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Internet versus cerveau humain (un seul vainqueur)

Finalement, trois mots sur Internet, tout de même, car je viens de lire un article fort éclairant dans Le Nouvel Observateur (ici). On y voit, on y confirme qu’Internet et tous ses dérivés funestes – Facebook, Twitter – modifient le fonctionnement du cerveau humain, et même l’ensemble de la vie de leurs utilisateurs. Et de leurs proches, ce qui commence à faire du monde.

La glorification d’Internet, y compris dans des cercles militants que je ne souhaite pas, exceptionnellement, envoyer aux pelotes, a quelque chose de tragique. Car s’il est une abdication de la liberté, c’est bien celle-là. On confère aux machines un poids sans aucun précédent dans l’histoire des hommes, de loin. Avec accès presque universel aux caches les mieux dissimulées de nos psychés. Qu’Internet soit une police planétaire, ce me semble certain. Faut-il préciser ce que tout le monde sent ou pressent ? Surveillance des goûts, surveillance des déplacements, surveillance des pensées : nous sommes à genoux. Mais dans l’article cité plus haut, on met aussi l’accent sur ce que je constate tous les jours chez moi – un peu – et parmi tant de proches, bien plus.

Le cerveau rétrécit son champ de réflexion et donc d’action à mesure que les mégamachines prétendent lui ouvrir espace et mémoire jusqu’à l’infini. Évidemment, le net est une forme de délégation extrémiste. Aussi extrémiste qu’individualiste. Tandis que la personne et son esprit abandonnent, le vaillant moteur prend le relais, et va bien au-delà de ce qui aurait été tenté et entrepris. Bien au-delà signifiant, en l’occurrence, tout autre chose. Et nul ne s’en offusque.

Au risque de vous paraître ringardissime, je suis convaincu que l’usage du net diminue tendanciellement l’intelligence collective et individuelle de l’homme. Nous n’avons pas besoin de vitesse. Nous avons besoin de temps, de maturation, d’échanges, de confiance, d’élaboration en commun. Tout ce que le net refuse par définition même. Les plus fous, les plus fous et furieux d’entre nous n’attendent qu’une chose, et c’est qu’on leur greffe un appendice électronique sous la peau, de manière à être connecté sans perdre la moindre milliseconde. Mais en attendant, place à Facebook, place à Twitter, où la non-pensée s’exprime en quelques dizaines de signes. Quand je pense m’être constamment moqué des journaux télévisés, au cours desquels on prétend parler d’une situation complexe en moins de deux minutes ! C’est dépassé, et de combien désormais. À quand le simple cri ?

Qui ne voit que les générations abreuvées par le net et wikipédia refuseront toujours plus l’absolue nécessité de lire de longs textes ? De peiner ? De revenir une fois de plus sur une phrase compliquée, mais essentielle ? Il m’arrive même ici de pouvoir juger l’effet délétère de l’ordinateur. Je veux parler de certains commentaires, minoritaires certes, où celui qui écrit démontre d’emblée qu’il n’a lu que le titre et la première phrase de mon article. Ce n’est pas un gémissement de vieillard, c’est un constat : il ne faut plus écrire long. Mes textes sont souvent incompatibles avec l’usage que font la plupart des internautes du texte écrit. Il faut que ça swingue. Il faut aller plus vite encore.

Quelquefois, je me dis qu’il me faudrait éditer mes articles, comme on le dit dans le jargon de la presse, qui est le mien. En résumant à l’entrée par ce que l’on appelle un chapeau. En ajoutant chemin faisant des intertitres pour faciliter ou relancer la lecture. Mais je m’arrête en si bon chemin, car je n’en ai simplement pas envie. Je ne dispose pas, je ne dispose plus depuis un an au moins de la moindre statistique concernant Planète sans visa. Je sais juste que vous êtes nombreux, en tout cas bien assez à mon sens. Car j’entends m’adresser au vero lettore, au véritable lecteur acceptant le principe d’un échange honnête entre celui qui prend le soin d’écrire aux quatre vents, et cet autre, qui accepte de consacrer à cette lecture le temps qu’elle doit prendre. Ni plus ni moins.

Je ne suis pas très bon client (sur l’iphone 4 S)

Sans me vanter, je ne crois pas être un très bon client de la marchandise. Je n’ai pas de bagnole, pas de télé, pas de téléphone portable. Mais j’ai un ordinateur – sigh -, ce qui me fait de temps à autre mal aux tripes. Compte tenu du travail que je fais, il m’eût fallu en changer pour ne pas posséder un ordinateur et me servir d’internet. J’aurais pu, certes. Je ne l’ai pas fait, et me contente de maudire Jobs et Gates, les frères jumeaux de la surveillance planétaire de tout ce qui bouge encore.

À ce propos, et pour compléter l’article précédent consacré à François Hollande, voulez-vous connaître un événement qui ne soit pas, lui, de détail ? Qui ne soit pas, lui, contingent ? Voyez donc le succès grandiose de l’iphone 4S de feu Steve Jobs (ici). En trois jours, quatre millions d’exemplaires de cette nouveauté ont été vendus dans les sept pays, dont le nôtre, où il était proposé. Soit deux fois plus que l’iphone 4 dans la même durée et les mêmes lieux. Bientôt, on le trouvera dans 22 pays, puis 70, et probablement le reste – la Guinée Équatoriale, le Zimbabwe, Belize, les îles Andaman ? – un peu plus tard. Je cite le journal La Tribune : « Plus de 25 millions de propriétaires d’iPhone de générations antérieures ont téléchargé la mise à jour logicielle iOS5 ».

Mais le temps est venu d’avouer que je ne comprends rien à cette dernière citation. Et que je n’ai aucune idée de ce qu’est un iphone 4, fût-il S. Bien entendu, vous n’êtes pas obligé de me croire. Je ne le sais pourtant pas. Je n’ai jamais envoyé un seul texto de ma vie et ne sais pas me servir d’un téléphone portable. Je crois que je mourrai au fond d’un ravin,  exsangue et seul, incapable d’appeler au secours par manque de téléphone portable. Et ce sera bien fait, car nombre de personnes attentionnées m’ont prévenu : je mourrai seul.

Sans rire, j’ignore tout des vraies merveilles du monde. Mais je vois en tout cas que l’un des ressorts premiers de notre marche à l’abîme, c’est ce délire de consommer n’importe quelle connerie, pourvu qu’elle fasse saliver, pourvu qu’elle soit propulsée convenablement par les réclames appropriées. Le succès de l’iphone 4 S est beaucoup, beaucoup plus important que celui de Hollande, et il rassemble au fait, dans une admirable unité nationale, fascistes et partisans du NPA, mélenchonistes et villepinistes, hollandais et staliniens, sarkozystes et laguillieristes. Ne cherchez pas plus loin la raison de notre incapacité à changer le monde : elle est là.

L’industrie a besoin d’objets et de gogos et gogols qui les achètent sans aucune cesse, criaillant ensuite sur le prix de l’alimentation bio. Les premiers les exténuent au travail puis les tuent. La seconde leur accorderait meilleure santé en permettant à de vrais paysans de poursuivre leur route. Et bien sûr, nos adeptes de l’unité nationale – vous, qui sait ? – choisissent les premiers, et vomissent la seconde.

Il n’y aura jamais le moindre changement sérieux sans une chasse aux objets, jusqu’au tréfonds des esprits. Elle passe évidemment par la destruction à la racine de la publicité industrielle. Elle oblige, plutôt elle obligerait à considérer l’aliénation comme le phénomène politique majeur, transcendant toutes les barrières politiques dont sont si fiers les militants. Que je plains, les pauvres, de prétendre – pour certains – condamner la société capitaliste quand ils en sont, en vérité, les soutiens les plus vibrants.

En somme et en résumé, le mécanisme industriel de production de masse d’objets inutiles et pourtant dévastateurs, voilà l’ennemi. Avis ! Dernière prime : « Attendu sans doute au printemps 2012, le prochain iPhone 5 a été supervisé par Steve Jobs de sa conception jusqu’au design final ». C’est tiré d’un site appelé Cnet France, sous le titre admirable : « Le projet posthume de Steve Jobs ? ». Non, ce n’est pas une farce.

Mais qui était vraiment Steve Jobs ?

Personne, en Occident en tout cas, n’aura échappé au chœur des Pleureuses. La mort de Steve Jobs, cofondateur d’Apple, a donc ému les gazettes et, du moins le pense-t-on, le bon peuple. Pardi ! Cet homme n’a-t-il pas révolutionné le monde, offrant à des millions de galériens la clé de leur liberté électronique ? Comme je n’ai pas le temps, je ne dirai rien de ce que je pense de l’informatisation du monde, à laquelle Jobs aura tant contribué. Non, mes pauvres amis lecteurs, je n’en pense pas du bien. Quand le bilan réel de cette immense régression aura été tiré, s’il l’est un jour, on pourra éventuellement en reparler.

En tout cas, c’était un pur salopard de patron de combat. Voyez ce qu’on en dit déjà, ici,  au lendemain de sa mort. Imaginez ce qu’il en sera dans quelques années, quand les histoires les plus rudes sortiront. Et cet article n’évoque que le comportement de Jobs chez lui, depuis ses appartements américains. Le centre d’Apple, comme de tant d’autres productions industrielles, c’est la Chine. En juin 2010, Jobs défendait sans état d’âme la ville-usine Foxconn, située à Shenzen, en Chine communiste. C’est là, dans cette immensité de 400 000 employés – je répète : 400 000 – qu’Apple produit tant de ses fameux joujoux.

Or une vague de suicides s’y étant produite, on avait alors interrogé Jobs, grand humaniste devant l’Éternel, qui avait lâché (lire ici en anglais) : « For a factory, it’s pretty nice ». Ou en bon français : « Pour une usine, c’est plutôt sympa ». Ouais, super sympa, même. Une étude publiée à Hong Kong à l’automne 2010 racontait une histoire toute différente (ici). Selon ce travail, 16,4 % des salariés de Foxconn auraient été victimes de violences physiques de la part de leurs garde-chiourmes. Pour les violences psychiques, on ne sait.

Inutile, je crois, d’insister. Le succès planétaire d’Apple reposait donc sur l’esclavage (ici). C’est là que les choses coincent, c’est là en tout cas qu’elles devraient le faire. Car en effet, l’unanimité mondiale autour de son cadavre démontre précisément que l’imaginaire dominant est celui du système dominant, industriel aux dernières nouvelles. Peu chaut aux innombrables thuriféraires que Jobs ait fait assembler ses merdouilles si modernes dans des ateliers où les prolos se font tabasser. Peu leur chaut. Ce qui compte, c’est l’aventure réussie, le bonheur du clic à domicile, la possibilité de répéter dix millions de fois les mêmes éloges. Nous vivons bel et bien dans un monde sans âme.

Plutôt, l’âme de notre univers est mercantile et clinquante, et passe à côté des sombres réalités comme le véritable spectre qu’elle est désormais. Oui, un spectre hante l’Europe et le monde, pour paraphraser le vieil Allemand, et c’est celui de l’insensibilité. Il est possible, il reste loisible de surexploiter des ouvriers dans une usine lointaine, de les payer au lance-pierres, de les voir mourir jeunes et de passer néanmoins pour un héros du temps. Ma foi, je leur laisse leur pacotille, et je poursuis mon chemin, certain qu’il vaut mieux être (presque) seul que mal accompagné. Au fait, le saviez-vous ? Apple et notre bon Steve Jobs ont préféré souder l’Ipad à sa batterie, de manière que l’on soit obligé de jeter le tout quand la batterie est épuisée. Il faut penser à l’actionnaire. Encore et toujours.

Jobs ? Je me retiens tout juste d’insulter un mort.

Une rediffusion de l’été

Oui, bon, ce n’est pas nouveau, car cela a été publié ici même il y a trois ans. Mais peut-être n’étiez-vous pas là ? Ce texte vient de m’être remis en mémoire – Inès, merci -, et ma foi, j’ai soudain envie de lui donner une seconde chance. Je pense, je suis sûr, presque sûr que vous ne m’en voudrez pas. Au reste, vous pouvez aussi ne pas lire.

When I was eleven years old (complainte)

Lorsque j’étais un mioche, quand j’avais onze ans, un poste de télévision trônait chez moi, sur un meuble kitsch, qui nous regardait du matin au soir. Antédiluvien. Reptilien et tentateur. J’ai alors mangé tellement d’émissions que j’ai dépassé la dose tolérable, et que je me suis définitivement débranché. Mais tel n’est pas le sujet du jour.

Ce poste antique était doté d’entrailles intéressantes. On enlevait le capot fatigué, et l’on regardait briller les lampes et le tube cathodique. Mais parfois, l’image sautillait avant que de s’enfuir chez le voisin, et le drame pointait son mufle. Car déjà, la télé tenait la maison, et ce qui m’a servi de famille. Sans elle, l’angoisse n’était jamais bien loin. Il fallait donc appeler le réparateur.

Quel merveilleux homme ! Il arrivait avec une mallette plus grosse que celle du médecin, allumait le monstre malade, ouvrait bien sûr le capot, et là, je n’aurais cédé ma place à personne. Non, n’insistez pas : à personne. J’étais derrière le maître, lui-même posté à mains nues contre le dos de l’animal souffrant, et nous observions ensemble la bête.

Tout brillait pourtant, à première vue en tout cas. C’est-à-dire que je n’y comprenais rien. La petite lumière fragile cachée dans chaque lampe me semblait y être, partout. Heureusement, le réparateur connaissait la litanie des pannes, et avait tôt fait de débusquer l’absente, la défunte. Une seule lampe manquait à l’appel de la lumière, et le monde en était dépeuplé. L’homme ouvrait sa mallette, y piochait une lampe neuve, faisait l’échange en une grosse seconde, et la télé recommençait à cracher du Pierre Sabbagh (vous les petits jeunes qui ne connaissez pas ce dernier, inutile de tempêter, cela n’en vaut pas la peine, juré).

Aussi étrange que cela paraisse, ce souvenir des temps enfuis a un rapport de taille avec la crise écologique. Car il me permet de comprendre un peu mieux le moment stupéfiant que nous vivons. Quand j’étais un gosse, on réparait, amis de ce blog. Je passais des heures à traquer les bouteilles en verre vide dans les rues, de manière à les rapporter à la mère Noël – notre épicière – qui me donnait un franc pour chaque. Car ces bouteilles étaient consignées. Elles valaient. Et un type faisait la tournée de la ville pour charger dans son petit camion les montagnes de caisses remplies de bouteilles. Le verre n’était pas détruit, il servirait à de nouvelles beuveries.

On voit bien la marche du progrès. De nos jours, nous jetons rigoureusement tout, de plus en plus vite. De plus en plus radicalement. L’univers de l’industrie, je ne vous apprends rien, est celui de l’obsolescence organisée. Il faut tuer l’objet pour qu’il renaisse encore plus beau, plus jeune, plus fun. Essayez donc – je suppose que vous avez essayé – de sauver une machine à laver mal en point. Trois fois sur quatre, telle est en tout cas mon expérience, l’homme de l’art que vous aurez osé déranger aura un rictus. Non seulement vous paierez son déplacement en carrosse, et les menus frais afférents à l’équipage, mais vous devrez acheter un nouvel engin.

Je vais vous confier un secret affolant : cela pourrait se passer autrement. Oui, on pourrait aisément organiser la production d’objets d’une manière toute différente. Prenons l’exemple de la bagnole. Je pense que ce mode de transport, sous sa forme individuelle, est condamné. N’importe : pour l’heure, cette saloperie existe. Or rien n’empêche, techniquement, de concevoir une auto sous la forme de modules. De boîtes ultrasimplifiées contenant l’essentiel de la machine. Disons 15 pour le seul moteur. Chacune dotée d’une prise minuscule dans laquelle nous glisserions un vérificateur coûtant par exemple un euro.

Il nous renseignerait sur l’état du module et nous permettrait aisément de changer ce qui doit l’être, tout comme faisait le réparateur télé de mon enfance. Des magasins installés dans les quartiers permettraient de s’approvisionner à bas prix et de conserver une voiture disons cinquante ans. Ce ne serait certes pas la révolution, seulement une modification sérieuse du niveau de gaspillage voulu et même ordonné.

On pourrait faire de même avec la totalité des objets usuels, ce qui nous rendrait fatalement plus maîtres de nos vies, plus économes, plus malins, et sûrement pas plus malheureux. Sûrement pas. Les marchands n’auraient plus cette liberté infâme de rendre les ordinateurs obsolètes au bout de quelques mois d’usage, et les Chinois n’auraient plus l’obligation inouïe (ici, un petit film) de patauger dans nos déchets électroniques.

Ma petite question du jour, la voici : pourquoi le mouvement écologiste ne s’en prend-il pas aux objets eux-mêmes ? À cette manière qu’a l’industrie de les concevoir, de les emballer, de les détruire à peine mis sur le marché ? Pourquoi le mouvement des consommateurs est-il à ce point incapable de poser les bonnes questions ? Pourquoi cette acceptation sans condition de la publicité, reine-mère du mensonge social ? Pourquoi le téléphone portable est-il devenu en quinze ans ce si rutilant objet du désir commun ?  Pourquoi sommes-nous à ce point inertes ?

Peut-être aurez-vous une réponse à l’une au moins de ces questions ? Dans ce cas, n’hésitez pas à éclairer ma toute modeste lanterne. Et si, comme je le crains, vous n’en savez pas beaucoup plus que moi, eh bien, allons derechef nous allonger dans le hamac. C’est encore l’été, il me semble.

Sarkozy et moi, sans oublier le WWF et la forêt

Franchement, il y a quelque chose de pourri dans ce royaume délabré de l’écologie. J’ai écrit, certains de vous le savent, le livre Qui a tué l’écologie (éditions LLL), paru le 16 mars 2011. J’y ai révélé quantité de choses, parfois très graves, sur les collusions entre les associations écologistes principales et l’État, ou les transnationales. J’ai donné pour la première fois des informations précises sur les modes de financement de telle ou telle, sur l’histoire à mes yeux abominable du WWF. Et ? Rien. Silence de mort. Aucun procès – pardi ! tout est vrai -, seulement un silence organisé.

Car ce silence a été organisé entre cheffaillons de la « Bande des Quatre », comme j’ai appelé le WWF, Greenpeace, la fondation qu’on appelait Hulot et France Nature Environnement (FNE). Jacques Thomas, qui organise chaque année à Paris le festival du livre et de la presse d’écologie, a tenté d’organiser un débat entre eux et moi. Cela devait se passer en juin. Puis en septembre. J’avais prévenu Jacques qu’il aurait le plus grand mal à réussir. Et cela n’a pas manqué : ils se sont défilés. Et ils se sont défilés parce qu’ils ont peur du débat et de la liberté. Lesquels peuvent se rapprocher dangereusement de la vérité.

Une anecdote pour rire. Je tiens d’un témoin on ne peut plus fiable le récit d’une saynète qui m’a beaucoup réjoui. Nous sommes à l’Élysée, en mai dernier, et Nicolas Sarkozy reçoit des associations écologistes officielles pour continuer son habituel travail de manipulation. Tous les preux que je dénonce sont là. L’un d’eux, soudainement, comme un pauvre gamin pleurnichard, se tourne vers notre président, et lui lâche à peu près :  « Monsieur le président, c’est insupportable. Nous sommes pris à partie dans un livre qui vient de paraître sous le nom de Fabrice Nicolino…». Sarkozy, à ce moment-là, et sursautant : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire …? ». Selon mon témoin, Serge Orru, directeur du WWF-France, aurait alors couru à mon secours, en deux temps. D’abord en tançant celui qui venait de me « dénoncer ». Ensuite, en vantant ma personne et mon travail. Si tel est le cas, et je le crois vrai, je dois à mon tour remercier Orru, car j’ai proprement assassiné dans mon livre l’association qu’il dirige.

La suite. Vous trouverez ci-dessous deux articles. Le premier vient de Courrier International. Le second, signé Laurence Caramel, a été publié dans Le Monde. Vous apprécierez comme je l’ai fait l’état des lieux. Voilà où en est le WWF. Mais valons-nous – collectivement – bien mieux, nous qui ne faisons rien pour déclencher enfin le scandale planétaire que cette situation exige pourtant ?

D’abord Courrier International

WWF accorde trop facilement son label
25.07.2011?|?The Guardian

Il y a du laisser-aller au WWF… C’est du moins ce qu’affirme un rapport publié par Global Witness, une ONG qui lutte contre le pillage des ressources naturelles dans les pays en développement. Selon ce document, cité par The Guardian, plus de 70 grandes entreprises spécialisées dans l’exploitation forestière battent aujourd’hui pavillon écolo : elles ont obtenu le label « exploitation équitable » accordé par WWF, pour leur bonne gestion des ressources forestières et leur lutte contre l’exploitation illégale. Mais ce réseau d’entreprises n’est pas aussi respectueux des bonnes pratiques qu’elles veulent bien le laisser croire, assène le rapport.

Elles suppriment des pans entiers de forêt primaire afin de récupérer le bois et d’y planter leurs propres essences. C’est le cas notamment en Malaisie, dans la forêt de Bornéo, l’une des plus riches du monde en terme de biodiversité, qui est par ailleurs inscrite dans les programmes de conservation du WWF. Dans cette forêt sévit l’entreprise Ta Ann Holdings Berhard, qui supprime l’équivalent de 20 stades de foot par jour en tailladant dans la forêt vierge, et détruit l’habitat naturel des léopards et des orangs-outangs. Une entreprise pourtant labellisée WWF.

Le WWF, qui fête cette année ses cinquante ans, est très critiqué par d’autres ONG pour ses liens avec les entreprises minières, forestières… Et les industries d’exploitation et de transformation des matières premières en général, rappelle l’article. « Nous ne faisons que poursuivre le dialogue », rétorque quant à elle l’ONG au panda.

Et maintenant Le Monde

WWF est accusé de servir de couverture à des sociétés peu scrupuleuses

édition du 28 juillet 2011

Le réseau  » forêts et commerce  » de l’ONG entretient la déforestation, selon Global Witness
L’organisation non gouvernementale (ONG) Fonds mondial pour la nature (WWF), connue dans le monde entier pour sa défense du panda, sert-elle de caution à des entreprises qui participent à la destruction des dernières forêts primaires ?

C’est l’accusation portée par Global Witness contre le WWF, avec la publication, lundi 25 juillet, du rapport  » Encourager les bûcherons « . Il est rare de voir des ONG se critiquer entre elles. A fortiori quand les deux protagonistes jouissent d’une notoriété aussi établie.

Or la charge menée par Global Witness n’est pas légère. Elle met en cause le Réseau international forêt et commerce (RIFC), l’un des programmes phare du WWF, initié il y a vingt ans et destiné à garantir une production durable du bois en encourageant les exploitants forestiers ou les traders du secteur à entrer dans des démarches de certification.

Ce réseau associe aujourd’hui près de 300 entreprises à l’origine d’environ 20 % du commerce international du bois et de la moitié du bois certifié FSC (Forest Stewardship Council). Il bénéficie du soutien financier du gouvernement américain et de la Commission européenne notamment.

Or, dénoncent les auteurs du rapport, ce programme dont l’objectif est d’éliminer les mauvaises pratiques du secteur forestier manque de transparence. Il fournit peu d’informations sur les performances de chaque membre ou sur l’impact du programme entier.

Les règles d’adhésion au RIFC sont insuffisantes et permettent à certaines entreprises d’en abuser systématiquement. « Alors qu’une grande partie du budget annuel de ce projet est payée par les contribuables, ceux-ci ont le droit d’avoir la garantie que leur argent ne sert pas à financer du « greenwashing » « , affirme Tom Picken, directeur de la campagne Forêts de Global Witness, et réclame une évaluation indépendante.

 » Vingt terrains de football « 

Le rapport pointe en particulier trois entreprises. La société forestière malaisienne Tan Ann, qui détruit  » de la forêt pluviale à un taux équivalent à vingt terrains de football par jour, y compris dans les zones d’habitats d’orangs-outans « . Le fournisseur de matériel de construction britannique Jewson, qui continue, selon Global Witness, à s’approvisionner en bois illégal. Enfin, en République démocratique du Congo, la société Danzer, qui  » possède une filiale impliquée dans des conflits avec les communautés locales, causant des violations des droits de l’homme « , alors que  » le groupe Danzer continue de profiter de son adhésion au réseau « .

Sollicité par Le Monde, George White, responsable du programme au WWF, réfute catégoriquement les allégations de Global Witness.  » Les entreprises partenaires sont évaluées chaque année. Si elles ne font pas de progrès ou si elles ne respectent pas les règles, nous suspendons ou mettons un terme à nos contrats, justifie-t-il, en regrettant que Global Witness ait choisi de se concentrer sur des détails au lieu de regarder le chemin parcouru depuis vingt ans pour améliorer la transparence du projet. « M. White précise que WWF a lui même engagé une enquête sur les agissements de la filiale de Danzer et qu’aucun nouvel engagement ne sera pris avant que les conclusions soient remises.

Laurence Caramel