Archives de catégorie : Industrie et propagande

Des mouches qui ne sont que de la merde

publié en mai 2021

Ce qui suit n’a jamais existé, et heureusement, car il faudrait autrement considérer la liberté (de la presse), la vérité (des faits) et la justice (sur Terre) comme autant de petits sacs de crotte. La société biotech InnovaFeed (https://innovafeed.com), française comme son nom l’indique, veut le Bien. Les gens ont faim, nous serons bientôt 9 milliards, et c’est tout de même rageant alors qu’il y a tant d’insectes pour les nourrir.

Trois petits jeunes comme on les aime – école des Ponts et Chaussées, Centrale, réseau McKinsey, au plein service des transnationales – ont lancé en 2016 cette start-up, qui fait depuis des étincelles. Deux usines en France, une autre bientôt aux États-Unis, et des projets par dizaines.

De quoi s’agit-il précisément ? De bâtir des fermes à mouches – Hermetia illucens ou mouches soldats noires -, dans lesquelles les femelles pondront à un rythme frénétique avant de que nourrir, transformées en farine, les poissons d’élevage, la volaille, les cochons, les animaux de compagnie. Ces gens-là sont en mission, comme ils l’indiquent sur leur site. Leurs mouches ont cinq objectifs officiels : « faim zéro », protection des terres arables, lutte contre le changement climatique, consommation responsable, sauvegarde de la vie aquatique. Sans compter trois grands principes, parmi lesquels la limitation « des facteurs de stress pour [les] insectes en réduisant les interactions humaines et en adoptant des méthodes minimisant le potentiel de souffrances ». Le gras est dans le texte (innovafeed.com/nos-engagements/).

Message un peu appuyé, mais qui a été immédiatement compris. C’est le ministère de la Transition écologique qui a dégainé le premier, puis Le Crédit Agricole, qui a déboursé 15 millions d’euros, à quoi il faut ajouter 4,5 millions du plan de relance macronien, divers investissements du très sympathique fonds singapourien Temasek (temasek.com.sg/en/index) et du groupe Auchan, ainsi que de puissants partenariats que l’on va découvrir.

La presse est béate d’admiration. Les Échos bien sûr – quel triomphe économique ! -, mais aussi L’Obs – « La réussite est totale pour InnovaFeed » -, La Voix du Nord qui célèbre l’installation d’une usine dans la région – « la “French Tech” dans toute sa splendeur » -, mais la palme revient sans conteste au Monde. Le quotidien a envoyé dans la Somme une journaliste pour un publireportage de haute volée. Impossible de tout citer, mais une phrase résume le tout : « L’activité d’InnovaFeed s’inscrit dans une dynamique d’agroécologie. En effet, InnovaFeed participe à l’essor d’une pisciculture durable, respectueuse de l’environnement et des ressources naturelles ». Pratiquement au mot près la propagande servie ad nauseam par ces braves communicants de InnovaFeed. Du même tonneau – on n’ose dire de la même farine – que la page Wikipédia de la boîte (fr.wikipedia.org/wiki/InnovaFeed), sans nul doute écrite par elle-même, épinglée pour son « ton trop promotionnel ou publicitaire, voire hagiographique ».

La vérité est ailleurs, on s’en douterait un peu. Aucun journaliste ne s’est seulement interrogé sur ce simple fait : comment une société biotech fait-elle pour multiplier les mouches. Par quels trucs génétiques et biotechnologiques ? Que signifie l’utilisation revendiquée de « l’intelligences artificielle » ? Avec quoi les mouches sont-elles nourries ? Par quel exploit leurs déjections pourraient-elles être utilisées en agriculture biologique ?

En fait, InnovaFeed a signé le 3 mai un partenariat stratégique avec Cargill, l’une des pires transnationales de la planète. Celle-ci a mouillé dans d’innombrables scandales dûment documentés : violations des droits de l’homme, contamination de la bouffe, déforestation, spéculation sur les produits alimentaires de base, accaparement de terres, etc. Production annuelle de porcs dans le monde : 102 millions de tonnes. De poulets : 101 millions. De poissons d’élevage : 86 millions de tonnes. InnoviaFeed, 8 000 tonnes de mouches biotechs dans son usine du Nord. Les mouches comme leurre de la destruction du monde.

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Au bonheur des chevrotines dans la gueule

On le sait depuis des lustres, la publicité est l’industrie du mensonge. Cela n’empêche pas d’être curieux, surtout lorsqu’il s’agit de nos amis chasseurs, rois incontestés de l’oxymore – mélange de deux termes inconciliables – et de la manipulation mentale. Les voilà désormais à la télé, de TF1 à M6, dans des spots payés par la Fédération nationale des chasseurs (FNC).

Il aura suffi d’en regarder un (1), car le masochisme a ses limites. Pour être sincère, cela sent si fort la joliesse surjouée, que l’on finit par chercher la caméra, qui ne doit pas être bien loin. On voit des jeunes femmes rieuses, heureuses de participer à une ablation d’organe sans anesthésie. Ou des gamins envapés, sautant de joie dans les bras de pépé à la vue d’une harde de sangliers en mouvement, qu’un bon coup de tromblon ne va pas tarder à décimer. Comment le dire sans vexer ? On reste assez loin des films néoréalistes à la manière de Rossellini.

Qui se cache derrière l’opération ? Sans aucun doute Thierry Coste, lobbyiste officiel, assumé et rigolard de la FNC. Coste est un cas d’espèce. Défendant auprès des politiques les causes les plus sympathiques – la chasse, l’élevage concentrationnaire, la FNSEA -, ce communicant a toutes les audaces, et il a bien raison, puisqu’on lui déroule partout le tapis rouge. On peut ainsi le voir embrasser à bouche que veux-tu le président en titre, Emmanuel Macron, en le tutoyant bien sûr. Désolé, mais les braves de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui se battent pour les piafs massacrés – ohé!Allain, Philippe, Yves – ne font pas le poids.

  1. https://vimeopro.com/rolandmouron/around-the-world/video/543356596
  1. https://www.youtube.com/watch?v=9iCIR840SkY

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Montebourg, l’éternel retour du foutriquet

Montebourg. Non, ce n’est pas de l’acharnement, car une telle évanescence ne le mérite aucunement. C’est bien plutôt de l’instruction civique. Et d’abord ce rappel : Arnaud Montebourg a été l’un des principaux ministres, après 2012, d’un homme politique aujourd’hui disparu, François Hollande. En charge de l’Économie et, ne rions pas trop fort, du « redressement productif ». On a vu. Le drôle aura tout défendu sans jamais trembler : l’ouverture de mines et la réouverture de l’une d’elles, bourrée d’amiante, les gaz de schiste, sans oublier bien sûr le nucléaire made in France. Oui, il défend l’industrie tricolore, la belle.

Que se passe-t-il chez cette Grandeur ? Il parle sans y croire de se présenter à l’élection présidentielle, et reçoit pour cette raison des clins d’oeil de la France insoumise d’un autre chanteur d’opérette, Mélenchon. Et quand il trouve le temps, il cause. Le site gratuit Reporterre organise désormais des débats entre géants, et le dernier aura réuni Éric Piolle, maire EELV de Grenoble et Montebourg soi-même. Et que dit-il tout soudain des conséquences du nucléaire, moulinant de ses mains comme il l’a fait mille fois devant les journalistes (1) ? Ceci : « Bon, ben relativisons. Fukushima : zéro mort. Tchernobyl : zéro mort ».

Arrêtons ici l’image. Bien entendu, c’est une infamie. Pour s’en tenir à la catastrophe ukrainienne, même les nucléocrates les plus bas de plafond admettent des morts et des cancers par millers. Les autres estimations oscillent entre 200 000 morts et un million. Cette dernière, très contestée, figure dans un livre édité par l’Académie des sciences de New-York. Dans tous les cas, Montebourg est ignoble, qui essuie ses pieds distingués sur des cadavres.

Au-delà, il donne puissamment à réfléchir. Les politiques, jusqu’au sommet, sont des ignorants qui tranchent des questions essentielles sans avoir pris le soin d’en connaître quoi que ce soit. Le nucléaire français est en faillite – EDF, 42 milliards d’euros de dette, Orano-Areva jongle avec la sienne  -, mais Macron pense à sa réélection.

  1. https://reporterre.net/Nucleaire-le-recit-du-debat-Montebourg-Piolle-sur-Reporterre

Cette industrie qui prétend sauver le monde

publié en mai 2021

Un simulacre. Un formidable simulacre planétaire, comparable à l’immense foutaise connue sous le nom de « développement durable ». Cette dernière expression a été imaginée pour le profit d’industriels menés par l’insurpassable Maurice Strong (1), puis propulsé par le même avec l’aide conséquente de…l’ONU. Oui, l’ONU n’est pas exactement au service des peuples et des écosystèmes.

La même lance une vaste opération qui sera débattue en octobre en Chine, au sommet de la Convention sur la diversité biologique. Il s’agirait de créer d’ici 2030 des « aires protégées » couvrant au moins 30% des surfaces terrestres et marines. Tel est leur nouveau truc : protéger le tiers du monde. Ce serait presque risible – on jette le reste ? -, mais bien sûr, un tel objectif légitimera dans le monde réel quantité de politiques atroces. Et d’autant que de grandes structures comme l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont pour.

Au vrai, l’origine de cette affaire est ailleurs. Le milliardaire suisse Hansjörg Wyss, qui a fait fortune dans la vente de matériel médical, est devenu sur le tard philanthrope, après de graves démêlés avec la justice américaine (voir encadré). Il « pèserait » environ 6,5 milliards de dollars, et en a refilé deux à une fondation créée en 1998 The Wyss Foundation, laquelle, comme c’est mignon, veut sauver le climat et le monde. En injectant un milliard dans le grandiose « Campaign for Nature » (2).

Ce sont ces gens, rejoints par National Geographic, via sa fondation, et une centaine d’organisations diverses, qui ont imaginé ce plan des 30% d’aires protégées, repris depuis par les Nations unies. Ce qui frappe dans l’affaire, c’est l’omniprésence du mot finance. La clé serait semble-t-il le fric, mais avec qui ? Avec des philanthropes aussi convaincants que Wyss ou le Premier ministre britannique Boris Johnson – adeptes de toutes les dérégulations – , qui déclare sur le site du machin : « Nous ne pouvons plus nous permettre de tergiverser et d’attendre, car la perte de biodiversité, c’est maintenant ». Et de même Justin Trudeau le Canadien, qui ose : « Nous devons agir de concert pour protéger la biodiversité ». Et de même le patron de la transnationale Unilever ou le secrétaire général de l’ONU Guterres, ou Antoine Sire de BNP-Paribas.

Tiens, un seul représentant des « peuples autochtones », dont on parle à chaque page ou presque. Y aurait-il problème ? Y a. La grande et merveilleuse association Survival International, qui défend depuis 1969 ces oubliés définitifs que sont les peuples indigènes, a décidé de lancer une grande bagarre, que Charlie soutient sans hésitation. Pour les feignasses, signalons une vidéo de moins de trois minutes, très remarquable, avec la voix de la comédienne Audrey Vernon (3).

Le point de vue de Survival, qui s’oppose sur le terrain aux « protecteurs » façon WWF, notamment en Afrique, est net. L’opération des 30% s’apparente à un accaparement des terres géant, le plus grand de l’histoire des hommes. Ses promoteurs oublient comme ils l’oubliaient au temps de colonies que ces terres qu’il s’agirait de « protéger » sont habitées par des peuples.

Écoutons : « Qui va souffrir si 30 % de la Terre est « protégée » ? Ce ne seront pas les principaux responsables de la crise climatique, mais plutôt les peuples autochtones et les autres populations locales du Sud qui ne participent que peu ou pas du tout à la destruction de l’environnement. Les chasser de leurs terres pour créer des aires protégées n’aidera pas le climat : les peuples autochtones sont les meilleurs gardiens du monde naturel et une part essentielle de la diversité humaine, qui est primordiale pour protéger la biodiversité ».

Dans les faits, car seuls comptent les faits, la « protection de la nature » vue par de richissimes associations du Nord, comme le WWF, exige de faire le ménage. Les peuples forestiers, les peuples autochtones qui habitent ce qui reste de nature depuis des milliers d’années sont des gêneurs. Qui doivent laisser place au fantasme. Le Grand Mensonge Vert est sur les rails.

(1) J’ai longuement expliqué cette saisissante affaire dans « Qui a tué l’écologie ? », paru en 2011 chez LLL. Et : https://fabrice-nicolino.com/?p=1256

(2) https://www.campaignfornature.org/unga-hub-page

(3) survivalinternational.fr/campagnes/mensongevert

Quand la philanthropie copine avec le crime

Mais qui diable est Hansjörg Wyss, le promoteur de Campaign for Nature (voir article principal) ? Il y a au moins deux façons de le décrire. Un, c’est un capitaine d’industrie devenu milliardaire. Suisse, il a fait de l’entreprise  Synthes un (très) grand de la vente de matériel médical et d’implants divers. Et comme il a grand cœur, il est devenu un philanthrope universel, soutenant de nobles causes dans les domaines de la médecine, de l’art, de la nature.

Deux, c’est un capitaliste, qui a mené la société Synthes de 12 employés à 8500 entre 1976 et 2012. Et il a eu de très gros ennuis avec la justice. Le 16 novembre 2011, Georgia Baddley reçoit un coup de fil officiel : la mort de sa mère, huit ans plus tôt, pourrait être liée à un acte illégal : l’injection d’un ciment médical dans sa colonne vertébrale, le Norian XR (1). Sur le papier, cette invention est simplement géniale, car le ciment se comporte comme de l’os. Le remplace. Et il rapporte des millions à l’entreprise qui en a déposé le brevet, Synthes bien entendu.

Mais les autorités n’ont jamais donné l’autorisation pour cet usage. Bien pire : la boîte a été prévenue à plusieurs reprises qu’il ne fallait surtout pas utiliser ce « comblement osseux » dans la colonne vertébrale, au risque de provoquer la formation de caillots sanguins. Au moins cinq personnes sont mortes dans cette petite aventure industrielle. La plainte qui suit traînera quatre responsables de Synthes au procès, puis à une peine de prison. Synthes sera poursuivie pour des dizaines d’infractions lourdes, dont celle d’avoir mené des essais cliniques interdits sur des humains. De quoi faire passer le labo Servier pour un simple distrait.

Wyss finira par vendre sa petite entreprise au laboratoire pharmaceutique Johnson et Johnson, qui commercialise en ce moment, avec peine, son propre vaccin contre le coronavirus. Le 13 juin 2012, Wyss empoche un chèque de 19,7 milliards de dollars. Avant de se lancer dans la grande croisade de « Campaign for Nature ».

  1. https://rroeder.nd.edu/assets/387886/fortunesynthes.pdf

Ces 3% qui n’ont pas encore été salopés

Faisons semblant d’y croire. Dans un sursaut héroïque, le milliardaire Wyss, soutenu par l’ONU, lance l’idée de créer des « aires protégées » (voir article principal) couvrant 30% des terres et des mers. Mais une étude bien intéressante remet les pendules à l’heure (1). 15 chercheurs de haute réputation – du Nord comme du Sud, de Cambridge à Nairobi, de Leipzig à Mexico – se sont posé cette question : « Where Might We Find Ecologically Intact Communities? ». Où peut-on trouver des communautés – au sens de l’écologie scientifique – intactes ? Le résultat est tout sauf rigolo.

S’appuyant sur trois critères rigoureux autant que complexes, les chercheurs ont essayé de dresser une carte des zones écologiquement intactes, celles où la biodiversité n’a pas encore diminué pour cause d’activités humaines. D’après l’étude, elles ne couvriraient plus que 2,8% des surfaces terrestres. C’est d’autant plus significatif que la surface planétaire des habitats non perturbés est généralement estimée entre 20 et 40% du total. Très près, et ce n’est pas un hasard, du plan des 30% d’aires protégées.

Autre gros caillou dans les chausses de M.Wyss : seuls 11% des terres intouchées sont des « aires protégées ». Mais qui donc a protégé efficacement les 89% restants ?L’explication est (presque) simple : les quelques bijoux biologiques sauvés « coincide with territories managed by indigenous communities ». Les sauveteurs ne sont pas les M.Wyss, mais les peuples autochtones défendus par Survival International.

(1) frontiersin.org/articles/10.3389/ffgc.2021.626635/full

Le Groenland envoie au diable l’uranium et les terres rares

Le Groenland envoie au diable l’uranium et les terres rares

Mais quelle claque ! Si cet exemple pouvait être suivi, le monde gagnerait certainement des chances de s’en sortir vivant. Au Groenland, un peuple vient d’envoyer aux pelotes un immense projet de mine, soutenu par l’équivalent de notre cher parti socialiste, le Siumut. Mais commençons.

Une société d’État chinoise est le principal actionnaire d’une compagnie minière fictivement australienne, (ggg.gl). Laquelle est une spécialiste de l’extraction des terres rares, ces 17 métaux stratégiques qui permettent de construire des téléphones portables, des bagnoles électriques, des écrans d’ordinateur ou de télés, en somme toute la merde si délicieusement « moderne ». Les Chinois, dans ce domaine comme dans tant d’autres, sont à l’offensive. Ils tiennent une bonne part du marché mondial, mais savent qu’il faut faire mieux pour assurer leur domination au long cours.

Or les terres rares sont présentes au Groenland, Eldorado minier qui rend fous les tenants de l’extractivisme, cette manière industrielle d’exploiter massivement tout ce que la nature peut offrir. L’île ne compte que 56 000 habitants, dont une très forte majorité sont des Inuits, qu’on appelait autrefois des Esquimaux, et dispose d’un sous-sol gorgé de terres rares et d’uranium, de gaz et de pétrole, de zinc et de plomb, de molybdène, d’or, de diamants, de charbon. L’embêtant, c’est que la glace couvre 80% de l’île, sous la forme d’un inlandsis qui peut atteindre trois kilomètres de profondeur, mais le dérèglement climatique fait fondre la glace, sur terre comme en mer, et ouvre des perspectives .

Le site de Kuannersuit, à quelques kilomètres au nord-est du village de Narsaq, est tenu pour la deuxième réserve au monde de terres rares et la sixième d’uranium. Trois gisements proches, dont celui de Kuannersuit, contiendraient au total 270 000 tonnes d’uranium et 11 millions de tonnes d’oxydes de terres rares (1). Repris en 2010 par ce qui deviendrait Greenland Minerals, le projet est progressivement mis sur orbite, avec des arguments mille fois entendus. 2 000 emplois pour commencer. 800 en vitesse de croisière. Plein d’argent pour attirer le touriste par de nouvelles routes et des hôtels flambant neuf. Son directeur Ib Laursen : « Vous ne pouvez pas vivre dans un musée ( …), Ce n’est pas une république bananière, le pays est immense, une ou deux mines ne détruiront pas sa pureté » (2). Tu parles, Charles ! Selon certaines estimations, la mine ferait augmenter de 45% les émissions de gaz à effet de serre de l’île.

Pendant des années, Kuannersuit devient ce sparadrap du capitaine Haddock, dont personne n’arrive à se défaire. Le temps arrive d’une ultime consultation, prélude à l’exploitation. À l’approche des élections législatives du 6 avril, deux lignes s’opposent frontalement. D’une part, les socialos locaux, déjà évoqués, qu’une scission opposée à Kuannersuit affaiblit. Et de l’autre, Inuit Ataqatigiit – la Communauté inuite -, qu’on présente généralement comme écologiste et de gauche. Sa ligne est loin d’être parfaite, qui met l’accent sur le tourisme, la pêche et les mines, mais son nouveau responsable promet mieux. Múte Egede, 34 ans, a justement grandi à Narsaq, la bourgade la plus proche du projet minier, où son parti a fait presque 70% des voix. Cette partie du Groenland concentre l’essentiel des maigres terres agricoles de l’île, ainsi que quelques troupeaux de moutons, et même de vaches.

Marianne Paviasen, qui incarne mieux encore que Egede le combat contre la mine, a créé dès 2013 un groupe de femmes appelé Urani Naamik – Non à l’uranium – avant de rejoindre le parti de Egede. Toute nouvelle élue, elle voit clair, et loin : le 6 avril a été «  l’élection la plus importante qu’on ait jamais eue au Groenland. Greenland Minerals veut nous faire croire qu’il faut exploiter ces terres rares pour permettre la transition écologique et rendre l’Europe plus verte, mais ça ne peut pas être une bonne méthode de détruire un pays pour en rendre un autre plus propre ». Une leçon universelle.

(1) technology.matthey.com/article/61/2/154-155/#:~:text=The%20Kvanefjeld%20project,%20one%20of,billion%20tonnes%20of%20mineralised%20ore

(2) theguardian.com/environment/2017/jan/28/greenland-narsaq-uranium-mine-dividing-town

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En Équateur, la gauche vaincue par les Indiens

Vite. Ainsi qu’écrit ici en février, un leader indien a surgi en Équateur, formidable. Yaku Pérez est écologiste, féministe, musicien. Victime apparente de magouilles et truandages, il n’a pas pu participer au second tour des élections présidentielles du 6 avril. Lequel second tour a fini par donner l’avantage à un candidat libéral, le banquier Guillermo Lasso, opposé à celui de la gauche correísta, Andrés Arauz. Que veut dire correísta ? C’est un adjectif formé autour du nom de Rafael Correa, grand ami de Mélenchon et président jusqu’en mai 2017. Celui qui parlait – beaucoup – de « révolution citoyenne ».

Le résultat est une surprise, car sur le papier, Lasso ne pouvait gagner. Mais le parti de Yaku Pérez a préféré le vote blanc, et la colistière de celui-ci, Virna Cedeño, a même préféré voter Lasso. Inconcevable ? Ce qui l’est, c’est qu’un mouvement de gauche entube à ce point la cause indienne, et piétine avec une belle constance celle de l’écologie. Sans prétention à l’exhaustivité, citons la volte-face de Correa sur le pétrole caché sous le parc national de Yasuni, finalement vendu aux transnationales – 2013 – ou l’appel déchirant des Indiens de Sarayaku – 24 avril 2014 -, menacés par une invasion militaire « citoyenne » sur fond d’exploitation pétrolière.

Dans un entretien au magazine américain de gauche New Left Review (septembre-octobre 2012), Correa avait déjà tout dit : « Je ne crois pas que Marx, Engels, Lénine, Mao, Ho Chi Minh ou Castro ont dit non aux mines ou aux ressources naturelles ». Voilà ce qui ne peut pas durer. Un régime chaviste, au Venezuela, lorgnant vers les sables bitumineux du delta de l’Orénoque, pour remplir encore plus les poches des corrompus. Un régime sandiniste, au Nicaragua, vendant le pays aux Chinois pour un nouveau canal de Panama. Un régime luliste – de Lula – au Brésil, se lançant avec ardeur dans le nucléaire, le pétrole, les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie, les biocarburants et les dépenses militaires. La défaite des salauds d’Équateur est une bonne nouvelle.

  1. Voir le blog de Marc de Saint-Upéry, https://blogs.mediapart.fr/saintupery/blog/040718/amerique-latine-quand-melenchon-pedale-dans-la-semoule

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Paquet-cadeau de Fukushima à l’océan mondial

Vous avez vu comme c’est facile ? Malgré des décennies de traités, de résolutions, d’accords, de réunions, de proclamations, de signatures et d’envolées, l’océan mondial reste un sac vomitoire. Ce coup-ci, cela se passe au Japon, où les adorateurs de l’atome ont décidé de jeter en mer une eau rendue gravement radioactive par Fukushima. On parle de 1,25 million de tonnes, ce qui ne signifie rien. Ces gens ne savent pas mieux gérer une catastrophe nucléaire que les suites de 1914-18 et de 1939-45.

Été 1955, dix ans après la guerre. Sur la plage polonaise de Darłówko (mer Baltique), 102 gosses d’un camp de vacances jouent avec un baril corrodé qui laisse échapper un liquide brun-noir. Dommage pour eux. C’est une vieille munition, précurseur du fameux gaz moutarde. Beaucoup d’enfants sont touchés, dont quatre garderont des séquelles aux yeux irréversibles. La seule mer Baltique contiendrait 100 000 à 150 000 mines, 65 000 tonnes d’armes chimiques et un total de 300 000 tonnes de munitions diverses (1).

Bien entendu, ce ne sera jamais récupéré. Entre 1998 et 2009, presque 2000 « rencontres » avec des munitions abandonnées ont eu lieu dans les eaux de Belgique, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Espagne, du Royaume-Uni, d’Irlande et de Suède (2). Environ 60% concernaient des pêcheurs, remontant dans leurs filets des munitions abandonnées. Il y a eu des morts, des blessés, des brûlés. Et les cadeaux de Fukushima sont éternels. Et le crime est résolument parfait, qui ne laissera que des traces invisibles et meurtrières.

(1) https://commons.lib.jmu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2888&context=cisr-journal

(2) https://www.popsci.com/story/environment/chemical-weapons-dumped-in-ocean/?ct=t%28RSS_EMAIL_CAMPAIGN%29

Mais d’où vient ce salopard de virus ?

Tout le monde en a marre, non ? Des milliers d’heures sur les radios et télés, des kilomètres de signes dans les gazettes auront été consacrés au coronavirus. Pour dire et répéter les mêmes choses dans un sens puis dans l’autre, et retour. Non ?

En mars 2020, quand nous n’en étions qu’au début, l’infectiologue Didier Sicard, pas plus con que tant d’experts de TF1 ou de France-Inter, s’interrogeait (1). Très au fait du sujet, il réclamait un examen en urgence des causes animales de la pandémie. Et comme il connaissait fort bien une partie de l’Asie, il ajoutait : « Ce qui m’a frappé au Laos, où je vais souvent, c’est que la forêt primaire est en train de régresser parce que les Chinois y construisent des gares et des trains. Ces trains, qui traversent la jungle sans aucune précaution sanitaire, peuvent devenir le vecteur de maladies parasitaires ou virales et les transporter à travers la Chine, le Laos, la Thaïlande, la Malaisie et même Singapour. La route de la soie, que les Chinois sont en train d’achever, deviendra peut-être aussi la route de propagation de graves maladies ». 

La nouvelle Route de la soie, qui fait se pâmer tant d’économistes et autres crétins, reliera à terme la Chine – on y achève une quatre-voies de 5000 km –, l’Asie centrale et même l’Europe où un Viktor Orbán, clone hongrois de Trump, est en train de vendre son pays à Pékin. Précisons à l’attention des grincheux que je ne suis spécialiste de rien. Je vois, car je lis, qu’une affaire mondiale comme celle-là recèle d’innombrables mystères. En fera-t-on le tour ?

Mais cela ne doit pas empêcher de parler de ce que l’on sait avec une raisonnable certitude. Et nul doute que la crise écologique planétaire est le responsable principal de l’émergence de tant de virus menaçants. La logique en est dans l’ensemble connue : les activités humaines remettent en circulation des organismes vivants neutralisés par des relations biologiques stables depuis des millénaires, parfois des centaines de millénaires.

L’incursion des humains – braconniers suivant la piste des bûcherons – dans les forêts tropicales les plus intouchées ne pouvait manquer d’avoir des conséquences. Et ce n’est qu’un petit exemple. Quantité de virus dits émergents sont en effet des zoonoses, des maladies ou infections qui passent de l’animal à l’homme. Tel est le cas d’Ebola, des hantavirus, du SRAS, de la fièvre du Nil occidental, probablement du sida. Ce n’est qu’un aperçu, car l’on compte environ 200 zoonoses, dont beaucoup sont bactériennes.

Dès le 17 avril 2020 – il y aura bientôt un an -, 16 responsables d’autant d’organismes scientifiques différents écrivaient (2) : « La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement : c’est bien, encore une fois, une perturbation humaine de l’environnement, et de l’interface homme-nature, souvent amplifiée par la globalisation des échanges et des modes de vie, qui accélère l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines ».

Et les mêmes posaient une question qui devrait pétrifier nos responsables : « À la lumière de la crise sanitaire que nous traversons, il est paradoxal de constater que les études de médecine et de pharmacie continuent d’ignorer largement la biologie de l’évolution, et que celle-ci est récemment devenue facultative pour les deux tiers d’un parcours scolaire de lycéen ».

En clair, tout le monde s’en tape. Pourquoi ? Parmi les nombreuses raisons en cause, j’en retiens deux. Un, nos chefaillons actuels, qui incluent les écologistes officiels, sont d’une inculture monumentale. Ils ne savent pas, obsédés que sont la plupart par leur sort personnel et leur place dans l’appareil d’État. Deux, les rares qui entrevoient une lueur n’ont pas le courage de remettre en question le monde qui est le leur, son organisation, ses buts.

Il y faudrait la force d’un Gandhi et nous n’avons à notre disposition qu’une classe politique et administrative plus bas-de-plafond que le dernier des nains de jardin. Voilà pourquoi votre fille est muette.

(1)franceculture.fr/sciences/didier-sicard-il-est-urgent-denqueter-sur-lorigine-animale-de-lepidemie-de-covid-19

(2) lemonde.fr/idees/article/2020/04/17/la-pandemie-de-covid-19-est-etroitement-liee-a-la-question-de-l-environnement_6036929_3232.html

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Jean-Louis Beffa, héros méconnu de l’amiante

Le coût de l’amiante est tel qu’il ne sera jamais calculé vraiment. L’industrie en a longuement profité, et maintenant la société paie les dégâts, les milliers de morts chaque année, les vies disloquées. Des braves se battent depuis 25 ans devant les tribunaux, et parfois gagnent, et souvent perdent, et continuent pourtant.

En 2017, une expertise judiciaire estimait qu’on ne pouvait pas connaître la date précise d’une contamination par l’amiante, menant droit à un non-lieu en 2018. Les magistrats jugeaient alors impossible de retenir la responsabilité pénale de tel ou tel dirigeant d’une entreprise. En l’occurrence, il s’agissait de l’usine Everite située à Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne. Gros soupir de soulagement patronal.

Mais la cour d’appel de Paris vient d’infirmer ce non-lieu, et renvoie le dossier à des juges d’instruction. Selon eux, en effet, et il s’agit de citations tirées de son arrêt, « c’est toute la période d’exposition qui contribue à la maladie et/ou au décès ». Du même coup, « chaque dirigeant successif peut avoir participé, à son échelle de responsabilité, à l’exposition des salariés aux fibres d’amiante ».

C’est déjà beaucoup moins drôle pour certains, car Everite était une filiale de Saint-Gobain, ce qui nous rapproche fatalement d’un certain Jean-Louis Beffa. Ce personnage central du capitalisme français est entré à Saint-Gobain en 1974, dont il a été le P-DG dès 1986, quand il était encore légal d’empoisonner le prolo avec l’amiante.

Le cas est d’autant plus intéressant qu’un Beffa, dans notre sainte république, semble intouchable. Ingénieur des Mines, un temps membre du club Le Siècle, il a été aussi des conseils d’administration ou de surveillance de GF Suez, de Siemens, de la Caisse des dépôts, de BNP-Paribas, etc.

Cerise amiantée sur le gâteau, Beffa fait partie dès 1994 du conseil de surveillance du journal Le Monde, qu’il préside depuis 2017. En Italie, travaillant des années sur des milliers de pièces, un tribunal d’appel à condamné en 2013 l’industriel de l’amiante Stephan Schmidheiny à 18 ans de taule. Beffa, quelle chance.

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Les Tartarin veulent la peau du Loup

Comment va le Loup en France ? Pas bien. Je rappelle qu’il est revenu naturellement d’Italie il y a une trentaine d’années, après avoir été totalement exterminé. Pas bien, donc, et c’est l’Office français de la biodiversité (OFB) qui le détaille dans un rapport, avec le CNRS (1). Attention, l’OFB, c’est pas les Naturalistes en lutte : les chasseurs, pour s’en tenir à eux, siègent à son conseil d’administration.

Il n’empêche que le texte est limpide. S’appuyant diplomatiquement sur des « points de vigilance », ses auteurs constatent qu’entre 2014 et 2019, la mortalité atteint 42%, toutes classes d’âge confondues, contre 26% avant 2014. Ce qui rapproche l’espèce du point au-delà duquel la population commence à décliner.

En ajoutant d’autres signes préoccupants, les rédacteurs de la note sortent un peu plus du bois, et ils écrivent : « Plusieurs signaux vont dans le sens d’une dégradation de la dynamique de la population ». Et appellent entre les lignes, mais sans détour, à une révision de la politique actuelle, qui vise, ça c’est Charlie qui le dit, à contenir les oppositions et satisfaire quelques clientèles électorales.

Il n’y a aucun mystère : depuis 2014, des centaines de loups ont été butés « légalement », malgré leur statut de protection. Ils seraient 580 et en cette année qui commence, l’État donne le droit d’en abattre 121. Courons donner des leçons aux paysans africains sur la cohabitation avec les éléphants. Et aux gueux de l’Inde sur la sauvegarde des tigres, si mignons à la télé.

(1) https://www.loupfrance.fr/mise-a-jour-des-effectifs-et-parametres-demographiques-de-la-population-de-loups-en-france-consequences-sur-la-viabilite-de-la-population-a-long-terme/

Cadeau de Noël (européen) pour la Tunisie

La Tunisie. Sidi Bou Saïd et Djerba pour les ploucs d’ici, qui paient l’illusion et le décor. Derrière, il y a tout de même 12 millions d’habitants, dont tous ne sont pas des djihadistes prêts à fondre sur le touriste traité au thé à la menthe.

Or ils sont au Sud. Or nous sommes du Nord, ce qui nous donne le droit de vomir dans leur encolure et de leur adresser par cargos entiers ce qu’on ne veut plus enterrer ou brûler chez nous. L’association Robin des Bois exhume une histoire qui ne trouvera jamais sa place entre les nouvelles de Laeticia et la mort de l’ami – des éléphants – Giscard.

Que raconte Robin (1)? Qu’en avril 2020, en pleine panique coronavirale, les affaires continuaient. Un grand cargo quitte le port de Naples avec 282 conteneurs à bord, emplis jusqu’à la gueule de déchets ménagers et surtout hospitaliers. Le surtout est de moi, car enfin, faire voyager ainsi des boîtes de conserve et des restes d’ananas, est-ce bien raisonnable ? En revanche, n’est-il pas plus rentable, après avoir fait payer les hostos, d’expédier lancettes, perfuseurs, cathéters, aiguilles et poches de sang, éventuellement infecté chez les pauvres, de l’autre côté de la Méditerranée ? Si.

Après examen de la presse tunisienne, voici ce qu’on peut reconstituer de cette belle coopération Nord-Sud. Soit un journaliste courageux, Hamza Belloumi, qui présente sur la chaîne de télé privée El Hiwar Ettounsi une émission très regardée, « Les quatre vérités ». En 2019, après un reportage sur une école coranique où les enfants sont maltraités, il obtient une protection policière.

Début novembre 2020, il révèle l’existence d’un contrat qu’on devine juteux entre une société italienne basée à Naples, et une autre, Tunisienne, installée dans le port de Sousse. Cette dernière, Soriplast, prétend être spécialisée dans le recyclage des plastiques, mais reçoit sans broncher, selon le contrat signé avec les Italiens, 121 000 tonnes de rebuts ensanglantés par an, au prix de 48 euros la tonne. Le reportage révèle que 70 conteneurs sont déjà sous scellés et 212 en attente – de quoi ? – sur le port de Sousse.

Bien entendu, la Tunisie a signé, comme l’Italie d’ailleurs, toutes sortes de jolis textes qui prohibent totalement ce genre de trafics. Dans son cas, la convention de Bamako interdit l’importation en Afrique de tous les déchets dangereux, mais où est le mal, puisque cela fait marcher le commerce, et augmente d’autant le PIB d’un pays si tristement pauvre ?

Alors, dans une scène mille fois vue, on décide de faire péter le fusible de service, le directeur général de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED). Bechir Yahya est relevé de ses fonctions, et les ministères, dont celui de l’Environnement, font les gros yeux, feignant de s’étonner qu’une telle horreur puisse se passer dans un pays si bien administré. Quant à la Direction générale de la douane, sans doute la mieux placée pour s’interroger sur 121 000 tonnes et des centaines de conteneurs, elle se montre, la charmante, « réservée ».

Oui et en effet, faut voir. Haythem Zaned, son porte-parole : « Nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur cette affaire, car elle fait l’objet de litige avec la société en question ». Ainsi va le monde réel, dont ne parle jamais personne. À quand une inspection générale des docks de tous les ports français ? En France, le trafic de déchets à destination de l’Afrique se fait au grand jour. On sait depuis une enquête de Coraline Salvoch et d’Alain Pirot (2) que 60% de nos déchets électroniques finissent là-bas. En plaçant un GPS sur un vieil ordinateur déposé au coin d’une rue parisienne, ou une télé, ils ont pu suivre, et nous avec, leur grand voyage jusqu’à Lagos ou Accra. Que ne ferait-on sans ces décharges à ciel ouvert, où des gosses de dix ans, pieds nus, font des feux de camp avec notre filasse électronique et nos chers vieux disques durs ?

Notons qu’il n’y a pas que des mioches : regardons ensemble les belles aventures (3) d’Awal Mohamed, brûleur sur la décharge d’Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra (Ghana).

(1)robindesbois.org/les-cargos-de-dechets-voyagent-malgre-la-pandemie-covid-19/

(2)film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/55455_1

(3) youtube.com/watch?v=mIlNGjKJK-M

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Macron, l’homme qui parlait plus vite que sa parole

« J’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie ». Ces mots fantaisistes sont de notre Macron préféré, le 29 juin 2020, face à 150 citoyens de la Convention Climat. Les 150 sont porteurs de 149 propositions que le président s’engage à défendre à l’exception de trois d’entre elles, pour lesquelles il abat, dit-il, « un joker ». Les autres seront transmises « sans filtre » soit aux députés, soit par référendum à tous les Français.

Et puis on part en vacances, les lobbies frappent à la porte grande ouverte de l’Élysée, et finalement tout devient à la fois brumeux et orageux. Alors parle le réalisateur Cyril Dion, l’un des animateurs de la Convention. Il a compris sans peine qu’un bel enfumage se préparait, et lance mi-novembre une pétition qui dit l’essentiel : « La parole présidentielle n’est pas respectée ».

Là-dessus, Macron pique sa crise, façon trépignements et coups de talon dans la moquette. Le 4 décembre, dans une interview à Brut destinée pourtant à amadouer la jeunesse, il compare l’attitude de Dion à celles des « fainéants » qui veulent tout sans seulement discuter. Il précise : « Je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m’ont aidé au début et qui disent maintenant ‘il faudrait tout prendre’». Il a les boules, le pépère, faut le comprendre.

Dion est en effet tenu pour être « constructif ». Ne pas trop compter sur lui pour plastiquer le siège de Bouygues ou enlever Barbara Pompili. Il paraissait donc être le bon personnage pour le scénario élyséen, qui consiste à tout faire pour affronter au deuxième tout de 2022 miss Le Pen. Et gagner.

Mais les temps ont peut-être changé depuis le funeste Grenelle de l’Environnement de 2007, manipulé par Sarkozy. Dion, visiblement piqué au vif par les attaques de Macron, lui a aussi sec répliqué « Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties ». Ajoutant plus tard : « Soit il est frappé d’amnésie, soit il est de très mauvaise foi et je penche pour la deuxième hypothèse ». Oui, les choses changent (un peu).

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 La ferme des 1000 vaches jetée dans la bouse

Difficile à distance d’imaginer la joie de tant d’amis. Eh ! Philippe Pallu, Philippe Salle, Michel Guillochon, et tous les autres, vous atterrissez ? La ferme des 1000 vaches, en tout cas, c’est terminé. L’association qui s’est tant battue contre cette monstruosité, Novissen (novissen.com) a réussi à tenir le coup plus longtemps qu’elle. Au 1er janvier 2021, la ferme de Drucat, près d’Amiens (Somme) ne livrera plus un seul litre de lait industriel.

Le 17 novembre 2011, 200 personnes portaient sur les fonts baptismaux une association merveilleuse, Novissen. Elle aurait pu connaître le sort de tant de comités NIMBY (1), mais elle devint un acteur important de la critique efficace du monde. En se liant à la Confédération paysanne, Novissen parvint à forger un argumentaire de haute qualité contre la surindustrialisation de l’agriculture. Les fêtes annuelles étaient l’occasion de débattre et de repartir à l’assaut.

Depuis des années, la ferme était mal en point. Par la grâce des opposants, la filière française du lait refusait de commercialiser la production des 1000 vaches – qui ne furent jamais que 880 -, obligeant une entreprise belge à s’en occuper. Au plan judiciaire, Novissen avait obtenu il y a un an une victoire en faisant condamner une ferme qui refusait de s’en tenir aux 500 bovins prévus. Elle reste aujourd’hui, annonce-t-elle, « plus que jamais aux côtés de toutes celles et ceux engagés au quotidien pour que naisse un autre monde, plus humain, plus fraternel et soucieux du sort animal ». Chapeau !

(1) NIMBY veut dire Not in My BackYard, et désigne ceux qui se battent pour leur jardin, mais pas pour les autres.