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Et les armes chimiques françaises, M.Hollande ?

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 11 septembre 2013

La morale est devenue un jeu télé. La France gaulliste a oublié les armes chimiques de B2 Namous. La France socialo a oublié les 5 000 morts d’Halabja.

Hollande est un magnifique rigolo. On le savait, mais son numéro sur la France éternelle, morale en bandoulière, crève le plafond. Il ne serait donc pas supportable que notre glorieux pays laisse un abominable dictateur – Assad – user d’armes chimiques contre ses petits nenfants.

Bon, on a le droit d’aimer les fables. On a aussi le droit de connaître l’Histoire. Le 16 mars 1988, des Mirage made in France larguent sur la ville kurde – irakienne – d’Halabja des roquettes pleines d’un cocktail de gaz sarin tabun et moutarde. 5 000 morts. Des gosses figés au sein de leur mère. Mitterrand, alors au pouvoir, s’en contretape et ne dit pas un mot. L’urgence est de soutenir Saddam Hussein, raïs d’Irak, contre les mollahs de Téhéran. Et que l’on sache, pas un mot de Hollande, en ce temps l’un des experts du parti socialiste.

Mais ce n’est pas exactement tout. La droite sarkozyste, si elle était autre chose qu’une bande, fermerait gentiment sa gueule. Or elle piaille. Or Fillon, Jacob, Copé et tous autres miment les donneurs de leçons. Il est vrai que ce n’est pas demain la veille qu’ils devront s’expliquer sur la base secrète B2 Namous.

Cette sombre affaire commence dans les cerveaux gaullistes dès le retour du noble Général au pouvoir, en juin 1958. De Gaulle a l’obsession qu’on sait : la grandeur, par la puissance. Et cette dernière ne peut exister selon lui sans la bombe, la vraie, la seule. La première bombe atomique de chez nous explose le 13 février 1960 dans la région de Reggane, au cœur d’un Sahara alors français. Ce qu’on sait moins, c’est que le pouvoir gaulliste deale ensuite avec l’Algérie d’Ahmed Ben Bella pour conserver au Sahara des bases militaires secrètes. Les essais nucléaires français, devenus souterrains, continuèrent dans le Hoggar, près d’In Ecker, jusqu’en 1966.

Pour la chimie, forcé, les choses commencent avant. La France a signé en 1925 une convention internationale interdisant l’utilisation d’armes chimiques, mais que valent les chiffons de papier ? Entre 1921 et 1927, l’armée espagnole mène une guerre d’épouvante chimique contre les insurgés marocains du Rif. Et l’on sait maintenant que la France vertueuse avait formé les « techniciens » et vendu phosgène et ypérite à Madrid.

C’est dans ce contexte sympathique que la France de 1962, celle des Accords d’Évian, arrache aux négociateurs algériens du FLN des contreparties à l’indépendance. Notamment le maintien de bases militaires. Outre Reggane et In Ecker, B2 Namous, un polygone de 60 kilomètres par 10 au sud de Béni Ounif, non loin de la frontière marocaine. Personne n’entend parler du lieu avant un retentissant dossier publié dans Le Nouvel Obs en 1997, sous la signature de Vincent Jauvert.

En résumé, nos vertueux soldats ont utilisé sur place des grenades, des mines, des obus et bombes, des missiles même, tous chargés de munitions chimiques parmi les pires. Jusqu’en 1978, c’est-à-dire jusqu’à nos héros bien connus, Raymond Barre et Giscard d’Estaing. Dans une note de l’état-major français, publiée par Jauvert, on peut lire : « Les installations de B2-Namous ont été réalisées dans le but d’effectuer des tirs réels d’obus d’artillerie ou d’armes de saturation avec toxiques chimiques persistants ; des essais de bombes d’aviation et d’épandages d’agressifs chimiques et des essais biologiques ».

Et la sarabande ne s’arrête pas là. En 1997, le ministre de la Défense – le preux rocardien Alain Richard est aux commandes – fait répondre à Jauvert : « L’installation de B2 Namous a été détruite en 1978 et rendue à l’état naturel ». En février 2013, le journaliste de Marianne Jean-Dominique Merchet révèle qu’un accord secret a été conclu entre François Hollande et l’Algérien Abdelaziz Bouteflika. Et il porte sur la dépollution de B2 Namous, « rendue à l’état naturel » trente ans plus tôt. Sans précision, le site, qui n’est protégé par aucune clôture, contiendrait bon nombre d’obus non explosés et des produits chimiques « à manier avec une grande prudence ». B2 Namous, combien de morts ?

Hollande, soldat de la morale universelle, n’a qu’un mot à dire pour que l’on sache enfin la vérité.

Le transhumanisme de Politis (pourquoi je ne suis pas de gauche)

Lecteur, je ne vais pas te prendre en traître : l’article ci-dessous est démesurément étiré. Je n’avais pas prévu, mais c’est écrit, et si tu as mieux à faire que te perdre dans mes méandres personnels, je crois pouvoir t’assurer que je comprends. J’insiste : c’est long.

J’avais pensé ne rien dire sur un extravagant dossier de l’hebdomadaire Politis (ici, le texte complet), en kiosques de fin juillet à fin août pour cause d’été. Mais j’ai finalement changé d’avis. Le groupe grenoblois de critique sociale Pièces et main d’œuvre (PMO) et le groupe lillois Hors-sol (ici) en ont fait une critique acerbe, que j’approuve, mais à laquelle je crois devoir ajouter mon grain de sel.

Une chronique oubliée

De quoi s’agit-il ? De transhumanisme. C’est un courant idéologique qui représente à mes yeux un grand danger. Je l’ai dit de nombreuses fois, et le drôle, c’est que j’ai écrit sur le sujet une chronique parue en janvier 2002 dans … Politis (n°682). Il y a dix ans et plus, je peux vous assurer que nous n’étions que très peu à en parler. Trois, deux, un ? Passons.  Voici un extrait de cette chronique : « Avec les transhumanistes, vous ne risquez pas de vous ennuyer, soyez-en sûr. Qui sont-ils ? Une poignée pour l’heure, mais dont tout permet de penser qu’ils forment l’avant-garde d’une armée immense. Le transhumanisme est une sorte de théorie, née chez certains scientifiques et concepteurs de nouvelles technologies. Selon eux, la nature humaine, loin d’être inaltérable, ne cesse d’être modifiée en profondeur par les découvertes, le changement, le neuf. Elle est malléable, à volonté ou presque.
> Or de glorieux horizons se découvrent, grâce notamment aux nanotechnologies moléculaires, aux machines intelligentes, aux « médicaments de la personnalité », à la vie artificielle, à l’extension devenue possible du corps par la machine, etc. Qu’allons-nous faire de ces miraculeuses vendanges ? Mais en profiter, bien entendu, pour sortir de nous-mêmes. C’est là l’occasion d’aller au-delà –
trans – de notre misérable enveloppe. De l’audace, de l’audace ».

Et encore ceci : « Les plus allumés [des transhumanistes ]envisagent de coloniser l’espace, de réanimer des gens tenus congelés pendant des dizaines d’années, de repousser la mort si loin qu’on ne la verrait plus ou presque. Les limites, la limite n’existeraient plus : l’anti-écologie ». Et enfin cela  : « Et place à l’homme nouveau. Supérieur ? On aimerait se tromper, mais on croit retrouver des effluves transhumanistes chez des auteurs comme Maurice G. Dantec – récemment encensé, jusqu’au grotesque, dans Le Monde – ou Michel Houellebecq. Annoncent-ils une nouvelle poussée de régression ? Ce serait une mauvaise nouvelle, mais elle n’étonnerait guère ».

Un autre transhumanisme est possible

Presque douze ans plus tard, comme le notent PMO et Hors-sol, Politis se fend donc d’un dossier consacré au transhumanisme. Je l’ai lu, bien entendu. Et je comme je connais un peu la chanson, je vois bien quel en est le sens général. Malgré quelques précautions jetées ici ou là en travers des textes, ce qui domine est bien une fascination. Le titre de couverture résume d’ailleurs au mieux l’état d’esprit de ce magazine-là : « L’homme augmenté, c’est déjà demain ». Oui, une fascination, mais aussi l’acceptation d’un fait présenté comme inévitable.

La roue tourne, la machine avance, la science et la technique commandent aux sociétés humaines. Même s’il n’est pas formulé explicitement, je distingue sans mal une sorte de mantra progressiste. L’homme n’accepte pas sa condition, depuis le début de sa réflexion, et recherche en conséquence de nouveaux outils. « Serions-nous tous déjà un peu transhumains ? », se demande avec un petit frisson Politis. Pardi ! Les jeux sont faits. Dès lors, comme avec toutes les saloperies passées, il s’agit de composer, d’entraîner le fatal progrès dans la bonne direction supposée. Laquelle est clairement indiquée par un personnage inouï, Marc Roux, président de l’association française de transhumanisme Technoprog (AFT). Attention les yeux ! Roux est de gauche. Bien sûr ! C’est un fier « technoprogressiste » qui ne s’interdit rien « en matière de progrès » et clame pour finir : « Un autre transhumanisme est possible ! ». Tu l’as dit, bouffi.

À ce stade, il convient de préciser la nature de mes relations avec Politis. J’ai fait partie de l’équipe qui a fondé ce journal en 1988. Je suis celui qui, avec Jean-Paul Besset, a tenté, en 1990, de le changer, lui faisant quitter les rives de la gauche – plutôt radicale – pour lui faire aborder celles de l’écologie. Nous y avons échoué, pour des raisons trop longues à détailler ici. J’ai quitté l’hebdomadaire à l’été 1990, et j’ai repris une collaboration extérieure en 1994, réalisant chaque semaine une page consacrée à l’écologie. Et je me suis barré dans un grand éclat au printemps 2003. L’amusant, c’est que Hervé Kempf, qui vient de quitter Le Monde, où il estimait ne pouvoir travailler librement, a consacré un article aux conditions de ma rupture avec Politis, totale et définitive (ici, l’article de Kempf en 2003).

Un avis sur Bernard Langlois et Denis Sieffert

Tout cela, bien qu’anecdotique, mérite quelques lignes supplémentaires. Certains d’entre vous lisent ou, plus sûrement encore, ont lu Politis. Je ne garde aucune amertume de ces années-là, car à la vérité, j’ai toujours pu écrire ce que je voulais, sauf à la fin. Et c’est rare. Mais je savais, et il ne s’agit pas d’un anachronisme de la pensée, que deux cultures radicalement différentes cohabitaient. La première, hégémonique, était représentée par Bernard Langlois, talentueux éditorialiste et très discutable directeur. Bernard est un homme de gauche, indécrottablement de gauche, et c’est bien son droit. C’est son univers, son passé, son avenir. Certes oui, l’écologie compte à ses yeux, mais comme une pièce rapportée, un ajout qui enrichirait les vieilles pensées. Et non pas comme une façon vraiment neuve de penser le monde  et ses si nombreux problèmes.

De même chez Denis Sieffert, l’actuel directeur de la rédaction. Sur un plan personnel, je l’ai toujours trouvé humain – sous ma plume, un vrai compliment -, malgré quelques vrais défauts personnels que je n’appréciais pas. Je suis sûr qu’il en a autant à mon sujet. En ce qui concerne sa vision du monde, c’est autre chose. Formé à la terrible école des lambertistes (OCI, Jospin, Mélenchon et tous autres), il voit la plupart des questions sous leur angle tactique, pour être gentil. L’écologie n’existe pas. Le courant écologiste, si. Tout, chez lui, est passé à la moulinette du rapport de forces et des vieux schémas. Là encore, c’est bien son droit. Comme c’est le mien d’être aux antipodes.

Seul contre tous (humour)

Voilà pour l’idéologie dominante de Politis. Une éternelle resucée de propos tenus depuis des décennies dans des milliers de gymnases et préaux, dans des centaines d’émissions télévisées ou radiodiffusées. Le public de ce journal est connu : des gens respectables mais vieillissants qui, ayant cru dans la gauche, parfois extrême, ne parviennent ni ne parviendront à renoncer à leurs illusions. Surtout ne pas les réveiller ! Oh ne les faites pas lever ! C’est le naufrage. L’autre culture, à Politis, c’était moi. Du moins après le départ définitif de Jean-Paul Besset et malgré le soutien de la journaliste Véronique Lopez. Je ne dis pas cela pour me vanter : il s’agit d’un fait.

Mais ce n’avait rien d’un enfer : je crois devoir parler d’une coexistence (le plus souvent) pacifique. On me foutait une paix royale, fortement teintée d’indifférence pour mes articles. Et je faisais semblant de croire que nous étions d’accord sur l’essentiel, ce qui n’est pas vrai. Car, et j’ai eu l’occasion de le dire au moment de mon départ en 2003, je ne suis pas de gauche. Eh oui ! c’est comme cela, amis lecteurs : vous lisez la prose d’un qui n’est pas de gauche. Avant que de mettre ma tête dans la lunette de la guillotine, je réclame deux minutes supplémentaires au(x) bourreau(x). Franchement, la gauche, c’est quoi ?

Aussi rude que doive être la secousse, je dois dire tout de suite que la gauche est une création humaine. Elle a son point de départ historique. Elle disparaîtra, fatalement. Pendant les deux millions d’années de son existence – plus ou moins, le débat ne sera jamais clos -, l’Homme s’est totalement passé de cette invention, qui ne date que de…1789. Au cours d’une séance de l’Assemblée constituante, cet été brûlant-là, les opposants au veto royal se placent sans y penser à gauche du président; et les partisans du roi à sa droite. Il faudrait donc remercier la Révolution française ? Pas réellement. Car la distinction se perd dès les origines, pour ne s’imposer en France qu’à la fin du XIXème siècle, au moment de l’Affaire. Dreyfus, évidemment.

Et avant la gauche, les gars ?

Ne serait-ce pas un peu fâcheux pour ceux qui se drapent dans le drapeau au moindre souffle d’air neuf ? La Commune de Paris s’est totalement foutue de la gauche, dont elle ignorait l’existence. Fourier, Proudhon, Marx, Bakounine s’en sont tapés tout autant. Certes, ils n’arrivent pas à la cheville de M. Mélenchon, mais tout de même, n’est-ce pas incroyable ? Cessons de rire un instant : la gauche est un mythe, une croyance. Je crache d’autant moins sur cette évidence que je sais la nécessité de fondations psychiques dans toute action humaine d’importance. Donc, une croyance. Une croyance qui a la peau exceptionnellement dure, je m’empresse de l’écrire. Car quoi ?

Si l’on regarde l’histoire concrète de la social-démocratie – française, pour mieux me faire entendre -, on voit avec facilité que ce courant a pactisé avec le pire sans le moindre état d’âme. La politique de ce bon M. Hollande vient de là. Je cite sans hiérarchie ni exhaustivité la défense de l’Empire colonial et le racisme institutionnalisé qui l’a toujours accompagné ; le soutien forcené, par le biais de l’Union sacrée, à la vaste boucherie continentale déclenchée en septembre 1914 ; le refus d’armer le gouvernement légal de l’Espagne républicaine, en 1936 ; d’innombrables massacres dans des pays soumis, comme à Madagascar ; la torture de masse en Algérie, etc. Je passe volontairement sur les années Mitterrand, sommet de la manipulation de masse, au cours desquelles tant de bons couillons auront cru, successivement, et en quelques mois, dans la rupture avec le capitalisme puis dans la réhabilitation de celui-ci, sous la forme d’embrassades avec l’excellent Bernard Tapie et le formidable Silvio Berlusconi. Question imbécile : un mouvement à ce point éloigné de ses nobles buts constamment proclamés mérite-t-il encore le respect ?

L’autre branche de ce mouvement socialiste s’appela, à partir de 1920 la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), autrement dit le parti communiste. Comme je ne fais pas une histoire du communisme français – de nombreux livres disent l’essentiel -, j’en reste à une généralité : le parti communiste a une histoire honteuse, indéfendable. Pour ne considérer que l’exemple de la lutte contre le fascisme hitlérien, qui fait pourtant la fierté des vieux de la vieille, il est sans conteste que le parti communiste a commencé par pactiser avec l’occupant à l’été 1940. Sur ordre de Staline, on s’en doute. Comme on se doute que, si Hitler n’avait pas envahi l’Union soviétique en juin 1941, les staliniens ne seraient jamais entrés en résistance. Tout le reste n’est que propagande. Un mot sur Jacques Duclos, dont la biographie n’a jamais été écrite, mille fois hélas.

Jacques Duclos et l’Espagne stalinienne

Duclos a été dirigeant du parti communiste pendant un demi-siècle, de 1926 à sa mort en 1975. C’était un homme de l’Apparat international, comme les staliniens appelaient leur vaste appareil policier. Je ne sais pas s’il fut, comme des gens sérieux le pensent – et parmi eux des historiens – un pur et simple agent du Guépéou/NKVD. Cela expliquerait bien des choses. Et jetterait sur son rôle en Espagne une ombre encore plus terrible. Car Duclos fut l’homme en France  de l’Espagne stalinienne, aux côtés de l’ordure appelée André Marty, qui gagna au passage le surnom de boucher d’Albacete. À partir de 1930 – cette date est importante, car elle montre que, dès cette année, Duclos cornaque l’alors groupusculaire parti communiste espagnol – jusqu’au triomphe franquiste de 1939, le chef stalinien multiplie les voyages au-delà des Pyrénées. Qui connaît l’histoire de l’Espagne de ces années noires – et c’est mon cas – sait ce que signifient ces missions à répétition. Car le parti communiste espagnol a été pendant tout ce temps l’auxiliaire de la politique soviétique stalinienne en Europe. Laquelle passait, entre 1936 et 1939 par l’enlèvement, la torture, l’assassinat de centaines de militants espagnols, poumistes ou anarchistes notamment, qui déplaisaient au grand Manitou du Kremlin.

J’entends déjà les soupirs. Encore ces vieilleries ! Mais ce type est malade ! Eh bien, je m’en moque totalement. J’ai vécu à Montreuil, dans la banlieue parisienne, où une station de métro porte encore le nom maudit de Jacques Duclos, cette canaille. Et, tenez, l’ancien maire de Montreuil, qui entend bien reconquérir son bien éternel en 2014 – Dominique Voynet a gagné l’élection de 2008 -, s’appelle Jean-Pierre Brard, ancien député. Qui est-il ? Un apparatchik du parti communiste, lui aussi, d’une époque plus récente que celle de Duclos il est vrai. Il a fait l’école des cadres du parti, qui était dans les années soixante, quand il y fut, le tremplin des carrières bureaucratiques. Et il a séjourné en Tchécoslovaquie entre 1969 et 1971, au pire de la répression contre le Printemps de Prague. Avant de s’installer en Allemagne de l’Est, patrie de la Stasi et des tirs dans le dos des passeurs de Mur. En bref, quel talent ! C’est cet homme qui s’est présenté aux élections législatives de Montreuil l’an passé. Sur une liste Front de Gauche, ce rassemblement de M. Mélenchon. Mais quelle surprise !

En mémoire des massacrés

Passons au-delà de nos si petites frontières. Je plains – je plains et je maudis – ceux qui, ici, ailleurs, hier, aujourd’hui comme demain, osent absoudre sans rien en connaître les crimes sans nom du stalinisme. On ne cesse de me reprocher ce qui serait une obsession, vaguement malsaine. Seulement, il y a erreur : je REVENDIQUE mon obsession de tous ces massacres oubliés. Je pense, moi, oui je pense aux millions de morts de la famine organisée par Staline après 1933. Je pense aux peuples innombrables du Goulag. Je pense aux dizaines de millions de morts de l’époque maoïste. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir la moindre prescription, car je vous rappelle que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Libres à vous, alzheimériens volontaires, de vous sentir quittes de ces flots de sang. Libre à moi de vous considérer comme complices.

Il m’est plaisant de constater que les hommes de gauche, et par exemple ceux qui dirigent Politis, se sont toujours réclamés d’une philosophie de l’Histoire – dans le passé, elle se voulait scientifique – sans seulement comprendre ses leçons les plus évidentes. Parmi elles, la différence constante, flagrante, indiscutable entre l’adhésion à des valeurs et la soumission à l’idéologie. Je le répète : la gauche est toute récente, mais les combats émancipateurs sont de tout temps. Aussi bien, comment classer la révolte somptueuse des paysans de Münster (ici), qui a commencé en 1524 ? La vulgate progressiste, c’est-à-dire cette manière tellement de gauche de considérer l’Histoire comme la marche plus ou moins linéaire du progrès, cette vulgate considère toujours le luddisme (ici), ce mouvement anglais des briseurs de machines industrielles, comme régressif. Pardi ! Il s’opposait à la prolétarisation des paysans et artisans, annonciateur, selon les Saintes Écritures, de la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Il était donc réactionnaire, pas vrai ?

Un mouvement et des valeurs

Où veux-je en venir ? Mais voyons, n’est-ce pas évident ? J’ai constamment défendu, au long de ma vie, des valeurs qui m’accompagneront au tombeau. Et ce sont, je le crois, des valeurs universelles, qui m’auront aidé à vivre dignement. M’auraient-elles conduit à mourir ? En tout cas, je suis vivant. Et bien plus, je le crains pour eux, que tant de pantins et de polichinelles qui se réclament de la gauche chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Non, décidément non, je ne suis pas de gauche. J’appartiens à une vaste Internationale confuse, qui trouvera ou non sa voie. Qui se cherche en tout cas, qui se reconnaît parfois en ce qu’elle remet en cause la totalité des formes politiques nées de l’industrialisation du monde. La droite, cela va sans dire. Mais la gauche tout autant, qui fait semblant d’aller en direction de l’écologie, comme M. Mélenchon chez nous, alors qu’elle ne fait que passer une couche de peinture verte sur les vieilles harangues. N’est-il pas évident que les mélenchonistes – et nul doute que Politis est mélenchoniste – font du greenwashing, de même que la Shell ou EDF ?

Je résume, et que personne ne rie, car je résume vraiment. La gauche est une vieille chose, associée étroitement au processus de la destruction du monde. Une autre culture émerge des décombres, qui suit un chemin difficile, hésitant, fatalement long. La première est morte. La seconde reste fragile, mais elle déborde d’énergie, et comme elle est le seul avenir concevable, pour le moment du moins, il faut lui souhaiter de grandir au point de dominer culturellement le monde. Car c’est de la culture profonde des humains que surgiront d’éventuelles solutions. J’ai choisi depuis longtemps, et ma rupture avec Politis, si ancienne déjà, ne saurait être plus totale.

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L’article paru dans Le Monde au moment de mon départ de Politis en 2003

Le regard écologiste sur les retraites déchire « Politis »

Article paru dans l’édition du 19.06.03

Le départ du chroniqueur écologiste, un des fondateurs de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste, révèle la résistance de la culture de gauche à l’écologie. Croissance à tout prix contre environnement ?

PEUT-ON critiquer dans un journal de gauche l’opposition à la réforme des retraites ? C’est apparemment difficile, comme le manifeste la crise ouverte à Politis par son chroniqueur écologiste, qui s’est traduite par son départ volontaire, expliqué dans le nº 755 de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste. Mais l’affrontement entre caractères fougueux est, bien plus qu’une péripétie de rédaction, le révélateur d’un fossé entre la gauche et l’écologie.

Tout part du 8 mai, quand Fabrice Nicolino, un des journalistes de Politis depuis sa fondation en 1989, aborde dans sa chronique hebdomadaire le débat sur les retraites : « Nous sommes – grosso modo 500 millions d’habitants du Nord – les classes moyennes du monde réel. Nous consommons infiniment trop, et précipitons la crise écologique, jusqu’à la rendre peut-être – probablement – incontrôlable. Tandis que quatre à cinq milliards de ceux du Sud tiennent vaille que vaille avec deux ou trois euros par jour, nous vivons de plus en plus vieux, et ne travaillons pour de vrai qu’à partir de 23 ou 25 ans. La conclusion s’impose : ne touchons surtout à rien ! » Et d’enfoncer le clou : « Le syndicalisme, fût-il d’extrême gauche ou prétendument tel, est devenu réactionnaire. Où trouve-t-on la moindre critique de la prolifération d’objets inutiles et de l’hyperconsommation chère à tant de retraités ? »

L’article agit comme une décharge électrique sur nombre de lecteurs, qui envoient des lettres indignées, publiées dans le numéro du 22 mai : « Croyez-vous que la paupérisation des retraités va permettre de résoudre le dérèglement climatique ? », interroge Marlène Ribes. « En quoi serait-il préférable, pour se questionner et agir sur l’avenir de la planète, la situation des pays du Sud, etc., de travailler plus longtemps, d’avoir des revenus diminués de 30 à 40 % ? », questionne Chantal Jouglar. Et d’autres de pester : « C’est déplaisant de lire dans Politis des propos dignes du Figaro », regrette Odile Horn.

Discussions enflammées

Dans le même numéro, Fabrice Nicolino précise sa position, sans l’affadir : « Je ne serai plus jamais solidaire avec ceux qui, ayant «conquis» la télé, la voiture individuelle, le magnétoscope, la chaîne hi-fi, le téléphone portable et le lecteur DVD, se préparent à de nouvelles campagnes d’hyperconsommation. » Evoquant la crise écologique globale, le journaliste affirme : « Le mouvement syndical, en étant incapable de relier ses revendications, que je ne conteste pas dans leur principe, à ce drame qui domine et conditionne l’époque – les menaces sur la vie -, est devenu fondamentalement réactionnaire. (…) Ceux qui se battent pour le maintien de leur situation personnelle, souvent privilégiée sur le plan personnel, sans remettre en cause nos manières concrètes de vivre et de gaspiller ont tort. »

En interne aussi, le débat a provoqué des discussions enflammées en comité de rédaction. Denis Sieffert, directeur de la rédaction, a expliqué avoir dit au perturbateur que les termes de « “criailleries corporatistes” ressortissaient au vocabulaire libéral ». La discussion a été vive et elle a conduit Fabrice Nicolino à choisir de quitter l’hebdomadaire. Politis a publié une nouvelle explication de son ex-collaborateur, ainsi que des lettres de lecteurs approuvant son approche. L’un d’eux, Philippe Drion, « salue son courage pour oser aller à l’encontre d’une sorte de pensée unique, commune à presque toute la classe politique française, qui affirme que notre bonheur doit impérativement passer par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat et donc plus de consommation. »

La figure tutélaire du journal, Bernard Langlois, ironise par contre sur « les adieux de Fontainebleau d’un collaborateur de ce journal qui s’érige en porteur de la vraie croix écologiste », tout en reconnaissant que la gauche est « encore beaucoup trop marquée par le culte du progrès, de la croissance ». Mais cette gauche peut-elle accepter de proclamer la nécessité de réduire la consommation matérielle, un impératif qui reste au coeur de l’approche écologiste ?

Hervé Kempf

Le pétrole d’Équateur est-il de gauche ?

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 28 août 2013

Rafael Correa, président de l’Équateur, et rusé renard. D’un côté, il prétend en 2007 vouloir se passer du pétrole du parc de Yasuni. De l’autre, il vend l’Amazonie et les Indiens aux transnationales.

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La version pour les altergogos : Rafael Correa, président – de gauche – de l’Équateur, est un héros. D’ailleurs, Mélenchon l’adore et réciproquement. En 2007, Correa propose de ne pas exploiter le pétrole du parc national Yasuni, en échange d’un chèque de 3,6 milliards de dollars signé par les pays du Nord. Ceux qui parlent de la crise climatique sans jamais rien foutre. Nous.

Six ans plus tard, n’ayant obtenu que des clopinettes, le même Correa annonce le 15 août dernier que le pétrole du Yasuni sera exploité. Aux chiottes les 696 espèces d’oiseaux, les 2 274 d’arbres, les 382 de poissons, les 169 de mammifères. Et les Indiens de la forêt, car nous sommes, mais oui, en Amazonie.

C’est beau comme un chromo, mais comme un chromo, c’est de la daube. Correa a été élu président en 2006 grâce à une coalition mêlant la gauche classique, y compris chrétienne, les groupes écologistes et alter, et le puissant mouvement indigéniste. Les Indiens sont certes minoritaires – ils représentent quand même 25 % de la population -, mais leurs idées le sont bien moins.

Et quand Correa fait voter sa nouvelle Constitution, en juin 2008, il prend soin d’y inscrire en toutes lettres une vision politique remontant aux Quechuas de l’ère précolombienne : le sumak kawsay, qu’on traduit généralement par « bien-vivre ». Bien qu’aucune définition n’épuise sa signification, ce « bien-vivre » tourne le dos à l’idée de croissance économique et considère les relations avec la nature comme essentielles à l’équilibre de toute société.

Et donc Sarayaku, village kichwa de 1200 habitants. Kichwa, c’est-à-dire quechua. Quand on commence à parler de pétrole dans ce coin d’Amazonie – qui n’a rien à voir avec Yasuni -, dans les années 90, les habitants de Sarayaku envoient une émissaire se renseigner à Quito, la capitale. Elle y rencontre des biologistes, des économistes, des politiques, et rentre, ayant compris l’essentiel : on va éventrer son pays. Les Indiens envoient chier toutes les propositions des compagnies et en 2002, lourdent les employés venus pour les premiers travaux, escortés par 400 flics et militaires. La résistance n’a cessé depuis de s’amplifier, sur fond de menaces, d’emprisonnements, de tortures.

En 2003, les Indiens déposent une plainte devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui leur donne raison, contre toute attente, estimant en juin 2012 que l’État équatorien a violé leurs droits. La Cour exige qu’à l’avenir, les Indiens soient consultés sur tous les projets les concernant.

Certes, le verdict condamne les prédécesseurs de Correa, mais ce dernier tire une tronche épouvantable, car il gêne considérablement ses projets. En novembre 2012, sans bruit, il met aux enchères l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de l’Amazonie, déclarant : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». On dirait un dépliant de Total : « Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale ».

À ce stade, plus de faux-semblant. Dans un entretien au magazine américain de gauche New Left Review (septembre-octobre 2012), Correa officialise sa rupture avec une partie de ses soutiens de 2006. Il déclare notamment : « Je ne crois pas que Marx, Engels, Lénine, Mao, Ho Chi Minh ou Castro ont dit non aux mines ou aux ressources naturelles. C’est une nouveauté absurde, mais qui semble être devenue une part fondamentale du discours de gauche ».

Dans le même entretien, Correa embrasse sur la bouche les transnationales, assurant : « Une exploitation propre des ressources naturelles peut aider à conserver la nature plutôt qu’à la détruire ». Sublime. Alberto Acosta, ancien président de l’Assemblée nationale, qui a rompu avec Correa, a un point de vue un poil différent. Pour cette grande gueule locale, l’exploitation du pétrole dans le parc national Yasuni serait une honte nationale. Et il réclame l’organisation d’un référendum. Sûr que Mélenchon va le soutenir.

La guerre aux bêtes (José Bové monte encore au front)

Je l’ai assez dit ici : j’aime bien José Bové, que je ne suis pas loin de considérer comme un ami. Je le connais depuis un quart de siècle, ce qui signifie que je l’ai rencontré bien avant le démontage du McDo de Millau, qui a fait sa célébrité. Mais comme, en outre, je me vante de ne pas respecter la hiérarchie sociale, fût-elle médiatique, je n’ai jamais hésité à ferrailler contre lui. C’est ainsi, ce ne sera jamais autrement. Et sur la question du Loup, José Bové montre à mes yeux qu’il n’est pas un écologiste au sens que je donne en tout cas à ce mot. Je sais que les définitions ne manquent pas, ce qui crée une immense confusion des esprits, mais la mienne ne changera pas. En attendant, en espérant le jour où nous aurons inventé un mot nouveau, je me répète : José Bové n’est pas un écologiste.

Cette fin d’été est marquée par une nouvelle levée de boucliers dans la région même où s’illustra, au 18ème siècle la Bête du Gévaudan : entre la Lozère et la Haute-Loire actuelles. Une manifestation d’éleveurs, rassemblée par la FNSEA, vient d’avoir lieu à Langogne, là où j’ai pêché jadis à la mouche – nul n’est parfait – quelques truites aussitôt cuites au feu. Jusque-là, rien d’étonnant. Une manifestation de plus, pour dire que le pastoralisme est incompatible avec l’élevage de brebis. Sauf que Bové s’est senti obligé de soutenir à distance, occupé qu’il était à participer aux Journées d’été d’Europe Écologie, à Marseille. Déclaration au quotidien Le Midi Libre  le 24 août : « Un loup s’est fait écraser à l’entrée de Millau en février. Ses congénères peuvent désormais arriver sur le rayon Roquefort. Il faut envisager une législation renforcée pour protéger les territoires ruraux et d’élevage. Le tir est la seule solution à certains endroits. On a vu que les mesures mises en place ne suffisaient pas. Soit on met l’homme et le maintien des paysans comme une priorité, soit on met le loup et ça veut dire que l’espace disparaît. On aura des animaux hors sol à l’intérieur pour permettre au loup d’être sur l’espace ». (Merci à Érick de m’avoir envoyé la copie).

Il ne s’agit pas même de polémique : l’homme prime. Selon Bové, Le loup fait disparaître l’espace par un coup de baguette magique, car cet espace, c’est celui des humains, et il faut choisir. Eux ou nous. L’Homme ou la Bête, ritournelle des civilisations humaines depuis des milliers d’années. Comme le raisonnement de Bové s’applique fatalement ailleurs, on voit où l’on irait si l’on retenait son point de vue. Partout où l’animal gêne les activités économiques, il doit disparaître. Et comme tel est le cas de l’Afrique à l’Asie, des Amériques jusqu’en Océanie, en passant par la vieille Europe, il doit disparaître partout. Dans les mers y compris, car le requin ne sabote-t-il pas les efforts de l’industrie du surf ?

Bon. José Bové est selon moi un environnementaliste. Ce qui importe réellement, c’est ce qui entoure, « environne » le roi des animaux, c’est-à-dire l’homme. C’est un courant, assurément puissant, mais qui n’a jamais été le mien. Quand j’entends le mot « environnement », si je le peux, je passe mon chemin. Un écologiste, à mon sentiment, considère l’ensemble, les interdépendances, la beauté et la nécessité de chaque espèce. Et dans ce vaste tout, l’homme n’est jamais qu’un élément, certes décisif, mais qui doit composer, partager, céder, éventuellement reculer. L’écologie est donc bien un acte de rupture mentale considérable, pour la raison que l’homme n’a cessé d’avancer, d’occuper les espaces, de ruiner un à un  les territoires conquis. Je vois bien ce qu’une telle vision a d’invraisemblable sur une Terre désormais surpeuplée [oui, je crois que la Terre est surpeuplée, mais oui,  je compte bien défendre la vie des hommes existants ] mais enfin, je n’en ai aucune autre à ma disposition.

Pour en revenir au Loup, j’en ai marre d’entendre tant d’abrutis d’ici ou là opposer une poignée d’urbains dégénérés, ignorants autant qu’indifférents, aux si braves habitants des montagnes, courageux bien sûr, lucides et réalistes de surcroît. J’en ai simplement marre de cette absence de pensée, qui habille si mal la défense d’intérêts personnels. Pas de malentendu ! Je comprends que des éleveurs de brebis ne supportent pas la présence du loup. Et même qu’ils réclament son éradication. Mais la marche d’une société ne peut être l’agrégat des revendications de tous les groupes et de chaque individu. Nous sommes collectivement malades d’une exacerbation de l’individualisme, fondement hélas des sociétés modernes. Il y a deux siècles, la proclamation de l’individu était une émancipation. Aujourd’hui, étendue jusqu’au délire par les publicités au service de la marchandise et de la consommation perpétuelle, elle n’est plus que terrifiante régression.

Oui, les éleveurs doivent être entendus. Mais, oui, la société doit dire que la défense de la biodiversité est une valeur supérieure, qui s’impose à tous. Ayant affirmé cela avec force, elle doit – nous tous devons – proposer un pacte national pour la coexistence avec les grands prédateurs, qui sont ici chez eux. Ce pacte consisterait en des droits pour tous, animaux compris, et des devoirs pour les humains. Des devoirs pour nous, car sauf grave erreur, c’est bien nous qui commandons. Et qui tuons les brebis par millions. Et qui tuons au gaz neurotoxique les enfants de Damas aujourd’hui. Après ceux d’Halabja en 1988, grâce aux Mirage français fournis à l’excellente armée irakienne. Après tant d’autres. Avant bien d’autres.

Défendre les loups présents en France est un acte évident de civilisation.

La filiation a-t-elle de l’importance ?

Peut-être aurez-vous le temps de lire un article tiré de la revue L’Écologiste (site du journal). C’est tout le mal que je vous souhaite, et dans ce cas, eh bien, vous pouvez le lire ici. Notez au passage que je signe dans ce même numéro un petit texte sur la viande que m’avait demandé mon ami Thierry Jaccaud. Mais celui que je vous conseille est plus intéressant, de loin. Il vaut mieux être lucide. Le sujet en est la filiation, que la loi dite « mariage pour tous » modifie profondément. Comme je sais qu’il existe un grand nombre de malentendants, dont certains très volontaires, je me dois d’apporter une précision. J’accepte sans aucun problème le mariage pour les homos. Cette question étant pour moi réglée depuis belle lurette, reste la grande et véritable question de la filiation. On peut s’en foutre, comme on se fout de tout et du reste. On peut aussi réfléchir à ce que signifie pour une société de s’autoriser sans débat vrai une telle rupture anthropologique.

Une qui réfléchit d’une manière renversante est madame Clémentine Autain, féministe et responsable d’un grandiose groupuscule appelé Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), empli d’anciens – anciens ? – staliniens comme Patrick Braouezec et François Asensi, tous deux d’un département que je connais de très près, la Seine-Saint-Denis. Madame Autain, s’exprimant sur RTL le 24 septembre 2012, notait au sujet des promesses de la loi : « Nous allons créer des parents sociaux qui n’ont rien avoir avec la nature (…) Je me fous totalement de l’état de nature !  (…) Je préfère une société basée sur des principes, qu’une société qui se réfère à l’état de nature. C’est pour ça que nous sommes socialisés depuis 2000 ans ».

On peut trouver cela vachement courageux, impeccablement de gauche. On a le droit de juger cela affreusement con.