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Faire ce qu’on peut faire (sur ce foutu aéroport)

En décembre dernier, ici, j’ai parlé du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Avant de passer la parole à des opposants vivant sur place, et qui ont décidé de résister, je souhaite vous dire mon point de vue d’aujourd’hui. Une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut : je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s’affronteront deux visions du monde. D’un côté, ceux qui veulent continuer leur fuite en avant, nous traînant de force avec eux. Et de l’autre, les inconscients qui ont décidé de sortir des rangs, et d’emprunter quoi qu’il en coûte un autre chemin. Nous.

Je vous invite à regarder cette affaire avec les yeux du premier jour. Je vous invite à entrer dans la danse au plus vite, de la manière qui vous sera possible. Ce peut être un coup de fil, une visite, la participation aux premiers rendez-vous sur le terrain, le 1er mai, puis le 29 juin. Ce que vous voulez, mais faites-le ! Il faut selon moi transformer ce projet insupportable en un enjeu national et européen. Si nous gagnons, ce sera une date. Et si nous perdons, une autre.

Ultime précision. À ma connaissance, il existe plusieurs structures de résistance, et je vous renvoie à deux sites sur Internet : celui de l’Acipa et celui de Solidarités Écologie. Des associations comme Greenpeace Loire-Atlantique, la LPO, Bretagne Vivante (dont je suis membre), des syndicats comme la Confédération paysanne en sont.

Mais tout cela ne serait rien sans les habitants du lieu, qui se bougent. Et cela change tout. Ils sont décidés, déterminés, ils ont quelque chose à dire. Et nous devons les écouter. Ce qui suit est l’appel qu’ils lanceront le 1er mai, après un rassemblement organisé au lieu-dit Le Limimbout. Appelons cela, entre nous et pour rire, un scoop. Si vous avez le temps, faites partie de la fête. Et sinon, voici une adresse électronique : christiane.andre625@orange.fr. Et un téléphone : le 02 40 57 21 22. Un message de soutien serait déjà un geste. Tous ensemble ! Oui, tous ensemble !

L’aéroport de Nantes, c’est NON

Le monde s’enfonce dans une crise climatique angoissante, mais notre classe politique continue de parler une langue morte. Les gens qui défendent le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pensent l’avenir avec les mots d’un passé qui ne reviendra pas. Ils sont les héritiers de ceux qui attendaient l’armée allemande derrière la ligne Maginot, et qui se trouvèrent débordés en une nuit de mai 1940 par les blindés du général Guderian. Comme eux, ils se trompent d’époque.

Nous pourrions rire, si ce n’était aussi grave, du discours des promoteurs du nouvel aéroport. Comme la Toinette du Malade imaginaire, qui répond « le poumon » à toutes les questions posées sur la santé d’Argan, ils répètent, hébétés par eux-mêmes : la croissance, la croissance, la croissance.

Ils ne savent pas, parce qu’ils ne le sauront jamais, que notre planète atteint déjà ses limites physiques dans des domaines vitaux. Le transport en fait partie. Dans un monde fini, ceux qui poussent encore à la destruction des espaces et des espèces sont de redoutables aveugles.

La question de l’aéroport n’est pas de droite ou de gauche. Elle est une affaire humaine, et pour cette raison, nous nous en emparons. Ailleurs dans le monde, comme autour de l’aéroport londonien d’Heathrow, les mêmes que nous ont décidé d’agir : nous sommes l’espoir en mouvement, quand ils n’incarnent que le renoncement. Tous : le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault comme le Premier ministre actuel François Fillon.

Le pouvoir ne cesse de nous rabâcher que nous vivons bien au-dessus de nos moyens, que nous avons mangé notre pain blanc. Avoir un hôpital de proximité serait devenu un luxe intolérable : on en supprimera donc 250. Redon, Châteaubriant, Ancenis font partie de la liste ; mais un aéroport pour aller rejoindre les plages méditerranéennes, est une inéluctable nécessité, un intérêt public. L’économie marche sur la tête. Il est grand temps que les hommes reprennent en main leur destin.

Nous savons que ce combat, commencé il y a 35 ans, sera encore long et difficile. Et c’est pour cette raison que nous lançons ce 1er mai 2008 un appel à toute la France, à toute l’Europe. Il faut soutenir le mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec toutes les forces disponibles. Et par des moyens rarement utilisés à l’échelle que nous envisageons : l’occupation du territoire, la désobéissance civile, le refus complet et définitif.

Le compromis n’est pas possible, car ce combat qui continue, et qui concerne chacun, est entre une vie possible et un cauchemar certain. Nous vaincrons, non parce que nous sommes les plus forts, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution.

Les habitants qui résistent

Le retour du charbon, petit patapon(*)

Où ai-je la tête ? Je ne vous ai pas encore parlé de David Rosane. C’est un ami, et je dois avouer que j’ai pour lui beaucoup d’affection. Oh, je pourrais aisément chanter ses louanges et faire son panégyrique. Ce serait aisé, car cet homme a quantité de mérites. C’est un ornithologue de grande qualité. C’est un Américain qui déteste le monde selon Bush. C’est un écologiste sincère, profond, spirituel au sens élevé de ce mot. Et il a réussi le miracle de nouer des liens réels, bien que compliqués, avec un peuple indien du Venezuela, les Yekuana.

Je reparlerai de lui, mais sachez à l’avance qu’il compte dans ma vie. Davantage, je crois, qu’il ne l’imagine, car nos échanges sont – comment dire ? – un peu irréguliers. Je plaide coupable. Je suis un irrégulier.

Mais bon, ce n’est pas le sujet du jour. David vient de m’envoyer la copie d’un article du New York Times, grand quotidien s’il en est. Et si vous lisez l’anglais, le mieux, c’est de le lire par vous-même. Vous vous ferez votre idée. Et pour les autres, voici : le charbon revient en Europe. Oui, cette source d’énergie ancienne, terriblement émettrice de gaz à effet de serre, a de nouveau le vent en poupe.

Les faits : en Italie, la grande entreprise énergétique Enel va remplacer le fioul de ses centrales par du charbon. Massivement. En cinq ans. La moitié de l’électricité que produira alors Enel viendra du charbon. Et il s’agit d’un vaste mouvement de tout le continent, car une cinquantaine de centrales au charbon devraient être mises en chantier en Europe, toujours au cours des cinq prochaines années.

La révolte a commencé, mais pour l’heure, nul n’en parle. La protestation monte à Civitavecchia, en Italie, en Allemagne, en Tchéquie, dans le Kent anglais, où les travaux sont proches. Comme de bien entendu, les promoteurs de ces aberrations clament que ces centrales au charbon nouvelles ne pollueront pas, et conserveront soigneusement le gaz carbonique inévitablement produit. Les opposants emploient un mot qui s’imposera peut-être, qui sait ? Selon eux, selon moi également, une centrale au charbon « propre » est un oxymoron, une contradiction dans les termes. On peut aussi appeler cela une foutaise.

La coalition qui se forme en Europe contre cette nouvelle menace a déjà reçu le soutien de l’un des vrais grands connaisseurs de la crise climatique, l’Américain James E. Hansen, directeur de l’Institut Goddard. Au nom de la lutte cruciale contre le dérèglement climatique, il appelle à un moratoire mondial sur la construction des centrales au charbon et à un plan de sortie en vingt années pour celles qui sont en service.

Il existe de toute façon un point que les ennemis de la terre ne contestent pas : sans des investissements géants visant à mettre au point des technologies de capture et de séquestration du carbone émis par ces centrales, la catastrophe sera certaine. On parle là de milliards, de dizaines de milliards de dollars, sans aucune garantie de succès. Car nul ne sait en réalité si cela peut marcher. Et pour l’heure, le brouillard est à couper au couteau. Qui paierait ces sommes folles ? Qui serait en mesure de coordonner les efforts à l’échelle d’un continent ?

Comme à l’habitude dans ce système aveugle qui dirige désormais nos destinées, on nous demande de croire ceux qui se sont trompés mille fois. Il faudrait suivre, et se taire. Ces gens nous prennent pour de la chair à canon. Ou à charbon. Comme si nous étions des fantassins de Napoléon, poussés en avant par la folie d’un projet inhumain. La seule question qui vaille encore, vous la connaissez aussi bien que moi : allons-nous marcher encore ?

PS*: patapon est une onomatopée qui veut dire en général « tout doucement ».

Vrai coup de blues

Cela va passer, du moins je l’espère. Mais la vérité est que j’ai le blues. La faute à deux points douloureux, parmi des centaines d’autres. Le premier concerne un livre, Points de rupture, du journaliste britannique Fred Pearce (Calmann-Lévy). Je ne sais aucun livre plus essentiel que celui-là. Pearce est un homme solide, et sérieux hélas, que je suis à la trace depuis une bonne quinzaine d’années. Dans son nouvel ouvrage, il rapporte scrupuleusement ce qu’on sait aujourd’hui, en mars 2008, du dérèglement climatique en cours.

Eh bien, c’est insupportable. Car le coup est parti, comme je le sais depuis des lustres. Simplement, je parvenais à garder cette conscience-là en lisière. Tel n’est plus le cas ces jours-ci. Et le silence de la presse française sur ce travail essentiel, comment le qualifier ? Et le silence des ONG – de Hulot à Greenpeace -, comment l’accepter ? Si Pearce dit vrai, et il dit vrai, nous devrions cesser à l’instant d’être qui nous étions. Nous devrions tout (ré)inventer. Mais est-ce concevable ? Je ne le crois pas.

Autre sujet : le déferlement du bioéthanol aux États-Unis. La ruée vers le maïs destiné aux biocarburants provoque fort justement une nouvelle révolution des sols et des eaux du pays. Une équipe scientifique vient de publier une étude qui fait froid dans le dos (www.tv5.org). En extrême résumé, le surcroît de pollution qui sera charrié par le Mississipi a toutes chances de provoquer une catastrophe écologique majeure dans le golfe du Mexique, zone déjà meurtrie par les rejets industriels et agricoles.

Si vous avez envie de m’envoyer un quelconque message de réconfort, sachez que je suis preneur. Car pour l’instant, oui, franchement, le blues recouvre tout. Excusez.

Mais où est donc passé le froid ?

Je ne sais plus l’hiver qui brûlait les lèvres et les doigts. Oh, je l’ai très bien connu. Je me souviens par exemple des tranchées ouvertes dans le bitume de mon enfance. Pour réparer l’eau ou installer le gaz, je ne sais plus. Certaines nuits, la neige en recouvrait le fond, sur 20 centimètres, et avec les Mechiche, mes voisins, nous sautions dedans comme sur un long serpent de ouate. Et la bagarre commençait, amortie, assourdie, comme amusée. Et ce n’était pas au Kamchatka, mais à Villemomble, à dix kilomètres de Paris.

Plus tard, j’ai vécu à Montréal, où la vie se rencognait dès octobre dans les maisons surchauffées. Les entrées étaient des boutiques, d’authentiques débarras où les humains tombaient la pelisse. Et le reste. Je n’ai jamais, je crois, autant aimé cette relation tendue entre le dedans et le dehors.

Dans une autre vie, j’ai connu l’ivresse complète des traîneaux à chiens, dans le grand nord canadien. Il y faisait moins 35 degrés, et le monde entier était devenu désert et blanc. On ne voyait jamais que des traces sur la neige, de loin en loin, qui rappelaient que des êtres habitaient le pays. Des animaux. Sauvages. Mais qui ? Mais où ? On ne voyait que l’air.

Il y a quelques années, j’ai vu de près l’hiver, dans le Jura. Quand on veut éprouver la crainte de geler sur pied, c’est là qu’il faut aller. Je me rappelle la tourbière du Creux du Croue, et le son des raquettes sur la neige glacée. Et les chamois du crêt des Danses, qui sortaient un à un du brouillard givré. J’étais seul, comme à mon habitude, heureux bien sûr, à ma place. Mais quelle température !

Je ne devrais pas vous embêter avec ces fadaises, mais ce mardi 29 janvier, alors que je vous écris de la banlieue parisienne, je me sens pris d’une folle nostalgie. Chaque matin, j’entends à la radio des innocents qui vantent la douceur du temps. Comme ils ne savent plus quoi dire, ils inventent et empilent absurdité sur absurdité. Je ne suis pas seulement inquiet d’être le contemporain d’un tel changement, qui en annonce tant d’autres. Je suis aussi follement triste de ne plus être saisi. De ne plus être arrêté net. De ne plus devoir regretter, jusqu’à rebrousser chemin, cette paire de gants salvatrice oubliée chez un ami.

J’ai tant aimé le froid et l’hiver. Tant !

L’écologie, cet autre moyen de faire la guerre

Aujourd’hui est un peu particulier, car je me réveille, et il est 16h20. J’ai la grippe, pas de doute. Et elle est carabinée. Vous comprendrez que je ne m’attarde pas. Joelle Levert, vice-présidente d’Action Nature, m’a envoyé il y a quelques jours un excellent article de l’excellent hebdo britannique New Scientist (http://environment.newscientist.com). Joelle, je ne pourrai jamais rembourser toutes les dettes que j’accumule, comment vais-je faire ?

L’article s’appuie sur une étude ( Proceedings of the National Academy of Sciences DOI: 10.1073/pnas.0707304104), que je n’ai pas lue, je le précise. Mais par chance, on peut encore s’appuyer sur quelques journaux solides autant que sérieux. The New Scientist en fait partie. La journaliste Catherine Brahic résume la publication scientifique en insistant sur les liens avérés, au cours des 500 dernières années, entre conflit et fluctuation climatique. Les dérèglements du climat conduisent inexorablement à la chute des récoltes, ce qui mène à l’augmentation des prix alimentaires, à la faim, et aux tensions sociales. Sur le long terme, il ne fait guère de doute que le réchauffement global jouera toujours plus sur la sécurité alimentaire. Comme le refroidissement du petit Âge glaciaire l’avait fait entre 1450 et 1800.

Autre point évoqué par Brahic, mais qui ne figure pas dans l’étude : le Darfour. Combien de discours et d’envolées ? Combien de postures et de positionnements outragés ? Ban Ki- Moon, secrétaire général de l’ONU, a écrit en juin, dans The Washington Post un article inspiré (http://www.washingtonpost.com). Selon lui, cet épouvantable conflit a enflé en partie à cause de la désertification, de la dégradation écologique générale des prairies et pâturages, et de la raréfaction de l’eau.

Vous voyez où je veux en venir ? Pas forcément. À BHL, à Kouchner, à tous ces braves seigneurs des médias qui n’ont jamais fait l’effort de se pencher sur la crise écologique globale. Pour eux tous, le Darfour appartient au champ nébuleux des « droits de l’homme ». Et ceux qui veulent regarder au-delà sont complices d’un génocide. Eh bien non ! Je vous livre ma pensée, et vous en faites ce que vous voulez : seul le point de vue écologiste sur le monde permettra de faire face aux crises humanitaires géantes qui pointent. Sur ce, je vais dormir.