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Alain Badiou, Michel Houellebecq, Philippe Val

Laissons de côté, pour une fois, mes menus problèmes de santé. J’ai la jambe droite tout entortillée d’un plâtre blanc, ce qui rend les déambulations très hasardeuses. Mais brisons-là, car je souhaite vous inviter une nouvelle fois au Café du commerce, où l’on raconte un peu n’importe quoi. Vous m’excuserez d’autant plus que je ne dispose pas de mes moyens habituels, dont mes livres. Je sais que c’est vache, mais pour comprendre mon propos, il faut lire jusqu’au bout, où apparaîtra en beauté et majesté une solide sentence. À moins qu’il ne s’agisse d’un apophtegme ? En tout cas, l’écologie y trouvera sa place. On commence.

Ces si braves combattants khmers rouges

Une partie semble-t-il importante de la gauche dite radicale tient Alain Badiou pour un maître de la pensée. Son impayable livre intitulé De quoi Sarkozy est-il le nom ? aurait dépassé les 60 000 exemplaires vendus, ce qui est simplement colossal pour un essai. Je l’ai parcouru au moment de sa sortie, en 2007 je crois. Une pure et simple dégueulasserie dans laquelle le philosophe Badiou présente Sarkozy comme étant « l’homme aux rats » et ses électeurs, fort logiquement, comme des rats eux-mêmes. Or dans l’imagerie d’extrême-gauche, les fascistes ont souvent été croqués sous l’apparence de rattus norvegicus, le fameux rat brun. C’est aisément compréhensible, car Badiou estimait dans son livre que le sarkozysme est un pétainisme.

Mais qui est Badiou ? Un ancien maoïste, nullement repenti, qui a régné après mai 1968 sur un groupuscule – puis ses décombres – appelé Union des communistes de France marxiste-léniniste (UCF-ml). Des témoignages de première main montrent avec clarté comment Badiou, grand chef incontesté, aimait à dominer les autres. À les humilier. À les exclure du groupe, menace suprême (ici). Est-ce bien étonnant de la part d’un amoureux déclaré de Staline, Mao et même Pol Pot, l’exterminateur cambodgien ?

En janvier 1979, Badiou signe une tribune innommable dans le journal Le Monde. L’armée vietnamienne vient d’entrer au Cambodge pour y renverser les Khmers rouges, auteurs d’un génocide contre leur propre peuple. Badiou le penseur, du haut de sa haute chaire de philosophie écrit : « L’acquiescement, ou même la seule protestation réticente, devant cet acte de barbarie militariste franc et ouvert [l’opération vietnamienne], reproduirait la logique munichoise, qui croit différer le péril sur soi en livrant et trahissant les autres, Autrichiens ou Tchèques hier, Khmers aujourd’hui ».

Charlie Hebdo et les contrôles policiers

Pour notre immortel penseur, les Khmers rouges sont victimes d’un lynchage médiatique mondial pour la raison qu’ils entendent demeurer des révolutionnaires, opposés à la fois à l’Union soviétique et aux États-Unis. Les deux millions de morts ne comptent pas. Pas davantage que les dizaines de millions de morts chinois sous la dictature de son si cher Mao Zedong. En cette année 2015, Badiou soutient encore et les Khmers rouges, et Mao et leur politique de terreur, cette dernière étant selon lui une « condition de la liberté ».

En bref, un admirateur du pire. Un pauvre imbécile savant de plus, qui jouit d’évidence, et sans retenue, d’une notoriété aussi récente qu’inattendue. Mais en  ce cas, pourquoi diable en parler ? Parce qu’il a pignon sur rue, pardi ! Parce que, malgré tant de critiques du personnage, Badiou continue de parader, y compris dans les colonnes du Monde, journal qui a de la suite dans les idées. Je lis dans une tribune signée Alain Badiou, parue le 27 janvier dernier : « Charlie Hebdo, en un sens, ne faisait qu’aboyer avec ces mœurs policières [ les contrôles au faciès des jeunes Arabes ou Noirs ] dans le style « amusant » des blagues à connotation sexuelle ». Je lis dans Le Monde du 14 avril cette critique du dernier livre de Badiou (Quel communisme ?) : « Le soutien au communisme implique une défense étayée de l’existence de l’absolu et de la vérité en politique, contre les tendances relativistes, voire fatalistes ». Je ne pense pas exagérer en écrivant que l’on sent une gentille sympathie de l’auteur de l’article pour Badiou. La messe est donc dite, même si l’hostie donne envie de vomir : on peut défendre d’innombrables crimes contre l’humanité, et garder son rond de serviette à la cantine du grand « quotidien de référence ».

Un improbable géant de la littérature

Crotte : je me rends compte que je suis affreusement long. Passons à Houellebecq. Il y a vingt ans, bien avant qu’il ne soit célèbre, j’ai lu son Extension du domaine de la lutte. C’est un livre que j’avais alors aimé. Pas au point de me relever la nuit, mais enfin, il m’avait semblé bon. Je crois avoir lu Les Particules élémentaires, et parcouru Plateforme. Et puis plus rien. Si cet homme est un grand écrivain, alors je suis un exécrable lecteur. Cela demeure possible, j’en conviens sans hésitation. Mais en tout cas, mon sentiment est que Houellecq est seulement assez bon, ce qui n’est pas rien.

Ce qui fait son immense succès, selon moi, c’est que ses livres – mauvais signe – deviennent, chaque fois un peu plus, une vulgate politique. Soumission, le dernier, et que je n’ai pas lu, permet aux éclopés de la pensée qui règnent en France d’assumer leur pure et simple trouille de l’avenir. Je rappelle le thème central : en 2022, un président musulman est élu au second tour de la présidentielle. La gauche comme la droite l’ont soutenu contre le Front National. Commence une lente habituation, notamment des intellectuels, aux règles d’un islam « modéré ». On ne pourra pas dire que Houellebecq manque de flair. Les près de 400 000 exemplaires vendus en France montrent mieux que les discours ce qui domine le débat intellectuel et moral.

Et maintenant, Philippe Val, que j’ai un tout petit peu connu. Comme on le sait, il a dirigé jusqu’au début de 2009 Charlie-Hebdo, avant que son ami Nicolas Sarkozy ne le propulse à la tête de France-Inter. J’ai commencé à travailler pour Charlie à l’automne 2009, et je dois dire que je n’y serais pas allé si Val avait été encore aux commandes. Bien au-delà de la pénible affaire Siné – plus compliquée qu’il n’y paraît parfois -, je crois pouvoir dire que j’ai détesté le ton de plus en plus néoconservateur de ses éditos, de moins en moins contrebalancés par les dessins et articles des autres. Cela ne m’a pas empêché – je crois que ce fut notre dernier échange téléphonique – de tomber d’accord avec lui sur l’insupportable dictature des frères Castro à Cuba.

La mécanique mène droit à l’antisémitisme

Val se pense philosophe et dans un pays qui encense Badiou, en effet, pourquoi pas ? Il faudrait compter le nombre de fois où il a pu citer Montesquieu et Voltaire depuis vingt ans, cela amuserait. Grâce à ce qu’il faut bien appeler le reniement de ses cinquante premières années – le rire dévastateur, l’insulte publique des puissants, un constant propos d’extrême-gauche -, Val a pu se reconvertir au mieux. Évidemment, il est désormais de droite, et grand bien lui fasse. On ne le verra pas – en tout cas, on ne l’a pas vu – s’en prendre à des Balkany, ou à l’incroyable pouvoir des transnationales – dont François Pinault ou Bernard Arnault chez nous -, ou encore alerter sur la renversante crise écologique que nous connaissons.

Mais chut, Philippe Val pense, que tout le monde se taise un peu. Il est en ce moment un peu partout dans les médias, pour assurer la promotion de son dernier livre, Malaise dans l’inculture (Grasset). Non, je n’ai pas lu. Mais, oui, j’ai regardé de près deux de ses interventions. D’abord sur Inter (ici), ensuite sur France 5, chez Anne-Marie Lapix. Je ne souhaite pas attaquer ad hominem Val – je ne sais d’ailleurs rien de sa personne -, mais ses propos sont d’une indigence rare. En résumé brutal, une gauche « totalitaire molle » – et d’abord sa famille politique d’antan – verse dans le « sociologisme ». Cette maladie mentale – y a-t-il un autre mot ? – conduit ses nombreuses victimes à toujours accuser le système – la société – de maux qui seraient le fait d’individus, pleinement responsables. Notez, je n’entre pas dans la discussion. Emporté par son élan philosophique, Val exprime enfin le fond de sa pensée : « Accuser le système, la mécanique intellectuelle qui consiste à dire c’est la faute au système, ensuite c’est la faute à la société, ensuite c’est la faute à un bouc émissaire forcément, ensuite la faute aux riches, et ensuite d’avatar en avatar, on arrive toujours à la faute aux juifs. »

Trois parmi des dizaines d’autres

Vous avez bien lu. Nous sommes face à une mécanique indifférente par nature – qui conduit la critique du système tout droit à l’antisémitisme. C’est évidemment indigne – et un tantinet ridicule -, mais ni Patrick Cohen, qui interroge Val sur Inter, ni Anne-Sophie Lapix ne s’en émeuvent le moins du monde. De nouveau, voilà où est en est – fort bas, assurément – le débat public en France, sanctifié par des journalistes de premier plan, dont la réputation professionnelle est grande.

Badiou, Houellebecq, Val : trois faces d’une dérisoire mise en scène du vide. Si je n’ai retenu que ces trois-là, c’est parce qu’ils s’agitent ces temps-ci. J’aurais pu, à d’autres moments, y adjoindre bien d’autres, à commencer par Bernard Henri-Lévy – sa grande fortune vient de la déforestation massive de l’Afrique de l’Ouest -, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, des dizaines de clones. S’il est un fil qui relie au fond ces gens en apparence dissemblables, c’est bien l’indifférence totale au sort du monde réel, menacé désormais d’effondrement. De l’indifférence à la vie et à ses diversités, à l’épuisement des sols et des océans, à la sidérante et sidérale crise climatique en cours. Trente siècles de pensée critique, dans notre petit Occident gréco-latin, pour en arriver là ! Des nains de jardin agitant leur bonnet de nuit au milieu du feu planétaire.

Le miracle d’un splendide journal anglais

Mais il ne sera pas dit que j’en resterai à ce constat si noir. La bonne nouvelle nous vient d’Angleterre. Disons-le, elle est même excellente. Je n’en connais pas tous les détails, mais je vous livre ce que je sais. Alan Rusbridger est un grand journaliste britannique, né en 1953. Il a été pendant vingt ans le rédacteur-en-chef du quotidien The Guardian, poste qu’il lâchera à l’été. On lui doit notamment une décision magnifique : celle d’avoir détruit les disques durs où se trouvaient consignés les documents d’Edward Snowden sur l’espionnage mondial orchestré par la NSA américaine. Le gouvernement anglais voulait récupérer ces données, réclamées par le fidèle allié américain, mais Rusbridger a préféré répondre, sans doute d’une autre manière : « Fuck Off ! ».

Encore salarié du Guardian, Rusbridger a publié en mars un éditorial que je n’hésite pas à qualifier de sensationnel (ici). Il écrit notamment qu’il a très peu de regrets professionnels :  « Very few regrets, I thought, except this one: that we had not done justice to this huge, overshadowing, overwhelming issue of how climate change will probably, within the lifetime of our children, cause untold havoc and stress to our species ». Très peu, excepté un : ne pas avoir accordé assez de place à cette bouleversante crise climatique, dont les ravages seront incalculables. Encore un vieux con qui se donne bonne conscience ? Peut-être un peu, mais pas seulement, et de loin.

Pour le coup admirable, Rusbridger écrit noir sur blanc ce qui devrait être notre étendard commun : le dérèglement climatique EST L’ÉVÉNEMENT MAJEUR. Selon lui, deux points sont décisifs, qui sont des questions. Un, que peuvent faire les gouvernements ? Deux, comment empêcher les États et les transnationales de piocher en sous-sol ce qui reste des combustibles fossiles, ce carburant du réchauffement ?

Rusbridger pourrait s’arrêter là, estimant que ces mots sont un testament. Mais tout au contraire, il vient de lancer, avec ses journalistes, une révolution. Elle prend la forme de « la plus grande histoire du monde », et occupe une place enfin une place considérable dans ce grand journal, avec ce que nous appelons dans notre jargon un Appel de une. Chaque jour, un bandeau renvoie à un merveilleux travail de journalistes lucides, conscients de leur responsabilité sociale (ici).

Sommes-nous loin de la France ? Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Obs, Le Point, Marianne, L’Express seraient-ils capables de se hisser à cette hauteur ? Non. On se croirait aux antipodes, dans quelque contrée mystérieuse, oubliée des marchands et des truands du climatoscepticisme. Autant le dire sans détour : notre petit pays, qui s’est posé en conscience du monde, est durablement atteint par le provincialisme de la pensée. Badiou, Houellebecq, Val et tous autres : le symptôme d’un mal des profondeurs.

Sur ce, je reprends mon plâtre sous le bras, et je vais me coucher.

Henri Trubert m’a téléphoné

Allez, je vous dis (presque) tout. Hier matin, mon téléphone antédiluvien sonne. C’est Henri, Henri Trubert, mon éditeur de la maison Les Liens qui libèrent (www.editionslesliensquiliberent.fr). Il était chez Fayard quand j’ai écrit en 2007, avec François Veillerette, un livre sur les pesticides, Révélations sur un scandale français. Quand je dis qu’il était chez Fayard, je pense en vérité qu’il nous a reçus, puis publiés, dans des conditions de confiance parfaites. Depuis, je le tiens pour un ami.

Hier donc, il m’appelle pour me demander d’être prêt. Il vient de lire l’article du journal Le Monde que vous trouverez ci-dessous, et qu’une lectrice de Planète sans visa, Marie-R – merci ! -, a déjà signalé. Il constate l’évidence que ce papier important recoupe parfaitement le sens de mon dernier livre, Un empoisonnement universel (Comment les produits chimiques ont envahi la planète). L’ayant constaté, il souhaite remuer Paris et obtenir que je passe sur les télés – Canal, TF1, que sais-je, mais au JT comme on dit – de manière à commenter à ma manière ces épouvantables informations.

Henri est ainsi, et je l’aime ainsi. Il y croit. Il a tort. Ces questions n’entrent dans aucune case de l’univers médiatique. Attention, je ne suis pas en train de me plaindre. Ce système aveugle et imbécile m’a laissé parler en septembre, au moment de la sortie du livre. Plutôt beaucoup. Non, il ne s’agit pas de moi, c’est beaucoup plus grave. On peut dire à peu près n’importe quoi, même la vérité, mais à la condition que cela soit bref et figure coincé entre ces insignifiances qui rendent le tout à peu près indestructible. Y a-t-il quelque chose à faire ? Tout de suite, je ne vois pas. Mais la suite n’est pas encore écrite. Lisez plutôt ce qui suit, qui exigerait bien entendu une réunion extraordinaire de notre si pathétique Conseil des ministres. Lisez.

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La pollution met en danger le cerveau

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Stéphane Foucart

Des enfants exposés in utero à des niveaux élevés de deux phtalates présentent en moyenne un quotient intellectuel (QI) inférieur de plus de six points à celui d’enfants moins exposés. Cette conclusion préoccupante est le fruit d’une étude au long cours, conduite par des chercheurs de l’université Columbia (New York), et publiée mercredi 10 décembre dans la revue PLoS One.

Les phtalates sont des plastifiants présents dans de nombreux produits courants – objets en PVC, textiles imperméables, cuirs synthétiques, mais aussi rouges à lèvres et à ongles, bombes de laque ou certains shampooings. Ils sont interdits dans les jouets, en Europe comme aux Etats-Unis, mais rien n’est fait pour éviter l’exposition des femmes enceintes.

L’étude a porté sur 328 New Yorkaises, dont l’urine a été analysée au cours du troisième trimestre de grossesse pour y mesurer la concentration en quatre phtalates. Les tests de QI ont été réalisés auprès de leurs enfants à l’âge de sept ans. Pour les 25 % de ceux nés de mères dont les taux de DnBP et DiBP étaient les plus élevés, le QI était respectivement de 6,6 et 7,6 points inférieur à celui du quart des enfants dont la mère montrait la concentration la plus basse de ces deux phtalates. L’étendue des concentrations n’avait rien d’inhabituel et se situait dans l’échelle de celles mesurées au niveau national par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC).

« Ampleur troublante »

« L’ampleur de ces différences de QI est troublante, note Robin Whyatt, qui a dirigé l’étude. Une baisse de six ou sept points pourrait avoir des conséquences substantielles sur la réussite scolaire et le potentiel professionnel de ces enfants. »

Cette étude n’est que la dernière en date d’un corpus toujours plus vaste de travaux qui pointent l’impact sur le développement cérébral de différents polluants, au premier titre desquels figurent les perturbateurs endocriniens. La montée de l’incidence de l’autisme pourrait être l’un des symptômes de l’imprégnation de la population – notamment de l’enfant à naître – par ces produits chimiques.

De toutes les maladies non transmissibles, l’autisme est l’une de celles dont la fréquence augmente le plus rapidement. Si vite qu’il est même difficile d’y croire. En mars, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains, l’équivalent de notre Institut de veille sanitaire (InVS), rendaient publiques les dernières estimations de la prévalence des troubles du spectre autistique chez les garçons et les filles de 8 ans aux Etats-Unis. Selon ces chiffres, un enfant sur 68 est désormais touché par cet ensemble de maladies du développement, regroupant l’autisme profond, les syndromes de Rett et d’Asperger, etc.

Augmentation quasi exponentielle

Le plus impressionnant n’est pas tant le chiffre lui-même, que la rapidité de son évolution : il est supérieur de 30 % à celui publié seulement deux ans auparavant (un enfant sur 88) par le même réseau de surveillance mis en place par les CDC, et a plus que doublé en moins d’une décennie. Au cours des vingt dernières années, les données américaines suggèrent une augmentation quasi-exponentielle de ces troubles, aujourd’hui diagnostiqués « vingt à trente fois plus » que dans les années 1970, selon le rapport des CDC. 40 % de ces enfants dépistés aux Etats-Unis présentent un quotient intellectuel (QI) inférieur à 70.

D’autres troubles neuro-comportementaux sont également en forte croissance ces dernières années. Outre-Atlantique, l’hyperactivité et les troubles de l’attention touchaient, selon les chiffres des CDC, 7,8 % des enfants entre 4 et 17 ans en 2003. Ce taux est passé à 9,5 % en 2007, puis à 11 % en 2011. Par comparaison, en France, leur fréquence est estimée entre 3,5 et 6 % pour les 6-12 ans.

Aux Etats-Unis, un enfant sur six est concerné par un trouble du développement (troubles neuro-comportementaux, retard mental, handicaps moteurs, etc.).

Dans un ouvrage scientifique tout juste publié (Losing Our Minds. How Environmental Pollution Impairs Human Intelligence and Mental Health, Oxford University Press, 2014) Barbara Demeneix, directrice du département Régulations, développement et diversité moléculaire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), soutient que cette augmentation rapide de la fréquence des troubles neurocomportementaux est, en grande partie, le résultat de l’exposition de la population générale à certaines pollutions chimiques diffuses – en particulier les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Selon la biologiste, cette situation n’est, en outre, que la part émergée d’un problème plus vaste, celui de l’érosion des capacités cognitives des nouvelles générations sous l’effet d’expositions toujours plus nombreuses à des métaux lourds et à des substances chimiques de synthèse. Le sujet est, ces dernières années, au centre de nombreuses publications scientifiques. Philippe Grandjean, professeur de médecine environnementale (université Harvard, université du Danemark-Sud), l’une des figures de la discipline et auteur d’un livre sur le sujet (Only One Chance. How Environmental Pollution Impairs Brain Development — and How to Protect the Brains of the Next Generation, Oxford University Press, 2013), va jusqu’à évoquer une « fuite chimique des cerveaux ».

La thyroïde en cause

« L’augmentation de la fréquence de l’autisme que l’on mesure ces dernières années est telle qu’elle ne peut pas être attribuée à la génétique seule et ne peut être expliquée sans faire intervenir des facteurs environnementaux, dit Barbara Demeneix. De meilleurs diagnostics et une meilleure information des médecins et des familles permettent certainement d’expliquer une part de cette augmentation, mais en aucun cas la majorité. » Et ce d’autant plus que les critères diagnostiques utilisés par les CDC sont demeurés identiques entre 2000 et 2013. « En France et en Europe, il n’existe pas de suivi historique de la prévalence de ces troubles aussi précis qu’aux Etats-Unis, mais il est vraisemblable qu’on assiste aussi à une augmentation de leur incidence », ajoute Barbara Demeneix.

Autre argument fort suggérant que l’augmentation de fréquence de l’autisme ne relève pas d’un biais de mesure : le sexe-ratio est constant. Les garçons sont toujours cinq fois plus touchés que les filles. Or, si l’accroissement constaté était artéfactuel, une modification du sexe-ratio aurait de grandes chances d’être observée.

Comment expliquer une telle épidémie ? Pour la biologiste française, l’une des causes majeures est la prolifération de molécules de synthèse capables d’interférer avec le fonctionnement de la glande thyroïde. « Depuis de nombreuses années, mon travail consiste à comprendre comment un têtard devient une grenouille. Les molécules-clés de ce processus sont les hormones thyroïdiennes, qui jouent un rôle crucial dans les transformations lourdes du développement, explique Barbara Demeneix. En cherchant à comprendre comment ces hormones agissent dans la métamorphose du têtard, je me suis posé le même type de questions sur leur importance dans le développement du cerveau humain. »

Lire aussi : Pollution : « L’intelligence des prochaines générations est en péril »

Les hormones thyroïdiennes sont connues pour moduler l’expression des gènes pilotant la formation de structures cérébrales complexes comme l’hippocampe ou le cortex cérébelleux. « Nous savons avec certitude que l’hormone thyroïde joue un rôle pivot dans le développement du cerveau, précise le biologiste Thomas Zoeller, professeur à l’université du Massachusetts à Amherst et spécialiste du système thyroïdien. D’ailleurs, la fonction thyroïdienne est contrôlée sur chaque bébé né dans les pays développés et la plupart des pays en développement, ce qui montre le niveau de certitude que nous avons dans ce fait. Pourtant, malgré le fait que de nombreuses substances chimiques ayant un impact documenté sur la thyroïde soient en circulation, les autorités sanitaires ne font pas toujours le lien avec l’augmentation des troubles neurocomportementaux. »

Dans Losing Our Minds, Barbara Demeneix montre que la plupart des substances connues pour leur effet sur le développement du cerveau interfèrent bel et bien avec le système thyroïdien. Ces molécules ne sont pas toutes suspectées d’augmenter les risques d’autisme, mais toutes sont susceptibles d’altérer le comportement ou les capacités cognitives des enfants exposés in utero, ou aux premiers âges de la vie. C’est le cas des PCB (composés chlorés jadis utilisés comme isolants électriques, lubrifiants, etc.), de certaines dioxines (issues des processus de combustion), de l’omniprésent bisphénol A, des PBDE (composés bromés utilisés comme ignifuges dans l’électronique et les mousses des canapés), des perfluorés (utilisés comme surfactants), des pesticides organophosphorés, de certains solvants, etc.

« Le travail de Barbara Demeneix est très important, estime la biologiste Ana Soto, professeur à l’université Tufts à Boston (Etats-Unis) et titulaire de la chaire Blaise Pascal 2013-2014 de l’Ecole normale supérieure. Elle a conduit un travail bibliographique considérable et c’est la première fois que l’ensemble des connaissances sont rassemblées pour mettre en évidence que tous ces perturbateurs endocriniens, mais aussi des métaux lourds comme le mercure, sont capables de perturber le fonctionnement du système thyroïdien par une multitude de processus. »

Substances très nombreuses

Les composés bromés peuvent inhiber l’absorption d’iode par la thyroïde qui, du coup, produit moins d’hormones. Les molécules chlorées peuvent en perturber la distribution dans les tissus. Le mercure, lui, peut inhiber l’action des enzymes qui potentialisent ces mêmes hormones… Lorsqu’une femme enceinte est exposée à ces substances, son fœtus l’est également et, explique Barbara Demeneix, « le risque est important que la genèse de son cerveau ne se fasse pas de manière optimale ». Pour limiter au mieux les effets de ces substances, la biologiste insiste sur la nécessité d’un apport d’iode conséquent – absent du sel de mer – aux femmes enceintes, garant de leur bon fonctionnement thyroïdien.

Le problème est que les substances susceptibles de perturber ces processus sont très nombreuses. « Les chimistes manipulent des phénols auxquels ils ajoutent des halogènes comme le brome, le chlore ou le fluor, explique Barbara Demeneix. Or les hormones thyroïdiennes sont composées d’iode, qui est aussi un halogène. Le résultat est que nous avons mis en circulation des myriades de substances de synthèse qui ressemblent fort aux hormones thyroïdiennes. »

Les scientifiques engagés dans la recherche sur la perturbation endocrinienne estiment en général que les tests mis en œuvre pour détecter et réglementer les substances mimant les hormones humaines sont insuffisants. D’autant plus que les effets produits sur les capacités cognitives sont globalement discrets. « Si le thalidomide [médicament retiré dans les années 1960] avait causé une perte de 10 points de quotient intellectuel au lieu des malformations visibles des membres [des enfants exposés in utero via leur mère], il serait probablement encore sur le marché », se plaisait à dire David Rall, ancien directeur de l’Institut national des sciences de la santé environnementale américain (NIEHS).

Lire aussi : Pollution : les coûts faramineux de la perte de QI

L’érosion du quotient intellectuel de même que les troubles neurocomportementaux comme l’hyperactivité et les troubles de l’attention ou l’autisme « sont le talon d’Achille du système de régulation, souligne le biologiste Thomas Zoeller. Ce sont des troubles complexes, hétérogènes et aucun biomarqueur caractéristique ne peut être identifié. Du coup, il y a beaucoup de débats sur la “réalité” de l’augmentation de leur incidence. Ce genre de discussions ne décide pas les agences de régulation à être pro-actives, en dépit du fait que l’incidence des troubles du spectre autistique augmente si rapidement que nous devrions tous en être inquiets. »

L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), l’organisme intergouvernemental chargé d’établir les protocoles de test des substances chimiques mises sur le marché, a cependant appelé, fin octobre, au développement de nouveaux tests susceptibles de mieux cribler les molécules interférant avec la thyroïde. Et ce, avec « une très haute priorité ».

L’affaire ne concerne pas uniquement l’intelligence des prochaines générations mais leur santé au sens large. « Les épidémiologistes remarquent depuis longtemps que les gens qui ont un quotient intellectuel élevé vivent plus longtemps, et ce même lorsqu’on corrige des effets liés à la classe sociale, dit Barbara Demeneix. Or selon la théorie de l’origine développementale des maladies, notre santé dépend en partie de la manière dont nos tissus se sont développés au cours de notre vie intra-utérine. Les facultés cognitives pourraient ainsi être une sorte de marqueur des expositions in utero et pendant la petite enfance à des agents chimiques : avoir été peu exposé signifierait un quotient intellectuel élevé et, du même coup, une plus faible susceptibilité aux maladies non transmissibles. »

Dessine-moi une planète et demie

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 27 août 2014, sous un autre titre.

Faut que ça saigne. Depuis le 19 août, « Jour du dépassement », nous tapons jusque fin décembre dans le stock en perdition des ressources naturelles. Pour vivre comme les Américains, l’humanité aurait besoin de cinq planètes. Ça va être coton.

Rions, c’est encore le mois d’août. Nos excellentes gazettes titrent –dans les coins – sur une nouvelle qui intrigue tout de même un peu : « la planète », comme ces gens écrivent, aurait tout bouffé, cette goinfresse, en seulement huit mois d’activités humaines. On appelle cela, en français approximatif, le « Jour du dépassement ». L’ONG Global Footprint Network, publie chaque année un document sur l’état des ressources disponibles. Les écosystèmes – disons les grands éléments vivants, comme les sols agricoles, les fleuves et rivières, les arbres et forêts, les océans sont capables de produire chaque année qui passe une certaine montagne de biens naturels. Justement ceux qui nous permettent de manger, de nous vêtir, d’habiter, de nous soigner, etc. Sans eux, rien, ballepeau.

Mais dans le même temps, les humains boulottent de plus en plus et détruisent à qui mieux, jusqu’à ce fameux « dépassement », qui tombe cette année le 19 août. Au-delà, ils attaquent le dur, c’est-à-dire la structure, les stocks en apparence infinis de champs, de prairies, de pêcheries. Essayant de se rendre intelligibles, les commentateurs parlent de « vie à crédit ».

Pour filer cette si lamentable métaphore, peut-on taper sans fin dans un capital qui diminue chaque saison un peu plus ? Peut-on se vautrer dans une dette écologique comme on le ferait au bistrot du coin ? Sur le papier, l’affaire ne dépasse pas un problème de cours élémentaire deuxième année. La quasi-totalité des responsables de tout bord, y compris nombre d’écologistes officiels, s’en cognent d’autant plus qu’à leurs yeux flapis, cela ne signifie rien. Mais ainsi qu’on se doute, ils ont tort.

En 1992, sur fond de sommet de la Terre de Rio – le premier -, paraît un article pionnier signé par le professeur américain William Ree (1). Commence une série d’études sur l’empreinte écologique des individus, des pays, puis de l’humanité entière. Souvent critiquée, « l’empreinte écologique » a l’immense mérite de rappeler quelques évidences. La première de toutes est qu’il existe des limites physiques infranchissables, quelle que soit la politique suivie. Et c’est d’autant plus chiant que c’est vrai. Très grossièrement, on calcule cet indice en estimant la surface biologiquement productive dont un individu ou un groupe ont besoin. Laquelle inclut des sols fertiles, des bois, de l’eau, sous la forme théorique d’un hectare global (hag).

Global Footprint Network est parvenu à affiner ces calculs et à proposer des résultats précis, censés « informer » les aveugles qui nous gouvernent, comme cet Atlas mondial, pays par pays. Le « Jour du dépassement » – Earth Overshoot Day – n’est jamais qu’une continuation logique, mais qui fout le trouillomètre à zéro, car chaque année, il intervient un peu plus tôt. En 1986 – première année de calcul -, le dépassement avait eu lieu le 31 décembre. Et le 20 novembre en 1995. Et le 20 octobre en 2005. Et le 23 septembre en 2008. Et le 22 août en 2012.

Si l’on se saisit d’une loupe, la leçon devient limpide. La Chine a d’autant moins d’avenir qu’elle consomme 2,2 fois ce que son territoire peut lui offrir en une année. Les Émirats arabes unis 12,3 fois. La France, 1,6. La croissance, c’est donc du vol, comme la propriété. Ceux qui ont les moyens d’extorquer arrachent aux autres de quoi maintenir un niveau de gaspillage « acceptable », sur fond de téléphones portables et d’écrans plasma. En espérant contre l’évidence que cela pourra durer.

Rappelons aux ramollos du bulbe qu’il faudrait cinq planètes pour que les 7 milliards de Terriens s’empiffrent comme les Amerloques. Et encore trois pour faire comme chez nous. Selon Global Footprint Network, « en 1961, l’humanité utilisait juste trois quarts de la capacité de la Terre à produire de la nourriture, des fibres, du bois » et même à absorber les gaz à effet de serre. Actuellement, au-delà d’inégalités de plus en plus foldingues, elle épuise une planète et demie pour la satisfaction de ses besoins.

Nous allons donc gaiement vers le krach écologique à côté duquel la crise de 1929 paraîtra un friselis de roses. Encore un peu de croissance, les tarés ?

(1) http://eau.sagepub.com/content/4/2/121.short?rss=1&ssource=mfc

Quand le maire de Bagnolet me cherche

Je vous explique, car je sors un peu du cadre habituel. Quoique, à bien y réfléchir, c’est moins sûr. Ce que vous lirez ci-dessous se décompose en trois morceaux. Le fichier 1, sur lequel je vous invite à cliquer (ça met une poignée de secondes à charger, car c’est lourd), est le PDF d’une double page que j’ai signée le 26 février dans Charlie-Hebdo, avec de fort beaux dessins d’Honoré pour accompagner.

Il s’agit donc, comme vous verrez peut-être, d’un reportage sur la ville de Bagnolet, qui touche Paris à l’Est. Vous jugerez. J’ajoute trois mots sur la banlieue. Ma banlieue Est à moi, que je connais si bien. J’ai habité quantité d’endroits en Seine-Saint-Denis, à Villemomble, Clichy-sous-Bois, Montfermeil – la célèbre cité des Bosquets -, Drancy, Aulnay, Noisy-le-Sec, Bondy, Pavillons, Livry-Gargan, d’autres encore.

Si je vous dis cela, c’est parce que cette terre maudite est la mienne. Et celle des miens, à commencer par mon vieux, mort depuis un bail, qui était un ouvrier communiste à l’ancienne, c’est-à-dire, je crois pouvoir l’écrire, un Juste. Je hais, le mot n’est pas trop fort, et je l’assume, je hais les salopards qui ont transformé la banlieue populaire en un champs de ruines. Ceux qui, ayant la responsabilité de loger des pauvres, n’ont eu d’autre but apparent que de les parquer, avec les résultats que l’on sait. Bien entendu, cela vise cette droite affairiste – un pléonasme – qui a régné sans partage jusqu’en 1981. Mais autant cette gauche qui lui a succédé, et qui est largement responsable du désastre humain que j’ai tant connu. Et parmi elle, ce parti stalinien répugnant qui a décidé et voulu que naissent tant de cités pourries où, croyait-il, il aurait un réservoir de voix pour l’éternité.

Ce parti stalinien – non, je n’oublie pas les autres, croyez-moi – a eu parfois près d’un siècle, comme à Bagnolet, pour montrer ce qu’il savait faire. Un vrai parti ouvrier se serait battu jusqu’au sang pour que les prolétaires soient logés dans des villes authentiques, civilisées, et disposent de vraies habitations à partir desquelles ils auraient élevé dignement leurs familles. Il n’en a rien été. Aucune lutte n’a été menée pour un urbanisme digne d’être approprié, ce qui est une preuve. Une preuve, après mille autres, que les discours n’étaient que mensonge et manipulation.

Et c’est pourquoi, même s’ils ne le croiront jamais, je suis très satisfait du tract que vous trouverez sous les noms tract-1 et tract-2, car il y a un recto et un verso. J’y suis traîné dans la sanie par le maire actuel de Bagnolet, membre du parti communiste. Ces gens-là s’y croient follement, mais ils ont grand tort. Dans ma jeunesse déjà lointaine, mais si vive dans ma mémoire, j’ai combattu, physiquement quand je le pensais nécessaire, les fascistes d’une part et les staliniens de l’autre, qui tenaient d’une manière atroce 27 villes de Seine-Saint-Denis sur 40. Je n’ai pas eu peur d’eux au beau milieu de leur fief, quand ces crapules attaquaient bassement les immigrés en 1980 (ici, des précisions). Je n’ai pas eu peur d’eux quand ils étaient forts, et ce n’est pas maintenant que ces pauvres gens peuvent espérer m’impressionner. Et donc, soyons sincère, je leur dis merde.

fichier1.pdf

tract-1.pdf

tract-2.pdf