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Transition (énergétique), mon cul

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 5 mars 2014

Il faut sortir une loi sur l’énergie, mais en enfilant gentiment les écolos sans qu’ils se barrent en courant. Margerie et Proglio sont au pouvoir, mais chut, faut pas le dire.

C’est une enflade. Le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais il illustre bien ce qui est en train de se passer. Enflade, d’enfler, qui signifie arnaquer. Officiellement, tout ce beau gouvernement est d’accord sur la transition énergétique. En gros, cela ne peut pas durer. Le pétrole abondant et bon marché,  c’est fini. Les fossiles – pétrole encore, gaz, charbon – détruisent l’équilibre du climat. Le nucléaire, malgré les fantasmes nucléocrates, ne représente jamais que 5,7 % de l’énergie primaire mondiale, avec une tendance à la baisse.

Par ailleurs, les renouvelables : l’eau – hydro-électricité -, le bois, le soleil, le vent, réclament de grands investissements pour pleinement prendre la place. D’autres contraintes martyrisent l’horizon, à commencer par la loi Énergie de 2005, qui oblige la France à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Il faudrait commencer maintenant.

Hollande est pour. Comme il n’est contre rien, il est pour une loi sur la transition énergétique qui préciserait enfin les contours du bouquet énergétique français dans dix, dans vingt, dans trente ans. L’emmerde c’est qu’il faut trancher, ce qu’il ne sait pas faire, et qu’il se branle de la crise écologique. En janvier 2013, le père François promet un « grand débat ouvert et citoyen » pour le printemps, suivi d’une belle synthèse en juin et d’un projet de loi devant le parlement en octobre 2013. Mais rien ne vient.

Le 11 décembre, un an après les promesses, une première réunion d’une fumeuse Commission se tient. On cause, entre soi. Le 7 février 2014, le ministre de l’Écologie Philippe Martin, qui a le sens de l’humour, déclare : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ». Il est question maintenant d’une présentation au conseil des ministres ce printemps et un vote après, en juin, ou en septembre, ou à la saint Glin-Glin, ça dépendra.

Pourquoi ? Parce que dans les coulisses, où les industriels ont déjà gagné, la bataille fait rage. Il n’est pas question de les embêter si peu que ce soit. Pas au moment même où Hollande croit s’en tirer avec son pacte de responsabilité, dont la propagande dit qu’il pourrait créer 300 000 emplois. Deux grands patrons, qui font antichambre à l’Élysée, illustrent les manœuvres en cours. Christophe de Margerie, PDG de Total, a la pleine oreille de Hollande, qu’il voit régulièrement. Or il se plaint sans détour de Philippe Martin, qui est aussi, on l’oublie, ministre de l’Énergie. Pour le Christophe, l’opposition de Martin au gaz de schiste, secteur où Total est très présent hors de nos frontières, est un casus belli.

De son côté, Henri Proglio, patron d’EDF jusqu’en novembre au moins – Hollande veut le remplacer -, tente d’arracher une concession majeure : augmenter la durée de vie de nos centrales nucléaires, prévues au départ pour trente ans, jusqu’à cinquante, voire soixante ans.

Derrière les deux poids lourds, Pierre Gattaz, ennemi déclaré de toute contrainte « écologique », et le Medef avec lui. Ce n’est pas un secret d’État que Martin a failli démissionner plusieurs fois depuis le début de l’année, ce qui ferait grand désordre après le licenciement de Delphine Batho en juillet 2013. Des témoins, indirects mais fiables, rapportent des discussions à l’Élysée, au cours desquelles Martin était seul contre tous. Seul contre les productivistes du gouvernement, Montebourg bien sûr, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande soi-même. La morale de l’affaire est très simple : il ne fait pas le poids.

Que contiendra la loi à l’arrivée ? C’est là que cela se complique, car les braves soumis d’EELV, y compris Cécile Duflot, ont déjà annoncé qu’ils rompraient l’alliance avec le PS en cas de reniement trop visible, par exemple sur la date de fermeture de Fessenheim. Un ponte du parti écolo, moyennement charitable, raconte à Charlie : « Je ne vois pas comment ils vont s’en sortir. Ni Duflot ni Canfin ne veulent lâcher leur place, mais Hollande ne veut rien lâcher sur un dossier qu’il juge stratégique. Donc, ça devrait saigner ».

On verra. Pour l’heure, rideau de fumée sur la ligne d’horizon.

Quand le maire de Bagnolet me cherche

Je vous explique, car je sors un peu du cadre habituel. Quoique, à bien y réfléchir, c’est moins sûr. Ce que vous lirez ci-dessous se décompose en trois morceaux. Le fichier 1, sur lequel je vous invite à cliquer (ça met une poignée de secondes à charger, car c’est lourd), est le PDF d’une double page que j’ai signée le 26 février dans Charlie-Hebdo, avec de fort beaux dessins d’Honoré pour accompagner.

Il s’agit donc, comme vous verrez peut-être, d’un reportage sur la ville de Bagnolet, qui touche Paris à l’Est. Vous jugerez. J’ajoute trois mots sur la banlieue. Ma banlieue Est à moi, que je connais si bien. J’ai habité quantité d’endroits en Seine-Saint-Denis, à Villemomble, Clichy-sous-Bois, Montfermeil – la célèbre cité des Bosquets -, Drancy, Aulnay, Noisy-le-Sec, Bondy, Pavillons, Livry-Gargan, d’autres encore.

Si je vous dis cela, c’est parce que cette terre maudite est la mienne. Et celle des miens, à commencer par mon vieux, mort depuis un bail, qui était un ouvrier communiste à l’ancienne, c’est-à-dire, je crois pouvoir l’écrire, un Juste. Je hais, le mot n’est pas trop fort, et je l’assume, je hais les salopards qui ont transformé la banlieue populaire en un champs de ruines. Ceux qui, ayant la responsabilité de loger des pauvres, n’ont eu d’autre but apparent que de les parquer, avec les résultats que l’on sait. Bien entendu, cela vise cette droite affairiste – un pléonasme – qui a régné sans partage jusqu’en 1981. Mais autant cette gauche qui lui a succédé, et qui est largement responsable du désastre humain que j’ai tant connu. Et parmi elle, ce parti stalinien répugnant qui a décidé et voulu que naissent tant de cités pourries où, croyait-il, il aurait un réservoir de voix pour l’éternité.

Ce parti stalinien – non, je n’oublie pas les autres, croyez-moi – a eu parfois près d’un siècle, comme à Bagnolet, pour montrer ce qu’il savait faire. Un vrai parti ouvrier se serait battu jusqu’au sang pour que les prolétaires soient logés dans des villes authentiques, civilisées, et disposent de vraies habitations à partir desquelles ils auraient élevé dignement leurs familles. Il n’en a rien été. Aucune lutte n’a été menée pour un urbanisme digne d’être approprié, ce qui est une preuve. Une preuve, après mille autres, que les discours n’étaient que mensonge et manipulation.

Et c’est pourquoi, même s’ils ne le croiront jamais, je suis très satisfait du tract que vous trouverez sous les noms tract-1 et tract-2, car il y a un recto et un verso. J’y suis traîné dans la sanie par le maire actuel de Bagnolet, membre du parti communiste. Ces gens-là s’y croient follement, mais ils ont grand tort. Dans ma jeunesse déjà lointaine, mais si vive dans ma mémoire, j’ai combattu, physiquement quand je le pensais nécessaire, les fascistes d’une part et les staliniens de l’autre, qui tenaient d’une manière atroce 27 villes de Seine-Saint-Denis sur 40. Je n’ai pas eu peur d’eux au beau milieu de leur fief, quand ces crapules attaquaient bassement les immigrés en 1980 (ici, des précisions). Je n’ai pas eu peur d’eux quand ils étaient forts, et ce n’est pas maintenant que ces pauvres gens peuvent espérer m’impressionner. Et donc, soyons sincère, je leur dis merde.

fichier1.pdf

tract-1.pdf

tract-2.pdf

Ce que dit le groupe PMO

Je reconnais que c’est long. Ce qui suit est un article paru sur le site Slate (ici), qui n’est pas ma tasse de thé. Mais le contenu en est follement intéressant, car il rapporte les réponses du groupe grenoblois Pièces et main dœuvre  (PMO) à trois questions du journaliste Michel Alberganti. Le groupe PMO est unique, car il exprime une critique sociale véritable de ce que le « progrès » « technique » et ses si nombreux servants nous imposent chaque jour. Je crois qu’il faut lire, et réfléchir.

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L’organisation d’un débat public sur des questions scientifiques ou techniques est impossible. A cause d’eux

Les actions de boycottage d’un groupe d’activistes baptisé Pièces et Main d’Œuvre (PMO) ont rendu impossible l’organisation d’un débat public en France sur des questions scientifiques ou techniques. Anonymes, ses membres refusent toute participation aux émissions de radio et de télévision. Ils répondent à trois questions de Slate.fr.

  Ils ont remporté une victoire importante en contraignant les organisateurs des derniers débats publics sur des questions scientifiques à se réfugier sur Internet. Plus aucune réunion publique sur les nanotechnologies ou l’enfouissement des déchets nucléaires ne peut se tenir en France sans être perturbées.

Quelques minutes après le début de telles manifestations, les activistes de Pièces et Main d’Œuvre (PMO) monopolisent la parole. Raffut et tapage forcent rapidement les organisateurs, la Commission nationale du débat public (CNDP), à annuler la réunion. Cette situation a conduit quatre anciens ministres, Robert Badinter, Jean-Pierre Chevènement, Alain Juppé et Michel Rocard, à signer une tribune dans le journal Libération du 14 octobre 2013 appelant «solennellement les médias et les femmes et hommes politiques à exiger que les débats publics vraiment ouverts et contradictoires puissent avoir lieu sans être entravés par des minorités bruyantes et, parfois provocantes, voire violentes».

Le 11 janvier 2014, PMO a répondu à ce qu’il a qualifié de «quarteron de ministres en retraite» en le remerciant d’avoir, en quelque sorte, reconnu «la force et l’écho de [sa] voix». Avant de lancer un satisfecit et quelque chose qui ressemble à une menace:

«Ainsi nous n’étions pas tout à fait un cri dans le désert. Et ce cri a des conséquences matérielles et pratiques: on s’en souviendra.»

Si les paroles et les actes de PMO n’étaient qu’opposition systématique au progrès et sabotage automatique de tout débat public sur la technoscience, l’intérêt serait limité. En fait, les positions des activistes grenoblois révèlent souvent de véritables failles dans le système mis en place par la CNDP. La formule du débat public sert ainsi, à l’évidence, à masquer ce qui n’est qu’une opération de communication visant à obtenir l’adhésion à une nouvelle technologie.

Le postulat sous-jacent est clair: si le peuple a peur de l’avenir technologique, c’est par manque d’information. Quand il aura compris, il ne s’opposera plus.

Avec PMO, ce système, pas si subtil que cela, est tombé sur un os. Loin de se laisser convaincre, les activistes agissent pour protéger la population de ce qu’ils considèrent comme un lavage de cerveau. Pour autant, leurs arguments anti-technologies et anti-progrès ne sortent guère du cercle restreint des lecteurs de leurs publications confidentielles (Editions l’Echappée, Collection Négatif). Ils refusent systématiquement de participer à toute émission de radio ou de télévision. Je viens d’en faire l’expérience. Nous avons donc voulu en savoir plus à l’aide de la seule forme d’échange que PMO accepte : l’interview par mail. Voici les réponses à nos trois questions.

Pour quelles raisons avez-vous refusé mon invitation à participer à l’émission Science publique sur France Culture en réaction à la tribune de quatre ministres publiée dans Libération en octobre 2013?

Nous avons refusé votre proposition de «débattre» avec un représentant de ces ministres ou un organisateur de pseudo-débats publics (comme la Commission nationale du débat public). Nous refusons les débats après fait accompli avec les scientifiques, les décideurs et les instances chargées des pseudo-concertations avec «le public». Nous combattons les sociologues spécialisés dans «l’étude des controverses» et l’acceptabilité sociale, c’est-à-dire dans la prévention et l’apprivoisement des contestations.

Nous avons appris de leurs propres études que «faire participer, c’est faire accepter» (voir Magali Bicaïs, «Imaginaire de la fonctionnalité: de l’acceptabilité sociale à l’émergence d’un projet technicien», thèse de sociologie, 2007). D’où il suit que participer, c’est accepter. Et donc, peu importe le lieu du débat, à la radio ou dans un forum soigneusement manigancé, nous ne participons pas.

Nous ne servons ni de caution ni d’alibi démocratique a posteriori; nous n’ajoutons pas notre grain de sel dans la soupe des débats spectacles (talk shows). D’ailleurs, un simple décompte des «unités de bruit médiatique» générées par les promoteurs des techno-sciences toutes catégories confondues suffirait à rendre dérisoire et ridicule notre éventuelle participation à ces simulacres.

Les «débats», même radiophoniques et à temps de parole égal, simulent l’exercice d’une «démocratie» entre experts et contre-experts. Cette «démocratie technique» théorisée par les sociologues de l’innovation (voir Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, par Callon, Barthes, Lascoumes) substitue des leurres («forums hybrides», «conférences de citoyens», etc) à la confrontation politique sur le fond. Ces leurres occultent la dissymétrie entre ceux qui ont le pouvoir d’agir et ceux qui sont réduits à la simple expression, entre le loup et la chèvre. Ils ne dupent d’ailleurs plus grand-monde. Chacun voit que la décision, dans la vie réelle, tient au rapport de forces entre le pouvoir et les sans-pouvoir.

Il n’y a pas plus de «démocratie technique» que de «science citoyenne» ou de roue carrée: la démocratie est la participation de tous aux choix politiques, quand la technique est l’affaire des spécialistes.

«Dans le monde ancien, les experts existent, mais leur domaine est celui de la « technê », domaine où l’on peut se prévaloir d’un savoir spécialisé et où l’on peut distinguer les meilleurs des moins bons: architectes, constructeurs navals, etc. Mais il n’y a pas d’experts dans le domaine de la politique. La politique est le domaine de la « doxa », de l’opinion, il n’y a pas d' »épistémê » politique ni de « technê » politique. C’est pourquoi les « doxai », les opinions de tous, sont, en première approximation, équivalentes : après discussion, il faut voter.»

(C. Castoriadis, La montée de l’insignifiance)

Nous récusons l’expertise, comme la contre-expertise. Nous nous exprimons en individus politiques, en sociétaires de la société et même en animaux politiques (Aristote). C’est-à-dire que nous sommes compétents, comme tout citoyen, pour les affaires de la Cité. Rien n’est plus politique que le nucléaire, les OGM, les nanotechnologies ou le numérique.

Que l’on songe à ces invasions et ces accélérations technologiques qui bouleversent tous les aspects de nos vies. Leur toute-puissance transforme le monde dans un sens et non dans un autre: ces choix politiques devraient être débattus par la société entière, non pas entre experts et contre-experts qui ne discutent jamais que des modalités techniques de leur mise en œuvre. Y a-t-il jamais eu référendum sur l’opportunité de faire la bombe atomique ou sur le plan Messmer de nucléarisation de la France?

Nous demande-t-on notre accord pour produire des bactéries synthétiques ou infester notre environnement d’objets «connectés»?

Selon nous, la discussion sur la pertinence de telle ou telle «innovation» technologique appartient aux sociétaires de la société. Non seulement ce n’est pas aux experts de décider, mais ils devraient être exclus des débats, étant juges et parties. Personnellement intéressés à la poursuite de leurs activités, ils sont en situation de conflit d’intérêt dès lors qu’il est question de leur carrière, de leur statut social, de leurs revenus. Autant consulter les marchands d’armes sur l’opportunité de déclarer la guerre. Ils sont donc les derniers à pouvoir se prononcer sur l’utilité sociale de leurs travaux.

Ensuite seulement, si les citoyens associés ont décidé de construire des sous-marins ou des centrales nucléaires, il revient aux experts de dire comment y parvenir. Par exemple, la société décide de se nourrir avec une alimentation biologique, et ensuite, consulte si nécessaire les agronomes ou les microbiologistes du sol (mais les paysans devraient suffire).

En règle générale, il va de soi que les scientifiques et les technocrates ont tout intérêt à l’organisation scientifique de la société, qui leur donne, du même coup, tout pouvoir sur cette société.

«L’existence même de la démocratie est menacée si elle n’est plus capable d’entendre des expertises», écrivent les quatre ministres dans leur tribune. Comme si l’expertise ne gouvernait pas. Qui décide l’Etat à investir dans les nanotechnologies, les puces RFID, la biologie synthétique, sinon les experts, consultés en permanence par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques?

L’expertise dépouille la population de sa compétence politique, en dépolitisant les prises de décision. Du point de vue de la rationalité technique, il n’y a jamais qu’une seule meilleure solution: pourquoi discuter? Par leur abstention aux élections et leur mépris des technocrates, les «citoyens» prennent acte de leur éviction. Cette dissidence passive est insupportable à la technocratie. Celle-ci ne veut pas seulement être obéie, mais approuvée et soutenue. D’où cette prolifération de simulacres et de lieux de pseudo-débats.

S’il y a débat sur les OGM, le nucléaire ou les nanotechnologies, c’est que des individus ou des groupes ont exprimé sans permission leur opposition politique à ces projets politiques. Sans ces oppositions (discours écrits ou verbaux, sabotages, manifestations), jamais les experts et techniciens, ni les élus qui suivent leurs consignes, n’auraient pris la peine de ces pseudo-délibérations et campagnes de communication, après coup, pour avaliser des décisions déjà prises.

Nous-mêmes participons à de nombreuses réunions publiques, comme invités ou organisateurs. Nous débattons entre sociétaires de la société, des raisons et des moyens de s’opposer à la tyrannie technologique. Mais nous combattons les technocrates qui, selon nous, doivent être combattus.

En refusant de participer aux débats organisés à la radio ou à la télévision ou bien aux débats publics nationaux, type CPDP, ne privez-vous pas vos positions d’une large audience? Ne les confinez-vous pas dans le cercle des personnes déjà acquises à vos thèses?

En ce domaine comme dans la plupart, la qualité s’obtient au détriment de la quantité. Plus on s’étale, moins on en dit. Plus on fait de bruit, moins on fait de sens. Nous ne cherchons pas l’audience au prix du brouillage de notre discours. Nous tâchons de dire et d’écrire au plus juste, et si nous y réussissons, il n’y a pas besoin des mass médias pour que nos idées atteignent ceux qui les cherchaient.

Au contraire, ceux-là seraient rebutés par le brouhaha et en concluraient que nous n’avons rien à dire puisque les médias nous donnent la parole. Cependant nous faisons des entretiens écrits, pourvu que nous puissions nous exprimer exactement, parce que l’écriture et la lecture sont pour nous les conditions de la réflexion. Et puis les écrits restent.

Si des journalistes se convainquent de la justesse de nos discours, qu’ils sortent franchement de leur pseudo-objectivité et parlent pour eux-mêmes, ou du moins qu’ils disent en quoi ils nous donnent raison.

Les médias qui ne se gênent pas pour piller dans nos enquêtes des sujets de documentaires, d’articles ou d’émissions, voire des informations et des idées, passent en général sous silence les douze livres que nous avons publiés dans notre collection Négatif aux éditions l’Echappée. Du point de vue spectaculaire, il est plus intéressant de nous restreindre à l’image «d’activistes» perpétuellement grimpés dans des grues en train de vociférer et de provoquer des esclandres. Il nous arrive de le faire, mais cela représente la moindre part de notre activité.

A propos de la CNDP, qui se souvient des positions des Verts sur les nanotechnologies, exposées publiquement et dans les règles? Il nous semble que si l’épisode de la CNDP-Nanos (2009-10) a marqué les esprits, c’est bien parce que nous avons refusé d’y participer et expliqué pourquoi. Pour le coup, nous avons eu «une large audience».

Loin de nous confiner aux «cercles acquis», nous avons au contraire pris à cœur de porter la contradiction dans des lieux et devant des audiences hostiles à nos idées. Depuis 2001, nous n’avons cessé d’intervenir (oralement et par voie de tracts parfois longs) dans les innombrables conférences de «vulgarisation» scientifique et technologique qui infestent la cuvette grenobloise. Nous avons brisé le consensus sur la liaison recherche-industrie qui régnait ici depuis plus d’un siècle («la Houille blanche»).

Nous avons d’ailleurs parlé bien au-delà, à la fois au «grand public» grenoblois et dans maintes réunions – qui n’étaient pas confidentielles— partout en France.

Enfin, les cercles de personnes acquises à nos thèses ne sont pas étanches. Les idées qui s’y discutent percolent ensuite en cercles toujours plus excentriques dans le reste de la population. Où elles rencontrent l’expérience souvent informulée de la plupart des gens. En l’occurrence, notre rôle se borne à donner et à nommer les raisons de leur désarroi et de leur révolte.

Votre rejet de toute évolution scientifique et technique reflète-t-il une négation de toute possibilité de progrès de la société? Plaidez-vous, de ce fait, pour le fameux «retour à la bougie»?

Etymologiquement, le mot «progrès» n’a de sens ni positif ni négatif. Il désigne tout «mouvement vers l’avant». On parle du «progrès de la maladie» aussi bien que du «progrès de la médecine».

A l’ère des technologies, le progrès de la classe qui en bénéficie – la bourgeoisie industrielle – se confond avec le progrès technologique, donc avec le Progrès. Dès lors, «progrès» est synonyme de «progrès technologique», lequel est supposé répondre aux attentes de la société. Contester «le progrès» revient à refuser le confort matériel, l’augmentation de l’espérance de vie, les facilités de transport, de communication, de loisirs, la vitesse – bref, à préférer le retour à la bougie et à la mythique caverne préhistorique – ou, variante écolophobe, la grotte d’Ardèche.

En toute logique, notre société hypertechnologique devrait être un paradis. Or, en dépit des téléphones portables, tablettes numériques, cartes «sans contact», services numériques, objets et réseaux «intelligents» – en attendant les smart cities, une part croissante de la population exprime son malaise, son scepticisme, voire son dégoût. Les quatre ex-ministres qui déplorent l’«évolution inquiétante des relations entre la société française et les sciences et techniques» ne s’interrogent pas sur les causes d’un tel rejet.

Le progrès technologique n’est synonyme ni de progrès humain, ni de «progrès pour la société». Et chacun peut le vérifier dans son travail, sa vie sociale et familiale, son quotidien. Le médiateur de la République a publié plusieurs rapports alarmants sur une société au bord du burn out, dénonçant le syndrome «tapez étoile». Il est bien normal, quand les machines éliminent les humains dans tous les domaines de la vie, que les animaux sociaux que nous sommes en éprouvent quelque mélancolie.

Voyez les suicides dans les entreprises soumises à la rationalité technicienne, la violence, la consommation de psychotropes et d’antidépresseurs. La course à l’innovation brise les liens sociaux, épuise et atomise les individus. Il faut parler de régression sociale et humaine. Sans mention de la situation écologique, à propos de laquelle le mot « progrès » est malvenu.

«Retour à la bougie»: le poncif trahit une vision à la fois technicienne et religieuse de l’Histoire, considérée comme un axe à deux directions – avant/arrière. Vision qui néglige l’Histoire elle-même et les rapports de force dont elle résulte. Qui nie les bifurcations possibles. Après tout, on aurait pu choisir le plus léger que l’air (dirigeables), au lieu du plus lourd. La sobriété énergétique plutôt que la croissance nucléaire. A chaque point nodal, ceux qui avaient le pouvoir ont décidé pour tous de la direction à prendre.

Cela ne s’est pas fait sans affrontements. A peu près tous perdus par les ennemis du progrès. Les Parisiens se sont opposés en vain à l’implantation des gazomètres au début du XIXe siècle. L’avènement du nanomonde n’est pas une fatalité, le prochain pas en avant sur l’axe. Il dépend de l’issue du rapport de forces entre ses partisans et ses opposants. Les premiers étant le pouvoir et la technocratie, chacun présume du côté où penchera la balance.

Les fins esprits qui nous invitent à nous retirer dans une grotte n’ignorent pas que tout «retour en arrière» est impossible. La politique de la terre brûlée menée depuis les débuts de l’industrialisation laisse un milieu détruit (la quasi-totalité des cours d’eau français pollués, par exemple).

Il n’y a plus d’ailleurs. Les exploitants agricoles d’aujourd’hui vivent sous le contrôle des satellites (surveillance des parcelles), doivent poser des puces électroniques à leurs animaux et gérer leur exploitation par informatique, comme n’importe quel agent de production de n’importe quelle usine. Nous vivons dans la technosphère et sous la tyrannie de la fuite en avant technologique.

La politique de la terre brûlée, c’est aussi devoir recueillir l’héritage des ordures nucléaires pour l’éternité. Quels que soient nos choix politiques, nous devrons entretenir un corps d’ingénieurs atomistes, et la force armée pour surveiller ces décharges maléfiques. Voilà bien des gens qui, sans nous demander notre avis, ont «pris en otages» jusqu’aux ultimes «générations futures».

Nous ne proposons aucun projet de société idéale, à laquelle nous ne croyons nullement. Tout au plus pourrions-nous limiter les dégâts par soustraction. Supprimer par couches successives les nuisances qui défont ce monde: l’industrie publicitaire, les mass médias, l’armement, la grande distribution, le numérique, ad libitum.

Bien entendu, ce peu paraît déjà irréaliste. En particulier se pose la question du mode de décision: qui décide et comment? Mais cette question ne se pose pas quand il s’agit de lancer le plan Messmer de nucléarisation de la France (1974) ou la biologie de synthèse aujourd’hui.

La société qui émergerait, peu à peu dégagée de ces couches mortifères, serait sans doute imparfaite, mais elle nous laisserait du temps, de l’air, de l’espace, une chance de vivre notre vie. On voit que nous sommes passionnément modérés.

Une réponse à Hervé Kempf (sur les violences de Nantes)

Une précision s’impose : j’ai de l’affection pour Hervé Kempf et pour sa famille. Je connais Hervé depuis certain jour de 1988 où il vint me voir en compagnie d’un ami commun, Hervé Delouche. Il lançait son premier magazine Reporterre, pour lequel j’écrivis – difficilement – une notule sur le chant des oiseaux, parue dans le numéro 1. Nous nous sommes vus régulièrement depuis, et j’ai écrit pour son site d’information en ligne (ici) une série d’articles sur la Ferme des 1 000 vaches, parue début janvier 2014 (ici).

Ceci posé, je n’ai pas du tout aimé son édito à propos des violences de Nantes, samedi passé, que vous trouverez plus bas (ici). J’ai donc décidé de lui répondre, sous la forme d’une lettre ouverte. La voici :

Cher Hervé,

Franchement, non. Dix fois, cent fois non. Ton éditorial intitulé Le mirage de la violence ne passe pas, et ne risque pas de me plaire davantage demain ou l’an prochain. Je vois, car je sais encore lire, qu’il n’a pas été facile à écrire. À regarder dans les coins, il est aisé de trouver dans ton texte des explications à la violence qui fleurent presque la justification. J’aurais bien aimé, et je ne dois pas être le seul, que tu fasses parler davantage Dominique Fresneau, pilier de la bagarre, qui explique avec détermination : « Pour défendre notre terre, on est prêt à la violence ». Oui,  j’aurais aimé.

Au lieu de quoi, tu t’es laissé entraîner sur la voie moralisatrice, qui me semble, cette fois plus que d’autres encore, déplacée. Je te cite : « Il faut rappeler que la libre volonté de chacun doit s’harmoniser avec l’utilité collective et avec le bien commun. Sinon, elle n’est qu’une forme de narcissisme qui ne vaut pas mieux que l’égoïsme capitaliste ». Pour faire bon poids, tu n’as pas hésité à utiliser le vocabulaire habituel des pouvoirs en place, en parlant d’une « provocation dangereuse et fautive ». Et celui des antigrévistes de toujours, en estimant que la manifestation aurait été « prise en otage ».

Vains dieux ! Vingt dieux ! J’ai l’âge d’avoir eu 15 ans en 1970, et comme j’ai participé pendant des années à – presque – toutes les manifestations parisiennes de l’après-68, je puis dire que j’y ai vu la violence de très près. Les staliniens de l’époque – le PCF -, si puissants encore, nous traitaient comme de la vermine. Nous étions des diviseurs, des suppôts du capital, des stipendiés de la droite. Celle-ci par ailleurs – Pompidou, puis Giscard -, nous accusait d’avoir fait des stages de « guérilla urbaine » – expression reprise ces derniers jours par le ministre Valls et le député de Rugy – à Cuba et créait des législations spéciales aujourd’hui oubliées, comme la loi dite « anticasseurs ».

Il eût fallu ne pas bouger un orteil. Il eût fallu défiler sagement de Bastille à Nation, avant de rentrer se coucher devant la télé. Seulement, nous ne voulions pas. Nous voulions l’affrontement avec ce monde. Et si nous n’avions pas assumé le conflit, y compris sous ses formes violentes, ces années comprises entre 1968 et 1981 n’auraient jamais permis de dégager de nouvelles visions du monde, dont celle de l’écologie. La violence de ce temps disparu exprimait la profondeur du dissensus. En effet, il y avait eux, et nous. Dans ces conditions, il me paraît bien étrange de condamner comme tu le fais, en 2014, la violence qui a accompagné de si près la jeunesse révoltée d’il y a quarante ans.

Mais poursuivons. Crois-tu sérieusement qu’on parlerait encore de Notre-Dame-des-Landes sans eux ? Penses-tu – mais dans ce cas, écris-le ! – que les traditionnelles protestations auraient permis à elles seules de bloquer ce foutu chantier ? Moi, je suis certain que la détermination sans faille des zadistes – dont un nombre x sont aussi jeunes et violents que je l’ai été – a permis la création d’un rapport de forces favorable à notre combat commun. Attention ! Je ne prétends pas qu’ils auraient suffi, car je suis sûr du contraire. Il fallait aussi, bien entendu, la mobilisation des habitants, des paysans de la Conf’, de la gauche non inféodée et même – je ne suis pas aveugle – celle pourtant si contestable du parti de François de Rugy et Cécile Duflot. On appelle cela la dialectique, complexe machinerie sociale et politique sans laquelle aucune lutte n’est victorieuse.

Allons plus loin. Si la cause de Notre-dame-des-Landes apparaît désormais comme sacrée aux yeux de milliers de personnes, c’est aussi et peut-être surtout parce que les zadistes ont su mettre une touche de tragique dans les événements. Oh ! j’entends déjà les ricanements. Du tragique, maintenant. Eh bien, j’assume. L’histoire des hommes est tragique et il arrive – hélas – des moments où l’on est contraint de s’en souvenir. En faisant monter les enjeux, en montrant clairement qu’ils étaient prêts à payer un prix plus élevé que d’habitude, les jeunes de la ZAD ont dessiné les contours d’une lutte véritable. Où l’on prend des risques, où l’on reçoit des coups, où l’on en donne, où bien des choses désagréables peuvent arriver. Dont la prison, au mieux.

Sans que personne n’ose le formuler à haute voix, c’est l’odeur de la mort qui explique pour partie la nature de la mobilisation en cours. Que cela se vérifie ou non – j’espère de toutes mes forces que cela ne sera pas le cas -, le pouvoir, ses pseudopodes, ses affidés, et nous tous d’ailleurs avons compris que tout cela était sérieux. Que des affrontements pouvaient conduire à la mort de certains. Qu’il existait une limite à ne pas franchir, faute de quoi, ce serait l’irréparable. Les zadistes ont montré et montreront probablement qu’ils sont des combattants de première ligne. Pas des héros de bande dessinée. Pas des vedettes de cinéma à qui il faudrait demander un autographe. Non. Des fantassins dans une guerre désormais inexpiable entre ceux qui se couchent, profitant des dernières miettes du festin, et ceux qui continuent à dire non.

L’impensé radical de ce temps, Hervé, c’est celui de la violence. Nous voudrions, je voudrais moi le premier que nous sortions de ce cauchemar sans qu’aucune férocité ne soit nécessaire. En espérant contre l’évidence que rien n’est inévitable et que si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main, ce serait mieux pour tous. Mais tel n’est visiblement pas le cas. Cracher aujourd’hui sur les encagoulés de Nantes, c’est s’interdire demain de réfléchir aux moyens de changer l’ordre des sociétés humaines. Je suis navré de te le dire, mais à mes yeux, en prenant ce parti, tu fermes une porte massive, qui ouvre pourtant sur un débat vital. Jusqu’à quel point accepter ? Jusqu’à quel point  retroceder, comme on dit en castillan ? Jusqu’à quel point perdre ?

La question de la violence est fondamentale. Pour ce qui me concerne, j’estime être non-violent. Nullement par inclination, mais grâce à une réflexion étendue sur des décennies. Je pense que les jeunes de Nantes ont été gravement utilisés par nos adversaires habituels, à qui, soit dit en passant, tu rends toi aussi un signalé service. Car avec des points de vue comme le tien, il est clair qu’il deviendra peut-être impossible de manifester à Nantes ou ailleurs, comme le dit d’ailleurs sans détour l’impayable François de Rugy. Mais je reprends : la violence de samedi dernier aurait dû selon moi prendre d’autres formes, qui demeurent, je le reconnais, à imaginer. Comme elle s’est déployée, elle répète inutilement les formes passées, permettant aux pouvoirs coalisés de la présenter sous l’apparence ordinaire du désordre. Elle s’inscrit dans un schéma mental qui permet toutes les manipulations. On vient masqué, on casse, on se tire, on est des vilains, on est des vilains Allemands.

Je n’ai pas l’air, mais je suis contre la violence. Elle a fait un mal immense à tous les projets de transformation sociale, car elle permet tôt ou tard l’éclosion de corps spécialisés qui s’arrogent peu à peu tous les pouvoirs. Elle est fondamentalement un pouvoir, et ceux qui ne parlent pas sa langue devront finalement s’y soumettre. Je suis contre la violence, mais je sais que nous avons un besoin essentiel de la force, de l’énergie, de la détermination qu’elle contient. En somme, je crois qu’il faut la chevaucher en espérant la maîtriser pour la mettre au service commun. C’est une utopie, j’en conviens, mais elle est plus conforme à ma morale personnelle que la condamnation vertueuse des si modestes barricadiers de Nantes.

Enfin, et je me répète encore, encore et encore : quand débattrons-nous ? Quand pourra-t-on en parler, autrement que dans l’urgence ? Il est bien étrange de prétendre d’un côté que le monde est tenu par des oligarchies tournant le dos à leurs peuples et à la démocratie, et d’attaquer de l’autre 500 jeunes exprimant à leur façon leur profond dégoût d’une société humaine en déroute.

PS : Au fait, qu’est-ce que la légitimité ? Il y aurait un mouvement estampillé, sérieux, obéissant à la raisonnable raison, et puis la chienlit ? Il y aurait les vrais opposants et les autres ? Il y aurait les gentils zadistes qui font des maisons dans les arbres, refusent l’argent, plantent des carottes, et les affreux Black Blocs, ces « anarchistes allemands » de toujours ? Il n’y a qu’un mouvement, le nôtre. Les zadistes sont des nôtres. Les jeunes encagoulés sont des nôtres.

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Le mirage de la violence

Hervé Kempf

lundi 24 février 2014

Les provocations de samedi ont mis en danger les manifestants et affaiblissent la lutte.


La manifestation qui s’est déroulée le samedi 22 février à Nantes est une étape notable dans l’histoire de la lutte contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.Les médias institués auront retenu l’aspect spectaculaire de la confrontation de plusieurs centaines de provocateurs, venus pour en découdre, avec les forces de police. Cette violence a permis au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, de réagir presque en direct, en fin d’après-midi, pour la stigmatiser et donner le ton de la réaction officielle.Mais cette expression violente ne saurait faire oublier l’autre volet crucial de cette folle journée de Nantes : une mobilisation jamais atteinte dans la ville même, avec plus de trente mille manifestants et plus de cinq cents tracteurs. Ce succès atteste que la détermination populaire contre ce projet d’aéroport reste extrêmement forte.En revanche, l’image de violence projetée par la manifestation l’a détournée de son but. Il ne fait pas de doute que les images des désordres à Nantes vont marquer l’opinion publique et être utilisés par les promoteurs du projet, sur le mode d’un syllogisme simplificateur : « Les opposants sont violents, donc il est légitime de faire l’aéroport ».Au demeurant, les lieux détruits ont été précisément choisis : un bureau de la société Vinci, et deux agences de voyage, l’une de la SNCF (contre le projet Lyon-Turin), et l’autre de Nouvelles frontières (qui promeut des voyages en avion). Il n’y a pas eu de destruction généralisée, de volonté de saccage, de pillage. Les destructions avaient un sens politique, comme l’ont été le tagage d’un commissariat ou de l’hôtel de ville ou la destruction de deux engins de chantier. En même temps, il y a eu volonté de provoquer des gendarmes et CRS, massivement présents dans la ville, avec jets de projectiles, fusées, et bientôt pavés de la ligne de tramway, tandis qu’un bureau de cette ligne était incendié.Mais au final, la ville de Nantes n’a pas été mise à feu et à sang, et dès samedi soir, rue de Strasbourg, les voitures des fêtards réoccupaient les trottoirs sans inquiétude

« Pour défendre notre terre, nous sommes prêts à la violence »

Il n’en reste pas moins que la manifestation a largement échappé à ses organisateurs, et que l’image des affrontements a fait le délice des télévisions et sans doute jeté l’effroi dans nombre de foyers.

Comment ont réagi les forces en présence ?

Le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, a donné dimanche matin sa version, lors d’une conférence de presse à laquelle assistait Reporterre : « Il y a un rapport entre ce qui s’est passé à Nantes et ce qui se passe sur la Zad. (…) Le combat de Nantes est une répétition de ce qui se passerait si les travaux commençaient sur la Zad ».

Dénonçant cette « guérilla urbaine », qui prend selon lui origine sur la Zad, il en a tiré argument pour tenter de rompre l’unité de l’opposition : « Je demande à chaque composante de l’opposition institutionnelle d’exprimer sa position sur les squats. (…) Il faut que l’opposition légale clarifie sa position ».

Du côté de « l’opposition institutionnelle », le ton n’est pas à la repentance : « Dans toute manifestation, il y a des gens dont la violence est le seul moyen d’expression, à gauche comme à droite, dit au téléphone Dominique Fresneau, porte-parole de l’Acipa. C’est un problème de société, ce n’est pas à nous de le résoudre. »

Récusant la responsabilité de l’Acipa – « Nous n’avons rien vu. En fait, les policiers savent mieux que nous ce qui a pu se préparer, ils ont suffisamment de personnes infiltrées pour cela » -, M. Fresneau met les choses au clair : « Pour défendre notre terre, on est prêt à la violence ».

Quant à la position des occupants de la Zad, elle est d’autant plus difficile à déterminer qu’il n’y a pas, par définition, « une » position de la Zad. En tout cas, ils se sont associés au communiqué commun publié dès samedi soir avec l’Acipa et le Copain (Collectif des paysans) : « Il existe différentes manières de s’exprimer dans ce mouvement. Le gouvernement est sourd à la contestation anti-aéroport, il n’est pas étonnant qu’une certaine colère s’exprime. Que pourrait-il se passer en cas de nouvelle intervention sur la zad ? ».

L’avertissement qu’ont voulu lancer les initiateurs de la violence, et le message qu’adressent les asssociations en commun, est clair : si le pouvoir décide de réoccuper la Zad, la défense sera extrêmement vigoureuse.

La manifestation prise en otage

On ne saurait dire si ce type de proclamation est très utile. Mais dans un contexte où le pouvoir a cédé plusieurs fois face aux manifestations – qu’il s’agisse de l’écotaxe ou de la loi sur la famille -, il serait paradoxal qu’il vienne tenter d’affirmer une autorité vacillante en réoccupant la Zad de Notre Dame des Landes.

Il n’en reste pas moins que cette afffirmation violente a fait reculer la lutte auprès de l’opinion publique. Celle-ci est globalement neutre sur ce projet d’aéroport, et plutôt en empathie avec les opposants. Mais les images de pavés lancés par des jeunes gens camouflés et de bataille de rue n’ont certainement pas fait pencher la balance du bon côté.

Et d’autant moins que cette violence a un sens politique douteux : autant elle peut avoir un sens quand il s’agit de se défendre face à une invasion policière, autant elle perd de sa force quand elle se projette en provocation.

Elle a de surcroît pris en otage la manifestation. Quand il y a des débordements, c’est généralement dans les fins de rassemblements qu’elles se produisent. Le fait d’avoir lancé les hostilités à l’égard de la police dès 15 h, au milieu de la foule, alors que des familles, des enfants, avançaient calmement et joyeusement, n’a pas seulement gâché la fête et volé le message que le gros des manifestants voulait porter, elle les a mis en danger. C’est inacceptable.

Pour autant qu’une vision du monde anarchiste – refusant la hiérarchie, prônant la démocratie directe, célébrant l’autonomie – inspire beaucoup de ceux qui ont préparé et opéré la provocation dangereuse et fautive de samedi, il faut rappeler que la libre volonté de chacun doit s’harmoniser avec l’utilité collective et avec le bien commun. Sinon, elle n’est qu’une forme de narcissime qui ne vaut pas mieux que l’égoïsme capitaliste.

Le mouvement de lutte contre Notre Dame des Landes doit réfléchir et assumer pleinement ses responsabilité : anarchistes, citoyennistes, paysans, écologistes, zadistes, et opposants de tout poil ne gagneront la bataille que s’ils restent unis et évitent une violence stérile. Le but premier n’est pas de déclencher « l’insurrection populaire », mais d’empêcher la réalisation d’un projet absurde et de mettre en œuvre des modes de vie différents, anticapitalistes, écologistes et émancipateurs.

Jusqu’où ira Montebourg (sur les mines) ?

Arnaud Montebourg, aile gauche du parti au pouvoir, ministre sordide. Politicien jusqu’aux ongles, sans morale, sans parole aucune. Pendant la campagne de la présidentielle, en 2012, il écrivait sur son blog – tout a disparu, vous pensez bien -, ainsi que le rappelle le quotidien L’Humanité du 12 juillet 2013, que l’exploitation des gaz de schiste présentait des « risques écologiques démesurés » et qu’elle aurait un « impact considérable en terme de réchauffement climatique ».

Il ajoutait que l’’indépendance énergétique « ne doit pas se faire au prix de catastrophes environnementales », avant de conclure : « La France doit aujourd’hui repenser sa politique énergétique. Il ne s’agit pourtant pas de s’engager tête baissée dans des alternatives plus risquées et plus polluantes, mais de réfléchir à un véritable plan d’essor des énergies renouvelables, afin de limiter notre dépendance énergétique et d’instaurer un véritable développement durable ».

Sitôt en place, sitôt ministre, il oubliait tout, devenant chaque jour un peu plus un militant pro-gaz de schiste, jusqu’au ridicule. Il poursuit sur la même voie, et vient d’annoncer la création patriotarde d’une Compagnie nationale des mines (ici), chargée de prospecter en France au sens très large – la métropole, mais aussi des territoires volés jadis, comme la Guyane -, dans l’espoir d’y trouver de l’or, du lithium, peut-être bien du charbon, car Montebourg se contrefout bien sûr du dérèglement climatique. Ce qui compte, c’est lui.

Ainsi que le note fort justement un communiqué des Amis de la Terre, « Réouverture de mines en métropole et en outre-mer, accaparement des ressources des pays du Sud, cette compagnie nationale des mines ne sera en fait qu’un nouveau bras armé d’une politique qui est menée depuis des décennies au travers des multinationales françaises. L’État est en effet actionnaire d’Areva  et d’Eramet, dont les activités font des ravages dans le monde depuis trop longtemps ».

Je vous le dis comme je le pense, c’est abominable. Je ne vois décidément pas quel accommodement envisager avec de tels adversaires. Mais ne sont-ils pas plutôt des ennemis ?