Finalement, trois mots sur Internet, tout de même, car je viens de lire un article fort éclairant dans Le Nouvel Observateur (ici). On y voit, on y confirme qu’Internet et tous ses dérivés funestes – Facebook, Twitter – modifient le fonctionnement du cerveau humain, et même l’ensemble de la vie de leurs utilisateurs. Et de leurs proches, ce qui commence à faire du monde.
La glorification d’Internet, y compris dans des cercles militants que je ne souhaite pas, exceptionnellement, envoyer aux pelotes, a quelque chose de tragique. Car s’il est une abdication de la liberté, c’est bien celle-là. On confère aux machines un poids sans aucun précédent dans l’histoire des hommes, de loin. Avec accès presque universel aux caches les mieux dissimulées de nos psychés. Qu’Internet soit une police planétaire, ce me semble certain. Faut-il préciser ce que tout le monde sent ou pressent ? Surveillance des goûts, surveillance des déplacements, surveillance des pensées : nous sommes à genoux. Mais dans l’article cité plus haut, on met aussi l’accent sur ce que je constate tous les jours chez moi – un peu – et parmi tant de proches, bien plus.
Le cerveau rétrécit son champ de réflexion et donc d’action à mesure que les mégamachines prétendent lui ouvrir espace et mémoire jusqu’à l’infini. Évidemment, le net est une forme de délégation extrémiste. Aussi extrémiste qu’individualiste. Tandis que la personne et son esprit abandonnent, le vaillant moteur prend le relais, et va bien au-delà de ce qui aurait été tenté et entrepris. Bien au-delà signifiant, en l’occurrence, tout autre chose. Et nul ne s’en offusque.
Au risque de vous paraître ringardissime, je suis convaincu que l’usage du net diminue tendanciellement l’intelligence collective et individuelle de l’homme. Nous n’avons pas besoin de vitesse. Nous avons besoin de temps, de maturation, d’échanges, de confiance, d’élaboration en commun. Tout ce que le net refuse par définition même. Les plus fous, les plus fous et furieux d’entre nous n’attendent qu’une chose, et c’est qu’on leur greffe un appendice électronique sous la peau, de manière à être connecté sans perdre la moindre milliseconde. Mais en attendant, place à Facebook, place à Twitter, où la non-pensée s’exprime en quelques dizaines de signes. Quand je pense m’être constamment moqué des journaux télévisés, au cours desquels on prétend parler d’une situation complexe en moins de deux minutes ! C’est dépassé, et de combien désormais. À quand le simple cri ?
Qui ne voit que les générations abreuvées par le net et wikipédia refuseront toujours plus l’absolue nécessité de lire de longs textes ? De peiner ? De revenir une fois de plus sur une phrase compliquée, mais essentielle ? Il m’arrive même ici de pouvoir juger l’effet délétère de l’ordinateur. Je veux parler de certains commentaires, minoritaires certes, où celui qui écrit démontre d’emblée qu’il n’a lu que le titre et la première phrase de mon article. Ce n’est pas un gémissement de vieillard, c’est un constat : il ne faut plus écrire long. Mes textes sont souvent incompatibles avec l’usage que font la plupart des internautes du texte écrit. Il faut que ça swingue. Il faut aller plus vite encore.
Quelquefois, je me dis qu’il me faudrait éditer mes articles, comme on le dit dans le jargon de la presse, qui est le mien. En résumant à l’entrée par ce que l’on appelle un chapeau. En ajoutant chemin faisant des intertitres pour faciliter ou relancer la lecture. Mais je m’arrête en si bon chemin, car je n’en ai simplement pas envie. Je ne dispose pas, je ne dispose plus depuis un an au moins de la moindre statistique concernant Planète sans visa. Je sais juste que vous êtes nombreux, en tout cas bien assez à mon sens. Car j’entends m’adresser au vero lettore, au véritable lecteur acceptant le principe d’un échange honnête entre celui qui prend le soin d’écrire aux quatre vents, et cet autre, qui accepte de consacrer à cette lecture le temps qu’elle doit prendre. Ni plus ni moins.