Archives de catégorie : Morale

Bernard Guetta, la NSA et le souffle perdu (plus un ajout)

Le mot de décadence est connoté, je le sais. Il a été si souvent utilisé, au travers des temps historiques, par des vieux cons, que l’on peut hésiter à l’employer. Mais peut-être suis-je devenu, sans m’en rendre bien compte moi-même, un vieux con ? Chi lo sa ? C’est en tout cas ce mot qui m’est venu à l’esprit en écoutant voici un quart d’heure Bernard Guetta, sur France-Inter.

Guetta est un journaliste multicouronné, qui fait des éditos de politique étrangère chaque matin de la semaine. Il est bien rare que je tombe d’accord, mais je lui reconnais sans barguigner du talent, et un don vrai pour l’analyse comme pour la synthèse. Politiquement, je crois pouvoir dire qu’il n’est pas loin de ce que sont aux États-Unis les Démocrates. Pas de droite, pas vraiment de gauche non plus. Une sorte de social-démocrate ayant achevé la mue de rupture avec la tradition socialiste.

Bon. Ce matin, Guetta parlait des écoutes de l’agence de renseignement américaine NSA. Des millions de conversations privées entre Français interceptées dans l’illégalité, pour la seule période 10 décembre 2012-8 janvier 2013. Et Guetta de commenter l’événement à sa manière habituelle, pondérée, raisonnable. Sauf qu’il déconnait à cent sous de l’heure, oubliant superbement le fait que des citoyens d’un pays officiellement libre sont sous la surveillance étroite d’un appareil étatique. Il ajoutait, sans doute pour aggraver son cas, que tous les pays font de même, et que seuls les moyens technologiques et financiers pouvaient expliquer les différences d’échelle entre disons les capacités d’espionnage du Malawi et celles des États-Unis. À en croire son propos, il y avait comme automaticité. Nulle politique. Aucun choix. Pas la moindre décision de qui que ce soit.

Notons immédiatement que c’est intéressant. Un appareil étatique conduirait fatalement au flicage. Mais comme il faut aller au-delà, disons tout net que Guetta exprime bien mieux que ces pauvres nouilles de Hollande ou Valls où en est rendu l’esprit public. Car bien sûr, de telles révélations eussent dû conduire à une crise morale majeure. Au sursaut. Aux manifestations de masse. À l’émeute, pourquoi pas ? Or rien d’autre qu’un friselis à la surface des choses ordinaires. Rien.

Certes, j’ai souvent écrit, car c’est une évidence, que l’on sait tout cela depuis des décennies au moins. Les activités du réseau Échelon – avec au centre la NSA – ont été révélées en 1988, et il s’agissait déjà d’espionnage généralisé des sociétés humaines. 13 ans avant le 11 Septembre, qui leur sert aujourd’hui de justification. De la même façon que nos politiques, Mitterrand en tête, firent semblant de protester, ceux d’aujourd’hui miment stupéfaction et indignation. Je dois constater qu’ils jouent très mal.

Mais l’essentiel, à mes yeux de vitupérateur, est ailleurs. Je sais que la démocratie est morte, mais je reste à chaque fois meurtri quand on me le rappelle. Je veux parler de l’esprit de la démocratie, qui renversa le monde au cours des 18ème et 19ème siècles. L’énergie, pour ne pas dire la foi, était là. Et tout a disparu, décennie après décennie. De plus en plus.

Ce qui reste du souffle historique de 1789, c’est le pire. Je veux dire la glorification de l’individu, jadis moteur de l’émancipation, aujourd’hui consommateur déchaîné pour lequel la machine invente chaque jour de nouveaux objets. L’individualisme, clé de l’industrialisation capitaliste de la planète, fait de chacun un rouage militant du gaspillage universel. Oui. Ne nous reste que le pire. Comme du reste, d’un certain point de vue, mai 68 n’a laissé derrière, pour l’essentiel, que des nuées d’individualistes-hédonistes prêts à plébisciter les écrans plats et les téléphones portables.

Je me suis perdu, excusez-moi. La NSA. N’importe quelle personne, pensant par elle-même, pouvait prévoir ce que donnerait Internet et l’ordinateur aux mains des puissances que l’on sait. Mais il semble que plus la menace se précise, plus se développent des formes de déni de celle-ci. Plus ça va, moins on regarde dans les coins et sous le tapis, certains que nous sommes d’y découvrir les monstres qui hantent nos nuits.

Nos sociétés épuisées recèlent-elles suffisamment de force cachée pour susciter un mouvement neuf ? Capable de s’attaquer à toutes les NSA, dont certaines sont évidemment françaises ? Puis de parler enfin de la seule question qui vaille vraiment, c’est-à-dire la crise de la vie ?

Ajout (plus tard le même jour) : M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, répond aux questions du journal Le Monde. J’extrais ceci de ses réponses :

« La démesure des écoutes auxquelles procèdent les Etats-Unis est proportionnelle aux moyens qu’ils y consacrent. La communauté du renseignement américain bénéficie d’un budget qui avoisine les 75 milliards de dollars par an ; elle se compose de 16 services (on a tout lieu de penser qu’en réalité ils sont au nombre de 17) ; elle emploie près de 110 000 personnes et recourt à de nombreux sous-traitants. Il s’agit donc d’un rouleau compresseur ».

Mon commentaire : tout est cinglé, mais un bout de phrase l’est davantage encore. Celui-ci : « On a tout lieu de penser qu’en réalité ils sont au nombre de 17 ». Il existe donc peut-être, aux yeux de notre spécialiste national un service américain plus secret que les autres services secrets, qui sont au nombre de 16 déclarés. À ce compte-là, pourquoi pas 38 ? À ce compte-là, pourquoi pas en France aussi ?

Une botte de poireaux, trois kilos d’oiseaux (la nature monétarisée)

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 9 octobre 2013

La nature a-t-elle un prix ? Peut-elle être vendue sur les marchés ? Oui, jure le Conseil économique, social et environnemental, où siègent des « écologistes » bien propres sur eux.

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Belles moquettes, beaux salons, superbes breloques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont tout le monde se fout, entretient 233 conseillers : des patrons, des syndicalistes, des pedzouilles, et depuis Sarkozy des écolos dûment estampillés, qui savent rester gentiment à leur place. Compter 3800 euros par mois d’indemnités, et jusqu’à 7500 euros pour le président. Le tout siégeant quatre après-midi par mois au charmant palais d’Iéna, à Paris.

Le CESE, purement consultatif, donne des avis au Sénat, à l’Assemblée, au gouvernement, et pond d’ébouriffants rapports. Par exemple, et parmi les tout derniers : « La coopération franco-allemande au cœur du projet européen », « Pour un renforcement de la coopération des Outre-mer », « Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? ». On ne rit pas, c’est sérieux.

On s’arrêterait volontiers là si une vilaine opération n’était en cours, façon ballon d’essai. Pour bien comprendre la suite, un mot sur les « mesures compensatoires » en cas de destruction d’un milieu naturel. Un aménageur ne peut aujourd’hui tout bousiller que s’il dispose d’un plan  destiné à compenser ailleurs. En remplaçant par exemple un bout de marais ou de forêt, plus ou moins comparables au plan biologique.

C’est con, mais en plus, ça coince. Les mesures proposées en remplacement des 2 000 hectares où Ayrault veut foutre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont contestées de toute part. Par les naturalistes de terrain, mais aussi par plusieurs commissions officielles. Or le même Ayrault, s’appuyant sur le rapport Boulard-Lambert (Charlie du 24 avril 2013), ne rêve que d’une chose : contourner les rares lois de protection de la nature, et combattre « l’intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement ». La croissance, à tout prix.

Chaussons ces lunettes et lisons le dernier Avis du CESE sur la biodiversité (http://www.lecese.fr). Au détour d’une phrase, on s’attaque sans préavis à près de quarante ans de lois censées protéger la nature. Citation : « Dans le cas où les espaces consommés ne peuvent pas être compensés en surfaces », eh bien, il faudra bien trouver autre chose. C’est le bon sens qui parle. Et le CESE d’ajouter : « Il doit être envisagé, dans les cas où la compensation écologique en surface de terrains est contre-productive, voire impossible, que celle-ci soit monétarisée ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est une révolution. En clair, l’adoption du langage de l’économie et de la finance : tu détruis, mais tu paies. Derrière les mots, des dizaines, des centaines de banques et d’agences, dans le monde entier, se voient en « instruments financiers innovants », veillant aux « paiements pour services écosystémiques ». Commentaire de Maxime Combes, d’Attac (http://bastamag.net), à propos d’une tendance mondiale au « capitalisme vert » : « Niant la complexité, l’unicité et l’incommensurabilité des écosystèmes, cette approche transforme les écosystèmes et les services qu’ils rendent en actifs financiers comparables, quantifiables et échangeables sur des marchés ».

Bien entendu, on n’en est pas là en France, et l’Avis du CESE pourrait n’être qu’un feu de paille. Mais il provoque des secousses dans le milieu associatif. À commencer par les Amis de la Terre, dont la présidente actuelle, Martine Laplante, membre du CESE, a voté sans état d’âme le texte. Plusieurs adhérents, parmi les plus anciens, ne rêvent que de la lourder au plus vite, rappelant l’une des dernières grandes campagnes internationales des Amis de la Terre : « La nature n’est pas à vendre ».

De leur côté, les dirigeants de France Nature Environnement (FNE) – 3 000 associations revendiquées – membres du CESE ont voté l’Avis en bloc. Commentaire d’un responsable, opposant de longue date à la ligne majoritaire : « Sans débat interne, sans égard pour les luttes en cours, voilà nos cadors du CESE qui se lancent dans la financiarisation de la nature ». Sans débat, c’est vite dit, car ils en ont forcément parlé entre eux.

La grosse truanderie des barrages coréens

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 2 octobre 2013

Au pays du matin calme, on se paie des journées agitées. Derrière un gigantesque programme de barrages – terminé -, des flots de fric détournés au profit des nobles entreprises du pays.

Le « Projet des Quatre fleuves ». Sans aucun doute, l’une des plus belles arnaques des temps modernes. Et elle profite – Dieu quelle surprise ! – aux principales transnationales d’origine coréenne, soit Hyundai, Samsung et Daewoo, au travers de leurs filiales dans le secteur de la construction. Faut-il le rappeler ? Hyundai, c’est la bagnole, l’électronique, l’armée. Samsung, l’électronique aussi, la bagnole aussi, le téléphone portable. Daewoo, l’électronique encore, l’armée encore, la bagnole encore. Les trois tiennent la Corée, plus un paquet de politiciens locaux, ce qui peut toujours servir.

L’excellent Lee Myung-bak, président de février 2008 à février 2013, a bossé toute sa vie chez Hyundai, où il a gagné le surnom de « bulldozer », mais cela n’a rien à voir, car autrement, ce serait grave. En 2009, il lance un plan qui vise à changer la géographie physique de la Corée, assise depuis toujours sur les bassins versants des fleuves Han, Nakdong, Geum et à un degré moindre de celui du Yeongsan. Les quatre doivent être redécoupés par les ingénieurs et les machines, endigués par 16 grands barrages et quantité d’aménagements en béton brut, celui que préfèrent les aménageurs.

Pourquoi ? La question est vilaine. Et la réponse officielle est impeccable. Il s’agit de « restaurer » les rives abîmées des si jolis fleuves, prévenir les crues, favoriser le tourisme, assurer la production d’eau potable, etc. On en oublie, car la liste est longue. De 2009 à 2011, travaux, lourds engins, vastes profits. 80 % du programme se voit terminé en seulement deux ans. De multiples sondages montrent que 70 % de la population est contre les travaux, des centaines de comités se mobilisent, l’Église catho, puissante localement, et d’autres mouvements chrétiens hurlent à la mort. M. Bulldozer s’en tape, avance, et finit dans les temps.

Dès les premières semaines, des dizaines de milliers de riverains sont privés d’eau potable. Un mois plus tard, on apprend que près de 13 000 tonnes de déchets ont été abandonnées sur place. C’est le début d’une série d’épouvante. Malgré les barrages, ou plutôt à cause d’eux, des marées vertes se forment au long du fleuve Nakdong, corseté de barrages et privé ainsi de toute dynamique naturelle. On relève en août 2013 jusqu’à 15 000 cellules d’algues vertes par millilitre d’eau.

Parallèlement,  les bouches commencent à s’ouvrir, comme disait l’autre, et une commission d’enquête est lancée en mai de cette année. Les chiffres tombent. Le chantier de M. Bulldozer, qui devait coûter 10 milliards d’euros, dépasse 15,4 milliards. Les 960 000 emplois promis au départ ne dépassent pas 10 000. 15 des 16 barrages construits sont en très mauvais état, victimes de graves malfaçons. Et c’est alors, le 12 septembre, qu’éclate l’invraisemblable affaire Chang Sung-pil.

Il apparaît que ce dernier, nommé à la tête de la Commission d’enquête par quelque facétieux, est en réalité en cheville avec les constructeurs. Pensez ! il a bossé discrètement, de 2007 à 2009, pour Yooshin Engineering, groupe soupçonné d’entente illégale dans l’attribution des marchés liés aux barrages. Coincé comme il n’est pas permis, Chang démissionne, déclarant avec un flegme qu’on lui envie : « Je ne crois pas que je puisse continuer à occuper ce poste ».

Un autre Coréen, Choi Yul, est en taule depuis mars 2013 pour avoir protesté contre la construction des barrages. Écologiste d’une autre trempe que les zozos d’ici, il a créé la Fédération coréenne des mouvements écologistes (KFEM), adhérente des Amis de la Terre. De sa prison, il a envoyé une lettre dont Charlie extrait ces quelques mots : « Si être membre du mouvement écologiste me rend coupable, alors j’accepte avec joie ma condamnation. Je laisse à l’environnement, qui est le tribunal du futur, le soin de me juger ».

De leur côté, Hyundai, Samsung, Daewoo et leur ancien président d’ami font la gueule. Car le « Projet des 4 fleuves » devait être vendu clés en main à l’Algérie, à la Thaïlande, au Paraguay, au Maroc. Faudrait voir à mieux truander.

Le monde a choisi la cécité (sur le climat)

Pour moi, une journée de deuil, et je ne m’épancherai pas. La crise climatique s’aggrave, elle est peut-être hors de contrôle (ici), nul ne sort dans les rues pour hurler. Cinquième rapport du Giec. Le désastre est déjà là. France-Inter consacre trois minutes à ce drame absolu dans son journal de 13 heures, et puis passe aux choses sérieuses. Madame Duflot surjoue une indignation à propos des Roms qui, si elle était vraie, l’aurait conduite à annoncer sa démission. Voulez-vous que je vous dise ? Sa loi sur le logement, elle peut se la mettre quelque part. Ça vous choque ? Tant pis. Il est bon de temps à autre de vider son sac. L’heure est de toute façon aux ruptures franches, délaissant les susceptibilités. Et quand je parle d’Inter et de Duflot, il s’agit bien entendu des deux premiers exemples auxquels j’ai pensé. Il en est des centaines.

La dernière fois qu’on a osé parler dans ce pays, ce fut à propos de la torture de masse en Algérie. La dernière fois qu’il a fallu risquer sa vie, ce fut contre le fascisme. La dernière fois que l’on a volontairement omis une vérité essentielle, ce fut sur le stalinisme. C’est à cette aune qu’il faut juger l’indifférence de notre époque au vaste dérèglement en cours du climat. Sauf que la stabilité du climat était la condition première de l’existence des sociétés humaines. Sauf que la menace sur tout et sur tous n’a jamais été aussi grande, de fort loin.

Noël Mamère, cocu volontaire et définitif (sur les Verts)

J’ai lu, comme certains d’entre vous, l’entretien accordé par le député-maire de Bègles, Noël Mamère, au journal Le Monde (ici). Il quitte Europe Écologie-Les Verts, mouvement auquel il a appartenu 15 ans. En dénonçant ce qu’il nomme La Firme, groupe supposément soudé par l’intérêt politicien autour de Cécile Duflot, ministre en titre du Logement. Mon premier mouvement, je dois le confesser, est de pure et simple moquerie.

Car tout de même ! Je me dois de rappeler que Mamère a commencé sa carrière politique en 1988, comme suppléant aux élections législatives du fils Mitterrand, Gilbert. Après avoir beaucoup grenouillé avec les socialistes, il fonde avec Brice Lalonde,en 1990, le mouvement Génération Écologie. Un groupe politique inventé par l’Élysée de François Mitterrand pour contrecarrer l’influence croissante des Verts de cette époque. Ce n’est nullement un secret : Mamère lui-même l’a raconté dans l’un de ses livres.

Avec Brice Lalonde, Borloo et Tapie 

Est-ce anecdotique ? Je ne crois pas. Génération Écologie a été une invention politicienne de bout en bout, qui a compté dans ses rangs cet excellent Jean-Louis Borloo. Lequel Borloo copinait de près, depuis le début des années 80 avec un certain Bernard Tapie. Le grand bonheur des deux hommes, pendant près d’une décennie, fut de racheter les entreprises faillies pour le franc symbolique, directement à la barre des tribunaux de commerce. Je m’égare ? Mais pas du tout !

Je vous parle d’un monde auquel vous n’aurez jamais accès. On s’y tape sur le ventre. On rit de la dernière pitrerie de tel ou tel, qui a baisé machin en beauté. On se moque de tel autre, qui n’a décidément rien compris au film des événements. On est entre initiés, pas ? Mitterrand, Mamère, Lalonde, Borloo, Tapie. Tiens, Tapie. En 1994, Mamère devient député européen sur la liste Énergie Radicale conduite par Tapie, téléguidé par un Mitterrand agonisant pour empêcher Michel Rocard de s’emparer du parti socialiste. Je n’y insiste pas : la manœuvre réussit à la perfection. Et dans la suite, Mamère entre chez les Verts.

Bon, je ne peux ni ne souhaite tout raconter. Mamère fait carrière, représente les Verts à l’élection présidentielle de 2002, juste après avoir annoncé son « irrévocable décision » de ne pas accepter le job. Bref. Il se comporte comme un politicien absolument ordinaire. Qu’il est. J’ajoute pour faire bon poids deux éléments. Le premier : chez les Verts, il s’est toujours entouré de porte-flingues qui, je pense, pourront se reconnaître. J’ai connu l’un dans une autre vie, et le cynisme avait emporté chez lui toutes les digues il y a déjà trois bonnes décennies. Quant au second, qui a taillé sa route, je ne saurai rapporter ici toutes les horreurs pures et simples entendues sur son compte. Et notez bien que je ne fréquente aucun de ces personnages. Aucun ! je le jure bien.

Petit-déjeuner à la brasserie de République

Le seul contact direct que j’ai eu avec Mamère doit se situer vers 2003. Pour une raison que j’ai oubliée, il avait souhaité prendre un petit-déjeuner avec moi dans une brasserie de la place de la République, à Paris. Je suis sorti de ce rendez-vous abasourdi par le bas niveau de connaissances et de réflexion de Mamère, à qui j’avais eu l’idiotie de dire que la crise écologique était une crise de la vie. Je le revois mâchouiller cette phrase, et la répéter comme s’il avait eu une quelconque révélation. Et puis plus rien. Jamais plus rien. Je n’ai plus jamais eu la moindre nouvelle, sans que cela m’ait enlevé, je crois, la moindre chose.

On croira après cela que j’en veux à ce grand garçon, et ce n’est pas vrai. Le pire que je puisse dire de son – désormais – ancien mouvement, c’est qu’à mon sens, Mamère était un de ses membres les moins dégénérés. L’un des plus sincères. L’un des plus sympathiques. Cela ressemble à un grand écart, mais c’est comme ça. Seulement, il se barre comme un nigaud, qui sera aspiré par le vide, sauf s’il se rallie à Mélenchon – peu probable – ou au parti socialiste, éventuellement après un  détour. Il est simplement lamentable que Mamère sorte de son mouvement sans seulement oser citer le nom du grand ordonnateur de toute ligne politique, à savoir Jean-Vincent Placé. Par peur ? Moi, j’ai réalisé ce printemps un long entretien avec Jean-Paul Besset (JPB) et Daniel Cohn-Bendit (DCB) , paru dans Charlie Hebdo (ici), qui n’aura intéressé personne, alors qu’il est d’une rare clarté. En voici un bout :

——-Extrait

Charlie : Vous étiez donc refaits. Mais par qui, dites-moi ?

DCB : Par  le bureau exécutif des Verts. L’appareil.

Charlie : Mais encore ? En dehors de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot, on ne connaît personne.

DCB : Ce n’est pas parce que personne ne les connaît qu’ils n’existent pas. Ils ont la mainmise sur les Verts. Disons que Placé et quelques autres avaient la mainmise sur l’appareil national, mais aussi régional, par l’intermédiaire des bureaux exécutifs régionaux.

JPB : Qui ? Le bureau exécutif, avec à sa tête Cécile Duflot, dont le bras droit s’appelle aujourd’hui encore Jean-Vincent Placé. Au total, cela doit représenter moins de cinquante personnes.

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.  Il s’agit d’une affaire de gestion des élus et des postes. Ces gens-là, qui ont construit un univers clos, ne vivent plus que de la politique politicienne depuis des années. Comme ils sont toujours là, à la différence des simples militants, ils finissent par l’emporter. L’objectif final n’existe pas. Il faut conquérir toujours plus de parts de marché, ou en tout cas ne pas en perdre. Un type comme Dany n’a pas sa place là-dedans, car cela lui arrive de lire un livre, de s’occuper de son fils, d’aller au stade voir un match de foot (rires).  Placé y va aussi, au stade, mais dans la tribune des VIP. Pour s’y faire voir, pour nouer des contacts, pour activer des liens. L’écologie n’est pas davantage leur problème. La grande affaire, c’est de gérer la boutique, de négocier des places, d’avoir du pouvoir.

——-Fin de l’extrait————————–

La chute des maisons Besset, Cohn-Bendit, Durand et Mamère

Reprenons. Mamère omet de désigner le vrai chef du parti, dont chacun sait qu’il ne s’intéresse aucunement à l’écologie. Pourquoi ? Outre la peur déjà évoquée, il n’est pas impossible que quelques cadavres communs se trouvent dans les placards. En tout cas, c’est un désastre total. Les deux « inventeurs » d’Europe Écologie, Besset et Durand, sont sur la touche. Besset finit son mandat de député européen, et ne rempilera pas. Durand est viré comme un domestique de son poste de secrétaire national. Mamère est out, comme l’est Cohn-Bendit. La route est dégagée comme jamais pour Placé et sa camarilla. On ne peut nier l’évidence : c’est bien joué. Et les autres, tous les autres, se seront comportés comme les couillons qu’ils sont.

L’histoire du mouvement Vert, désolante depuis les origines, est à faire. Si je croyais davantage à cette politique-là, je l’aurais écrite. Mais n’y croyant pas même une seconde, je ne m’y collerai pas. M. Placé peut dormir sur ses deux oreilles. Je puis simplement dire, pour l’avoir observé en son temps, que le pouvoir démesuré d’un Placé et de son clan n’est jamais que répétition. Il y a vingt-cinq ans, lorsque Dominique Voynet affrontait Antoine Waechter en un combat dérisoire, la pièce était de même contour. Un groupe pour le moins étrange cornaquait Waechter et lui assurait de confortables victoires électorales au cours d’Assemblées générales du mouvement, soigneusement préparées. Des départements entiers – le Var, les Hauts-de-Seine – acquittaient rubis sur l’ongle des centaines de cartes d’adhérents fantômes, qui changeaient la donne. Et personne ne s’en souciait pourtant. Les amis d’Antoine Waechter s’appelaient entre eux La Famille, mot qui a la sympathique résonance que l’on sait, à peine mois sympathique que La Firme des proches de Duflot, évoquée par Mamère.

Au service de la bureaucratie

Certes, il y a eu de nombreux changements de personnes. Certains sont morts, d’autres ont abandonné la politique ou gagné d’autres rives. Mais fondamentalement, la pourriture morale a perduré. Une bureaucratie impayable – indifférente à la crise écologique, ô combien ! obsédée par les nombreux postes mis à disposition et la combinazione, ô combien ! – a fait son trou, profitant de statuts et règlements rendus volontairement abscons pour mieux contrôler l’appareil. Tous les chefs verts, de Bennahmias à Cochet, de Voynet à Blandin, de Hascoët à Buchmann, de Lipietz à Dessessard, et plus tard, de Contassot à De Rugy, de Coronado à Joly ont eu à connaître de ces mœurs, sans jamais oser moufter de peur de perdre pied, et de bientôt disparaître.

Je sais, pour en avoir discuté, de loin en loin, avec certains des acteurs de cette tragicomédie, combien la conscience de cette mascarade est partagée. Mais vu qu’aucun ne bouge ni ne bougera. Mais vu qu’aucun n’a fait ni ne fera l’histoire de cette longue descente aux enfers, j’en arrive à penser que M. Placé et Mme Duflot auraient grand tort de se gêner. Faut-il conclure que je n’attends rien d’un mouvement de cette sorte, dévoré de l’intérieur par des feux qui n’ont rien à voir avec l’écologie et la morale élémentaire ? C’est si évident que c’en est inutile. Planète sans visa se situe aux antipodes mêmes de cette démission de tous pour le service de quelques-uns.