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Est-il un serial-killer ?

Le regard. Il en dit long sur celui qui regarde. Sur ses préférences et ses détestations. Sur ses valeurs et jugements. Sur sa hiérarchie intime. Tel estimera que qui vole un œuf vole un bœuf, et qu’il mérite le pilori, ou pire. Tel autre pensera que voler dans un monde de voleurs professionnels n’est jamais qu’une réaction. Déplorable si l’on veut, mais une réaction. L’on pourrait dresser une liste sans fin.

Face à l’extrême dérèglement climatique en cours, on retrouve de même une interminable gradation de points de vue et de critiques. La seule certitude, c’est que cela n’avance pas. Le monde s’enfonce dans l’inconnu, un inconnu très menaçant. Notez que j’utilise des formes diminuées et même euphémistiques, dans le cas improbable où un lecteur non averti se serait perdu sur Planète sans visa.

Ce dérèglement annonce purement et simplement la dislocation des sociétés que nous avons connues. Je rappelle que sans cette relative stabilité du climat – malgré des épisodes fatalement violents -, qui dure depuis plus de 10000 ans, ni l’Égypte des Pharaons, ni la Grèce antique, les Assyriens et Mésopotamiens, les Phéniciens, Rome, les Incas, les Aztèques, la civilisation du Fleuve Jaune en Chine n’auraient existé.

Et reprenons. Qui est responsable ? Tout le monde, répondent en chœur margoulins, politiques, journalistes sous-informés, qui sont souvent les mêmes. Or comme dans La Ferme des animaux de ce cher grand Orwell – « certains étaient plus égaux que d’autres » -, le jeu est truqué. La responsabilité dans le désastre en cours est d’abord et avant tout celle des chefs, des capi qui décident et organisent. Parmi eux, un certain Patrick Pouyanné, patron de Total. Cet ingénieur des Mines – oui, encore un – a fait une carrière atroce, commencée chez Elf, douteux paradis de l’extrême corruption. Il fut à la tête de la filiale angolaise d’Elf, ce qui l’a sûrement mis au contact quotidien des kleptocrates au pouvoir en Angola, qui ont volé à leur peuple si tristement misérable des dizaines de milliards d’euros d’un pétrole qui aujourd’hui lui manque.

Mais je m’aperçois que je n’ai plus le temps, car il est bientôt midi. Et j’envisage de me faire une vaste salade de tomates, accompagnées d’ail, de concombre, de radis finement découpés, de salade verte et de tout ce que je trouverai. Donc Pouyanné, à la tête de la transnationale Total. Qui en train d’imposer à l’Ouganda et des pays voisins un oléoduc absolument criminel. Pouyanné est l’un des acteurs majeurs, dans le monde, de la destruction des écosystèmes et du climat. Mais il s’abrite derrière de pauvres arguments de façade qui par miracle, l’exonèrent de toute faute morale. C’est pas lui, c’est les autres. Nous. Les consommateurs. Le marché. La concurrence. Incapable de seulement considérer son rôle personnel, il trace sa route, qui le mène à une retraite dorée. Ses quatre enfants et les enfants de ces enfants apprécieront l’héritage.

Mais baste.Et pour en revenir au regard, ce mot qui ouvre cet article, avouons que celui-ci est aveugle. Car il est évident que Pouyanné est un tueur. Un serial-killer. Un assassin de masse. Cela ne saurait se discuter sérieusement. Mais nos si petits esprits sont englués dans des normes aujourd’hui disparues. Il n’est plus l’heure d’être convenable. Non ! Il est l’heure de regarder en face. Oui ! Pouyanné est coupable. Attention, je ne suis nullement partisan de la violence et des guillotines. Je ne lui souhaite pas même la prison. Mais je sais qu’un regard franc posé sur cet homme-là l’empêcherait, devrait l’empêcher de paraître en public. Pouyanné mérite cent fois d’être banni d’une société qu’il menace et accule. Si nous le voyions tel qu’il est, quelque chose changerait dans la réalité. Ce serait un pas. Une toute petite avancée vers un avenir moins pénible que celui qui nous attend.

Moi, je le dis et le proclame : chassons Pouyanné de l’espace public. Vaillamment et sans violence. Il est l’un des verrous qu’il faut faire sauter. Une clé.

Tournant historique en direction d’une impasse

Ce qui suit ne me procure aucun plaisir, car je vais critiquer un homme que je connais – un peu – depuis des lustres. Et que j’estime. En février 2002, il y a donc vingt ans, j’ai pris vigoureusement la défense d’André Cicolella dans une bien sombre histoire. Ce toxicologue, chercheur et chimiste travaillait alors pour l’Institut national de l’environnement industriel et des risques majeurs (Ineris), mais huit ans plus tôt, il avait été viré d’un autre institut, l’INRS, très certainement parce qu’il avait lancé l’alerte sur des polluants très toxiques, les éthers de glycol.

En 2002, il dirigeait à l’Ineris une unité très utile socialement, destinée à surveiller les risques sanitaires des substances auxquelles nous sommes exposés. Et sa direction avait tout bonnement décidé de disperser son équipe de 21 personnes. Pourquoi ? On le devine. Au même moment, l’ordinateur de Cicolella était visité – un constat a été fait -, et Cicolella portait plainte. Bref, c’est un homme courageux, cohérent avec ses principes, même si, bien sûr, je n’ai pas toujours été d’accord avec lui.

En 2009, Cicolella crée une association qu’il préside encore : le Réseau Environnement Santé (RES, reseau-environnement-sante.fr). Elle se présente de manière fort courte ainsi : « Parce que “notre environnement, c’est notre santé”, le RES agit pour mettre la santé environnementale au coeur des politiques publiques ». Au total, cela fait donc bien longtemps que Cico, comme on l’appelle, tente de peser sur les pouvoirs en place. Ajoutons que Cico a toujours joué la carte des institutions, sans jamais remettre en cause leur cadre. Ce n’est pas une accusation, c’est une affirmation. Au bout de trente ans d’efforts, on doit peut-être se poser la question : est-ce que cela a été efficace ?

J’ai reçu hier un bien curieux communiqué du RES, probablement rédigé par Cico lui-même. En voici le titre, un poil pesant : « Feuille de route “Produits chimiques” de la Commission européenne : Un tournant historique ». Et là, ça ne va plus. Du tout. Ce texte (1), restons poli, est un conte de fées. Il prétend que la Commission européenne aurait pris un très grande décision dans le domaine de la pollution chimique « avec la feuille de route publiée lundi 25 avril [qui] marque un tournant historique. On passe de l’approche substance par substance à une approche par groupe de molécules ». Je vais vous dire la vérité : je n’ai fait que parcourir le long texte en anglais de la Commission. J’estimai ne pas avoir besoin de plus, pour au moins deux raisons. Ce n’est pas une loi, c’est une déclaration d’intention, qui renvoie à 2030, autant dire la saint-glinglin.

Mais surtout, c’est dérisoire, car le constat de l’empoisonnement universel auquel la chimie de synthèse nous condamne rend absurdes ce genre de communiqués. La vérité approximative du dossier est simple : l’industrie chimique, surpuissante, a infiltré – y a-t-il vraiment un autre mot ? – tous les lieux de pouvoir européens et les agences dites de sécurité. Je ne peux évidemment détailler, mais les preuves abondent. Loin de se réfréner, cette même industrie met constamment sur le marché de nouvelles familles chimiques dangereuses, comme l’atteste l’exemple récent des SDHI. Il n’y aucun tournant. Il y a continuité, et accélération même.

Cico, permets-moi de te dire franchement que ça ne va pas. Tu tends une main qui t’a été renvoyée en pleine face. As-tu déjà oublié cette étude de quinze chercheurs, publiée en janvier 2022 (2) ? Elle rappelle – oui, rappelle – que la pollution chimique est hors de contrôle. Extrait : « La production mondiale [de composés chimiques] a été multipliée par cinquante depuis 1950 et devrait encore tripler d’ici 2050 par rapport à 2010. » J’y ajoute ces mots de Bethanie Carney Almroth, qui a participé au travail : « Les substances chimiques composant les plastiques sont plus de 10 000. 2 500 d’entre elles sont connues pour être toxiques, des milliers d’autres n’ont pas été étudiées du tout ». C’est ça, qui est historique.

(1) https://www.reseau-environnement-sante.fr/feuille-de-route-produits-chimiques-de-la-commission-europeenne-un-tournant-historique/

(2)https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c04158

Ce qui se cache sous le pied d’un promeneur

Eh bien, on va voir si vous suivez. Il y a vingt-cinq ans – qui sait, trente ? -, j’ai découvert une dimension inoubliable. À cette époque, je fréquentais le jardin des Plantes de Paris. C’était petit, décrépit et fabuleux. Un jour, je suis entré dans un de ces bâtiments octogonaux en brique rosée qu’on voit là-bas, à l’intérieur de la ménagerie, au fronton de laquelle on avait placé ce mot étrange : Microzoo. On m’a précédé dans la première salle sur la droite. C’était noir, donc mystérieux, et l’on vous faisait asseoir devant un microscope qui faisait office de lumignon. Je ne sais plus si c’est dans la deuxième ou troisième pièce – on tournait – que j’ai ressenti ce grand choc, mais voici ce dont je me souviens.

Une voix enregistrée expliquait qu’on avait sous les yeux ce qu’on trouve sous le pied d’un promeneur en forêt. Étalé sur une sorte de semelle de plâtre humide. Je ne savais encore rien. Visiblement, j’étais un ignare, car cela grouillait de vie. Il y avait je ne sais combien d’être vivants. Je n’ose dire des centaines, mais peut-être. Sous un seul pas. Des tardigrades – peut-être l’animal le plus coriace de la planète – des collemboles, des pseudo scorpions, des acariens, des nématodes, quantité d’insectes bizarres. Tous utiles, ô combien ! Dévoreurs de matière organique, régulateurs de la flore microbienne, transformateurs infatigables de la litière, décompacteurs du sol, ils faisaient tout et davantage.

Je rencontrai plus tard le professeur Yves Coineau – encore bravo ! -, qui avait imaginé cette œuvre splendide. Il me mit sur la piste d’Emil Ramann, grand chimiste allemand, profond connaisseur des sols, agricoles comme forestiers, qui décrivait ainsi ce qu’est un sol, il y a plus de cent ans : « Le sol est la couche supérieure de l’écorce terrestre soumise aux intempéries. Il est constitué par des fragments de la roche-mère, brisés et remaniés chimiquement, et par des détritus de plantes et d’animaux. »

Si je vous raconte cette historiette, importante pour moi, c’est que les nouvelles ne sont pas fameuses, du côté des sols. Un rapport – je sais, il y en a toutes cinq minutes -, un nouveau rapport de l’ONU (1) rapporte la vérité du dossier, qui est accablante. Près de 40% des terres de la planète sont dégradées, car leur sol est mort ou mourant ou en voie de disparition. Bien des phénomènes entrent en jeu, mais le principal, et de loin, c’est l’agriculture industrielle, cette invention du diable qui a ruiné les paysans, enrichi jusqu’au délire les firmes agrochimiques et de matériel agricole lourd.

Selon Ibrahim Thiaw (2), responsable de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification :  « L’agriculture moderne a modifié la face de la planète plus que toute autre activité humaine. Nous devons repenser de toute urgence nos systèmes alimentaires mondiaux, qui sont responsables de 80% de la déforestation, de 70% de l’utilisation de l’eau douce et de la plus grande cause de perte de biodiversité terrestre ». C’est un rapport de plus, certes, mais il a mobilisé de grands connaisseurs du monde entier, et assure que tout est basé sur des preuves. Si cela continue ainsi, dans 28 courtes années, l’équivalent de l’Amérique du Sud sera aussi dégradé que ce qui l’est en 2022.

Bien sûr, il ne s’agit pas que du Sud. Si la France exporte des céréales, c’est parce qu’elle a rendu des millions d’hectares dépendants des engrais azotés et des pesticides. Des sols aussi prodigieux que ceux de la Beauce ont largement été tués par la chimie de synthèse. Et comme vous le savez sans doute, on ne refait pas un sol comme on repeint une chambre.

C’est peut-être difficile à admettre jusqu’au bout, mais l’agriculture prônée par la FNSEA, les chambres d’agricultures qui lui sont inféodées, les coopératives agricoles au bureau desquelles elle siège, est un modèle criminel. Il n’y a aucun avenir possible dans cette direction. Et disons-le sans détour : sans rupture, sans secousse de nature historique, nous préparons tous des famines de masse à côté desquelles celles de notre Ancien Régime paraîtront des cures de minceur.

(1) https://www.unccd.int/sites/default/files/2022-04/UNCCD_GLO2_low-res_2.pdf

(2) en français :https://unfccc.int/fr/news/l-onu-lance-des-avertissements-graves-mais-aussi-des-solutions-pratiques-face-a-la-degradation

Ces lobbyistes qui adorent la guerre en Ukraine

Retenez ce nom : Erik Fyrwald, Américain. Si il y avait un concours mondial alliant stupidité et cupidité, nul doute qu’il serait dans les tout premiers. Il est par excellence l’homme de la chimie de synthèse, passé par plusieurs géants des pesticides comme DuPont, mais aussi le lobby en chef de l’agriculture industrielle, CropScience International. Il est aujourd’hui patron de Syngenta, leader mondial de l’agrochimie. Comme Syngenta est aux mains du Chinois ChemChina, on peut dire sans calomnie que Fyrwald bosse pour un pays totalitaire.

Dans un entretien au journal suisse de langue allemande Neue Zürcher Zeitung – son édition du dimanche -, il lance ce qui pourrait passer, en première analyse, pour une provocation (1) : « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50 % inférieurs, selon les produits. Nous ne pouvons pas simplement ignorer la production plus faible. Des gens en Afrique sont privés de nourriture parce que nous voulons des produits bio et que nos gouvernements soutiennent l’agriculture biologique ». Bien entendu, c’est un propos de lobbyiste, et je ne m’attarderai pas ici à répondre à tant de mensonges en si peu de mots. Disons que des études bien plus sérieuses que son pauvre couplet, y compris venus de colloques de la FAO, montrent que l’agriculture biologique peut nourrir le monde à un coût écologique incomparablement plus bas.

Le présent se résume à une alternative. Ou l’on continuera sur le chemin tracé par les assassins du vivant, ou l’on généralisera des systèmes alimentaires cohérents, locaux, sans poisons, économes en eau. Le dérèglement climatique en cours nous rapproche à très grande vitesse d’un choix fondamental. J’ignore si Fyrwald croit au moins un peu à ses conneries, mais il est la pointe avancée d’une stratégie mondiale.

Concentrons nos lorgnons sur la France. Pour la première fois en 2021, les ventes de produits bio ont baissé. De 3,1% en 2021 après une croissance folle à deux chiffres chaque année depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, la nouvelle a pris une place démesurée, et réveillé tous les soutiens de la structure paratotalitaire qui regroupe les administrations centrales du ministère de l’Agriculture, certains cadres de l’Inrae, institut public, l’industrie agrochimique bien sûr et, in fine, le syndic(at) de faillite de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Je précise pour les malentendants, que para signifie ici presque. Je sais établir des différences. Mais le vrai est que tous les points de la décision publique sont entre les mains de cette camarilla née en 1945 de la volonté de Fernand Willaume, premier lobbyiste connu de l’histoire des pesticides en France.

Que se passe-t-il ? La guerre en Ukraine est pour ces gens une aubaine. Dans un communiqué (2) intitulé « Conséquences de la Guerre en Ukraine : l’Union Européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », la FNSEA vole cette notion de « souveraineté alimentaire », défendue par Via Campesina (3) depuis vingt ans et plus. Sous la plume des communicants, cette volonté de nourrir sans détruire devient une ode à leurs maîtres de l’industrie. Pour la FNSEA « La logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne “Farm to Fork” doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire ». La traduction est aisée : place à leur système fou. Partout. Deuxième extrait : « L’obligation dans la future PAC de consacrer 4% à des surfaces dites “non productives” doit immédiatement être remise en question ». Présents dans la nouvelle PAC, ces 4% sont une ridicule concession à la biodiversité. Mais même cela, la FNSEA n’en veut pas. Ses directions, via les coopératives et les chambres d’agriculture, ont trop à perdre, eux qui vivent en partie de la vente de pesticides.

Attention, lecteurs ! La propagande va s’emparer des gosses africains affamés. Des villes et fermes ukrainiennes dévastées, à l’abandon. C’est une guerre, mais pas celle qu’on dit.

(1) https://www.letemps.ch/economie/patron-syngenta-defend-labandon-lagriculture-biologique

(2)https://www.fnsea.fr/communiques-de-presse/consequences-de-la-guerre-en-ukraine-lunion-europeenne-doit-remettre-la-souverainete-alimentaire-en-priorite-absolue/

(3) https://viacampesina.org/fr/la-souverainetliementaire/

Une réponse à Greg sur la bagnole électrique

Ce qui suit est une réponse à un lecteur de Planète sans visa, dont on trouvera le texte dans les commentaires. Deux autres lecteurs lui ont déjà adressé des remarques fort intéressantes, mais j’y joins les miennes, car le sujet, Dieu sait, importe.

Cher Greg,

J’étais occupé ailleurs, sinon j’aurais répondu plus tôt. D’abord et avant tout, ton « progressisme » me laisse un peu pantois. J’y vois la marque, et ce n’est pas péjoratif, d’une pensée magique qui s’insinue tôt ou tard dans tous les esprits. La science a toujours trouvé des alternatives, dis-tu ? Quelle science ? Celle qui s’est mise au service des intérêts industriels et militaires, dont il serait douteux de dire qu’elle sert des intérêts humains ? Des alternatives à quoi ? Chaque « avancée » technologique enchaîne davantage les hommes et repousse à plus loin les solutions. Pensons ensemble au transhumanisme et à la promesse de l’intelligence artificielle

Nous vivons l’heure de la numérisation du monde, révolution s’il en est, qu’il est visiblement interdit de critiquer sur le fond, et déjà on veut nous entraîner plus loin. N’est-il pourtant pas évident que c’est ce chemin technologique-là, fait de nouveautés incessantes, qui nous a plongés dans cette gigantesque impasse ? Greg, tu te contenterais donc de faire de nouveau confiance à ces gens-là ?

Autre question fort importante : la bagnole électrique. Enfin, voyons. Ne vois-tu pas qu’il s’agit d’un gigantesque plan de relance planétaire d’une industrie en panne historique ? Les marchés du Nord sont saturés – on imagine mal cinq bagnoles par foyer – et ceux du Sud, de loin, bien moins rentables. Toute industrie est programmée pour avancer vaille que vaille, sans autre considération. Il fallait trouver quelque chose pour sauver ce qui est, dans un pays comme la France, le centre de l’économie réelle. Bien sûr, on affirme que cela sera bon pour le climat. Comme les biocarburants, qui affament un peu plus les gueux. Comme le nucléaire qui menace de grands espaces de vitrification et diffuse des techniques qui seront tôt ou tard militarisées. Les communicants de ce monde en faillite on trouvé dans la crise climatique un argument en or massif pour pouvoir continuer leur route mortifère.

Je ne veux pas même discuter en détail du cycle de vie de la bagnole électrique. Peut-être est-il (un peu) meilleur que celui de la bagnole thermique, bien que je ne le croie pas. Mais ce n’est pas exactement le problème. Le problème est qu’on va émettre des quantités formidables de gaz à effet de serre pour leur construction – l’acier, par exemple -, au moment même où il faudrait réduire de 80% nos émissions. La bagnole électrique est le symbole évident que rien ne sera fait. Et c’est pourquoi il faut l’attaquer frontalement.

Puis, Greg, pardonne-moi, mais tu acceptes de devoir le confort d’une bagnole électrique à des esclaves et à la dévastation écologique loin de nos yeux ? Dis-moi que je me trompe.

Dernière chose enfin. Par quoi remplacer la bagnole ? En préambule, je tiens à redire pour la centième fois que certaines situations sont sans issue. On appelle cela le tragique, que tant, surtout s’ils sont « progressistes », ont du mal à considérer. Mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas. On peut parfaitement imaginer un plan de rénovation massive des bagnoles thermiques, en IMPOSANT aux constructeurs l’installation de moteurs ne dépassant as 1 à 2 litres pour 100 kilomètres, en libérant ces derniers de l’électronique qui ne sert que les marchands, de manière à rendre leur liberté d’auto-réparation à ces centaines de milliers de bricoleurs émérites que compte ce pays. Une voiture est susceptible de durer une vie entière dès lors que ses pièces peuvent facilement être changées ou réparées. Et bien sûr, parallèlement, il faut prévoir des plans de circulation incluant au maximum les transports publics, qui limitent sans bien sûr les interdire, les déplacements. En somme, on économise tout, drastiquement, en attendant de trouver mieux. Ce qu’on appelle une économie de guerre. Ne sommes-nous pas en guerre ?

Dernier, dernier point. Un choix décisif a été fait dans les années vingt du siècle passé. La bagnole individuelle aura joué un rôle très sous-estimé dans le développement accéléré de l’individualisme, cette maladie mentale qui nous tue. La prolifération des objets matériels, seul fondement véritable du capitalisme vieillissant, modifie inéluctablement la psyché des humains, en repoussant toujours plus loin des solutions collectives qui sont les seules efficaces. Je te conseille, Greg, et à tous d’ailleurs, d’aller regarder la carte du réseau ferré en 1921 en France, ce qu’on appelle le Grand Chaix (c’est ici et c’est spectaculaire). N’est-ce pas admirable ? Il y avait des bouts de ligne dans la moindre vallée, jusqu’en moyenne montagne. Je dis, j’écris, j’affirme que sur cette base, on pouvait bâtir une autre civilisation des transports. Avec l’intelligence technique des humains, que je juge grande, on eût pu trouver un système souple, mixte, mêlant train et engins collectifs, répondant parfaitement aux besoins. C’est la politique, et le génie des communicants de Michelin qui en auront décidé autrement.

Alors non, cher Greg, non et cent fois non.

Fabrice Nicolino