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Je me répète : tous sur le pont contre l’aéroport

Amis, lecteurs, simples curieux, je vous rappelle que samedi 8 octobre, des dizaines de milliers de braves se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, pour un énième rassemblement contre le projet d’aéroport. Je gage que celui-ci aura une importance considérable.

Moi, je suis heureux d’avoir évoqué cette abominable affaire il y a bientôt…neuf ans. Ici même. Oui, alors que je commençais Planète sans visa, et que personne en France ne s’intéressait encore au sujet, j’ai publié un article dont je dois dire que je n’ai rien à retrancher. Je crois que j’avais vu clair. Voici la reproduction exacte.


Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’œuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule;

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

Publié dans Développement

Merci Linky (par Frédéric Wolff)

(Je publie ci-dessous un nouvel article de Frédéric Wolff. Je précise que Frédéric est un vieux lecteur de Planète sans visa, mais que je ne l’ai jamais rencontré. Comment en est-on arrivé à ce point, où je passe des points de vue qu’il m’adresse ? J’avoue ne pas même m’en souvenir. En tout cas, je m’en félicite)

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La fronde contre les compteurs communicants gagne du terrain. Des communes – 91 à ce jour – s’opposent à ces mouchards toxiques, des collectifs s’organisent, des individus cadenassent leurs bons vieux compteurs… Manifestement, le courant a du mal à passer.

Vendredi dernier, une réunion publique a rassemblé près de 400 personnes dans un village du nord-Bretagne. Du jamais vu, de mémoire d’autochtone. La salle était comble, les prises de parole se sont succédé pour dénoncer avec véhémence l’assujettissement technologique et les méthodes des installateurs – c’est à croire que les maîtres et leurs valets font tout pour nous pousser à les rejeter. Une jeune femme électro-hypersensible a témoigné de sa vie en errance dans un monde où elle n’a plus sa place. Prochaine réunion mardi, en plus petit comité, pour réfléchir à la suite.

Des fils seraient-ils en train de se nouer entre individus et collectifs issus d’horizons différents ? Nos modes de vie et nos prothèses sans fil vont-ils être mis en question ?  Des liens vont-ils se faire, dans les consciences, entre la planète intelligente et la surveillance, la contrainte, la déshumanisation électroniques ? Bref, Linky serait-il l’un des liens manquants pour penser, se rassembler et, pourquoi pas, s’affranchir de l’emprise des machines ? Dira-t-on bientôt : Merci Linky ?

En attendant l’arrivée de ces compteurs sur ma commune – dont j’interpelle depuis des mois les élus sans succès jusqu’ici –, j’ai préparé ma lettre de refus. La voici. Refuser… Soyons nombreux à faire nôtre ce verbe et à lui adjoindre le maximum de métastases industrielles de notre choix !

Cher Messieurs Linky et consorts,

Vous m’informez de votre venue chez moi pour m’installer un compteur communicant et, mieux encore, intelligent, d’après vos déclarations. C’est très aimable à vous, de penser à mon bien-être sans aucun frais, mais malheureusement, je ne vais pas pouvoir donner suite à votre proposition, en raison de tout l’intérêt qu’elle ne présente pas.

Pourquoi cela ? Tout simplement parce que j’ai déjà ce qu’il faut.

– Question conteur, mon ami Roland, entre autres, me donne toute satisfaction, et tous les deux, nous communiquons admirablement bien, nous n’avons pas besoin de machine pour cela. Quand il passe me voir, il a toujours une histoire à me raconter et, sans vouloir désobliger, je doute qu’un compteur, aussi communicant soit-il, me parle et m’écoute avec autant d’humanité sensible. C’est une question de bonne connexion avec ses semblables, une manière d’être sur la même longueur d’ondes, autrement dit.

– A propos des ondes justement, je dispose déjà d’une collection assez complète à domicile, et ce, 24 heures sur 24 : la wifi de mes charmants voisins qui aiment beaucoup partager apparemment, les antennes tout près de chez moi et, où que j’aille, la camelote des shootés du selfie, du twitt et du trip d’être “joint” à toute heure et en tous lieux.

Vous me proposez gentiment d’en rajouter une couche, vous m’assurez de l’absence de risque, sans assurance couvrant quoi que ce soit, curieusement… Bref, vous me demandez de vous croire sur parole, vous qui êtes juge et partie. Vous me permettrez d’être libre de mes croyances et de ne pas m’en laisser conter en ce domaine, quelle que puisse être l’intelligence de vos compteurs.

Et voyez-vous, ce que je crois, c’est avant tout ce que je vois : des alertes par milliers, venant de scientifiques, de médecins, de l’Europe, de l’OMS, à propos des dangers de toutes ces ondes nocives. Je vois des sœurs et des frères humains qui doivent quitter tout ce qui donne de la valeur à leur vie : leur maison, leurs amitiés, leur famille, leur travail, la joie simple d’être vivant. Ils le quittent, non par masochisme ou par phobie, mais parce que ces ondes sont devenues une torture pour leur corps et pour leur cerveau. Ce que je vois, ce sont des êtres qui n’ont plus ni refuge, ni lieu où vivre sans douleurs, parce que vous et vos gadgets détruisez ce qui reste de monde habitable.

Alors vraiment, merci, mais je préfère ne pas devenir Alzheimer, même pour mon bien. Désolé, mais finalement, non, je ne vais pas profiter de vos offres de maladies gratuites, j’ai d’autres projets dans ma vie. Je vais peut-être vous paraître rétrograde, mais j’aime autant éviter un cancer, même intelligent.

– Pour l’intelligence, j’essaie de faire avec celle dont je dispose et dont je n’ai exploré qu’une parcelle infime. Je n’ai nullement besoin d’une machine qui pense à ma place, je sais encore lire l’index de mon compteur situé dans mon garage. J’ai juste le désir d’avancer dans ma conscience du monde et de la vie, avec d’autres cœurs intelligents, et je doute fort que votre intelligence électronique soit celle de l’âme de notre humanité.

– Ce qui reste d’humanité, précisément, vous le remplacez par des puces, en laissant derrière vous des êtres désœuvrés, seuls avec leurs écrans et, quand ils ne peuvent plus supporter leurs ondes toxiques, seuls avec leurs souffrances.

Personnellement, je n’ai aucune envie d’être pucé, fiché et fliqué, que ce soit par un compteur, un téléphone, des objets connectés ou des machines qui parlent à des machines. Je n’aspire pas à brader ma vie privée à des fins commerciales ou policières, au profit d’escrocs ayant ou n’ayant pas pignon sur rue.

– Vous me certifiez que ces nouveaux compteurs épargneront mes économies et la planète par-dessus le marché. J’ai dû me pincer plusieurs fois car, pour tout vous dire, je ne vous savais pas philanthropes à vos heures.

Enfin, quand même… Vous et votre énergie de destruction massive, vous et vos EPR ruineux et dangereux, vous et vos pertes financières, vos centrales hors d’usage et vos déchets radioactifs dont vous ne savez que faire… Et vous vous voudriez être acclamés comme sauveurs de la planète et de nos petites économies ? Permettez-moi juste d’exprimer ma perplexité, pour ne pas dire mon impression d’être pris pour un débile profond qui a décidément besoin d’être assisté de prothèses intelligentes pour comprendre le monde un tant soit peu.

D’ailleurs, je ne suis pas sûr de tout saisir. Un exemple ? En quoi gaspiller des dizaines de millions de compteurs qui fonctionnent parfaitement est-il écologique ? Je pensais naïvement que nous avions à combattre l’obsolescence programmée, mais sans doute, cette résolution est-elle obsolète à son tour, grâce aux dogmatiques de la croissance verte dont vous êtes ?

Un autre exemple ? Vous expliquez doctement que ces compteurs permettront d’avoir enfin des factures précises, non basées sur des estimations, en feignant d’ignorer que, depuis des années, il est possible de communiquer par téléphone l’index de sa consommation réelle.

Quant à vos exhortations sempiternelles à nous connecter à vos pages d’accueil et à vos tableaux de bord, via des smartphones, des ordinateurs et des tablettes, en quoi cela est-il vertueux, quand on sait ce que ces technologies dilapident de ressources rares et d’énergie ? Vous qui avez incité au chauffage nucléaire dans des logements passoires, vous voilà aujourd’hui adeptes de l’hyper-connexion polluante et prédatrice. Franchement, je m’incline.

En matière de cynisme, vous rayonnez au-delà de toute limite. Ainsi, commercialiser des produits et des services liés à ces compteurs – comme des alarmes contre le vol, après avoir rendu nos données privées piratables par des cambrioleurs, notamment !  – vous appelez ça comment ? Une source d’économie ? Une arnaque au carré ? Avec vous, on n’est jamais déçu. Tant qu’à faire dans l’indécence, autant mettre le paquet en se payant une vertu et nos têtes de nœud par la même occasion.

Cerise sur le gâteau, votre courant, qu’on dit porteur en ligne (CPL), peut provoquer des incendies et endommager les appareils électriques. Comme vous dégagez toute responsabilité, comme les assurances ont exclu de leurs garanties les dommages causés par vos ondes, la facture sera payée par qui ? Par les victimes de ces sinistres ! Chapeau bas. Le doute n’est plus permis : vous êtes hors concours.

Sachez quand même que je ne vous ai pas attendu – et je suis loin d’être le seul –  pour me passer de votre énergie délétère et pour aller vers la sobriété et, même si le mot vous déplaît, vers la décroissance.

Bref, vous l’aurez compris, votre compteur, fût-il intelligent, communicant – ou bienveillant pendant que vous y êtes –, je n’en veux pas. Ne comptez pas sur moi pour faire partie des pigeons que l’on plume et qui finissent cobayes dans les micro-ondes de votre monde-laboratoire.

Je préfère des humains qui comptent pour moi, des êtres de chair et d’âme à qui parler de vive voix, avec qui vivre en bonne intelligence et, si le cœur nous en dit, pourquoi pas, avec qui conter fleurette, un dimanche de soleil, dans les bonnes ondes du printemps.

Inutile de me proposer un moratoire ou je ne sais quelle autre supercherie dilatoire. Vous êtes nuisibles sur tous les plans et vous le resterez, moratoire ou pas.

Sans façon, merci de ne pas me refourguer vos mesures d’exposition en millivolt par mètre, fussent-elles scientifiques et indépendantes. Parce qu’enfin, à partir de quel seuil d’irradiation risque-t-on pour sa santé, en fonction de son âge, de ses antécédents et de sa vulnérabilité ? Quels effets cocktails convient-il d’éviter entre les différentes fréquences de Méga-hertz et les millions de molécules chimiques dont nous abreuvent les industriels depuis le jour de notre conception ? Combien faudra-t-il torturer de cobayes de laboratoire pour savoir ce que nous savons déjà : ces technologies sont incompatibles avec la vie. La société de surveillance et de contrainte deviendra-t-elle subitement acceptable parce que nous aurons câblé les circuits électriques de nos habitations ? La dévastation du monde sensible et naturel sera-t-elle recevable parce que vos appareils de mesure n’afficheront aucune valeur critique sur leurs écrans ?

Monsieur “Linky”, Monsieur “Smartphone”, Monsieur “Wifi”, Monsieur “Tablette”, Monsieur “GPS”, Monsieur “RFID”, Monsieur “Restez connecté”, je ne vous salue pas.

Connecté, je le suis, mais pas à vous. Je le suis à la vie, enfin j’essaie, malgré les efforts que vous déployez pour nous éloigner d’elle, vous et vos collègues de l’empoisonnement chimique. Ce que vous incarnez, tous autant que vous êtes, c’est le contraire de la vie et de la liberté. Et j’espère – oh, si peu, mais quand même –, j’ose espérer que l’opposition à Linky fera boule de neige dans les consciences et dans les vies de quelques-uns, de quelques-unes qui le refusent. Verra-t-on un jour émerger des slogans qui diront : « Linky, smartphone, wifi, tablette, gadgets connectés, mêmes nuisances, mêmes refus » ?

Monsieur “Linky”, Messieurs qu’on nomme “intelligents”, je vous prie de ne pas franchir les portes de ma maison et de ne pas croire à ma considération distinguée.

Frédéric Wolff

Stéphane Le Foll et l’éternelle vérole des pesticides

Il y a neuf ans ces jours-ci, j’ai publié un livre avec mon ami François Veillerette (Pesticides, révélations sur un scandale français, chez Fayard). Il s’est étonnamment bien vendu, bien que je ne dispose d’aucun chiffre précis, arrêté. Entre 30 000 et 40 000 exemplaires, je crois. François comme moi sommes fiers de ce livre, qui nous a coûté pas mal de sueur. Je me souviens fort bien de notre rencontre avec celui qui allait devenir notre éditeur, Henri Trubert. Nous étions réunis un soir – d’hiver, me semble-t-il – dans son bureau : François bien sûr, Henri bien sûr, moi bien sûr, et Thierry Jaccaud, le rédacteur-en-chef de L’Écologiste, qui nous introduisait chez Fayard.

Je ne connaissais pas Henri, mais je lui ai parlé franchement. Faire un livre sur les pesticides ne nous convenait pas. Nous voulions le clash, l’accusation flamberge au vent, et même courir le risque d’un ou plusieurs procès. S’il ne sentait pas le projet – et ses risques -, eh bien, il n’avait qu’à le dire à ce stade, car notre détermination était totale. Il s’agissait pour nous de décrire un système en partie criminel. Nous citerions des noms, nous ne nous jouerions pas les gens bien élevés, car bien élevé, je ne l’étais pas. Je dis je, car je ne peux parler ici que de moi. Je ne suis réellement pas bien élevé.

En mars 2007, donc, le livre est sorti et il a fait du bruit et il a fait du bien. Encore aujourd’hui, je pense qu’il a marqué un territoire. Je doute qu’on puisse redescendre en-dessous et oublier, fût-ce une seconde, que les pesticides sont d’incroyables poisons chimiques de synthèse, imposés par des pouvoirs politiques aux ordres, faibles et stupides, inconscients. Et achetés ? Dans certains cas, j’en suis convaincu, bien que ne disposant pas des preuves qui valent devant un tribunal.

Six mois après la parution, le granguignolesque Grenelle de l’Environnement, décrété par un Sarkozy aussi manipulateur et limité qu’il a toujours été. J’ai fait la critique radicale de ce vilain show ici même, en temps réel – ce que je préfère, et de loin – et notamment parce qu’il a été le théâtre d’une farce atroce (ici). Les ONG présentes dans une commission s’étaient hâtées de triompher, car Borloo  venait d’annoncer la diminution de l’usage des pesticides de 50 % en dix ans. Avant que Sarkozy, dûment rappelé à l’ordre par la FNSEA, ne donne la bonne version de l’annonce : on diminuerait la consommation des pesticides de 50 % en dix ans, oui. Mais à la condition que cela soit possible. Et, ainsi qu’on a vu, cela n’a pas été possible.

J’ai critiqué à l’époque François Veillerette et son Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), devenu Générations Futures. Je précise qu’il reste un ami cher, ainsi que Nadine Lauverjat, qui le seconde, et que j’embrasse au passage. Seulement, quelque chose ne tourne pas rond. La bagarre contre les pesticides, en France, passe par Générations Futures (ici), et elle est sur le point de devenir ridicule. Pourquoi ? Mais parce que la France s’est dotée en 2009 d’un plan Écophyto1, armé d’un budget de 40 millions d’euros par an. Il s’agissait comme à vu, à la suite du Grenelle, de diminuer de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2018. Sans préciser d’ailleurs, preuve de la malhonnêteté intrinsèque du projet, s’il s’agissait d’un tonnage général, du poids de matière active, des pesticides jugés les plus inquiétants, etc.

Or donc, un flou dissimulant une embrouille. Les pesticides ne se sont jamais aussi bien portés chez nous. En 2013, augmentation de 9,2%. En 2014, de 9,4%. En 2015, on ne sait pas. Dans un monde un peu mieux fait, où l’on tiendrait l’argent public pour la prunelle de nos yeux à tous, les guignolos à la manœuvre auraient été chassés -restons poli – à coups de balai. Mais dans celui-ci, Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, a été autorisé à lancer le plan Écophyto2, avec 71 millions d’euros à claquer chaque année. Avec les mêmes acteurs, voyez-vous : les chambres d’agriculture, la FNSEA. La FNSEA ! Ces gens ne manquent pas d’un humour singulier, car qui est le patron de la FNSEA ? Xavier Beulin, gros céréalier de la Beauce, mais aussi P-DG de la holding agro-industrielle Avril (ils avaient honte de leur nom précédent, Sofiprotéol). Chiffre d’affaires d’Avril en 2014 : 6,5 milliards d’euros, dont une partie sous la forme de vente de …pesticides. Ah, ah, ah !

Le Foll. Si j’écrivais ce que je pense de cet homme, je passerais devant un tribunal, et j’y serais condamné. Ce serait justice, car on ne doit pas injurier quelqu’un, du moins publiquement. Que dire ? Cette créature de Hollande – il a été son factotum pendant onze années, quand notre bon président était Premier secrétaire du PS et en tirait les innombrables ficelles – est devenu salarié permanent du Parti socialiste dès 1991. Sans Hollande, il le serait resté. Avec lui, le voilà devenu ministre et porte-parole. On le voit à la télé. J’espère que cela lui plaît. Dans quatorze petits mois, tout sera en effet terminé.

Qui se souviendra de lui ? Moi. Le monsieur se donne des airs, et promeut en vaines paroles l’agro-écologie quand dans le même temps et par ses actes, il défend la Ferme des 1000 vaches et les pesticides. Les pesticides ? Eh oui ! Comme il a dealé – notez que le résultat politicien n’est pas fameux – avec la FNSEA de Beulin, il n’a plus rien à refuser à l’agro-industrie. Et d’ailleurs, il n’a pas hésité à envoyer une lettre aux députés. Lesquels discutaient ces jours-ci d’une éventuelle interdiction des pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles dans le cadre de la Loi Biodiversité. Dans cette lettre – quelle fourberie, quand même ! – il demandait aux élus de ne surtout pas voter cette interdiction. Laquelle a finalement été obtenue de justesse, avec prise d’effet en 2018.

Voilà en tout cas la situation, et elle est insupportable. Le Foll est un pur et simple bureaucrate du PS, qui fait où on lui dit de faire. Mais le charmant garçon, comme tant d’autres aussi valeureux que lui, aimerait en plus qu’on l’aime. Eh bien, pas ici. Ni aujourd’hui ni jamais. Comme on disait et comme on ne dit plus : il a choisi son camp. Et c’est celui des salopards. Dernière interrogation : l’association Générations Futures ne gagnerait-elle pas à se poser de nouvelles questions ? Quand un combat si ardent échoue d’une manière aussi totale, je crois que le moment est venu de la remise en cause. Comment faire reculer vraiment le poison des pesticides ? Comment ne pas demeurer l’alibi d’un système prompt à tout digérer au profit de son équilibre final ? Oui, que faire ?

Frédéric Wolff n’aime pas non plus les aéroports

 

On le croyait différé sine die, emporté par le flot – devenu le flop – de la COP21… Il n’était qu’en dormance. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes fait un retour de haut vol dans l’actualité. Ses bons soldats changent d’armes et de visages. La nouvelle pilule à gogos ? Le référendum !
Quelle sera la question ? Voulez-vous des « djizhadistes » qui sèment la terreur près de chez vous ? Tenez-vous vraiment à l’enclavement du Grand Ouest et à son effondrement économique ? Souhaitez-vous revenir au temps des flèches, des arcs et des cabanes ? Etes-vous pour le réchauffement climatique ? Pour le saccage des zones humides ? Pour la qualité de l’eau ? Pour la mise en pièces de la biodiversité ? Pour le bétonnage des terres agricoles ? Pour la pollution de l’air ?
Qui sera consulté ? Les habitants des communes limitrophes ? Du département ? De la région ? De la nation ? Du monde ?
Quels seront les arguments des casseurs de bocage ? J’imagine…

Cher peuple,
L’heure est grave. La France manque cruellement d’aéroports : 475. Une misère. Seulement 3 fois plus que le Royaume-Uni, 6 fois plus que l’Italie et 12 fois plus que l’Allemagne. Quant à la planète, elle commence à être en manque de CO2. Et quoi ? Des zadistes voudraient s’opposer au réchauffement climatique, alors que des sans-abris meurent tous les ans à cause du froid ? Ils prétendraient protéger un bocage qui nuit gravement à la laideur des paysages ? Ils contesteraient le carnage des terres agricoles, à l’heure où le bêton est gravement menacé de disparaître de nos contrées ? Ils appelleraient à une utilisation économe des deniers publics, alors que notre pays est paralysé par les excédents budgétaires… Ces individus sont irresponsables.
Croyez-nous sur parole : cet aéroport sera une avancée majeure pour la grande cause de l’écologie si chère à notre cœur. Il sera labellisé Haute Qualité Environnementale, il proposera des paniers bios du terroir et des galeries marchandes éclairées par des panneaux photovoltaïques…

Bref, au stade où nous en sommes, nous pouvons tout imaginer.
Après avoir envoyé l’armée pour déloger les défenseurs de la terre et des espèces protégées, après avoir manipulé les chiffres, après avoir créé une commission du dialogue à coups de grenades, les saboteurs de zones humides ont trouvé une arme plus présentable et plus redoutable encore, à quelques mois des élections présidentielles : la consultation populaire.
« Ce coup de poignard dans le dos des opposants à l’aéroport » valait bien trois cadeaux offerts à des ténors ou des anciens d’EELV. Une place dans un gouvernement qui œuvre tant pour l’écologie, ça ne se refuse pas. Trois petits tours et puis s’en vont les misérables convictions ; trois promotions et garde-à-vous, génuflexions, le petit doigt sur la couture du pantalon. Petites carrières, petites personnes et grands désastres.
On nous avait servi l’argument légaliste : l’attente des procédures judiciaires en cours et, pour les pires, comme de Rugy, – « le cocu magnifique » (sic) – le vomissement des zadistes. Voici venu le temps des manœuvres électoralistes, en toute innocence, n’est-ce pas. Qu’un sondage secret, réalisé en novembre dernier, révèle que 59% des personnes interrogées seraient favorables à l’aéroport, n’est que pure coïncidence.
Coup de grâce, coup de maître ? Sacrée trouvaille, en vérité, et avec la caution du parti écologiste autoproclamé. Chapeau l’artiste. Il n’y a pas que les aéroports qui soient nuisibles. Ça, nous le savions. Une nouvelle fois, nous en avons la confirmation magistrale.

Vous allez voir, la suite. Vous allez l’entendre, le chœur des bien-pensants : Mais enfin, comment peut-on être contre la voix du peuple ? Comment est-il possible de réfuter la démocratie ? Nous y voilà. Deux mots à ce propos. De quoi parlons-nous précisément ? De démocratie ou de manipulation grossière ? Et quand bien même. Le suffrage des masses peut-il tout justifier ? Si le oui devait l’emporter en faveur d’un projet nuisible, celui-ci deviendrait-il vertueux par la grâce de la majorité ? Y-a-t-il, oui ou non, des limites à poser à nos actes ?
C’est à cette question que nous confronte l’écologie, à titre individuel et collectif. Cette question, trop souvent, nous la fuyons, aussi bien dans nos vies que dans nos sociétés. Nous préférons les droits aux devoirs, le présent au futur, la technique à la sagesse, la démesure à la sobriété. Les démagogues le savent bien et ce n’est pas pour rien que le dogme de la croissance est à ce point enraciné.
Cette logique est suicidaire, pire que ça : criminelle. Penser les conséquences de ses actes, vivre en conscience, c’est aussi de cela qu’il est question, à Notre-Dame-des-Landes. C’est en cela que ce combat est crucial, universel.
Car ce n’est pas seulement le bocage nantais qui est à défendre. Ce ne sont pas que des cabanes, des maisons et des habitats naturels qui risquent d’être anéantis. C’est notre maison commune. Ce sont des expériences d’autonomie, des tentatives de vivre en harmonie avec le monde vivant. C’est un avenir possible pour notre humanité enfin réconciliée avec les sources de la vie et de la joie, avec ses propres limites.
Mais ça, ils n’en veulent pas, les psychopathes de la croissance. Ce qu’ils honorent ? La mise sous tutelle, les existences low-cost qui tiennent à coups d’antalgiques de l’âme, les parkings, les rocades, l’agitation permanente, tout ce qui fait écran avec le monde sensible. Aux nuages d’oiseaux, ils préfèrent les vapeurs de kérosène. Les Zones A Défendre leur donnent la nausée. Ils ne jurent que par les Zones A Détruire, mais pas d’inquiétude. Ils compenseront par une mare et quelques arbres convertibles en euros, ils spéculeront sur le prix du vivant si ce mot a encore un sens. Raser, exterminer, gérer, marchander, ils ne comprennent que ça. La beauté du monde, ils la méprisent, tout comme la valeur inestimable de chaque vie. Ce qu’ils bâtissent ? Des prisons et des miradors. Des unités de soins palliatifs et des cimetières.

D’un côté, la terre de nos jardins, encore imprégnée de pluie et d’hiver. Par instants, se dessine le visage d’un potager, d’un champ de blés anciens, d’un arbre qui va se couvrir de feuilles. Les sachets de graines sont là, sur la table. On imagine les planches de légumes et de fleurs, on guette les premières éclaircies.
D’un autre côté, prosternés devant leurs colonnes de chiffres, les bétonneurs, occupés à dresser leur plan de bataille. Leur horizon ? Une terre brûlée tout juste bonne au bitume, aux fermes verticales hors sol, à la suffocation marchande. Un monde où nous sommes étrangers à nous-mêmes.
D’un côté la vie, de l’autre la mort. Jamais, sans doute, le choix n’a été aussi clair.

Quand 中国 s’empare d’un autre empire, Syngenta

Pas de panique, je ne connais pas le chinois. Pas encore. Mais il m’a paru plus saisissant d’appeler ici la Chine de son vrai petit nom local : ??. Autrement dit : Zh?ngguó . Autrement dit « Pays du milieu ». Notez que j’aurais pu choisir aussi ??, c’est-à-dire ti?nxià, Sous le ciel, mais cet idéogramme-là, qui désigne également la Chine, renvoie à des périodes bien plus anciennes de l’envoûtante – et si longue – histoire chinoise.

Revenons à ce Pays du milieu. J’ai toujours aimé les cartes géographiques et j’ai plus d’une fois regardé de près celles qui sont éditées dans chaque pays. Eh bien, comme par hasard, le pays qui imprime est aussi celui qui se place au centre. C’est vrai de la France. Ce l’était de la défunte Union soviétique, c’est vrai de même de la Chine. Le reste du monde entoure la nation sacrée.

La Chine d’aujourd’hui est un État totalitaire où le pouvoir est exercé par un parti communiste qui n’est rien d’autre qu’un syndicat d’affairistes, mais disposant des méthodes les plus avancées du stalinisme. Dans mon jeune temps fou, j’ai cru avec passion à la révolution sociale, mais sans jamais m’approcher des structures staliniennes françaises – l’insupportable PCF – ni de l’Union soviétique, ni de la Chine maoïste. Par une chance insolente, j’ai vomi d’emblée ces ignominies. Dès 14 ans. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais compris. L’essentiel, je crois.

Si la justice régnait, on le saurait. Si elle régnait, chaque humain saurait que la dictature chinoise a tué de toutes les manières possibles des dizaines de millions d’humains. Par la faim le plus souvent – une faim « politique » -, par le fouet et le knout, par le lynchage. Si la justice régnait, les pauvres imbéciles ayant soutenu cette incroyable monstruosité seraient relégués dans le silence éternel. Certains, qui sont morts, y sont par force, comme André Glucksmann, Jean-Paul Sartre ou Roland Barthes. D’autres continuent de parler, sans avoir apparemment plus honte que cela, comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Serge July, Philippe Sollers, Roland Castro. Ma foi, l’époque, encore plus que d’autres passées, se moque à gorge déployée de la vérité.

Pourquoi parler ce jour du ?? ? Mais parce qu’une entreprise publique chinoise, China National Chemical Corporation – ChemChina – vient de racheter le géant suisse de la chimie, Syngenta, pour quasiment 40 milliards d’euros. ChemChina était déjà un géant mondial, pesant 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Cette transaction en fait de très, très loin, le groupe le plus puissant de la chimie mondiale. Notamment dans le domaine des pesticides.

Ainsi donc, le pouvoir de tuer impunément des millions d’être vivants – dont des hommes – par l’usage des pesticides sera demain, plus encore qu’aujourd’hui, entre les mains d’une société d’État chinoise, d’une société dont le propriétaire est un État totalitaire. Qui ment matin, midi et soir. Qui truque ses chiffres à l’envi. Qui n’a aucun compte à rendre à sa société, pour cause. Le P-DG de ChemChina, Ren Jianxi, est un haut cadre du parti communiste, auquel il doit tout. Entre la santé publique et la sienne propre, que choisirait-il demain ? Je vous laisse deviner.

Encore un tout petit point de rien du tout. ChemChina a acheté il y a quelques années Adisséo, une usine spécialisée dans l’alimentation animale, jadis propriété de Rhône-Poulenc, société nationalisée en 1981. Adisséo a une usine à Commentry, dans l’Allier, où se joue un drame atroce dont la France officielle se contrefiche. Pardi ! ce ne sont que des ouvriers. Au total, depuis 1994, des dizaines de cas de cancers du rein – une affection assez rare – ont été recensés dans un atelier synthétisant de la vitamine A (ici). Il n’y a pas de mystère, grâce à mon cher Henri Pézerat, hélas mort en 2009 (ici) : l’usage de la molécule chimique C5 explique la contamination. Certes, ChemChina n’est pas responsable. Pas de ça. Mais combien d’Adisséo-Commentry se préparent-ils sous couvert du mensonge totalitaire ?