquoi.

Tentons d’analyser. En tant que bénévole de longue date dans plusieurs associations, dont l’Aspas, je me suis toujours gardé de donner dans la « querelle de clocher », car les adhérents détestent ça, et je suis comme eux. Même quand on sait des vérités gênantes, on évite donc de les sortir, par délicatesse pour « son camp », ou pour ne pas donner des arguments au « camp adverse » qui en serait trop content, alors qu’on ne se bat que pour la vérité. Justement. La vérité ne peut pas éternellement se censurer par diplomatie. Depuis le « Grosnul de l’Environnement » bien des choses se sont révélées. Ce Grosnul fut en réalité la fête de l’éco-business, mais sur ce qui touche la « nature naturelle », le non rentable financièrement, on attendra encore longtemps…

Les soupçons que nous portions à l’égard de quelques responsables du Roc et de FNE se sont non seulement confirmés, mais ils sont allés au-delà de nos désespérances. Aujourd’hui, de nombreuses associations sœurs demandent des comptes aux responsables de la fédé, et elles ont raison. Nous communiquons entre nous et nous le savons : des Frapna, le Cora, la Capen et bien d’autres, qui attendent les décisions de leur conseil d’administration avant de les annoncer, se réunissent actuellement pour trancher sur leur réadhésion ou non à FNE.

On en est là. Lamentable ? Oui, mais pas définitif. Des collectifs efficaces se forment sur des actions ponctuelles, la protection de la nature n’est pas morte car elle ne repose par sur une ou deux têtes. Elle est juste en train de se réorganiser.

Et voilà la bonne nouvelle : pour la première fois, après 30 ans de non respect de la directive oiseaux, le col de l’Escrinet a vu passer les migrateurs sans les coups de feu des braconniers. Ceux-là même qui n’avaient pas hésité à séquestrer des garde-chasse, qui se croyaient tout permis, qui bravaient les lois, qui cassaient le matériel et menaçaient de mort les ornithologues à coups d’opérations musclées.

Fini, fini, fini ! Grâce aux responsables de FNE ? Bien sûr que non. Grâce à des militants indépendants, tenaces et dévoués, soucieux de démocratie et de protection de la nature. Bravo au Collectif Escrinet col libre qui a tant œuvré (entre autres à son président Pierre Athanaze), et à tous ceux là et ailleurs qui maintiennent le cap, quitte à prendre des risques. Car oui, la grande majorité des bénévoles et des salariés, de quelle association qu’ils soient, n’ont pas perdu le Nord. Loin des lambris dorés et des compromis pourris, ils continuent de bosser. Entre autres, ils balaient devant leur porte.

Marc Giraud, Écrivain naturaliste

Complément sur la chasse (et FNE via la Ligue ROC)

J’avais totalement oublié l’épisode Pipien ! Il est pourtant essentiel pour comprendre la dérive de la Ligue ROC, dont je parlais ici même hier. Ce monsieur, adhérent de la Ligue Roc et de la LPO, a été en effet directeur de cabinet de Roselyne Bachelot en 2003, quand cette dernière était ministre de l’Écologie. Pipien est ingénieur général des Ponts et Chaussées. Ce que vous allez lire ci-dessous se trouve dans le numéro 25 du bulletin Action Nature (juillet 2005). Cela devrait faire réfléchir un certain nombre de gens. Non ?

Mais que diable sont-ils allés faire dans cette galère ?

Le monde associatif de la protection de la nature nous réserve quelques fois de bien curieuses surprises. Ainsi, dans un livre à paraître à la rentrée mais déjà diffusé à quelques heureux privilégiés, la ligue ROC pour la défense de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs (ex Rassemblement des Opposants à la Chasse) a réuni quelques spécialistes pour parler de tout ce qui ne va pas sur notre planète.
Jusque-là rien d‘anormal, ni même d‘original, d‘autres avaient pratiqué de même il y a peu. Mais là où le ROC a fait très fort, et ce que personne jusqu‘alors n‘avait osé faire, c‘est de confier la synthèse de ces réflexions « offertes au débat » à Gilles Pipien, qui n‘est autre que le premier directeur de cabinet de la célèbre Roselyne Bachelot du temps de son très remarqué passage au ministère de l‘écologie et de la Destruction Durable !

Alors même qu‘il était on ne peut mieux placé pour réaliser tout ce qu‘il recommande dans cet ouvrage, ou tout du moins pour tenter de le faire, il s‘était à l‘époque appliqué à faire exactement le contraire ! C‘est grâce à lui et à son zèle, que nos chers Martres, Putois et Belettes sont retournés illico presto rejoindre les fouines et autres corbeaux dans la liste nationale des espèces nuisibles. Liste dont ils n‘étaient sortis que quelques mois auparavant grâce à Yves Cochet !

C‘est également M. Pipien qui a complaisamment réouvert le récurrent dossier des dates de chasse, que l‘on pensait clos depuis janvier 2002. Réouverture qu‘il s‘est appliqué à réaliser en saucissonnant les décisions en de multiples arrêtés et décrets, afin de rendre la tâche des associations de protection de la Nature plus dure. Peine perdue, le Conseil d‘Etat a statué à de multiples reprises contre ces arrêtés Pipien/Bachelot.

Et la liste est encore longue. (nous avons des tonnes d‘archives !) Bien sûr, on peu croire aux miracles, ou aux conversions tardives. Mais un tel retournement de veste n‘est tout de même pas près de passer pour crédible ! Ainsi, en région Rhône-Alpes, Gilles Pipien est l‘objet depuis le 7 mars 2003 d‘une tendresse toute particulière. C‘est lui en effet qui s‘est rendu sur le col de l‘Escrinet, haut lieu du braconnage de masse, pour y soutenir et y encourager cette pratique totalement illégale ! Les braconniers ardéchois en rient encore…

Les associations de protection de la Nature beaucoup moins. Depuis ce coup d‘éclat de mars 2003, le braconnage à repris de plus belle. Si le ROC a accueilli à bras ouverts l‘ancien directeur de cabinet, c‘est avec du goudron et des plumes que certains aimeraient l‘accueillir en Ardèche et dans les environs …

Nous aimerions plaider les circonstances atténuantes pour le ROC, vous dire qu‘il s‘agit d‘une regrettable erreur, qu’ils ne savaient pas, qu‘ils n‘avaient jamais été mis au courant des étonnantes aventures du sieur Pipien. Mais ce n‘est malheureusement pas le cas. Toutes les associations de protection de la Nature se souviennent très exactement des agissements du directeur de cabinet de R. Bachelot, avant qu‘il ne se transforme en Monsieur bons offices du ROC. Les faits sont têtus, et la presse a largement relaté les divers coups bas qu‘il a assénés à la protection de la nature. Y compris le « Pipien Show » de l‘Escrinet, épisode peu glorieux dont les medias s‘étaient à l‘époque faite l‘écho en citant quelques perles du bonhomme, dont l‘une des plus gratinées : « La loi doit être respectée. En matière de chasse, il faut l‘adapter car elle pose problème » !

Souvenons-nous que s‘en sont suivies deux lois sur la chasse particulièrement régressives… Le nouvel ami du ROC a vraiment un lourd passé. Nous n‘oublions pas non plus que la vice-présidente du ROC a plaidé, aux cotés de R. Bachelot devant le Conseil d‘Etat saisi par l‘ASPAS (Association pour la Sauvegarde et la Protection des Animaux Sauvages) et la CVN (Convention Vie et Nature) de recours contre les arrêtes des dates de chasse ! Ce qui n‘a heureusement porté chance ni à la ministre ni à ses arrêtés…

Mais que diable sont-ils allés faire dans cette galère ?

Les amitiés particulières de France Nature Environnement (Acte 2)

À DIFFUSER SANS MODÉRATION DANS TOUS LES RÉSEAUX

À propos de la chasse

Je ne sais plus très bien si je dois vous conseiller la lecture de mon papier. Quand on est comme moi un amoureux profond et parfois niais de la nature, des oiseaux, du ciel et des arbres, il n’est pas facile, je vous le certifie, de se mettre à ce qui va suivre. Mais il se passe des choses insupportables dans le monde de l’écologie, et je crois qu’il est préférable que le plus grand nombre soit mis au courant.

Il s’agit donc de l’Acte deuxième des Amitiés particulières de France Nature Environnement (FNE), psychodrame commencé ici jeudi passé. Je vous ai raconté la bureaucratisation de FNE. Celle-ci va loin et se double de positions dont très peu de gens se doutent. Ainsi dans le domaine de la chasse. Comme le dit le naturaliste Roger Mathieu dans un texte qui circule sur le net, Théodore doit se retourner dans sa tombe ! Monod était en effet le président d’honneur d’une association digne et combative, le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC).

Depuis sa disparition, la roue a tourné, et de plus en plus vite. Le ROC est devenue la Ligue ROC, et a adouci son propos d’une manière que je qualifierai d’époustouflante. Il ne faut plus rien condamner, ni personne. Il faut rechercher le consensus avec les chasseurs, il faut faire des réunions à n’en plus finir, il faut se regarder dans le blanc des yeux. Ma foi, et je suis sérieux, on juge les arbres aux fruits qu’ils donnent. Or donc, voyons de plus près : et si c’était la bonne tactique ? Mais d’abord cette précision : la Ligue ROC appartient à FNE et dirige en son nom le réseau nature de la confédération. Ce qui signifie que deux ou trois personnes, pas plus, impriment leur marque à propos de sujets clés, dont celui de la chasse.

Or un journal de chasseurs vient de mettre le feu aux poudres parmi mes amis naturalistes. Ce journal, c’est le célébrissime Saint-Hubert. Dans sa dernière livraison, il revient sur « le Grenelle de la chasse » commandé à Borloo par Sarkozy l’an passé. Il s’agissait officiellement de rapprocher les points de vue entre protecteurs de la faune sauvage et chasseurs. Mais l’affaire a viré à la manipulation pure et simple.

Qu’explique le Saint-Hubert ? Que les lignes ont bougé. Mais curieusement, à la notable exception de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui maintient des positions dignes de son objet social, seuls les « écologistes » bien en cour ont fait mouvement dans la bonne direction, celle indiquée par les chasseurs. Et quels ? Mais ceux de la Ligue ROC, bien sûr. On voit dans le journal de magnifiques « cartes de l’opinion », sur lesquelles – ô miracle ! – la Ligue ROC et FNE ont passé la ligne médiane pour se rapprocher très, très près de la Fédération nationale des chasseurs (FNC).

On y trouve même un hommage appuyé aux néoréalistes, dont je reproduis les termes : « Tout à fait inattendue, estime le Saint-Hubert, la déclaration de la Ligue ROC ». Et de citer le communiqué de l’association : « la Ligue ROC a pris une part active dans ce processus de normalisation du dossier chasse. Elle se félicite du compromis obtenu (avec ses faiblesses et ses points forts, mais c’est le propre de tout compromis) » (…) Cette déclaration, reprend le Saint-Hubert, « apparaît comme un mouvement rapide vers l’Est-Nord-Est [des fameuses cartes de l’opinion], passant d’un discours historiquement “philosophique” sur un “droit des non-chasseurs” à un discours hyper-réaliste sur les bienfaits du compromis ! ».

Vous l’avez compris, la Ligue ROC, qui représente FNE sur cette question essentielle de la chasse, a donc fait plus qu’un pas en direction des nemrods. Jusqu’à ce point, pas de commentaire. Pensons ensemble aux fruits de l’arbre. Mais justement, où sont les fruits ? C’est à ce moment de l’histoire que tout bascule. Je vais essayer d’être bref et compréhensible. L’opération « Grenelle de la Chasse », comme celui de l’Environnement, est une grossière entourloupe, et FNE lui a accordé un soutien insensé, et même ridicule.

Résumons. Le 18 décembre 2008, les députés ont adopté sans coup férir une proposition de loi du sénateur UMP Ladislas Poniatowski, déjà votée par le Sénat en mai, et qui étend nettement les droits des chasseurs. Les fédérations de chasse pourront être agréées au titre de la protection de la nature – si -, et consultées sur les projets d’aménagement du territoire. Elles pourront dans ce cadre saisir la justice et se porter partie civile. En outre, en cas d’infraction au droit de la chasse, le permis du contrevenant ne sera plus automatiquement suspendu. Un juge devra intervenir.

Est-ce tout ? Non, trois fois non. Le grand lobbyiste de la chasse, Thierry Coste, qui anime une boîte de com et tape dans le dos de la moitié des parlementaires – il est « conseiller politique » de la Fédération nationale des chasseurs – a annoncé une grande nouvelle. Au moment du vote de la loi, en décembre,  Borloo aurait promis aux députés un décret pour « renforcer les sanctions contre les antichasse extrémistes qui cherchent à entraver le déroulement de certaines chasses ». Vous avez bien lu. Et Coste n’a pas inventé. Il ne faudra plus, bientôt, embêter les flingueurs.

Cette fois, y est-on ? Non. Fin janvier 2009, Borloo a publié des arrêtés de fermeture de la chasse qui sont scélérats. Dans un communiqué commun, près de 70 associations françaises et européennes ont aussitôt protesté (ici). Citation qui se passe de commentaire : « La chasse de la plupart des espèces est prolongée jusqu’au 10 ou au 20 février, soit dix à vingt jours supplémentaires par rapport à la date de clôture précédente. Alors que tous les ornithologues constatent depuis quelques années une avancée des périodes de migration et de reproduction, conséquence du changement climatique ». La Ligue ROC, FNE ? Aux abonnés absents. Une honte, une capitulation.

La conclusion, cette fois ? Toujours pas. À la mi-décembre 2008, la martre et la belette avaient enfin été retirés de la liste des animaux nuisibles après un combat écologiste interminable. Borloo avait cédé, disons-le. Mais Sarkozy, qui câline les voix des chasseurs à l’approche des élections européennes, leur a offert de nouveau la tête de la martre et de la belette. En deux mois, ces animaux sublimes seront repassés au statut d’animal « nuisible », susceptibles d’être piégés tout au long de l’année. Comme on respire mieux !

Les chasseurs ne se sont jamais sentis aussi soutenus. La preuve par la Gazette officielle de la chasse et de la nature (n°du 13 février 2009). Ce bulletin des chasseurs annonce froidement une offensive en règle contre la directive européenne dite Oiseaux, qui date de 1979, et qui demeure un verrou de protection. Une atteinte à cette loi européenne serait un hallali ! Non, réellement, les choses vont très mal. Je vous signale ou vous rappelle qu’un chasseur de Haute-Savoie vient de buter de sang-froid un loup, en théorie protégé par la Convention internationale de Berne.

Mais le pire est dans son propos public (ici). Le tueur dit, entre autres joyeusetés : « Je ne sais pas mentir. Et puis, j’ai pris un coup de sang. Ce n’était pas calculé, mais je suis monté avec ma carabine et je l’ai tué. Mais je ne pensais pas à mal en tuant un loup. Pour moi, j’ai fait une bonne chose… Pour tout le monde ».  J’en reviens au sentiment de Roger Mathieu, que je salue au passage. Naturaliste, très fin connaisseur de la chasse, il note : « Ce qui est assourdissant, ce n’est pas tant le silence de FNE et de son conseil d’administration, c’est le silence absolu de (presque) toutes les associations de protection de la nature (sic) membres de FNE ». Et il ajoute, et je contresigne moi-même : « Théodore reviens !… Ils sont devenus fous ! ».

Le grand Théodore Monod n’aurait en effet jamais toléré pareille dérive.

PS 1 : L’analyse de la loi Poniatowski commande d’aller plus loin, notamment en ce qui concerne l’obtention de cartes temporaires de chasse, délivrées aux Associations communales de chasse agréée (Acca). Je peux d’autant moins le faire que je n’ai pas les compétences pour cela. Mais les commentaires sont les bienvenus.

PS 2 : Comme pour le papier précédent, faites circuler je vous prie. Faites marcher vos carnets d’adresse électroniques !

Ils veulent tuer Moby Dick

La nouvelle étonnera les plus endurcis : la chasse commerciale à la baleine pourrait reprendre. La pêche industrielle et une poignée d’États crapuleux – la Norvège, l’Islande, le Japon – tentent depuis des années de faire sauter le verrou du moratoire. Car il y a moratoire. Car, depuis 1982, devant l’évidence du danger, les pays membres de la Commission baleinière internationale (CBI) ont décidé de stopper provisoirement le massacre des baleines. Entré en vigueur en 1986, ce moratoire sur la pêche commerciale a empêché le pire. Mais 30 000 baleines, pense-t-on, ont tout de même été tuées depuis, sous les motifs les plus divers. Au Japon, par exemple, on prétend détruire ces animaux mythologiques au nom de la science.

Dans la réalité, tu parles ! Aidée par les services officiels de l’État, une société privée a vu le jour il y a deux ans. Geishoku – son nom – se faisait fort de vendre 1 000 tonnes de viande de baleine en 2007, via Internet. Je n’ai pas suivi depuis cette date, mais de toute façon, il est évident que les quelques Moby Dick qui peuplent encore les abysses ne sont pour les marchands que de la bidoche.

Exceptionnellement, je ne vais pas vous accabler de chiffres déprimants. Sans le moratoire de 1986, un nombre significatif d’espèces de baleines aurait disparu. Grâce à lui, la situation s’est peut-être – peut-être – stabilisée. Comment savoir ? Les biologistes pensent que la baleine à bosse irait mieux, mais que le quart de toutes les espèces seraient encore menacées de disparition. Oui, comment savoir ? Les écosystèmes marins et sous-marins subissent eux aussi une crise globale d’extinction de la vie. Et, sans être le moins du monde un spécialiste, je doute vivement que les baleines puissent échapper au sort commun.

Quoi qu’il en soit, les protecteurs poussent un sacré coup de gueule (ici, mais en anglais), car depuis hier, 15 septembre, une poignée de bureaucrates entendent décider seuls de l’avenir. Une réunion presque secrète, qui doit durer jusqu’au 19 septembre, se tient en effet au Trade Winds Resort de Saint Petersburg, en Floride (États-Unis). Une réunion présidée par William T. Hogarth, président en titre de la Commission baleinière internationale (CBI). Il est possible que ces braves gens discrets se mettent d’accord pour relancer la sanglante machine.

C’est possible, car il y a aujourd’hui plus de 80 pays membres de la CBI. Pensez-vous qu’il soit difficile pour le Japon de convaincre des délégués d’aussi puissantes nations qu’Antigua-et-Barbuda, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Palaus, Tuvalu ? Je vous livre le commentaire de Patrick R. Ramage, responsable du Fonds international pour la protection des animaux (ici) : « Ces réunions à huis clos font peser une menace sérieuse sur l’avenir (…) Les baleines sont confrontées à un nombre de menaces plus élevé que jamais (…) La dernière chose dont nous ayons besoin est d’un accord secret de reprise de la chasse à la baleine. Le Dr. Hogarth devrait soit reprendre le processus d’étude approfondie, soit simplement annuler les réunions ».

« Death to Moby Dick ! God hunt us all, if we do not hunt Moby Dick to his death ! » (chapitre 36 de Moby Dick, d’Herman Melville). Le capitaine Achab, notre cauchemar.