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Jean-Marc Ayrault chef d’escadrille (l’aéroport de Nantes)

N’insultons pas, n’insultons pas, n’insultons pas. Vous m’excuserez sans doute, mais il me faut parfois reprendre ma respiration. Je n’insulterai donc pas monsieur Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, et socialiste pardi. Et je ne ferai aucune allusion à cette blague de deuxième zone selon laquelle si tous les cons volaient, il ferait nuit. Et non plus à cette autre qui prétend que dans le cas où les…disons les imbéciles s’amuseraient à survoler les cieux, certains d’entre eux seraient fatalement chefs d’escadrille.

Ces plaisantes précautions étant prises, passons aux choses sérieuses. À Nantes et dans toute sa région, une coalition d’élus de gauche et de droite exige désormais un second aéroport pour le chef-lieu de la Loire Atlantique. Prévu autour de Notre-Dame-des-Landes, ce nouvel aéroport engloutirait 2 000 hectares d’un bocage d’une qualité exceptionnelle dans l’ouest de la France. Ce territoire semi-naturel abrite de vrais paysans, de vrais oiseaux – dont la chevêche d’Athéna, l’engoulevent, le busard Saint-Martin -, de vrais mammifères, d’authentiques insectes, tels le pique-prune et le lucane cerf-volant.

Donc – mon énervement revient à vive allure -, des soudards veulent à nouveau détruire. Leurs raisons avouées sont si grotesques qu’elles sont ridiculisées même par des pilotes professionnels. Dans le quotidien Ouest-France du 6 octobre (ici), deux d’entre eux se moquent ouvertement des politiques – Ayrault en tête – qui veulent ce foutu aéroport. Attention aux éclaboussures, car elles ne doivent pas sentir la rose. Question : « Que pensent les pilotes du projet d’aéroport à deux pistes parallèles envisagé à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes ? ».

Réponse : « Ça ricane. On se moque des hommes politiques décidés à construire un projet pharaonique, un grand aéroport de l’Ouest à quatre millions de passagers, dans un contexte où, au mieux, hors crise, le trafic en Europe ne progresse que de 1 %. Contrairement à l’Asie, qui fait des scores à 5 % et plus ». Attendez la suite : « À Londres-Gatwick, le dixième aéroport du monde, qui accueille 34 millions de voyageurs, il n’y a qu’une piste, comme à Nantes, où on n’en a que 2,7 millions. Et ne parlons pas de Genève, où l’on n’a qu’une piste et du relief autour ». Une dernière, pour la route, avant que vous ne lisiez le tout, comme je vous y invite : « Deux pistes, c’est du délire ! Le trafic ne le justifie pas. Il y a plein d’endroits où les pistes moisissent. À Bordeaux, on n’utilise plus la deuxième piste. À Metz-Nancy, on a une piste magnifique créée il y a quinze ans, mais personne n’y va ».

Bon, bon, bon. Je dois ajouter que les deux pilotes ont choisi l’anonymat. Ouest-France étant un journal très respectueux des lois et des hiérarchies, je ne doute pas une seconde des propos tenus et de la qualité de pilotes de ceux qui les ont prononcés. Mais alors, dites, nous en sommes donc là ? Des professionnels, sachant de quoi ils parlent, se cachent pour parler d’un projet lamentable qui pourrait engloutir des milliers d’hectares de nature et des milliards d’euros d’argent public ? Nous en serions là ? Possible. Probable.

Et nos élus ? Oui, il convient, en bon démocrate que je suis, de donner la parole à Jean-Marc Ayrault, apparatchik et cumulard incomparable. Jadis professeur d’allemand, Ayrault est à la fois maire de Nantes – près de 300 000 habitants -, député, président de Nantes Métropole – 24 communes et 580 000 habitants -, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche de cette même Assemblée. Ce monsieur est un génie méconnu, un magicien digne du grand Houdini, un être venu d’ailleurs, capable de distendre les frontières du temps.

(Ci-contre, Harry Houdini en 1899. Toute ressemblance avec Jean-Marc Ayrault serait l’effet de quelque facétie de très mauvais goût. Par chance pour vous, je n’en suis pas encore là.)

Alors, que nous dit ce cher monsieur Ayrault ? Interrogé par l’inévitable Ouest-France, not’ bon maire déclare : « J’attends de l’État qu’il fasse les bons arbitrages, et de François Fillon qu’il ne laisse pas tomber l’Ouest ». Je contextualise, comme il faut dire quand on veut paraître sérieux : il n’y a pas de blé pour faire cette si belle installation, et l’État a intérêt à banquer. Mais vite ! Car Fillon n’est pas immortel, du moins en tant que Premier ministre. Or il a longtemps été président du Conseil régional des Pays de la Loire, région où se trouve Nantes, et cela crée des liens, par-delà les dérisoires oppositions politiques.

Admirez le ton d’Ayrault ! Il ne faut pas laisser tomber l’Ouest. Si pas d’aéroport, plus d’Ouest. Que claquent les dents des grabataires, s’ils en ont encore ! Plus d’Ouest ! Parce que l’État, ce vilain, ne voudrait pas payer. Pour être bien sûr qu’on a tous compris, Ayrault ajoute, sublime : « Aujourd’hui, alors que l’effet TGV s’estompe, l’avenir se joue sur quelques dossiers stratégiques pour lesquels nous devons être intransigeants et combatifs ».  Oh, mais c’est merveille. L’effet TGV s’estomperait ! Il faudrait donc faire plus, dépenser plus, aller plus vite et plus loin jusqu’au fin fond de la crise écologique planétaire. Vous savez quoi ? J’admire les visionnaires. Je me figure Ayrault avec un beau képi à jugulaire, tapi dans une casemate de la ligne Maginot, tandis que les blindés allemands de Guderian passent tranquillement à travers les Ardennes. Ô mânes de Gamelin! Ô grand général français de la débâcle de mai-juin 40, tu n’es pas mort pour rien. La descendance est là.

Et bien là. Dans la foulée du chef, 18 élus de la région sont montés au front, sous la mitraille. Lisez, je vous prie, c’est grand-guignol (ici). Ayrault à nouveau, qui souhaite « remettre un peu de rationalité dans un débat qui déclenche beaucoup de passion et de désinformation… On veut faire peur, mais le transfert de cette plateforme, l’une des six plus importantes de France, est indispensable…». IN-DIS-PENSA-BLE, père Ubu, j’allais justement le dire. Charles Gautier, maire de Saint-Herblain : « L’événement le plus important depuis cinq ans dans la métropole nantaise a été la conférence Nantes-Rennes… Et dans ce rapprochement, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est une pièce maîtresse du dispositif ».

Pièce maîtresse, dispositif : vous voyez bien que ces gens sont des militaires en mission commando. Sachez qu’en conséquence, il n’y aura pas de prisonniers. Et la victoire sera donc complète, ou la déroute totale. Je constate, non sans un sourire en coin, que cette grande offensive industrialiste et dévastatrice est pour l’heure menée par des élus de gauche. La gauche, les amis ! La gauche ! Le progrès, il n’y a que cela de vrai.

PS : Quel est le moteur, à explosion bien sûr, d’un Ayrault ? Oui, quel peut bien être ce moteur-là ? À part le bien public, évidemment. Alors ? Hum, pour être sincère, je ne suis sûr de rien. Et si c’était seulement le plaisir si répandu de déposer sa crotte là où tout le monde pourra la voir ? Et si c’était seulement le bonheur de se dire : moi, moi, moi ? Mais j’oubliais le fabuleux destin de l’Ouest, où ai-je la tête ?

Obama sera-t-il celui qu’on croit (ou non) ?

Il faut toujours essayer – essayer au moins – de se mettre à la place des autres. Certains en sont rigoureusement incapables, mais est-ce une bonne raison pour renoncer ? L’agence de presse mondiale Reuters vient de réaliser un simple calcul basé sur les émissions de gaz à effet de serre de différents pays développés en 1990. On le sait – ou on ne le sait pas -, il est question de diminuer les émissions de 80 % d’ici 2050 dans les pays du Nord, par rapport à ce qu’elles étaient en 1990, considéré comme un point zéro.

Certains jugent que cet objectif n’est pas suffisant, et qu’il faudrait parvenir à 90 % de baisse si l’on veut obtenir un accord avec les pays du Sud, la Chine en tête, au cours de la grande conférence sur le climat qui doit se tenir en décembre à Copenhague. Alors, et cette comparaison Reuters ? Eh bien, je vous avoue sans fard qu’elle m’a fait toucher du doigt l’extrême difficulté de tout nouveau protocole climatique. Reuters s’appuie sur un paramètre qui n’est guère retenu dans les discussions sur le climat : la démographie (ici).

En 2050, si les courbes se maintiennent, les États-Unis compteront 60 % d’habitants en plus par rapport à 1990.  Soit environ 400 millions de citoyens. Dans le même temps, pour des raisons que je n’ai pas le temps de détailler, mais qui sont très éclairantes sur la marche du monde, la population russe chuterait d’environ 20 % Et c’est bien là que tout se complique épouvantablement. Brian O’Neill, chercheur au National Center for Atmospheric Research : « Certains pays pourraient bien dire : mais comment se fait-il que vos droits d’émission sont deux fois plus élevés que les nôtres dans un un monde où nous sommes censés partager équitablement le fardeau ? ».

O’Neill pense en priorité aux États-Unis, dont chaque habitant, en 2050, ne pourrait plus émettre, en cas de diminution de 80 %, que trois tonnes de gaz carbonique par an, contre…27 en 1990. Dans le même temps, les Russes auraient, eux, un « droit » d’émission individuelle de près de 6 tonnes. Le double ! Bien entendu, ces calculs et cris d’orfraie masquent mal l’essentiel. Et cet essentiel, au moment où j’écris ces mots, c’est que rien n’a réellement changé depuis le Sommet de la terre de Rio, en 1992. George Bush père avait déclaré pour l’occasion que le niveau de vie américain, basé sur l’extrême gaspillage des ressources naturelles, n’était en aucun cas négociable.

En ira-t-il autrement avec Obama ? Je n’ai pas la réponse, et je mise, malgré tout, et peut-être contre l’évidence, sur un sursaut. Obama tient la chance inouïe, qui ne se représentera certainement plus pendant son mandat, de défier l’ordre industriel surpuissant sur lequel reposent les états unis de l’Amérique. Il mériterait ainsi, et au-delà, son prix Nobel de la Paix. Mais quelque chose me dit que la tourmente autour de la réforme du système de santé, provoquée par une droite monstrueusement égoïste, n’est rien à côté de ce qui se prépare.

À Copenhague, dans quelques semaines, nous saurons bel et bien ce qu’il faut penser d’Obama. J’ai pris un peu d’avance sur le sujet, et sérieusement étrillé le président américain et ses naïfs adorateurs (ici). Seulement, je suis tout prêt à écrire que je me suis trompé sur son compte. Je suis tout prêt à me traiter d’idiot, et à reconnaître en lui le grand réformateur que le monde espère tant. On verra. Je verrai.

Le pic de Hubbert dès 2020 (quand le pétrole nous quitte)

Je vous présente rapidement le pic dit de Hubbert. À la fin des années 40 du siècle écoulé, Marion King Hubbert, géophysicien, émet une hypothèse sur la manière dont les matières premières sont exploitées par les sociétés humaines. Selon lui, cet usage peut se représenter sous la forme d’une cloche. Toute production monte jusqu’à un certain point, avant de redescendre fatalement lorsque plus de la moitié des réserves disponibles sur terre ont été utilisées.

En 1956, Hubbert fait une présentation publique de sa thèse devant l’American Petroleum Institute, appliquant son idée au pétrole-roi, sur lequel reposent nos sociétés industrielles. Hubbert prédit en cette année 1956 que le pic maximum de l’utilisation du pétrole aux États-Unis sera atteint en 1970. Après, pense-t-il, la production ne cessera de décliner, plus ou moins vite. Il a raison, le déclin commence en 1971.

Mais il y a bien des manières d’avoir raison tout en ayant tort. Car bien entendu, la parole du géophysicien, inaudible au beau milieu des Trente Glorieuses, est vite laissée de côté. Et l’on continue comme avant, sans se soucier le moins du monde du lendemain. Seuls quelques braves maintiennent, au fil des décennies, une réflexion sur ce que l’on appelle désormais le Peak Oil, le pic du pétrole. La question n’est plus : ce pic existe-t-il ? Non, la question est peu à peu devenue : quand se produira-t-il ?

Dans ce domaine stratégique, bien des estimations restent basées sur des chiffres fournis sans contrôle par les États producteurs. Je vous ennuierai en vous parlant de toutes les bizarreries comptables qui entourent la décisive question des réserves pétrolières mondiales. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Arabie Saoudite, assise sur une poudrière sociale, politique, ethnique même, peut-elle raisonnablement dire la vérité sur l’état de ses ressources, qui commande son statut géopolitique ?

Bref. Vous me comprenez. Sans jeu de mots, un baril de pétrole est aussi une bouteille à l’encre. Or un rapport (en anglais, hélas) vient de remettre les pendules à l’heure d’une façon pour le moins inquiétante. Publié par l’UKERC (United Kingdom Energy Research Centre), organisme britannique public autant que sérieux, il estime que le Peak Oil mondial pourrait être atteint avant 2020 (ici). Mieux, pire, il met en garde le gouvernement de Londres, totalement incapable, pour l’heure en tout cas, de seulement considérer le problème. Inutile, je crois, d’évoquer le degré de préparation de notre propre pouvoir politique.

Est-ce fou ? Oui, je le pense. Car 2020, c’est dans dix ans, et seuls des choix faits immédiatement auraient quelque chance d’avoir un effet à cette date. Rappelons que, pour l’heure, le pétrole représente le tiers de l’énergie consommée dans le monde. Bien entendu, même si ce rapport dit vrai, il restera du pétrole à extraire bien après 2020. Mais son coût de production, mais son prix à la consommation seront toujours plus volatils, avec une tendance certaine à l’augmentation, qui ne cessera plus jamais. Il est donc certain, je dis bien certain, que l’heure de l’énergie bon marché est derrière nous.

Cette situation nouvelle recèle bien des menaces. Parmi lesquelles le risque croissant d’exploiter certains des gigantesques gisements de sable bitumineux, qui contiennent assez de pétrole pour être rentables à partir d’un certain niveau de prix du pétrole lui-même. L’essentiel de ces sables se concentrent en Alberta (Canada) et au Venezuela. Outre la destruction directe des écosystèmes locaux, l’extraction de sables enverrait dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre, dont du méthane. Pour le climat, ce serait donc une (très) mauvaise nouvelle de plus.

On sait ce qu’il faudrait faire, dans les grandes lignes du moins. Investir tout de suite dans un habitat réduisant massivement les besoins de chauffage. Par exemple la maison passive. Rien à voir, on s’en doute, avec les pantomimes du Grenelle de l’Environnement. Je parle là d’une mobilisation nationale comparable aux temps extrêmes de la guerre, qui poserait au passage la question clé du rôle de l’automobile individuelle dans les sociétés de l’avenir.

Apercevez-vous quelque chose à l’horizon ? Notre Premier ministre en titre, amateur de conduite sportive, ne rêve que de courir les 24 Heures du Mans (vrai). Il ne faut pas espérer bien plus. Et notre président-bouffon ne songe qu’à placer son fils à la tête d’un établissement public gérant des centaines de millions d’euros et chargé de l’aménagement d’un immense quartier d’affaires. Un quartier où l’on construit, où l’on construira demain comme l’on faisait il y a vingt ans. C’est à pleurer.

À propos des nécrocarburants (une fois de plus)

Je pressens que vous ne lisez pas tous le quotidien économique Les Échos. Pardon aux fidèles lecteurs du titre, mais je vais faire comme si personne n’avait lu cela. Je résume pour ceux qui n’ont pas le temps. La France des lobbies – et croyez-moi, celui des biocarburants est sacrément puissant – a réussi à extorquer à l’État 100 millions d’euros pour des études sur les nécrocarburants de deuxième génération. Ceux qui existent, les seuls qui existent, dévastent les forêts tropicales, affament les peuples, aggravent la crise du climat. J’en ai fait un livre, La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard). Malgré le désastre global et planétaire en cours, les gros céréaliers français ont réussi à décrocher la timbale. Et nous paierons donc tous pour permettre à l’industrie de répondre aux critiques que les labos travaillent, sérieusement, sur une deuxième génération. Laquelle, par miracle, règlerait tous les problèmes.

Je n’ai ni le temps, ni le goût de détailler une fois de plus. Mais je vous glisse tout de même cette phrase impayable de Nathalie Kosciusko-Morizet au printemps 2008, alors qu’elle était secrétaire d’État à l’écologie : « Le problème [ des biocarburants de seconde génération ], c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ». Or donc, on entend faire passer l’horrible pilule des nécrocarburants actuels au nom de chimères qui ne verront peut-être jamais le jour. L’argent public ne coûte rien, saviez-vous ?

J’ajoute qu’un responsable national écologiste – que j’apprécie – m’a demandé aujourd’hui même ce que je pensais de l’article des Échos. Et du rôle attribué aux carburants végétaux dans cette crise alimentaire qui n’en finit pas. Ne disposant que de très peu de temps, je lui ai fait la réponse suivante :

XYZ,

Je ne vais pas être long, car aux dernières nouvelles, tout est abondamment contenu et référencé dans le livre que j’ai écrit sur le sujet.
On ne comprend rien, réellement rien, à la question des biocarburants si l’on oublie cette évidence qu’un puissant lobby industriel est à l’œuvre dans le monde entier, à l’appui d’une production en tous points désastreuse. Un, les biocarburants ont joué un rôle majeur dans l’explosion du prix des denrées alimentaires depuis deux ans. De très nombreuses études l’attestent. Je te glisse un échantillon rapide de citations des années 2007 et 2008.

*Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans. 2008

 *John Lipsky, numéro deux du Fond monétaire international (FMI) a estimé jeudi 8 mai 2008 que le développement des biocarburants serait responsable à 70% de la hausse récente des prix du maïs et 40% de celle des graines de soja.

* La FAO, à l’automne 2008 : «  Les consommateurs urbains pauvres et les acheteurs nets de denrées alimentaires dans les zones rurales sont tout particulièrement menacés. Une grande partie des pauvres de la planète dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour s’acheter de la nourriture.“Les décisions liées aux biocarburants devraient tenir compte de la situation de la sécurité alimentaire, mais aussi de la disponibilité de terres et d’eau”, selon M. Diouf. “Tous les efforts devraient être ciblés sur la conservation du but suprême consistant à libérer l’humanité du fléau de la faim”. »

 *Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en 2008 : « Les objectifs ambitieux en matière de production de biocarburants que se sont fixés les Etats-Unis et l’Union européenne sont irresponsables. La production de colza, l’huile de palme, qui détruit les forêts en Indonésie, l’utilisation d’un quart de la récolte de maïs aux Etats-Unis, c’est un scandale, qui sert uniquement les intérêts d’un petit lobby, avec l’argent du contribuable. J’appelle au gel de tout investissement dans ce secteur ».

 *Rapport de l’OCDE, septembre 2007 : « The current push to expand the use of biofuels is creating unsustainable tensions that will disrupt markets without generating significant environmental benefits »

*Stephen Corry, directeur de Survival, en 2008 : « Le boom du biocarburant n’a pas seulement de graves conséquences sur l’environnement, la hausse du prix des denrées alimentaires ou la survie des orang-outang – il a aussi un impact dévastateur sur les peuples indigènes. Les compagnies qui promeuvent cette industrie ont réellement la volonté de se débarrasser des peuples indigènes afin d’accaparer leurs terres ».

*Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre », a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine (2008).

Je te le répète, il ne s’agit que d’un maigre échantillon. J’aurais aisément pu montrer la même chose à propos des atteintes à la biodiversité par destruction de forêts tropicales ou de milieux aussi riches que le cerrado brésilien. J’aurais pu, de même, citer quantité de grands noms de la science – Paul Crutzen, prix Nobel de chimie – qui jugent le boom mondial en faveur des biocarburants responsable d’une hausse considérable des émissions de gaz à effet de serre. Notamment au travers du drainage des tourbières d’Asie.

Franchement, le dossier est clair, net et sans bavure. Il faut et il suffit de rassembler les informations disponibles. Pour ce qui concerne la France, le lobby est celui de l’agriculture industrielle et des grandes coopératives céréalières. Faut-il faire un dessin ? Quant aux biocarburants de seconde génération, ils servent essentiellement d’argument publicitaire en faveur de ceux réellement existants. Il s’agit essentiellement de propagande qui permet de faire passer le bilan dévastateur de ceux de première génération. En somme, demain, on rasera gratis.

Est-ce qu’il t’en faut davantage ? Bien à toi,
Fabrice

Quand Ségolène Royal se lançait à l’assaut du ciel (en 1993)

Une lectrice de ce rendez-vous, Chaperon Rouge, m’a envoyé il y a quelques jours des précisions sur l’un de ses commentaires. Et il m’a semblé que je devais partager avec vous ce qui est un moment rare de vérité en politique. Comme, en plus, c’est désopilant, vous pensez bien que j’étais comme obligé. Votre obligé.

Eh bien voici. En mai-juin 1993, le numéro 9 de la revue Pays de France, éditée par le magazine Grands Reportages, publiait un article au titre peu alléchant de Pollution atmosphérique et effet de serre. Une première indication : il y a plus de seize années, la question du dérèglement climatique était déjà posée par les responsables politiques eux-mêmes. En l’occurrence, une certaine…Ségolène Royal, qui fut, même si on l’a oublié, ministre de l’Environnement d’avril 1992 à mars 1993.

Que dit le papier ? Ceci : « Le dernier conseil des ministres du gouvernement Bérégovoy, le 23 mars dernier (1993 donc), a examiné une communication de Madame Ségolène Royal sur la lutte contre l’effet de serre. Le programme annoncé apparaît ambitieux : il s’agit à la fois de mettre en place une écotaxe sur le CO2 harmonisée au sein de l’OCDE, et d’engager un ensemble complet de mesures européennes et nationales. Celles-ci concernent notamment le développement du transport combiné rail-route, les économies d’énergie et les énergies renouvelables. L’objectif est la stabilisation, d’ici à l’an 2000, des émissions de gaz carbonique au niveau atteint en 1990. Une réduction de 60% est visée à terme […] ».

Relisez donc calmement avec moi, et rigolez un bon coup, ça ira mieux ensuite. Tout y est. La taxe, le ferroutage, les énergies renouvelables. Et tout a été enterré, oublié, ridiculisé par les équipes successives. Certes oui, l’opinion – nous tous – a été incapable de remettre ces questions au premier plan. Mais tout de même ! La gauche, après avoir piteusement perdu les élections législatives de 1993, a gagné celles de 1997, qui propulsèrent Jospin, l’ami alors intime de Claude Allègre, au pouvoir pour cinq ans. Et rien, bien entendu. Au total, vingt ans ont été gaspillés honteusement, sans que nul ne paie – pour l’heure – le prix de cet aveuglement suicidaire.

Un autre jour, je vous raconterai ma rencontre avec Ségolène Royal, en 1991, dans son bureau de députée des Deux-Sèvres. Je ne sais plus, à la réflexion, si je dois rire encore. Sans doute, puisqu’on ne nous laisse rien d’autre à faire. Puisque nous ne savons (encore) rien faire de mieux.