Archives de catégorie : Industrie et propagande

La malheureuse piscine de M. et Mme Sarkozy

Magouilleur, je te plains (un tout petit peu), car tu vas te faire choper (beaucoup). Le fisc, utilisant l’arme torve de l’intelligence artificielle, va débusquer, après analyse de photos aériennes, les piscines qui n’auront pas été déclarées. On parle de 100 000 contrevenants et de 50 millions d’euros de redressement. Par ailleurs, et dans un nombre croissant de départements, il est interdit de remplir sa piscine. On annonce même des amendes qui vont sûrement dissuader les ultrariches du cap Bénat ou du cap Nègre, là où le couple Bruni-Sarkozy adore barboter dans une piscine installée à trois centimètres et demi de la mer. La première fois qu’on trichera, 1500 euros. La seconde, 3000 euros.

Le magazine Capital pose la question qui brûle les lèvres (1) : la crise de l’eau et les mesures de restriction vont-elles faire chuter le prix d’un bien immobilier ? Eh bien, je n’ai pas la réponse, car le reste de cet article si prometteur était payant, et je suis passé à autre chose. Il me semble avoir subodoré que cela pourrait bien advenir si les choses s’aggravent. En attendant, la surcote d’une maison atteint 20% quand elle dispose d’une piscine. Ça fait rêver.

Et sinon ? Au cours des deux décennies, 80 métropoles du monde entier ont connu des limitations de consommation de l’eau, à cause des sécheresses, mais aussi d’un gaspillage phénoménal de la ressource. Le Cap (Afrique du Sud) est passé très près de la panne sèche en 2018, et semble être parvenue depuis à réduire sa consommation. Mais comme on va le voir, rien n’est réglé pour autant. Une équipe de l’université suédoise d’Uppsala (2) s’est justement intéressée de près au Cap, s’appuyant sur un recensement de 2020 qui divise la population en cinq segments. Un classement qui rend un son un peu étrange à nos oreilles, nous pauvres pékins de France, mais passons. D’abord, ces supposées « élites ». Dans le cas du Cap, elles forment 1,4% de la population ; puis ceux disposants d’un revenu moyen-supérieur ; suivis des revenus moyens-inférieurs, et des faibles revenus : enfin le vaste secteur des informels.

Les habitants du Cap disposant d’une vraie maison avec jardin et piscine – les deux catégories les plus riches du tableau – ne rassemblent ensemble que14% de la population, mais consomment déjà 51% de l’eau. Les gueux – les deux catégories les plus « basses » -, ces pauvres ratés qui doivent gagner leur pain chaque jour, forment environ 62% de la population, mais n’ont droit qu’à 27% de l’eau distribuée.

Le modèle utilisé – il y a toujours un modèle informatique qui traîne – estime que chaque foyer de « l’élite » consommerait chaque jour 2 161 litres d’eau, et chaque ménage de la « classe moyenne supérieure », 988 litres. À l’autre bout, en moyenne – 61,5% de la population -, 188 litres.

Mais revenons aux piscines, ça nous rafraîchira le poil. Les piscinistes – le nom officiel de ceux qui te vendent ces saloperies -, ne sont pas du tout contents. Y a plus d’eau ? Et alors ? Lisons ensemble ce reposant storytelling (3) – l’art de raconter des salades – du président de l’Association Française des Pisciniers et Piscinistes, Thierry d’Auzers : « Une fuite de robinet, c’est 18 mètres-cubes par an, quand une piscine consomme 10 mètres-cubes par an ». Et aussi, et c’est admirable : « Aujourd’hui, on montre du doigt les propriétaires de piscines qui seraient des vilains petits canards. Il faut juste remettre l’église au centre du village : aujourd’hui, et ça n’a pas bougé depuis des dizaines d’années, on a des fuites sur les canalisations d’eau qui représentent à peu près pour la France un milliard de mètres-cubes ».

On n’a visiblement pas prévenu le monsieur que l’accaparement privé d’un bien commun pose des questions de principe. Il y aurait 3,2 millions de piscines privées en France, et notre pays est dans ce si beau domaine le leader européen. En 2021, les Français altruistes ont fait construire 244 000 piscines nouvelles, et le chiffre d’affaires du secteur a augmenté de 32% sur un an. Joie.

(1)https://www.capital.fr/immobilier/les-restrictions-deau-peuvent-elles-faire-chuter-les-prix-des-maisons-equipees-dune-piscine-1464468

(2)https://www.nature.com/articles/s41893-023-01100-0

(3)https://www.francebleu.fr/infos/environnement/journee-mondiale-de-l-eau-faut-il-limiter-le-remplissage-des-piscines-privees-pour-preserver-la-ressource-5258212

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

André Picot, preux chevalier d’une science humaine

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie-Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

La lettre d’Annie

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.
Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.
Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des
archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.
Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit (https://www.atctoxicologie.fr/).
C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé (https://www.asso-henripezerat.
org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/
)

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.
Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…
C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText (https://www.systext.org/). En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette
occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.
J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…
Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.
Annie Thébaud-Mony, 22 janvier 2023

À quand un grand procès du nucléaire ?

Vraiment, c’est fou à lier. Et non, ce n’est pas une formule à l’emporte-pièces. C’est mon sentiment profond. Le nucléaire made in France est un scandale à côté duquel les autres pâlissent inévitablement. Mais résumons à très grands traits.

Le 6 mars 1974, Pierre Messmer, alors Premier ministre d’un Pompidou mourant, annonce un grand plan énergétique : la construction en 1974 et 1975 de 13 centrales nucléaires. D’octobre 1973 à mars 1974, le prix du pétrole a quadruplé. Panique à bord ! Comme il n’est pas question de ralentir la machine à détruire, mais au contraire d’accélérer, on décide un énorme investissement de 13 milliards de francs. Pour commencer !

Ce qu’on ne sait pas, ce qu’on ne veut pas savoir, c’est que Messmer n’est qu’un jouet entre les mains d’un lobby surpuissant : la commission dite PEON – pour « la production d’électricité d’origine nucléaire ». Elle existe depuis 1955, dans une opacité voulue, et regroupe tous ceux qui ont INTÉRÊT à développer le nucléaire. Outre des représentants de ministères, tous ingénieurs des Mines ou des Ponts, historiquement et définitivement défenseurs des aventures industrielles, on y trouve l’industrie – Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Péchiney-Ugine-Kuhlman, Alsthom, Empain-Schneider, EDF bien sûr – le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

C’est la fête au village atomique. EDF se propose d’imposer un chauffage électrique à trois millions de logements et habitations. Outre la première volée de réacteurs, Messmer promet la construction de quatre à six autres chaque année jusqu’en 1985. C’est là que naît le crime d’État, dont tous les coupables sont morts bien entendu. Ils sont tous morts dans leur lit, rosette de la Légion d’Honneur à la boutonnière.

Je ne peux bien sûr rapporter ici cette histoire profuse et indigne, car il me faudrait évoquer trop d’échecs, par exemple le si coûteux désastre de Superphénix à Creys-Malville, et les si grossiers délires de Giscard, président de la République, promettant aux dupes volontaires que la France deviendrait l’Arabie Saoudite de l’électricité.

La vérité ramassée de près de cinquante ans de mensonges, d’imbécillités diverses, d’erreurs conceptuelles et de si grandes faiblesses techniques, c’est que le nucléaire, dont le coût total est probablement inconnaissable, aura volé des centaines de milliards d’euros à l’avenir commun. Imaginons une seconde que ces sommes aient été investies dans le solaire et l’éolien. Bravo, les ingénieurs ! Bravo, les grands esprits techniques ! Et si je dis bravo, c’est qu’une telle banqueroute le mérite. Areva, croulant sous les dettes – la caisse publique y a englouti des milliards – est devenue Orano, sans de désendetter vraiment. EDF a une dette dont on camoufle une partie, qui doit dépasser les 50 milliards d’euros. Les vieilles centrales, dont on a rallongé la durée de vie sans l’ombre d’un débat, par simple signature, crèvent de vieillesse et de corrosions diverses. Et bien sûr, leur avenir flamboyant, appelé EPR, est probablement le pire fiasco de ces Pieds-Nickelés.

L’EPR finlandais d’Olkiluoto, vitrine commerciale d’EDF, a pris 13 ans de retard, et son coût est passé de 3,3 milliards d’euros à 12 au moins. Au moins, car il devait enfin démarrer dans quelques semaines, et il est de nouveau dans l’impossibilité de le faire. L’EPR de Flamanville, en Normandie, idem : douze ans de retard, un surcoût de 10 milliards d’euros, et un énième report d’ouverture annoncé par EDF il y a quelques jours. L’ancien président d’EDF Henri Proglio, vient de déclarer devant les députés, sans déclencher aucune réaction : « L’EPR est un engin trop compliqué, quasi inconstructible ». Ce qui n’a jamais empêché le même de venir parader sur le chantier de Flamanville – en 2013 par exemple – en compagnie de ses alliés et complices. Tout sourire, avec de sympathiques patrons comme Martin Bouygues.

Un dernier point et je vous quitte. EDF n’est pas même foutue de garantir à un pays auquel elle avait promis une corne d’abondance, qu’il n’y aura pas de coupures d’électricité cet hiver. Trop de ses vieilleries sont à l’arrêt, pour une maintenance qui s’éternise. S’il existait encore un souffle démocratique en France, ça se saurait. Ça se verrait, et l’on lancerait pour commencer un tribunal des peuples, qui au moins raconterait cette histoire et désignerait les coupables. Car coupables il y a. Et bien qu’à un niveau subalterne, il faudrait aussi y faire une place à l’inertie inqualifiable de l’opinion française. Est-ce trop tard ? Je ne le crois pas.

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.