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Ce n’est qu’un petit début (De Lafarge à Notre-Dame-des-Landes)

Il y a de cela longtemps, longtemps – pas loin de dix-huit mois -, j’ai écrit ici un papier consacré au Peuple des dunes (lire). Vous pouvez bien entendu tout relire, mais comme j’ai des doutes, je vous résume le tableau. Nous sommes en Bretagne, où depuis des années, le noble cimentier Lafarge, héraut du « développement durable », durable et surtout sans fin, tentait d’obtenir des autorisations pour un chantier de 600 000 tonnes de sable. Une telle quantité, je le précise à toutes fins utiles, ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

Mais où, alors ? En mer, pardi, où personne ne vient déranger les beaux engins de chantier. Pour le malheur de Lafarge, entre Gâvres et Quiberon, où ces agapes étaient prévues, le Peuple des dunes s’est levé. Le « Peuple des dunes » regroupe environ 150 associations de toutes sortes, y compris des pêcheurs, ostréiculteurs, et même agriculteurs. Moi, en mars 2008, j’avais souligné l’étonnante détermination des opposants, et surtout leur style. Le style, c’est (presque) tout. Je pariais à cette date qu’ils gagneraient contre le monstre multinational, et c’est chose faite. Lafarge replie ses gaules et ses pompes, et ira détruire ailleurs (ici).

Ma conclusion toute provisoire, c’est que pour gagner, il ne faut pas transiger. Ce n’est certes pas une condition suffisante, mais elle est nécessaire, ô combien ! Retenez ce mot d’un opposant, que je citais l’an passé : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ».

Voilà bien le langage qu’il faut tenir. Et s’y tenir coûte que coûte. Nous sommes loin du Grenelle de l’Environnement, hein ? Pour gagner, pour espérer gagner, il faut dire non, et faire confiance à la beauté des mots. Je pense déjà à un autre combat, on ne peut plus essentiel, dont l’issue marquera pour longtemps le rapport de forces entre ceux qui avancent à l’abri de leurs bulldozers et nous autres.

Près de Nantes, une flopée d’imbéciles, de gauche comme de droite, tente d’imposer un nouvel aéroport en lieu et place d’une zone naturelle miraculeusement préservée. Or une semaine de rassemblements divers et variés sont prévus autour de Notre-Dame-des-Landes entre le 1 et le 9 août (ici). Eh ben, je n’ai pas de si nombreux conseils à distribuer, mais pour celui-là, pas l’ombre d’une hésitation. Ceux qui seront sur place en août pourront dire à leurs enfants et à leurs petits-enfants : j’y étais. Car pas de doute : il faut.

La pétition contre l’aéroport : http://acipa.free.fr/Petition/petition.htm

Ce ridicule qui ne tue plus que les poissons

Franchement grotesque. Mais en même temps révélateur de tout l’édifice caché des pouvoirs réels. Qui commande en France ? Selon la plupart des journalistes, qui écrivent sur le sujet des milliers d’articles, monsieur Sarkozy et son verbe. Son verbe, c’est-à-dire, selon les cas, celui de monsieur Henri Guaino, celui de monsieur Patrick Buisson, celui de madame Emmanuelle Mignon, etc.

Le premier cité, qui aura décidément tout raté, a servi Chirac, Séguin, Pasqua, Sarkozy enfin. Il est l’auteur de l’infâme discours prononcé à Dakar par Sarkozy en juillet 2007, dont j’extrais ceci : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Guaino est aussi l’auteur, au moins pour partie, du discours prononcé l’autre jour par son maître au Congrès de Versailles. En bon ventriloque, il lui a fait parler du Conseil national de la résistance (CNR), créé en 1943, en pleine nuit noire, et présidé d’abord par Jean Moulin. Sarkozy, vantant l’antifascisme armé, vantant ce CNR qui réclamait dès 1944 la nationalisation des banques, de l’énergie, des transports, la création de la Sécu ! Pauvre Henri Guaino. Pauvres de nous.

Les autres précités ont encore moins d’intérêt que ce dernier. Ils incarnent l’aile droite, l’aile dure de ce sarkozysme de pacotille. Buisson est un ancien de l’extrême-droite, où il resta bien plus longtemps que Longuet et Madelin. Mignon, ancienne étudiante en théologie, est une catholique fervente, qui a été responsable des Scouts unitaires de France. Ite missa est.

Il est d’autres plumes dans le vaste poulailler de notre président, mais baste, l’essentiel est dit. Cet homme-là ne parle que par d’autres. Ce qu’il pense vraiment, nul ne le sait. Ou plutôt, évidemment, chacun peut le savoir. Rien d’important n’a pu changer chez cet homme de Neuilly, dont l’expérience de la vie se réduit aux coups fourrés des congrès UDR, puis RPR, puis UMP. Il n’a rien lu. Il n’a pas une vraie minute pour songer aux problèmes de ce temps. Il ne sait du réel que ce que ses petites mains lui concoctent, sous la forme de fiches ne dépassant que rarement un feuillet, soit 1500 signes. Il n’est pas étonnant dans ces conditions qu’il aime à ce point la télé, où tout s’engloutit à mesure. Où tout disparaît chaque jour, pour ne plus jamais revenir.

Je m’échauffe la bile pour rien. Je le sais. Je me dis que je le sais, et je le fais quand même. Ce n’est pas malin, non. Mais aussi, et c’est mon excuse sincère, je viens de découvrir une nouvelle qui nous dit exactement la réalité du pouvoir et des pouvoirs. Pendant des mois, les journaux nous auront saoulés de ce Grenelle de la mer, où des utilités comme Isabelle Autissier faisaient tapisserie (ici). On allait voir ce qu’on allait voir. On allait sauver la mer. On allait monter au ciel pour y décrocher la lune. Ô tristes sots !

Voici la nouvelle : l’amuseur public Jean-Louis Borloo n’est plus seulement ministre de l’Écologie et du Développement durable. Il est aussi celui de la Mer. Cette mer qu’on voit danser le long des golfes clairs, vous savez bien. Ministre de la mer, mais sans les poissons. Car le ministre de la pêche est un certain Bruno Le Maire, qui est également ministre de l’Agriculture (ici). La pêche, qu’on se le dise, appartient au champion du productivisme, ce qui est d’une logique imparable.

Le Maire a décidé de prendre l’affaire à bras-le-corps, comme le rapporte le quotidien Le Télégramme (ici) : « La pêche est, dit-il, confrontée à des défis difficiles “au croisement du débat environnemental, de la sécurité sanitaire, du carburant”. L’un des défis clef est celui de la réforme de la PCP, la Politique Commune des Pêches. Bruno Le Maire compte bien se battre dans l’intérêt de la pêche française. Pour ce faire, il reprend l’idée des Assises de la pêche qui auront lieu après l’été, sur le littoral, avec un objectif: “Ces assises doivent être concluantes” ».

Autrement dit, après un Grenelle de la mer qui aura permis de prendre de belles photos de vacances de madame Autissier et de monsieur Orsenna, place aux choses sérieuses. Place à des Assises de la pêche, où l’objectif central, sinon unique, sera de trouver une manière de racler un peu plus encore des fonds marins dévastés par des décennies de folie industrielle.

Questions subsidiaires ? Qui a, cette fois, écrit le scénario du Grenelle de la mer ?  Quel conseiller ? Qui écrira demain le script des Assises de la pêche ? Quelle conseillère ? Réponse : je m’en fous. Une chose reste évidente : ceux qui ont accepté de cautionnner la bouffonnerie de ce Grenelle-là sont-ils si éloignés du maître queux qui les a réunis ? Comme dirait l’autre, las palabras entonces no sirven, son palabras. Alors les paroles ne servent à rien, car ce ne sont que des paroles.

Isabelle Autissier et les sucres d’orge (la mer meurt de parlottes)

Ce Grenelle-là est encore plus bas du cul que les autres, ce me semble. Vous me direz votre avis. En tout cas, cette médiocre aventure a commencé le 27 février. Ce jour-là, Jean-Louis Borloo et Chantal Jouanno, respectivement ministre et secrétaire d’État à l’Écologie, lançaient en pompeux cornichons – « entartons, entartons », et vive Noël Godin (1) ! – le « Grenelle de la mer ».

Les détails ne comptent pas davantage que le reste. Des commissions. Des dupes, cautions et alibis divers sans être variés – Christian Buchet, Érik Orsenna, Jérôme Bignon -, des réunions et proclamations jusqu’à plus soif. Et puis, hier, la fin de la récréation et l’annonce de 500 mesures qui pourraient être prises par le gouvernement en place. Pourraient, car bien entendu, le catalogue proposé par les participants n’engage en rien l’État.

Mais ce catalogue ? D’abord un mot sur Isabelle Autissier, navigatrice comme on sait, et qui s’essaie aussi à la radio. Elle est ce que les journalistes de télé nomment un « bon client ». Quelqu’un(e) qui a une bonne bouille, de la vitalité, et qui sait s’exprimer dans les conditions exigées. Oui, un « bon client ». Tout le monde la trouve sympathique, même moi. Il fallait bien qu’on la nomme vice-président d’un groupe de travail. Lequel ? J’ai oublié, et je m’en fous.

Autissier a donné au journal Le Monde, pendant la durée de ces semblants de travaux, une chronique régulière pour raconter un peu ce qui se passait. J’en ai lu une sur deux, ce qui est déjà beaucoup. La dernière (ici) est d’une telle naïveté que je suis resté sonné quelques secondes. Mais s’agit-il seulement de naïveté ? Autissier note par exemple : « L’équilibre que cet homme du paléolithique avait su tisser avec la mer et le rivage, saurons-nous le recréer, dans une forme renouvelée et arbitrer par nous-mêmes entre nature et industrie pour que la vie soit gagnante ? ».

C’est gentillet, je n’en disconviens pas. Mais là-dessus, Autissier et ses petits amis rendent cette liste de 500 mesures au Prince qui les a commandés, et à cet instant, je ne trouve plus son propos gentillet, mais ridicule. Je ne peux ni ne veux détailler ce fatras. Sachez que parmi les « mesures-phares » proposées, on trouve (ici) l’encadrement de la « pêche de loisir », qui fait tant de mal aux océans, comme chacun sait. La création d’une « maison commune » aux pêcheurs et aux scientifiques. Cela fera au moins 15 emplois. La création d’une « Agence nationale de l’archipel France ». Même commentaire. Enfin, comme un admirable vœu pieux – d’où viendraient les colossaux moyens pour y parvenir ? -, la protection d’un tiers du littoral d’ici 2020, contre 14 % actuellement.

Bien entendu, les appels au moratoire sur la pêche au thon rouge – il disparaît de Méditerranée en ce moment – ou au requin – les pêcheurs de l’île d’Yeu ne se privent pas de traquer les survivants du grand massacre – ont été mis de côté. Car un Grenelle, souvenez-vous, doit permettre de rassembler tout le monde, souriant, sur les photos de la représentation.

Quoi d’autre ? Rien. Voilà ce que j’appelle, à la suite et dans la poursuite de l’article précédent, un parfait simulacre. On joue Embrassons-nous Folleville – vaudeville bien connu d’Eugène Labiche – devant les caméras et pour elles. Autissier y apporte sa petite contribution sans apparemment le moindre état d’âme. Or la France « possède » un domaine maritime inouï grâce à sa présence en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Clipperton, aux Antilles, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, à Mayotte, aux Kerguelen, etc. Au total, le deuxième par la taille avec 11 millions de km 2.

Mais comme elle ne veut pas bouger son cul. Mais comme elle se couche devant le moindre lobby. Mais comme elle est incapable d’avoir la moindre ambition vraie, elle organise des pantomimes, ce qui est beaucoup moins fatiguant et coûteux. Nous en sommes les tristes victimes. Nous en sommes les pénibles complices. Meurent les océans et ce qui reste de leurs merveilles. Vivent les risettes, les médailles et les sucres d’orge.

(1)  Noël Godin, alias Georges Le Gloupier, a jeté des tartes à la crème à la tête de quantité de petites célébrités telles que PPDA, Doc Gynéco, Nicolas Sarkozy, Bill Gates, Bernard-Henri Lévy. Ce dernier, philosophe jusqu’au trognon, jeta à terre Le Gloupier en hurlant à la mort : « Lève-toi vite, ou je t’écrase la gueule à coups de talon ! ».

Mais qui connaît Lucien Chabason (et Mousel, et Brodhag, et Antoine) ?

Qui connaît Lucien Chabason ? Moi. Et qui Michel Mousel ? Moi. Et qui Christian Brodhag ? Moi. Et qui Serge Antoine ? Moi. Moi. Moi. Mais attention, je ne sais rien d’eux sur le plan personnel. Peut-être – je le leur souhaite – sont-ils, ont-ils été, d’excellentes personnes privées, de bons parents, des époux parfaits, des amis irremplaçables.

Mais il y a le plan public, et sur ce terrain, j’ai mon mot à dire. Je vous les présente en quelques phrases sèches, et donc injustes. Chabason est un expert multicartes depuis des décennies. Il a été sous-préfet à Ussel dès 1971, après avoir été administrateur civil au ministère de l’Intérieur, en 1968. En 1968. Il a par la suite été conseiller de Jacques Chirac – alors Premier ministre – en 1974, puis celui de Raymond Barre après 1976. Après une longue carrière au ministère de l’Environnement, il s’est nettement rapproché de Brice Lalonde quand celui-ci devint secrétaire d’État à l’Environnement, et surtout fondateur de l’éphémère Génération Écologie.

Et ? Chabason, je l’ai dit, est expert. International. Je vous passe la liste, qui comprend, entre beaucoup d’autres machins,  l’OCDE et le PNUE. Il a été coordinateur du plan d’action pour la Méditerranée des Nations Unies entre 1994 à 2003, et demeure président du Plan bleu. Je vous recommande ce dernier, car il existe depuis 1975, avec pour but officiel de sauver la mer Méditerranée des pollutions qui la tuent d’année en année.

Comme le résultat est émouvant, quand on pense au sort du thon rouge ! Et c’est Serge Antoine qui a eu l’idée de ce vaste plan si utile. Qui l’a proposé à des pays riverains « inquiets de voir se dégrader la mer qui constitue leur lien naturel ». Autant vous dire que Chabason et Serge Antoine se sont très bien connus. J’utilise le passé, car Serge Antoine, né en 1927, est mort en 2006.Qui était Antoine ? Un haut-fonctionnaire, tout comme Chabason. Tout comme un Robert Lion, président du conseil d’administration de Greenpeace (ici), Serge Antoine a eu pour le moins deux carrières. Conseiller de l’Euratom – la Communauté européenne de l’énergie atomique – au début des années 1960, il aura été l’un des piliers, pendant quinze ans, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), entre 1963 et 1978. Il y aura travaillé avec des responsables gaullistes aussi recommandables qu’Olivier Guichard – ancien maire de La Baule – ou Jérôme Monod, ci-devant patron de la Lyonnaise des Eaux.

Ensuite, indiscutablement, Serge Antoine, convaincu de l’existence d’une crise environnementale, a changé de voie. J’écris volontairement environnementale, mot que je déteste et tente de ne pas utiliser, car il est évident pour moi que Serge Antoine ne considérait pas la crise écologique. Ce qui comptait, c’était l’environnement. L’environnement des hommes. Mais baste, il fut l’homme du développement durable en France, et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité (ici). J’ajoute qu’il fut vice-président du Plan bleu de Chabason. Logique.

Poursuivons avec Michel Mousel, que j’ai croisé il y a une vingtaine d’années, et avec qui je me suis copieusement engueulé. Qui est-il ? D’abord un politique, passé par le PSU « autogestionnaire », « écologiste » et même « révolutionnaire » de l’après-68. Tout le monde s’en fout à juste titre, mais Mousel fut le secrétaire national du PSU après 1974, quand Rocard lâcha ses petits amis – il dirigeait alors ce parti, mais oui, les jeunes ! – pour se rapprocher de la grande tambouille socialiste.

Ensuite, Mousel fut de tous les cabinets, ou presque. On le vit chez Bouchardeau, devenue secrétaire d’État à l’Environnement après 1981, chez Lalonde, etc. En récompense de quoi il devint président de l’Ademe, tout comme madame Chantal Jouanno le fut. Sur ordre politique. Il fut ensuite, par la grâce de Jospin, qui régnait à Matignon, président – encore un ! – de la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES) jusqu’en 2001. Il a également créé l’association 4 D (ici), durable, forcément durable. Il est de tous les colloques, comme on peut se douter.

J’ ai plein d’autres noms dans ma besace, dont ceux de Laurence Tubiana (ici) et Pierre Radanne (ici), mais je n’écris pas un livre, et vais donc m’arrêter à Christian Brodhag. Porte-parole national des Verts entre 1989 et 1991, conseiller régional, il a quitté ce parti pour se rapprocher de la droite. Laquelle s’est montrée généreuse. Brodhag a été « président de la Commission française du développement durable » entre 1996 et 1999 – défense de glousser -, puis délégué interministériel au développement durable entre 2004 et 2008.

Voilà. Ouf. Je me repose une seconde. Quel est le lien entre ces braves sentinelles ? Mais le fiasco, bien entendu. L’incroyable, l’extravagant échec de leurs sempiternelles (pré)occupations bureaucratiques. Ils n’auront jamais cessé, pendant des décennies, de radoter. De pleurnicher, de demander pardon à tous les pouvoirs en place qui, au reste, les employaient. Quelle bête serait assez sotte pour mordre la main qui la nourrit ?

Tandis que la planète flambait, ces messieurs-dames péroraient, prétendant trouver pour nous les solutions justes et parfaites. On voit, on a vu les résultats. Je pourrais me contenter d’en rire, car il y a bien de quoi. Exemple : Athènes. Une milliardième conférence s’y est tenue fin avril 2009, organisée je crois – et je m’en fous – par le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE).Vous savez quoi ? On y a appris que l’Union européenne se montrait et se montrerait incapable de stopper « l’érosion de la biodiversité ». En résumé non euphémisé : l’Europe continue à détruire la vie comme si de rien n’était, y compris en mer (ici).

La mer. Chabason. Le plan bleu. 1975. Chabason était à Athènes en avril dernier, et voici ce qu’il a cru pouvoir déclarer concernant la biodiversité : « Nous n’avons pas un indicateur simple – la hausse des températures ou la concentration du CO2 dans l’atmosphère – pour nous alerter. Nous n’avons pas non plus de scénarios nous mettant en garde contre les risques à franchir certains seuils. Enfin, nous n’avons pas encore vécu d’épisodes comme Katrina ou la canicule de 2003 pour aider à la prise de conscience du problème ».

C’est-y pas génial ? Après quarante ans de blabla, l’un de nos grands lutteurs de foire reconnaît qu’il n’en fout pas une rame. Qu’il se contente, comme dirait l’autre, de pures « paroles verbales ». Je vous résume mon sentiment à propos de cette petite armée de professionnels qui s’est emparée de quelques expressions clés, comme développement durable, effet de serre, ou encore biodiversité. Ils ne sont évidemment pas une aide. Ils sont même à coup certain des « retardateurs ». Leur omniprésence et leur totale impuissance à créer du mouvement nous font perdre des années qui ne reviendront pas. Oserai-je ? Ils ne sont pas de mes amis.

Bal tragique au-dessous des mers (sur un nouveau Grenelle)

Je voue une authentique admiration à Simon Leys. Et je l’ai précautionneuse, comme certains le savent. Mais Leys fait partie de moi au point que je n’imagine plus m’en passer. Qui est-il ? un sinologue, pense-t-on généralement. Bon, admettons, d’autant que c’est vrai. Leys – de son vrai nom Pierre Ryckmans – a écrit en 1970 un livre inoubliable qui trône dans ma bibliothèque pour le restant de mes jours. Les habits neufs du président Mao, paru en 1971 chez Champ Libre, alors une prodigieuse maison d’édition, raconte en temps réel la révolution culturelle chinoise. Au moment où tant d’intellectuels européens et français – hé, Serge July, Alain Geismar, André Glucksmann, Philippe Sollers ! – se prosternent avec abjection devant le satrape qui règne à Pékin, Leys dit le vrai. Que ce mouvement de dizaines de millions d’hommes – souvent très jeunes – et de millions de cadavres, est manipulé par la bureaucratie chinoise, Mao en tête.

Je ne prétendrais pas l’avoir lu à cette date. En 1971, je n’avais pas 16 ans, et je suis passé à côté de ce chef-d’œuvre. Mon bonheur, mon honneur même est de n’avoir jamais été stalinien, ni maoïste. Mais je n’ai lu Leys qu’une dizaine d’années plus tard. Quel homme, et quelle plume. Simon Leys est en effet doté d’un style qui n’est qu’à lui, et qui l’a mené à de trop rares essais à mon goût. Je vous conseille notamment Les Naufragés du Batavia, suivi de Prosper (Arléa 2003). Le premier texte revisite une histoire atroce de détresse en mer. Et Prosper est un court mais saisissant récit autobiographique. Leys a été mousse – le temps d’un été – sur un des derniers voiliers de pêche bretons, à la fin des années cinquante si ma mémoire ne me trahit pas.

Oui, Leys n’est pas qu’un écrivain de haute valeur, et un sinologue d’une rare lucidité. Il aime la mer. Moi aussi. Mais je ne saurais lui rendre les hommages que lui a déjà accordés Simon Leys. Dans le livre déjà évoqué, mais aussi dans une anthologie qui se trouve, elle aussi, dans ma bibliothèque, et qui s’intitule : La mer dans la littérature française (deux tomes, parus chez Plon). Mais comme c’est beau ! Mais comme c’est magnifique ! J’ouvre le premier au hasard, et me retrouve avec un texte sur le scorbut, écrit par Bernardin de Saint-Pierre et paru en 1773. Un autre : Balzac raconte, d’une façon grotesque, « Un drame au bord de la mer », dans une nouvelle que je ne connaissais évidemment pas. Ailleurs, Alexandre Dumas décrit ses premiers contacts avec la mer : « Je partis de Nantes pour Paimbœuf. Je n’avais vu la mer qu’au Havre, et l’on m’avait dit que ce n’était presque pas la mer; j’étais curieux de voir une mer véritable, une mer à tempêtes, une mer que les marins eux-mêmes appellent la mer sauvage ».

Dans le tome second, et avec le même négligé dans le choix, signalons un extrait de L’Homme qui rit, dans lequel Hugo glisse l’aventure d’un pauvre gosse défiguré, embarqué à bord d’une « ourque biscaïenne », en pleine tempête. Et Gérard de Nerval, découvrant l’Adriatique et le vin de Chypre. Et Flaubert, écrivant à sa mère qu’il vient d’arriver à Malte. Et Jules Verne. Et Maupassant. Et Victor Segalen. J’arrête ici, non de lassitude, on se doute, mais parce que mon propos me mène ailleurs. Retenons, s’il vous plaît, l’extrême beauté, la fabuleuse diversité de la mer et de ceux qui en ont parlé. La mer est le joyau premier de nos trésors les plus enfouis. Elle est notre rêve. Notre passé comme notre avenir.

Et voyons maintenant comment les politiciens ont décidé d’évoquer son sort au cours de ce fameux « Grenelle de la mer ». C’est à pleurer. Je jure que je ne suis pas loin du pleur quand je regarde le spectacle mis en scène en notre nom à tous. Premier mouvement, si vous en avez le temps : allez voir les petits films vidéos consacrés aux quatre groupes de travail de ce Grenelle (ici). Puis, si vous êtes encore là, mettez en parallèle les monts sous-marins, les sources hydrothermales, les récifs de corail froid, le vol d’une raie, les sillons d’un requin-marteau, le bouillonnement d’un banc de thons  libres, l’oeil agrandi d’un dauphin bleu, les  millions d’espèces encore inconnues qui vivent dans les mers et puis la tête des présidents de commission. Mais leur tête n’est rien encore, comparée à leurs propos tantôt lénifiants, tantôt bureaucratiques, tantôt ridicules, parfois les trois réunis. Dieu du ciel, empêchez-moi d’aller trop loin, car je suis tenté par des mots, croyez-moi.

Une pensée pour cet homme si visiblement imbu de lui qu’est Érik Orsenna. Au motif qu’il a fait de la voile, au motif surtout qu’il est Académicien, et qu’il n’embête jamais personne, il est propulsé à la vice-présidence d’un des groupes du Grenelle, dont l’intitulé boursouflé, qui ne peut guère s’inventer, est : « Planète mer, inventer de nouvelles régulations ». Le président du groupe, pour sa part, est un vieux monsieur Lucchini, professeur émérite à l’Université de Paris I et à l’Institut océanographique, si heureux d’être sur la photo que je ne m’acharne pas davantage. On trouve aussi, car on trouve de tout, une Isabelle Autissier, au rang de vice-présidente du groupe : « La délicate rencontre entre la terre et la mer ». Tu parles d’une rencontre ! Je ne puis dire du mal d’Autissier, car je l’ai jusqu’ici toujours trouvée agréable. Tout de même : que vient-elle faire à bord de cette galère ? Elle aurait donc autorité à parler de l’avenir des océans communs parce qu’elle passe bien à la radio, et à la télé ? À pleurer, vous dis-je.

Mon point de vue est d’une telle simplicité qu’il ne prendra pas trop de place. Toute personne tant soit peu au courant sait ce qui se passe. La pêche, qui permettait à des communautés côtières de vivre en vendant le poisson cueilli en mer, est devenue une industrie abjecte. Les États y engloutissent des dizaines de milliards d’euros par an en subventions diverses, dont certaines permettent de payer des filets de 100 km de long. Des écosystèmes sous-marins entiers sont bouleversés pour des milliers d’années, au moins. Le désastre atteint de telles dimensions bibliques qu’aucun esprit humain, je le crains, n’est capable de le concevoir dans sa globalité. C’est tout. Il n’y a rien d’autre à dire. Il n’y a rien à faire que réclamer l’abolition de la pêche industrielle et pour commencer l’arrêt des subventions publiques à ce vaste crime contre l’humanité d’aujourd’hui et surtout de demain. Le reste n’est que bullshit. Le reste n’est que pignolade, si vous me passez l’expression.

La fin de la pêche industrielle permettrait de sauver instantanément des centaines de millions de pauvres qui survivent vaille que vaille grâce à la mer dans les pays du Sud. Instantanément. Et un événement de cette nature susciterait un tel enthousiasme qu’il entraînerait du même coup, ipso facto, une immense mobilisation contre les pollutions terrestres, les ignobles ports de plaisance, pour les mangroves, les récifs coralliens, les estuaires et les plateaux continentaux. Bref, ce serait le début de tout. Mais ce « Grenelle de la mer » n’est que déshonneur annoncé. Il ne mènera à rien pour la raison évidente qu’il ne parvient pas même, dans sa pétoche franchouillarde, à nommer le malheur. Qui porte le nom d’industrie capitaliste, contradictoire en profondeur avec l’idée même d’une mer vivante.

Je vous le dis comme je le pense : ces nouvelles agapes sarkoziennes  me font honte. J’aimerais croire que leurs participants ont du mal à s’endormir le soir, mais je sais trop que non. Le soir, ces nigauds – dans le meilleur des cas – s’endorment sans faire le moindre rêve.