Tout ce que je vais écrire là est amical, soyez-en sûrs. J’ai eu des échanges privés avec Hacène – lecteur régulier – sur le sujet du climat, qui m’opposent frontalement à lui, et je ne le considère pourtant pas comme un homme infréquentable. J’en serais resté là sans certains commentaires de mon dernier papier sur Allègre, qui m’ont conduit à réagir. J’espère ne vexer personne, mais dans le cas contraire, je crains de n’y rien pouvoir.
Je dois ajouter que ce rendez-vous ne deviendra pas un club de discussion sur la crise climatique. Libre à chacun de penser ce qu’il veut, de douter, de faire les pieds au mur. Mais ce blog est celui de la crise écologique, et je refuserai obstinément que s’y insinuent des mises en question du vaste dérèglement en cours. Il est bien d’autres lieux pour cela. Croyance ? s’interroge un commentaire à propos du climat. Il existe aujourd’hui en France des scientifiques qui n’ont pas digéré Darwin et demeurent lamarckiens. Il existe hélas des flopées de vrais croyants qui pensent que le monde a 6 000 ans au plus. Sur cette terre, on trouve tout ce qu’on veut, même ce qu’on ne veut pas.
Je ne suis pas scientifique, mais je regarde cette question du climat depuis près de 20 ans, avec sérieux. 20 ans, je le confirme. Et j’ai tout de même eu le temps de lire quantité de choses sur le sujet. Bien sûr, cela ne prouve strictement rien. Mais que l’on me fasse au moins le crédit que je n’écris pas n’importe quoi. Ce qui me frappe le plus, dans cette affaire, c’est la rapidité avec laquelle un consensus mondial s’est formé. À ma connaissance, c’est une première. Des milliers de scientifiques de presque tous les pays du monde sont tombés d’accord pour estimer qu’on assistait à un réchauffement planétaire du climat, qui prend souvent la forme d’un grand désordre, et que les activités industrielles de l’homme en étaient (presque) certainement responsables.
À côté de cela, une poignée – à l’échelle concernée – d’autres scientifiques se montrent sceptiques sur tel ou tel point. Peut-être ont-ils raison ici ou là. Le dérèglement n’est pas une vérité révélée, mais un événement jamais encore observé par les hommes au long de leur histoire. Il va de soi qu’au cours des vingt années passées, d’innombrables sottises ont pu être proférées et même écrites par des sommités. Et ce n’est pas fini !
La recherche, sur un sujet aussi extraordinaire que complexe, mène fatalement à des approximations, des erreurs, des impasses. Et alors ? Toute l’histoire des sciences est faite de ces sinuosités. Faut-il la jeter aux chiens ? En face de ces innombrables recherches, personne, je dis bien personne n’a été capable d’expliquer la détérioration stupéfiante du climat mondial. Oui, la banquise arctique fond de manière accélérée. Oui, des lacs de plusieurs kilomètres de long se forment au-dessus des glaciers du Groenland. Oui, le permafrost commence, dans certaines zones, à relâcher des gaz à effet de serre qu’il contient par milliards de tonnes. Oui, les océans peinent à jouer correctement leur rôle habituel de « puits de carbone », etc. J’écris etc, car je suis fatigué, figurez-vous. Le fait est que le cycle du carbone est bouleversé. Et comme il s’agit d’un composant de base de la vie, nul doute que les conséquences seront aux dimensions.
Quelles conséquences ? Mais nul ne le sait, pour sûr ! Il y a en effet tant d’incertitudes que la palette des opinions – des opinions – sur l’avenir de l’humanité est très largement ouverte. Et c’est ce moment dramatique de notre histoire commune que choisissent certains pour contester notamment les travaux du Giec, seul instrument à notre disposition dans le temps qui sera utile. Le Giec, je le rappelle, est le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, mis en place en 1988. Je laisse de côté les négateurs purs et simples, dont j’ai dit tout le bien – voyez le cas Allègre – que j’en pensais ici. Mais bien d’autres, comme Hacène, perdent – à mes yeux en tout cas – un temps furieux sans avancer d’un millimètre.
Pour cause ! Il leur faudrait expliquer ce qui a fondé le consensus du Giec. Or, sauf à imaginer un délire conspirationniste, ces femmes et ces hommes qui travaillent pour nous n’ont pas signé un pacte avec le diable. Ils appartiennent à des centaines de labos différents, ne sont pas payés par les mêmes sources, souvent ne se connaissent même pas. Alors quoi ? Un complot ? De qui, pourquoi, comment ? Donnez au moins une réponse satisfaisante, nom de Dieu !
Tous ces scientifiques n’ont pas le cul vissé sur leurs chaises, à faire tourner des modèles mathématiques. Beaucoup sont sur le terrain, au plus près des phénomènes. J’ai signalé il y a des mois un livre que (presque) personne n’a lu. Le livre d’un grand journaliste scientifique, Fred Pearce (Points de rupture, Calmann-Lévy). Pearce n’est pas dans mon genre. Il ne s’enflamme pas. Et, sur le climat, il a longtemps été sceptique, contrairement à moi. Mais son livre est tout simplement remarquable. Je paie pour de vrai une bouteille de champagne à qui en fera une critique argumentée, d’un point de vue sceptique. Parce que, merde, il ne faut pas pousser.
L’un des personnages les plus souvent mis en avant par les négateurs du climat s’appelle Marcel Leroux, un climatologue français mort en 2008. Requiescat in pace. Certes. Mais enfin, lisons ensemble les inepties, dignes d’Allègre – les deux hommes s’appréciaient – que Leroux a déclarées en 2002 (ici) à un journal de la région lyonnaise. Lisons, s’il vous plaît (ici) :
Entreprises Rhône-Alpes : Le monde scientifique semble unanime sur le fait que la planète se réchauffe et sur les conséquences à venir : fonte des pôles, montée du niveau des océans…
Marcel Leroux : C’est un mensonge, un psittacisme (répétition mécanique de phrases entendues, sans que le sujet les comprenne), du “climatiquement correct”. Et même s’il arrivait, ce réchauffement serait plutôt un bienfait : il s’accompagnerait d’un plus grand confort de vie dans les régions froides, d’une diminution des budgets de chauffage, d’une plus grande clémence du temps et d’une extension des terres cultivables. Ainsi, dans les années 1930 à 1960, une élévation régionale de la température a permis aux forêts canadiennes et scandinaves de s’étendre vers le nord. Et au Sahel d’accroître la pluviométrie, permettant aux populations d’empiéter sur un Sahara devenu plus fertile (…) L’idée du réchauffement de la planète, elle, a été relancée après la grande sécheresse de 1988 aux Etats-Unis. Des lobbies (écologistes en particulier) en ont profité pour nous replonger dans la psychose climatique. De même, plus personne ne parle du trou dans l’ozone : on sait que c’était un mensonge. L’affaire avait été montée par DuPont de Nemours qui avait besoin d’accuser les CFC pour mieux vendre ses substituts. Tout cela me fait penser aux prédicateurs américains qui rendent l’Homme responsable de tous les maux de la Terre. Il y a dans ce mouvement une vraie dimension psychologique et sociologique. Mais aucune réalité scientifique.
Je ne commente pas. Je ne veux pas insulter des morts. Tel était Leroux. Des lobbies auraient relancé une psychose. Rien ne serait vrai dans cette crise. Pas même le trou dans la couche d’ozone, qui a pourtant doublé le nombre de cancers de la peau au Chili en dix ans (ici). Non, je me dois d’être honnête avec vous. Je considère la bagarre contre le dérèglement climatique comme l’engagement premier, essentiel, des écologistes. Et je ne suis pas là pour convaincre ou défaire les sceptiques. Il existe bien d’autres journaux, bien d’autres sites sur le Net, bien d’autres blogs aussi pour jouer le jeu de l’irresponsabilité. Ne comptez pas sur moi.