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S’il va à Rio (le cas Schmidheiny) PREMIÈRE PARTIE

Insupportable est un bien faible mot. Stephan Schmidheiny est l’héritier d’une famille suisse, parmi les plus riches. La transnationale Eternit était dans les souliers du Père Noël. Née en 1901, cette dernière fera fortune, immense fortune grâce à l’amiante (ici). 1901, c’est très proche de 1906, date à laquelle l’inspecteur du travail Denis Auribault écrit une note admirable (ici) sur la dangerosité de l’amiante. À Condé-sur-Noireau (Calvados), dans ce qui deviendrait bien plus tard, et pour cause, la Vallée de la mort, il a constaté une véritable décimation chez les travailleurs d’une usine de tissage de l’amiante. Seul, en notant, en comparant, en examinant, il a tout compris.

Eternit a compris autre chose. Le « magic mineral », comme on nommera longtemps le poison, est idéal pour le profit. L’entreprise prospère, les années puis les décennies passent. Stephan, né en 1947, finit par prendre les rênes. Et l’argent continue de remplir les caisses de la dynastie. Je passe, car je pourrais continuer ainsi encore des pages et des pages. En Italie, grâce à l’existence d’un procureur d’exception, Raffaele Guariniello, la justice a attrapé au colback les dirigeants d’Eternit-Italie. Deux, en fait, dont Stephan Schmidheiny. La bagatelle de 3 000 prolos italiens – la liste ne sera jamais complète – sont assurément morts d’avoir respiré l’amiante des Schmidheiny. Le procès de Turin, commencé en 2009, s’est achevé le 13 février 2012. Et Stephan a pris seize années de prison, comme un simple criminel. Comme le pur et simple criminel qu’il est.

Vous pensez bien qu’il n’est pas venu recevoir son prix. En près de trois ans de procès, il n’a jamais pointé le nez en Italie, à fortiori à Turin. Il faut dire que Schmidheiny a refait sa vie d’une admirable façon, loin des yeux, loin des morts, en Amérique latine. Depuis une vingtaine d’années, l’homme a décidé d’être une sorte de philanthrope écolo, créant fondations et pseudo ONG, sans jamais oublier, car on ne se refait pas, le business. J’ai beaucoup écrit sur le sujet, et mon ami Patrick Herman a consacré un portrait au monsieur dans la revue XXI. Mais je dois constater que nos efforts n’ont jamais convaincu le moindre journal important de s’intéresser à cette vaste opération de chirurgie esthétique (lire notamment ici).

La chose paraîtra incroyable aux Bisounours de l’écologie officielle, mais Schmidheiny a été le bras droit de Maurice Strong dans l’organisation du premier Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Sous l’auguste couvert des Nations unies, deux hommes de l’industrie transnationale – Strong a passé la moitié de sa vie au service des industries pétrolière et nucléaire – ont préparé ce funeste Sommet où tout le monde s’est embrassé à la manière de Folleville, dans le vaudeville de Labiche. Les ONG, abruties par le spectacle de leur propre image, ont bradé tout esprit de résistance à la destruction, tandis que les ennemis de la Terre triomphaient. Au fait, puisqu’il y a des Amis de la Terre, pourquoi ne désignerait-on pas ses Ennemis ?

Bref. Une pantomime. Et un pandémonium. Schmidheiny ne s’est pas arrêté là, ce qui aurait été dommage. Constatant que tout est possible – et comment lui donner tort ? -, il crée dans la foulée de Rio-92 le fantastique Conseil mondial des affaires pour le développement durable. En anglais, seule langue dans laquelle il est connu, le World Business Council for Sustainable Development, ou WBCSD. Ce WBCSD (ici) est une entreprise planétaire de désinformation, de storytelling (ici), et compte parmi ses membres le pire de l’industrie. L’agrobusiness – Syngenta, Bayer, BASF -, le nucléaire – Areva -, le pétrole – Shell -, le militaire – Dassault systèmes -, l’agroalimentaire, Coca-Cola soi-même. La liste complète compte 190 entreprises.

Schmidheiny, le criminel de Turin, s’est depuis placé dans l’ombre. On le comprend, il n’est plus présentable. Créateur je l’ai dit du machin, il n’en est plus que président honoraire. Mais la manœuvre continue de plus belle. En juin prochain aura lieu à Rio un nouveau Sommet de la Terre, 20 ans après le premier. Les Nations unies ont été contraintes, les pauvrettes, de renoncer cette fois à Maurice Strong, car il commence – il est né en 1929 – à se faire vieux. L’organisateur officiel, comme j’ai eu le loisir de le dénoncer dans un silence assourdissant, n’est autre que Brice Lalonde. Cet ancien écologiste de salon après 1968, ci-devant membre du PSU, est désormais un ultralibéral ami de l’ancien ministre Alain Madelin.

Comme cela tombe bien ! Si vous avez l’occasion d’aller sur le site officiel de Rio 2012 (ici), vous ne manquerez pas de tomber sur un « coordinateur officiel » du Sommet, appelé Business Action for Sustainable Development (BASD). Le suspense est-il soutenable, lui aussi ? Allez, inutile de le faire durer. Derrière ce BASD se cache bel et bien le WBCSD. Donc Schmidheiny. Les Nations unies et Brice Lalonde font affaire avec un homme condamné à seize années de prison pour la mort de 3 000 ouvriers italiens.

Il y a une suite, sous la forme d’un Appel à l’action, qui apparaîtra sous peu, chers amis lecteurs, sur Planète sans visa. Réservez vos places !

PS auquel je ne résiste pas : pourquoi diable les écologistes officiels, dont Europe-Écologie-Les Verts, ne s’emparent-ils pas de cette stupéfiante affaire ? Elle est connue, essentiellement par moi il est vrai. J’ai écrit et alerté différentes personnes, dont je ne cite pas le nom, de peur de les gêner dans d’éventuels efforts auxquels je ne crois plus guère. Qu’attentent Qu’attendent [Merci à Marc] donc les Verts ? Et Greenpeace ? Et Hulot ? Et les autres ? Quant au Parti de Gauche de mes chers amis mélenchonistes, tiens, ils ne foutent rien non plus.

Sur le cancer made in France (une suite)

Il y a une suite au texte précédent, toujours signée par le groupe de Grenoble Pièces et main d’œuvre (PMO). Merci à Serge de me l’avoir envoyée. Vous trouverez cet échange ci-dessous, mais j’ajouterai pour ma part un commentaire. Le syndicaliste CGT qui s’en prend à PMO, je le connais. Je veux dire que j’en ai connu des dizaines dans le cours de ma vie. Il est probablement – mais non sûrement – une bonne personne. Seulement, le ton qu’il utilise pour s’adresser aux critiques de ce monde me donne de véritables envies de gerber.

Ce qu’oublie notamment ce « lutteur de classes » estampillé, c’est l’arrière-plan de l’histoire qu’il prétend nous raconter. Moi, je la connais. Moi, l’écologiste qui se fout des pauvres et des ouvriers – une antienne, chez ces mélenchonistes qui viennent m’asticoter jusqu’ici -, j’ai contribué à la création de l’Association Henri-Pézerat (ici). Henri était un homme très cher à mon cœur (ici), sans lequel l’incroyable scandale de l’amiante n’aurait pas éclaté de cette manière en France.

Oui, je sais quantité de choses sur la mort au travail, les maladies professionnelles si évidemment sous-estimées, le drame dans tant de familles. J’en sais bien plus que ces phraseurs de gauche, et j’assume ma part du grand combat contre l’exploitation criminelle de la force de travail. Je n’espère pas clouer le bec à ceux qui m’envoient aux pelotes avec délices, mais au moins je dis. Et je dis que, dans le cas de l’amiante, le mouvement syndical français a été le COMPLICE du crime de masse.

D’abord pour la raison évidente que, pendant des décennies, il n’a pas été capable d’empêcher la contamination. Qui passait on s’en doute par l’interdiction de l’amiante. Mais aussi, mais surtout pour la raison que la CGT et la CFDT ont siégé dans les années 80 et 90 du siècle passé, ès qualités, dans l’infâme Comité permanent amiante (CPA), création du lobby de l’amiante dans le seul but de gagner du temps. Et donc de multiplier les morts (ici). Lançons l’idée d’un tribunal international des crimes du travail, mais sans en exclure ces syndicalistes qui ont accepté de donner la main aux assassins !

Et d’ailleurs, pourquoi l’ont-ils fait ? Ont-ils reçu de l’argent ? Leurs confédérations ont-elles été circonvenues, et en ce cas, de quelle manière ? Nul n’a jamais osé ouvrir ce dossier terrifiant. Circulez ! Ceci explique cela, et nul doute que si les syndicats français ont jeté le voile sur cette affaire, c’est parce qu’elle dynamite une partie de leur légitimité. Quoi ? Des syndicats qui acceptent et accompagnent la mort organisée de leurs mandants ? Mais c’est une honte, n’est-ce pas ? Une honte historique, pour dire le moins. On comprend mieux, dans ce cas, pourquoi M.Mélenchon et ses amis soutiennent ceux d’Arkema et la production du chlorure de vinyle, qui est une merde totale et définitive.

Bon, assez causé. Voici le texte de PMO. La suite du premier.

Défense du cancer français

Séquelles

Vendredi 6 avril 2012, nous avons publié un texte intitulé « « Réindustrialisons » : quand « Là-bas si j’y suis » défend le cancer français ».1 Celui-ci pointait l’angle mort d’un reportage consacré à la cession du pôle vinylique d’Arkema à un « vautour » américain : l’absence de toute mention du caractère homicide de la production de ce pôle. Cette lacune étant évidemment liée aux positions politiques du producteur, du journaliste et des intervenants de cette émission, qu’on n’insultera pas en disant que, syndicalistes, militants du Front de gauche ou journalistes engagés, ils font actuellement la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. On n’étonnera non plus personne – ni eux-mêmes – en rappelant que le Parti communiste, le Parti de gauche, la CGT et Là-bas si j’y suis soutiennent le parti de l’industrie et de l’emploi à tout prix.

De toutes les réactions suscitées par notre texte, nous avons choisi de répondre à celle qui nous paraissait la plus poignante et la plus instructive, celle peut-être qui permet pour une fois d’aller au vif du sujet. Ce message d’un syndicaliste ouvrier nous est parvenu indirectement, via une liste de discussion du Front de gauche. Nous préservons l’anonymat de son auteur.

« Aux libertaires et luddites qui écrivent « Mais pour les syndicalistes comme pour les partisans du Front de Gauche et Là-bas si j’y suis, « l’essentiel, c’est l’emploi », autrement dit : « Nos emplois valent plus que nos vies ». Je suis syndicaliste CGT mais avant tout un homme et j’ai envie de vous hurler à la figure les 52 morts de la polymérisation du CVM (et pas du PVC soyez précis !!!), les dizaines de morts du rein et de la vessie, les morts de l’amiante de l’usine Atofina Brignoud que ces camarades ont bien été assassinés non pas au nom de l’emploi mais au nom du seul profit capitaliste vous hurler que  les salariés qui sont en 1° ligne ne sont pas des kamikazes … ils ont été gazés par des patrons qui savaient le danger vous hurler qu’une  fibre d’amiante suffit qu’un seul ppm de gaz suffit pour  donner la mort !!!
vous hurler que l’amiante comme la polymérisation du CVM tuent à retardement 30 à 40 ans après l’exposition alors comment pouvez vous reprocher à ceux qui meurent aujourd’hui, 30 ans après leur exposition, d’avoir feint d’ignorer le danger afin de préserver leur emploi.

Savez vous seulement libertaires et luddites notre impuissance non pas à sauver nos emplois mais notre combat pour  faire reconnaître nos expositions, classer nos sites, et que nos veuves et enfants aient une juste compensation connaissez vous  seulement la peur qui plane sur nos têtes à chaque visite médicale savez vous  seulement la peur de l’annonce de la maladie (amiante ou cancer du foie), la peur de mourir asphixié (amiante), la peur de mourir en pourrissant de l’intérieur (angiosarcome du foie) savez vous  seulement, bien penseur de PMO ce qu’est mourir du cancer du CVM, de l’amiante et autres saloperies que nous avons respiré savez vous  seulement la gifle que nous ressentons lorsqu’un de nos camarades est touché ….le dernier….Jacques …….est parti il y a 15 jours !!

Que connais tu de nos souffrances et de celles de nos familles devant notre agonie à vous libertaires et luddites je dis faîtes vous connaître prenez une part active dans notre combat pour la vie et luttez pour que nos usines continuent à produire en préservant la santé de ses salariés  et des populations
environnantes. Nos vies comme les vôtres dépendent du succès de nos luttes actuelles

Aidez nous à briser les conditions de travail qui produisent les cancers

Aidez nous dans notre lutte devant le Tribunal Administratif de Grenoble pour qu’enfin le site d’Atofina
Brignoud soit classé Amiante

Aidez nous  devant les tribunaux à chaque comparution de famille  d’Atofina Brignoud réclamant justice ou bien  Respectez nous !! »

La réponse de PMO

Si ce message apporte une confirmation, c’est bien que le PVC (même nommé chlorure de vinyle monomère) tue. Il tue même plus encore que ce que nous avions écrit, à l’usine Atofina de Brignoud (aujourd’hui Arkema), dans la cuvette grenobloise. Il tue atrocement. Et il est aussi assassin que nombre de produits dont nous gratifient les 19 sites Seveso de l’agglomération, et l’industrie en général. Qu’elle soit chimique, nucléaire, automobile, agro-alimentaire ou électronique. Ces assassinats concluant d’ailleurs des existences entières privées de vie, dans l’enfermement de l’usine.

Aux chiffres que fournit notre interlocuteur concernant les travailleurs, il faut ajouter les morts invisibles, jamais additionnées, des riverains et de toutes les victimes d’un environnement empoisonné (eau, air, sols, alimentation). Ceux-là ne sont pas même payés, tout juste ont-ils la satisfaction de contribuer à l’augmentation du PIB et de la croissance.

Soyons précis, comme dit notre syndicaliste : on sait depuis 1906 que l’amiante est dangereuse. Celle-ci a été totalement interdite en France en 1996. Neuf décennies d’assassinat industriel. Les patrons n’étaient pas les seuls à savoir le danger. Si les ouvriers de 1906 l’ignoraient, ceux de 1976 et de 1986 le savaient. C’étaient « les risques du métier ». Comme la silicose des mineurs ou les cancers des intérimaires du nucléaire. Comme aujourd’hui la maladie de Parkinson des paysans qui continuent de répandre des pesticides. Qui défend le monstrueux chantier du TGV Lyon-Turin, avec ses millions de mètres cubes d’amiante et de poussières radioactives à extraire de la montagne, sinon la CGT ? Puisque c’est bon pour l’emploi.

Ce n’est pas le seul profit capitaliste qui a assassiné des générations d’ouvriers, mais la société industrielle, et le parti industriel – scientifiques, patrons, ouvriers et techniciens confondus. Un parti qui s’enkyste dans le déni, y compris face à la réalité la plus brutale. Voyez les travailleurs de Fessenheim applaudissant aux promesses de Sarkozy de prolonger leur centrale, un an après la catastrophe de Fukushima.

À toi, syndicaliste, nous disons : encore un effort dans le combat pour la vie. Vous, qui mourez en première ligne, encore un effort de cohérence pour tirer les conséquences de ce que vous savez. Le chlorure de vinyle tue ? Supprimons-le. Même communiste, autogéré, verdi, responsable, durable et citoyen, il n’y a pas de PVC propre et il ne peut pas y en avoir. Parce que nous sommes cohérents et que nous tirons des conséquences, nous refusons le PVC, quels que soient ses usages : le prix à payer est trop cher. Et ce qui vaut pour le PVC vaut pour toutes les saloperies industrielles et nuisibles.

Justement parce qu’on vous respecte, on trouve indigne de vous voir réclamer « une juste compensation » à ce qui n’a pas de prix, la vie d’un homme. Respectez-vous vous-mêmes. Savez-vous seulement à quoi ont renoncé ceux qui depuis des décennies font la grève perpétuelle ? Ceux qui ont refusé de plier, d’entrer en usine ou au bureau, de prendre des crédits, de faire 2,1 enfants, d’acheter un pavillon, une bagnole, une télé, des téléphones portables, de revendiquer du « pouvoir d’achat ». Ceux que vous nommez « marginaux », qui subissent les diktats du parti industriel et qui tâchent, à la mesure de leur faiblesse et de leur imagination, de ménager le peu de vivant que vous n’avez pas encore détruit.

Ceux que vous n’avez pas eu le cran d’imiter, parce que, tout de même, une vie entière volontairement sous le seuil de pauvreté, c’était pas votre choix. Pour nous, luddites, il y a plus de décence à tâcher d’être maîtres de son existence et de son travail – quitte à vivre de peu – qu’à se soumettre à la machine destructrice et à mendier des conditions d’esclavage supportables. En fin de compte, une société luddite lèguerait aux fameuses « générations futures » une Terre en meilleur état que la société industrielle. Mais bien sûr, cela irait contre « le sens de l’Histoire ».

Pour finir, syndicaliste, tu es bien hardi de nous croire ignorants du cancer et de ses horreurs. Grâce à ton activité et à celle de tes collègues, c’est en réalité aujourd’hui l’une des choses du monde les mieux partagées.

Pièces et main d’œuvre
Grenoble, le 10 avril 2012

Un lointain souvenir d’eux (et de nous)

Un rappel pour nous tous, mais davantage encore pour ceux qui vivent dans la tranquillité ou l’exaltation le spectacle lamentable de l’élection présidentielle française. Au-delà, à tous ces Insupportables d’ici ou d’ailleurs qui croient être seuls sur Terre. C’est un film, et il ne dure que 3 minutes et 56 secondes : ici. L’atoll de Midway est à plus de 3000 kilomètres de tout territoire habité (par des hommes).

Adresse à ceux qui croient si fort (en Mélenchon)

Nul ne sortira de là. Les hommes préfèrent croire que comprendre. C’est une loi sociale, si impérieuse qu’elle s’impose à tous. Et à moi aussi, cela va de soi. C’est pourquoi j’arrêterai ici mes diatribes contre Jean-Luc Mélenchon, personnage à qui je pensais consacrer encore deux articles au moins. C’est sans doute absurde. C’était absurde dès le départ, mais on fait beaucoup de choses absurdes. Pas vous ?

Mélenchon est un illusionniste de la politique, il est le joueur de flûte de Hamelin, Der Rattenfänger von Hameln, qui conduit son monde vers le grand néant. Seulement, il ne faut pas le dire. Pour éviter un surcroît de malentendus, je me propose de préciser quelques points qui plairont, je l’espère, à certains de mes critiques.

En défense de Mélenchon

1/ Mélenchon  fait, de loin, la meilleure campagne de cette élection présidentielle.

2/ Il est sincère, aussi sincère qu’un politicien bourré d’adrénaline par des salles archicombles, aussi sincère que l’était Mitterrand annonçant qu’il voulait rompre avec le capitalisme, aussi sincère que Marchais exigeant de Jean-Pierre Elkabbach qu’il la ferme.

3/ Je ne conteste pas qu’il a appris à parler « écologiste ». Je ne conteste pas davantage qu’il parle, avec d’autres mots aussi bien choisis, aux socialistes déçus du socialisme; aux communistes en perdition depuis plus de vingt-cinq ans; aux chevénementistes déboussolés; probablement à bien d’autres encore. Tel est le propre du médium. Il exprime ce qui serait inexprimable sans lui. Il transmute une matière inerte en masse vivante et colorée. Mélenchon est un médium.

4/ On peut être écologiste et vouloir ardemment le renversement de l’ordre des choses. C’est un peu ridicule de le rappeler, mais j’ai écrit sur Planète sans visa des dizaines d’articles qui montrent ce que je pense des sociétés de classe. Et Dieu sait que la nôtre l’est. Je suis pour la subversion complète de la forme sociale et politique qui règne sur le Nord, et partant, sur le monde. Et je le suis depuis toujours, y compris quand Mélenchon était secrétaire d’État de son cher Lionel Jospin il y a dix ans, à l’époque où la gauche au pouvoir privatisait davantage que notre Balladur national, et se foutait si royalement du sort des pauvres et des ouvriers. J’ajoute sans aucun risque de me tromper que jamais un Mélenchon ne rêvera des changements auxquels je pense. Mais cela est sans doute de trop, car je ne peux évidemment rien prouver.

5/ Je suis à jamais du côté des pauvres, des opprimés, et du coup, des ouvriers. Ne me croyez pas plus insensible que je ne suis. Mon vieux à moi, avant qu’il ne meure quand j’étais gosse, était un ouvrier parisien qui travaillait 60 heures par semaine, six jours sur sept,  dix heures par jour donc. Il était communiste, ce qui voulait dire stalinien. Mais c’était surtout un être unique, car bon. Je sais par lui, depuis mes huit ans, que la vie est compliquée, entortillée, contradictoire.

6/ J’ai été en conséquence heureux, moi, d’entendre Mélenchon parler aux ouvriers comme on ne l’avait pas fait depuis tant de lustres dans ce pays pourtant bâti par eux. Parler de « fierté de classe » aux prolos si constamment méprisés est une bonne action, et pour cela, il sera beaucoup pardonné à Mélenchon. Enfin, un peu.

7/ Comme je ne suis pas sourd, j’ai aussi entendu parler de « planification écologique ». Ah quelle jolie expression ! Un peu de pédanterie détendra l’atmosphère : elle est polysémique. Ce qui veut dire, pour être très poli, qu’elle a d’évidence plusieurs sens. Si l’on veut être aussi mal élevé que je le suis, on écrira qu’elle est en soi un joli foutoir. Le mot planification fera en effet plaisir au public des anciens communistes si longtemps amoureux de l’industrie lourde stalinienne. Et chantera la mélopée à ceux des électeurs écolos qui sont tentés par le vote Mélenchon.

Comment décortiquer deux programmes qui n’en font qu’un

Et c’est là que tout commence. Je suis allé consulter, et nous ne sommes certainement pas nombreux à l’avoir fait, les si fameux programmes. D’abord, et c’est tout de même fondamental, chers amis mélenchonistes, le Front est un Front. Le Parti de Gauche de Mélenchon est un groupuscule en face des restes conséquents du parti communiste, qui revendique 130 000 adhérents et des milliers d’élus locaux, parfois nationaux. Cet Apparat pèse bon poids. Du coup, et je me répète, deux programmes.

A/ Le programme du Front de Gauche – ne serait-pas aussi celui de Mélenchon ? –  est partagé entre le parti communiste et le parti de gauche. C’est un texte aussi roué que des milliers d’autres rédigés au fil des décennies par les bureaucrates du parti de Thorez, Duclos et Marchais. Vous pouvez le télécharger (ici). La fameuse « planification écologique » y commence page 18 et s’y termine page 21. Au moins, on aura le temps de regarder TF1. Je cite in extenso, ci-après, les mesures que prendrait immédiatement un gouvernement Front de Gauche :

– Moratoire sur toutes les politiques de déréglementation de l’énergie, abrogation de la loi NOME

– Mise en place d’un plan de transition écologique réintroduisant la maîtrise publique de l’énergie et promouvant des investissements publics conditionnés à des critères écologiques, sociaux et démocratiques

– Mise en place d’un plan de financement pour la sobriété et l’efficacité énergétiques et pour la diversification des sources d’énergie.

Fin de la citation. Le doute n’est plus autorisé : c’est la révolution. Tremblez, ennemis de la vie ! Sans rire, cela ne fait pas rigoler. Le reste est de la même eau, certifiée potable par Veolia, grand ami des municipalités communistes. Les belles expressions vides fleurissent : contrôle citoyen, nouvelle politique des transports, contre la marchandisation des biens communs, blablabla. On jurerait du Chirac dans le texte, quand il proclamait du haut des tribunes : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».  Alors – en 2002 -, comme il était agréable à la gauche qui soutient aujourd’hui Mélenchon de dauber le pauvre Chirac ! Eh bien, il n’y avait pas de quoi. Le plus étrange est que rien n’aurait empêché ces gens d’en faire des tonnes. Un programme est si vite oublié, pas ? Mais leur inculture écologique et leur indifférence à la nature sont telles que même sur ce bout de papier, il fallait donc ne rien dire.

Encore un petit mot sur ce beau programme. Surtout ne pas parler d’agriculture biologique ! Pardi ! Le texte évoque tantôt une « agriculture paysanne », tantôt une « agriculture responsable ». Bio ? Horresco referens !

2/Le programme du Parti de Gauche, le groupe de Mélenchon, a lui toutes les libertés. Il peut écrire exactement ce qu’il pense. Et que dit-il de cette si fameuse « transition écologique » ? Je vous invite à vous faire votre propre opinion (ici). À ma grande surprise, et je proclame ici être sérieux, il n’existe apparemment que cette ébauche, élaborée en septembre 2010 et laissée depuis en déshérence. Ce n’est pas très rassurant, non. En tout cas, j’ai lu ce qui ne sont que des propositions susceptibles d’être modifiées je ne sais trop comment. Elles sont formulées sous la forme de fiches. Nous sommes dans à la galerie J’Farfouille, dans une somptueuse fête à Neu-Neu où tout le monde repartira avec un lot sous le bras.

J’ai compté 51 fiches, sans aucune cohérence ni hiérarchie. On ne sait pas ce que le parti pense de l’état écologique détaillé de la planète, des responsabilités du Nord, de l’effondrement accéléré des écosystèmes. On ne sait pas. En revanche, des déclarations d’intention par dizaines, dont certaines sont fatalement sympathiques. On va ainsi « mettre en place un débat écologique national ». Certes – je ne compte pas me refaire -, on a le droit de ricaner de l’adjectif national accolé à celui d’écologie. Mais enfin, voyons tout de même de plus près. Cette proposition 127 est une distrayante bouffonnerie dont j’extrais ceci : « Pour l’eau, un tel système de planification existe déjà depuis 1992. En revanche les citoyens sont exclus des décisions dans les autres domaines liés à la planification écologique : ils ne participent pas à l’élaboration des plans départementaux d’élimination des déchets ni aux choix stratégiques de l’Etat en matière d’énergie, de transport, de logements quand d’autres domaines ne font l’objet d’aucune planification (biodiversité, agriculture…) ». Logique et imparable : on va organiser un débat.

Suis-je injuste ? Vous jugerez, après tout. Moi, j’estime être bien en-deçà de la réalité. Je me contenterai d’un point, qui est une clé : le dérèglement climatique. Je rappelle que toutes les civilisations dont nous sommes issus – L’Égypte ancienne, la Phénicie, la Grèce, Rome, la Chine paysanne, les royaumes africains, l’Empire inca, celui des Aztèques, etc. – n’ont pu prospérer que par la grâce d’un climat stable. Relativement, mais certainement stable. Or, il est sur le point de basculer, ce qui pose bien davantage de problèmes angoissants que je ne suis capable d’en imaginer.

On pourrait croire que, sous le fier étendard d’un Parti de Gauche libre de sa parole, écologiste de combat, cette question dominerait toutes les autres, notamment dans le centre de cette si prestigieuse « planification écologique ». Eh bien, macache bono, nib. On trouve bien mention de vagues intentions, mais dans une formulation résolument baroque, avec une palme et un accessit pour la fiche 108, dont le titre est à lui seul un vaste programme : « Développer les énergies renouvelables et sortir des énergies fossiles ». On s’attend à un festival de proclamations, au lieu de quoi on lit : « On peut en revanche faire bien plus [ au sujet des énergies renouvelables ] à échéance 2030 puis 2050 (sans atteindre cependant 100% avant de nombreuses décennies) sans miser sur des technologies incertaines ni ruiner l’économie ».

C’est très clair : il ne faut surtout pas ruiner l’économie. Ni affoler le peuple de gauche à propos du dérèglement climatique en cours. Dans cette fiche à propos de la sortie des énergies fossiles, pas un mot, je dis bien PAS UN MOT, sur le climat. Faut oser. Je laisse tout le reste à votre appréciation, ne doutant pas que des mélenchonistes méritants viendront dire ici combien je suis de mauvaise foi, combien je ne sais pas lire la prose de leur Grand Méritant de Chef. Bah ! j’assume. Et j’en rajoute aussitôt. Une fiche parle de moratoire immédiat sur les biocarburants, mais sans évoquer le drame planétaire qu’ils provoquent dès aujourd’hui. Et parie – pauvres fous – sur les biocarburants de deuxième génération. Mais une autre fiche écrit ceci, qui est infâme : « Moratoire sur le développement des agrocarburants tant que leur bilan environnemental, social et économique global n’est pas convaincant ». Par Dieu, changer une plante en carburant serait donc envisageable dans un monde qui compte un milliard d’affamés ? Et ce serait aux experts que l’on sait de trancher au sujet de leur bilan, lequel est déjà totalement documenté ? Pouah ! Le programme du Front de Gauche, évoqué supra, préfère ne pas aborder le sujet. Noblesse oblige.

Enfin, pas un mot sur les animaux dans le programme du Front de Gauche. Chez nos humanistes déchaînés, l’homme est tout, et l’animal n’est pas même nommé. Le programme du Parti de Gauche fait à peine mieux. Deux ou trois mots (fiches 110 et 115) paraissent avoir été jetés au dernier moment sur des propositions on ne peut plus générales sur l’agriculture. Bien sûr, des êtres comme l’ours, le loup, le lynx, le blaireau pourchassé par les cons, le vautour fauve « effarouché » par les cons, ne sont pas évoqués. Ces grands écologistes ne savent pas qu’il existe d’autres habitants qu’eux-mêmes sur Terre.

Un interminable commentaire général

Je dois ajouter un commentaire général. C’est long, je le vois bien, mais je vous rappelle que j’ai promis de NE PAS ÉCRIRE d’autres articles pourtant prévus. Laissez-moi donc finir. L’absence grotesque et un tantinet criminelle de toute réflexion sur la crise climatique chez les mélenchonistes les discrédite totalement comme écologistes. Peu me chaut que, du haut des tribunes, El Jefe Adoré se laisse aller à des parlotes sur la « règle verte » ou je ne sais quelle autre niaiserie. Ayant trouvé le moyen de parler et d’être entendu par une partie importante du peuple français, Mélenchon a donc choisi la voie du silence. Sur l’essentiel, il préfère se taire, et faire croire que la situation actuelle pourrait se maintenir. C’est ainsi qu’il sera jugé. Sauf qu’il ne sera jamais jugé par quiconque.

Pas de mobilisation nationale autour de la crise climatique – pourtant, quelle belle leçon universelle ce serait, façon 1789, façon 1871 – mais plutôt la reprise de couplets patriotiques et productivistes. Je sais bien que je hérisse le poil en écrivant ces mots, mais qu’importe ? Patriotique ? Mélenchon ne voit le monde que depuis Paris-sur-Seine, qui ne s’en rend compte ? Qui n’entend ses hymnes continuels à la Nation et à son génie singulier ? Je connais par cœur, ad nauseam, ces socialistes toujours prêts à défendre la patrie et à envoyer un « salut fraternel » à la police nationale, comme le fit Mélenchon après les crimes de Mohamed Merah (ici). Quant au mot productiviste, il sent encore davantage le soufre.

Pour la clarté de mon propos, je me contenterai de la formule phare de Mélenchon, soit l’augmentation du smic à hauteur de 1700 euros bruts mensuels, sur la base de 35 heures. Est-ce du productivisme ? Ben oui. Mais avant de hurler, accordez-moi une minute authentique. Je sais qu’il y a des pauvres en France, et j’ai des raisons personnelles de le savoir. Épargnez-moi tout propos sur mon égoïsme et mon indifférence au sort des plus malheureux d’entre nous, car il s’agit de tout autre chose. Pour ce qui me concerne personnellement, je me souviens de discussions enragées lorsque j’avais seize ans, vers 1971. Je luttais alors pour la révolution sociale, et je disais avec virulence que j’étais pour une sorte d’égalité générale des salaires. J’ajoutais que les petits connards – oui, il m’arrivait de parler ainsi – qui étudiaient jusqu’à 25 ans et plus, exigeant pour cette raison des salaires incomparablement supérieurs à ceux des prolos entrés à l’usine à 14 ans, étaient en plus des petits salauds. Car étudier si tardivement était à l’évidence, disais-je alors, un considérable privilège. Qui ne saurait être augmenté de nouveaux privilèges.

Bref, je pensais qu’une égalité générale des salaires se justifiait. Le drôle, c’est que je pense encore la même chose, quarante ans plus tard. Je ne vois pas pourquoi tant de petites et grandes fripouilles gagnent tant et plus, tout en vivant des années plus vieux que « ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». À ma manière, je suis un archaïque. Mais pour en revenir à notre Idole Suprême, je maintiens que la revendication d’un smic à 1700 euros bruts par mois est productiviste.

Et ce smic à 1700 euros ?

1/ Une augmentation sensible du smic se répercuterait de salaire en salaire supérieur jusqu’à un niveau que j’ignore, mais probablement élevé. Ceux qui gagnent 1700 euros en réclameraient 2000, ceux qui touchent 2000 voudraient 2300, etc. J’espère que nous sommes au moins d’accord là-dessus. Un tel mouvement ascendant dans le pouvoir d’achat des Français aurait inévitablement des effets, et parmi eux, j’en retiens deux. Davantage d’objets devraient être produits. Et d’un. Davantage d’objets devraient être consommés. Et de deux. Comme est organisée la société française d’aujourd’hui, avec ses publicités omniprésentes, sa télé répugnante à la botte de la marchandise, ses hypermarchés à tous les coins de rue, il ne fait aucun doute qu’une partie importante des objets nouvellement produits et consommés seraient de pures merdes. Venues des centres d’esclavage chinois, sous la forme d’écrans plats et de téléphones portables, notamment. J’appelle cela une poussée supplémentaire de productivisme.

2/ Contestez cette évidence si cela vous chante, je poursuis. La crise écologique est d’autant plus pénible pour les traditions de gauche qu’elle dynamite toutes les mythologies. Par exemple, et je sais bien ce que j’écris, un pauvre de chez nous est un riche du monde. Tournicotez cela dans votre tête cent fois, cela n’y fera rien, car c’est vrai. Les gueux du monde réel, qui se comptent par milliards (sur)vivent avec au plus deux euros par jour, soit 60 par mois. Il ne s’agit évidemment pas de culpabiliser quiconque – je mange bio et bois mon content -, mais de dire une vérité élémentaire, et de rebâtir un discours politique et moral enfin cohérent, et réellement mobilisateur.

Oui, partons des faits, tels que reconnus par Sa Seigneurie Ineffable elle-même, Jean-Luc Mélenchon. Il n’y a pas trois planètes disponibles, ce qui serait pourtant nécessaire pour aligner le niveau matériel de vie des 7 milliards d’humains sur le nôtre. Ni cinq, si l’on prenait en compte non notre gabegie nationale, mais celle des États-Unis d’Amérique. Autrement expliqué, le projet universel d’égalité entre les êtres humains doit condamner avec une extrême fermeté toute mesure qui vise à accroître, si peu que ce soit, la distance abyssale qui sépare le Nord du Sud. Je me dois d’insister : la gauche, et Mélenchon le patriotard ne fait pas exception, a totalement renié l’universalisme dont elle se réclame pourtant. L’universalisme consiste en la circonstance à démontrer qu’un homme vaut un homme. Et que nous, ceux du Nord, vivons d’une manière qui interdit de seulement approcher ce rêve proprement révolutionnaire.

3/Je radote, non dans l’espoir de convaincre ceux qui croient en Mélenchon, mais pour avoir la conscience tranquille : il faut évidemment changer le sort des pauvres de notre monde. Mais non en leur vantant l’augmentation d’un gaspillage de ressources matérielles qui sera toujours plus criminel à mesure que la crise écologique s’aggravera. Et elle ne cesse de s’aggraver. Il faut oser dire la vérité à tous et à chacun : c’est fini. The Game is Over. L’avenir, s’il existe, passe par la garantie pour tous d’un toit, d’un droit à la santé et d’une nourriture saine, laquelle commande une lutte à mort contre l’industrie. Tout le reste doit revenir aux communautés, sous la forme d’une mutualisation de services aussi gratuits que possible. Ce qui signifie stopper au plus vite, par tous les moyens humains disponibles, l’immense machine de destruction de la vie que ne remet nullement en cause Mélenchon.

Il faut enfin affirmer que l’aliénation de masse par les objets inutiles précipite le désastre commun. À bas la bagnole individuelle ! À bas la télé ! À bas le téléphone portable ! La liste a un début, mais elle n’a pas de fin. La critique sociale, dans son ingénuité, a oublié de dire que les objets façonnent l’esprit, qu’ils le transforment.  Si l’individualisme se hisse à des sommets qui n’ont peut-être jamais été atteints, c’est parce que l’industrie nous a transformés par stratagème en unités de base de l’hyperconsommation.

Il ne s’agit pas de répandre le malheur chez les consommateurs de masse qui font tourner la roue. Il s’agit d’augmenter sans limite concevable les relations vraies entre personnes. Le soin donné aux nourrissons et aux vieillards. L’amour et l’amitié. La gratuité. La solidarité. Il s’agit de préférer la lenteur. D’admirer sans posséder. De redécouvrir ce qu’est la beauté d’un songe, d’une plante, d’un regard, d’une perspective. De rechercher en tous événements l’harmonie, ce que les Indiens navajos, certes de sinistres sauvages, appellent hozro. De construire, seul ou avec d’autres, maisons et refuges. D’apprendre à mourir dans son lit. D’exiger d’être enterré dans un lieu qu’on aime, comme ce cher vieil Ed Abbey, loin de la morosité des cimetières. De vivre, quoi, vous m’avez compris.

4/À tous ceux qui pensent que, oui mais merde, Mélenchon dit tout de même des choses nouvelles, comme Thibault ici, dans un commentaire précédent, ou mon ami Hervé Kempf dans un récent article publié dans Le Monde,  je leur dis qu’il se trompent. Vous vous trompez, gravement, et vous contribuez à obscurcir l’horizon. Car tout cela est du déjà vu. D’abord, je vous rappelle qu’une autre vague écologiste a balayé l’Occident et la France voici quarante ans. Dumont, Gorz, Illich, Le Sauvage, La Gueule Ouverte, le Larzac, le mouvement antinucléaire : regardez donc dans le rétroviseur.

Comme l’écrivait au reste Hervé Kempf à propos des quarante ans du rapport Meadows (Halte à la croissance ?), le diagnostic a été posé en clarté. Vingt ans plus tard, au moment du Sommet de la terre de Rio (1992), tout a été répété. À cette époque, un Laurent Fabius misait – mais oui, mais oui ! – sur l’écologie et ne jurait que par Lester Brown avant que de trucider une fois au gouvernement – en 1999 – la frileuse écotaxe pourtant prévue par la gauche de messieurs Jospin et… Mélenchon. Le cirque de ce dernier n’est donc qu’un exercice de plus dans l’infernale liste des gesticulations politiciennes dans ce domaine.

J’ajouterai qu’en quarante ans, la situation du monde s’est tant aggravée que nous n’avons plus le droit de suivre une fois encore des mirages. Avec un peu de chance, Mélenchon se représentera en 2017 – pourquoi pas en 2022 : il n’aura que 70 ans, après tout -, et sans que rien n’ait bougé d’un millimètre d’un côté, nous serons encore bien plus près du gouffre de l’autre. Il se trouve qu’à la différence de bien d’autres, je crois au risque d’effondrement d’écosystèmes entiers sur une planète où la surface réellement habitable ne cesse de décroître. Le jeu dérisoire et désormais mortifère du système électoral français n’est simplement pas compatible avec la recherche de solutions humaines et démocratiques à cette fulgurante crise du vivant dont nous sommes les contemporains. Mélenchon n’est pas un ami de la Terre.

PS : J’ai vu passer comme une contrefaçon intitulée : « Appel des gauches antiproductivistes et objectrices de croissance à voter pour Jean-Luc Mélenchon ». Vous en trouverez le texte ici. Ses deux signataires de départ, Paul Ariès et Jacques Testart, ont bien le droit d’écrire ce qu’ils veulent, même si je désapprouve en profondeur leur démarche. Seulement, avaient-ils le droit de faire signer au second rang des gens comme les pontes du parti mélenchoniste, Bernard Genin, maire communiste de Vaulx-en-Velin, Ambroize Mazal, responsable lui aussi communiste de la commission Agriculture de son parti, ou Aurélien Bernier, du sémillant et si funny Mpep ? J’y vois un abus condamnable, dont la seule visée me paraît électoraliste. L’instrumentalisation d’un courant – auquel je n’appartiens aucunement – au service d’un candidat qui ne représente pas ses idées. J’avoue me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais qu’en pensent ceux qui sont directement concernés ?

Éva Joly reine du pompon (sur les tueries de Toulouse et Montauban)

Il y aurait certes beaucoup à dire sur les manières dont notre vieux pays s’est comporté face au tueur des gosses de Toulouse et des militaires. Je confirme qu’à l’occasion, on peut détester la France et ses mensonges, et ses calculs, et ses faux-semblants, et ses truqueurs, et ses profiteurs, et ses abjects profiteurs. Mais tel n’est pas l’objet de Planète sans visa. Je m’arrête donc ici, non sans décerner à la candidate écologiste, madame Éva Joly, la médaille de la phrase la plus conne – à mes yeux comme à mes oreilles – de l’année 2012, qui n’en est encore qu’à ses débuts, il est vrai.

Descendue avec ses petits camarades à Montauban, où l’on enterrait certaines victimes des massacres de ces derniers jours, madame Joly a osé ces mots : « Je suis ici pour manifester ma solidarité avec l’armée, les familles et toutes les victimes ». Vous avez bien lu : solidarité avec l’armée. C’est le pompon, c’est à cette échelle picrocholine insurpassable.  La définition de la notion de solidarité, tirée de Wikipédia, qui en vaut une autre : « La solidarité est un lien d’engagement et de dépendance réciproques entre des personnes ainsi tenues à l’endroit des autres, généralement des membres d’un même groupe liés par une communauté de destin ».

Aragon, avant de devenir la crapule stalinienne qu’il demeura le restant de sa vie, fut surréaliste. Qui le croirait ? Moi. Dans Traité du style, écrit en 1927, voici ce qu’il écrit, que j’adresse avec mes forces dérisoires à madame Joly et aux embedded qui mènent sa campagne :

« Je tiens pour un immonde abus ce droit que le gouvernement et la justice s’arrogent en France de nos jours d’interdire à ceux qui détestent l’armée le droit d’exprimer par écrit, avec les commentaires qui leur plaisent, le dégoût qu’ils ont d’une institution révoltante (…)  je dis ici que je ne porterai plus jamais l’uniforme français, la livrée qu’on m’a jetée  il y a onze ans sur les épaules, je ne serai plus le larbin des officiers, je refuse de saluer ces brutes et leurs insignes, leurs chapeaux de Gessler tricolores. Il paraît que (…) n’importe quel officier ou sous-officier, n’importe quel crétin payé pour marcher au pas, a désormais le droit de m’arrêter dans la rue. Ce n’était pas assez des agents. Et comme eux ils sont désormais assermentés. Ils ont, ces matières fécales, une parole qui fait loi. Ah l’agriculture ne manquera pas de vaches. Eh bien (…) j’ai bien l’honneur, chez moi, dans ce livre, à cette place, de dire que, très consciemment, je conchie l’armée française dans sa totalité. »