J’écoutais l’autre soir, pas plus tard que jeudi, Rony Brauman sur France Culture. Brauman, que je n’ai jamais rencontré, a été le président de Médecins sans frontières, et je l’ai toujours entendu dire des choses percutantes, pertinentes, dérangeantes. Brauman est à l’opposé de ces humanitaires qui ne pensent qu’à la structure – la leur -, au blé, aux caméras. Il pense, ce qui fait tache. Mais jeudi soir, j’ai été pris d’un malaise. Le propos avait pour cadre l’émission Du grain à moudre, vers 18h30, et par extraordinaire, elle était intéressante. On y parlait du rôle si étrange, et pour tout dire, inquiétant, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la lutte contre la grippe porcine, dite H1N1. Mais à un moment, Julie Clarini a parlé du climat, et Brauman, à mes yeux en tout cas, a dérapé en live.
Finalement, disait-il entre deux phrases sur tout autre sujet, finalement, ma religion n’est pas faite sur la question du climat. Et moi, j’ai eu l’envie de lui dire : pauvre imbécile, si nous attendons tous que tu sois dans de bonnes dispositions, nous serons morts. En l’occurrence, la question n’est pas même – bien sûr, pour moi, elle est réglée – de savoir si le dérèglement est une réalité. Pas même, je vous le jure. La question est de savoir s’il est raisonnable de discuter encore. Et la réponse est NON, NON, NON. Admettons, pour la commodité de ma démonstration, que des idiots boursouflés comme Allègre ont raison. Même en ce cas, la raison, cette raison exigeante dont se réclament les négateurs ne devrait-elle pas TOUS nous mobiliser ?
Je m’explique, ce qui ne sera pas long. Ou les scientifiques du Giec ont tort, ou ils ont raison. S’ils ont raison, il faut abattre les voiles, car l’ouragan qui vient va tout dévaster. Et s’ils ont tort, les mesures que nous prendrions pour faire face à un typhon imaginaire seraient toutes, absolument TOUTES bénéfiques à la vie sur terre et à ses équilibres essentiels. Mais les « climatosceptiques » sont des idéologues, pour qui la réalité est seconde. En conséquence, ils font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher des prises de décision qui iraient nécessairement vers une emprise moindre des hommes sur les écosystèmes. Ils montrent ainsi leur inconscience, en quoi ils sont si affreusement humains.
Revenons à Brauman. Mon Dieu ! Comment oser, en 2010, prétendre qu’on ne sait pas ? La seule explication que j’entrevois est qu’il fait partie de cercles qui se piquent d’indépendance intellectuelle, de ceux à « qui on ne la fait pas ». Fantastique leçon de choses ! On peut être lucide sur les connivences entre experts de l’OMS et industrie, et aveugle sur la plus grave menace contre les sociétés humaines. Fantastique ! Pour ce que j’ai pu entendre depuis un moment, Julie Clarini et Brice Couturier – les deux animateurs de l’émission de France Culture – font partie de cette tribu parisienne, omniprésente dans les médias, qui ne sait rien de la nature et de ses lois finalement infrangibles. Simplement, se sentant assurés de représenter l’opinion moyenne – moyenne, mais avancée – de leur temps, ils traitent l’écologie avec un mépris apitoyé. Ils sont bons, croyez-moi, dans leur genre. Indiscutablement, ils savent présenter une émission alerte. Ils sont bons, mais ignares.
Au-delà, deux faits. D’abord, une enquête sérieuse de six mois montre que les chercheurs de l’Unité de recherche climatique (CRU) de l’université d’East Anglia (Angleterre) n’ont pas truandé leurs données. Grossièrement résumé, on les accusait de cacher des éléments décisifs, de manière à exagérer l’importance du souk climatique et obtenir ainsi plus de sous ( lire ici). Vous ne vous en souvenez pas forcément( lire ici), mais avant la conférence mondiale sur le climat, à Copenhague – un hasard, sûrement un hasard -, un opération mondiale de désinformation a eu lieu. Il s’agissait de discréditer ceux qui accumulent par milliers des données sur l’évolution dramatique du climat.
Mais pour monter une telle opération, il fallait compter sur la presse, laquelle est bête comme ses pieds, aveugle, sourde, mais hélas nullement muette, plus moutonnière que ne le sera jamais une brebis. Et le résultat prévisible fut que la presse mondiale largua dans l’espace des milliers et des milliers d’articles ineptes sur 1073 courriels que presque aucun journaliste n’avait lus. Pas le temps, coco. Sept mois, plus tard, le but des désinformateurs est atteint, et la méfiance règne. Vienne le résultat d’une enquête sérieuse de six mois, et l’on n’obtiendra, dans le meilleur des cas, que 10% du volume consacré au soi-disant scandale appelé par des journalistes – faut-il être abruti ! – Climategate. C’est la fange qui a gagné la partie, définitivement, et les journalistes en sont les premiers responsables.
Assez d’excuses ! Assez d’arguments en défense des pires attitudes ! On attaque les politiques, les agriculteurs industriels, les syndics, les flics, les industriels. Moi, je dis que les journalistes sont des brêles, point barre. Ils ne lisent rien, ne savent rien, et racontent n’importe quoi. Je le sais, j’en suis. Dernier point, une étude de l’Institut de recherche et de développement (IRD). Cet organisme public qui a pris la suite de l’Orstom a une belle réputation, que je crois fondée. Mais peut-être ai-je tort ?
En tout cas, l’IRD vient de rendre publique une étude exhaustive sur les glaciers de Patagonie. Le mieux est encore de citer les chercheurs : « Contrées perdues aux confins du continent latino-américain, la Patagonie et la Terre de Feu, archipel à l’extrémité Sud, abritent les plus majestueux géants de glace du monde. Les glaciers patagoniens, dont le célèbre Pio XI, le plus grand d’Amérique latine avec ses 1292 km², surplombent les vallées chiliennes à l’ouest et argentines à l’est. Ceux de la Terre de Feu, les pieds dans l’océan, plongent dans les méandres des fjords. Ces glaciers reculent. Leur régression vient d’être quantifiée à une échelle régionale. Une vaste étude de chercheurs de l’IRD et de leurs partenaires, portant sur 72 d’entre eux, montre que la grande majorité des glaciers patagoniens et de Terre de Feu ont considérablement diminué depuis 1945 : jusqu’à près de 40% pour certains »
Les négateurs du dérèglement climatique n’en auront jamais assez, car une foi ne se rend jamais aux arguments. La danse macabre continuera donc. Avec la presse, cette presse inouïe, cette presse inculte, cette presse arrogante en maîtresse de cérémonie.