Celle-là est aussi incroyable que superbe. Si incroyable qu’on se pince. Et si belle qu’on relit trois fois le même article (ici, mais en anglais). Voilà en quelques mots : un tribunal anglais vient de donner raison à des ecowarriors, des écoguerriers aussi décidés que valeureux. Le mieux est que je vous raconte le contexte, comme on dit.
Le voici : la centrale thermique de Kingsnorth, située dans le Kent, a été construite entre 1963 et 1973. Elle peut fonctionner au fuel, mais dans la réalité, elle aura essentiellement utilisé du charbon, combustible désastreux du point de vue climatique. Les émissions de gaz carbonique de ces vieilles centrales sont en effet colossales. Celle-là devrait arrêter ses activités en 2015, mais dès 2012, l’opérateur E.ON UK prévoit de lancer sur le site deux nouvelles centrales au charbon, les premières ouvertes en Grande-Bretagne depuis 1986. À croire la propagande officielle, ces installations permettraient évidemment de réduire les émissions de CO2 de manière miraculeuse.
La suite ? Cela devient marrant. Une coalition se forme contre Kingsnorth 2, qui regroupe à la fois des groupes écologistes – Greenpeace, par exemple – et chrétiens, comme Christian Aid. Le 8 octobre 2007, 5 de Greenpeace se changent en alpinistes qu’ils sont, et se mettent à escalader la cheminée de Kingsnorth 1, qui fait tout de même 200 mètres de haut. Je vous donne leur nom, car ils le méritent : Huw Williams, 41 ans; Ben Stewart, 34 ans; Kevin Drake, 44 ans; Will Rose, 29 ans; Emily Hall, 34 ans.
Arrivés là-haut, ils se mettent à peindre. Leur intention est d’écrire sans détour : « Gordon, bin it ! » en lettres géantes. Soit : « Gordon, jette-la à la poubelle ». Gordon, c’est le prénom du pauvre gars qui a remplacé Tony Blair 10 Downing Street, le Premier ministre, quoi. La poubelle désigne le lieu où doivent être placées les centrales à charbon. Mais les écologistes sont rattrapés en pleine action par une cruelle injonction de la Haute Cour, et descendent avant d’avoir terminé. Un seul mot a été peint, qui peut paraître bizarre, surtout vu de loin : « Gordon ».
La suite est attendue : la direction de Kingsnorth porte plainte, et réclame aux hooligans 35 000 livres, soit environ 42 000 euros, pour les frais de nettoyage de sa cheminée. Le procès, qui aura duré huit jours, vient de se dérouler en grande pompe, et sa conclusion est, elle, stupéfiante. James Hansen, l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la crise climatique, est en effet venu des États-Unis pour apporter un soutien enthousiaste et raisonné aux barbouilleurs. L’homme, qui a eu maille à partir pendant des années avec l’administration Bush, avait au préalable déclaré : « En face de telles menaces [ liées au changement climatique ], c’est une folie de proposer une nouvelle génération de centrales basées sur l’usage du charbon, qui est le plus polluant, le plus sale de tous les combustibles fossiles. Nous avons besoin d’un moratoire sur la construction de ces centrales, et devons parvenir à fermer les anciennes au cours des deux prochaines décennies ».
Pas si mal, non ? J’abrège. D’autres témoins sont venus soutenir les peintres du dimanche dont le directeur de The Ecologist, Zac Goldsmith, et le tribunal, en son immense sagesse, a décidé de relaxer purement et simplement les prévenus. Au nom, accrochez-vous au bord extrême de ce blog, d’un droit supérieur à celui de la propriété. Les cinq voyous, ont estimé les juges avaient a lawful excuse pour agir comme ils l’ont fait. C’est-à-dire une excuse légitime ! La menace de chaos climatique justifiait, au yeux du jury – 9 femmes, trois hommes – une action décidée contre l’entreprise.
Vous imaginez, je pense, les cris d’orfraie des officiels du ministère de l’Énergie et des responsables de la centrale. Et de Gordon, qui se fout bien davantage du climat que des mauvais sondages actuels, qui l’enterrent vivant. Je ne dirai pas que c’est une incitation à la désobéissance tous azimuts, mais d’un autre côté, cela y ressemblerait presque. Voilà qui peut donner quelques idées, pour sûr. Il y a tant à faire par chez nous.