Archives de catégorie : Morale

Madame Voynet et la nouvelle bibliothèque François Mitterrand

La tête sur le billot, bien obligé, j’avoue faire partie de l’association Murs à pêche (MAP), qui tente de sauver depuis quinze ans un lieu unique, mais réellement unique (ici). Il s’agit d’un réseau branlant, au bord de la ruine définitive, de murs de pierre sèche à l’intérieur desquels on a fait pousser des fruits depuis des siècles. Les murs, mélange de plâtre, de silex, de mortier, conservaient la chaleur du jour et la restituaient la nuit à des arbres fruitiers conduits en palissage contre les parois de pierre. Une pure merveille, dont la réputation s’étendait jadis jusqu’à la table de Louis le Quatorzième. On pense que vers 1825, 15 millions de pêches étaient produites tout au long de 600 km de murs.

Et puis la terre a tourné, dans un sens bien étrange. Les murs ont rétréci à mesure que s’étendait l’aventure industrielle extrême. Je vous passe les détails, pourtant passionnants. Montreuil, longtemps ville communiste, a laissé le prodigieux héritage péricliter. Il n’est plus resté que 200 hectares, puis 100, puis à peu près 35 aujourd’hui. Très dégradés, mais aux portes de Paris. Il y a des arbres, des fleurs, des oiseaux, des murs. Encore. L’ancien maire Jean-Pierre Brard, stalinien repenti ayant maintenu des liens solides avec les communistes locaux, voulait urbaniser. Installer en place et lieu 250 pavillons. Et garder des bricoles pour le folklore. Dominique Voynet, responsable nationale des Verts, a gagné la partie en 2008, à la surprise générale. L’association MAP pensait qu’elle lancerait un vaste projet, susceptible de sauver et de magnifier cet espace extraordinaire. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

Pour comprendre ce qui suit, sachez que le projet de madame Voynet prévoit de sauver environ 20 hectares des anciens murs à pêche, qui seront soumis à l’immense pression foncière, immobilière, industrielle et commerciale d’un nouveau quartier. Car tel est le projet : un nouveau quartier. Je viens de déposer sur le site de MAP (ici) l’article ci-dessous. Parce que cette affaire, qui ne fait que commencer, nous concerne tous.

—————————————————————————————————————————————–

 

Préambule : compte tenu de ce que je vais écrire, il est bon que je me présente un peu. Je suis journaliste et je connais Dominique Voynet depuis environ vingt ans. Je ne suis et n’ai jamais été de ses intimes, mais je la connais donc depuis cette date. J’ai eu souvent la dent dure contre elle, et ne le regrette pas. Mais je sais aussi que dans certaines circonstances – le sort d’un homme en prison -, lorsqu’elle était ministre, elle a su se montrer une femme digne et courageuse. J’ai voté pour elle dès le premier tour des élections municipales, et accepté de faire partie de son comité de soutien à cette occasion. Voilà. Je la connais. Je ne suis pas son ennemi. Je ne suis pas son beau miroir.

Venons-en à la très grave question de l’aménagement du quartier autour des Murs à pêche de Montreuil. On le sait, j’imagine que vous savez tous que madame Voynet a décidé la création d’un immense quartier de 200 hectares, couvrant environ le quart de la ville. Il s’agit, au sens le plus terre-à-terre de l’expression, d’un projet pharaonique. Toutes les ressources de la ville, et bien au-delà évidemment, y seront englouties pour au moins une génération. Le chiffre colossal de 2 milliards d’euros d’investissement est avancé par la ville elle-même. Il est clair, il est manifeste, il est indiscutable que Montreuil, dans l’hypothèse où ce projet verrait le jour, ne serait plus jamais la ville qu’elle a pu être. On joue là les 100 prochaines années de cette ville. Retenez ce chiffre, car il n’est pas polémique. Un projet de cette dimension décide d’à peu près tout pour 100 années. Plutôt long, non ?

Toujours plus d’habitants

Nous sommes face à une oeuvre urbaine colossale et sans précédent. Elle comprend des travaux lourds – une piscine, une médiathèque, des écoles – qui de facto formeraient une ville nouvelle. Surtout, 3 000 logements seraient construits sur place, ce qui entraînerait mécaniquement l’installation de milliers – 10 000 ? – d’habitants supplémentaires dans une ville qui en compte 102 000. Pourquoi pas, certes. Mais aussi et avant tout : pourquoi ? Cette question n’est pas même évoquée par l’équipe de madame Voynet, ce qui est tout de même très singulier. Oui, posons calmement la question suivante : pourquoi diable faudrait-il densifier encore une ville de 100 000 habitants aux portes de Paris, alors même que Montreuil est la signataire – en grandes pompes – de la charte européenne dite d’Aalborg, qui prône exactement le contraire (ici) ? Lisez ce texte limpide et magnifique, et vous m’en direz des nouvelles. Le paradoxe, qui n’est pas le dernier, est que ce texte a été signé par l’ancienne municipalité, qui en bafouait allègrement les principes. Mais voilà que la nouvelle fait de même. Étrange.

Recommençons : pourquoi ? Le seul argument que j’ai entendu est celui-ci : la demande de logements est considérable. Une telle flèche est censée foudroyer le contradicteur. Mais elle ne produit pas le moindre effet sur moi, et voici pourquoi. La question du logement se pose évidemment, ÉVIDEMMENT, au niveau de toute la région. Complexe, elle engage pour des décennies et mérite donc des discussions approfondies, des arbitrages, des péréquations. Peut-être est-il plus judicieux de bâtir en d’autres points de notre région, en fonction de paramètres sinon raisonnables, du moins rationnels ? Mais il n’y a eu aucune discussion sur le principe même de ces nouvelles constructions. Ou bien peut-être à l’abri des bureaux municipaux, à l’ancienne ?  Or, l’avenir commun se discute et se décide en commun, a fortiori quand on entend faire de la politique autrement, comme l’aura tant clamé madame Voynet au long de sa carrière.

L’aspirateur à ordures

Pourquoi ne dit-on jamais qu’il existe plusieurs milliers – on parle de 4 000 – logements inoccupés à Montreuil ? Pourquoi ne dit-on jamais la vérité sur l’état de dévastation énergétique et écologique de tant de cités populaires de la ville ? N’y a-t-il pas là de magnifiques chantiers de restauration de la vie collective, susceptibles de redonner confiance aux citoyens dans l’action politique ? Je prétends que la priorité des priorités, dans le domaine du logement, est de s’attaquer à l’amélioration de ce qui existe. Et je défie quiconque de me prouver le contraire dans une réunion publique contradictoire. Construire 3 000 logements neufs, dans ces conditions, s’appelle une fuite en avant, dans tous les domaines. Et un gaspillage monstrueux de matières premières de plus en plus précieuses. Cessons de rigoler ! Cessons de parler d’écologie du haut des tribunes avant que de recommencer les erreurs du passé. Dans le monde malade qui est le nôtre, sur cette planète surexploitée, épuisée par les activités humaines, lancer un chantier de cette taille est une très mauvaise action. Une sorte de manifeste de l’anti-écologie.

Ah ! la piscine sera « écolo » ? Ah ! les parkings seront à l’entrée du quartier ? Ah ! la collecte des déchets se fera par aspiration souterraine ? Franchement, lecteurs de bonne foi, ne voyez-vous pas qu’on vous mène en bateau ? Sous le label passe-partout d’écoquartier, qui sera bientôt aussi dévalué que celui de « développement durable », on se livre à une vulgaire manipulation des esprits. Les vrais écoquartiers, très exigeants, sont connus. C’est le cas par exemple dans la ville allemande de Fribourg-en-Brisgau. Mais cela n’a rien à voir avec ce qui est aujourd’hui annoncé, qui n’est que poudre aux yeux. À Fribourg, madame Voynet, il s’agit de changer la vie quotidienne par une politique audacieuse des transports, une réduction des volumes de déchets, un usage généralisé de formes d’énergie renouvelable. À Montreuil, misère ! on cherche à nous « vendre » un système souterrain pour qu’on ne voit plus en surface nos ordures. Au fait, ce système nouveau, Veolia ou Suez ? Vous vous doutez bien qu’un investissement pareil ne saurait se faire sans l’appui de grands groupes immobiliers, aussi de gestion de l’eau et des déchets. C’est inévitable. Mais ce n’est pas en 2020 que nous avons besoin de l’ouverture franche, directe et totale du dossier, car ce sera alors trop tard. Non, c’est maintenant. Je gage que de très mauvaises surprises nous attendent au tournant. On parie ?

Le Poivron était trop vert

Reste, avant ma conclusion, la redoutable et dévastratrice – pour madame Voynet – question de la démocratie. Comment une femme écologiste ose-t-elle lancer des travaux de cette dimension sans en appeler avant tout au débat public ? Oui, comment ose-t-elle ? Quand on prétend changer le cours de l’histoire locale sans seulement consulter la population, mérite-t-on encore sa confiance ? Un projet d’une ampleur pareille ne saurait partir d’un autre point que l’examen contradictoire des besoins sociaux, culturels, écologiques de la cité. Cela n’a pas été fait. Ce qui a été fait, ce qui se fait sous nos yeux, c’est une tentative de passage en force. Comme aurait fait Jean-Pierre Brard naguère. Comme ont fait des milliers de maires dans le passé. Comme le font tous ceux qui ne croient pas à la démocratie, mais au pouvoir.

J’ai sous les yeux des articles du journal montreuillois Le Poivron, jadis animé par Patrick Petitjean, aujourd’hui maire-adjoint. Je lis dans le numéro 73, de septembre 2005, sous la plume de Petijean, et à propos de projets municipaux de bétonnage des Murs à pêche, ceci : « Les mêmes interrogations se sont fait jour au conseil municipal le 30 juin : Pourquoi, brusquement, une telle précipitation ? Pourquoi court-circuiter le débat en cours sur le Plan Local d’Urbanisme ? Pourquoi cette absence de plan global, au contraire des exigences de la procédure de classement partiel ? ». Je pourrais citer la collection complète du Poivron, qui rend hommage, au passage, à l’association dont je suis membre, MAP, présentée comme celle qui a permis le classement, in extremis, de 8 hectares des Murs. Je pourrais continuer, ad nauseam. Autres temps, autres moeurs. Comme il est simple, facile et confortable d’oublier ses promesses, n’est-ce pas ?

Au pays de la grosse tête

J’en arrive à ma conclusion. Que cherche donc madame Voynet ? Je n’en sais rien, car je ne suis pas dans sa tête. Mais je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le défunt président François Mitterrand. On s’en souvient, ce dernier avait, tel un roi républicain, voulu marquer de son empreinte le sol de cette ville éternelle qu’est Paris. D’où cette politique ruineuse de grands travaux, dont le fleuron le plus affreux est sans conteste la Très Grande Bibliothèque des quais de Seine. J’ai le pressentiment que Dominique Voynet est atteint du même syndrome mégalomaniaque, classique, ô combien !, chez nos politiques de tout bord. Elle entend décider seule, éventuellement contre tous, de l’avenir d’une ville qui nous appartient, à nous et à nos enfants. Je souhaite ardemment que Montreuil tout entière se lève pour dire NON ! Cette ville populaire, cette ville volontiers rebelle doit retrouver la fougue passée, et donner de la voix. Si les élus actuels ont oublié d’où vient leur provisoire légitimité, je pense qu’il est grand temps de le leur rappeler.

Rien n’est encore perdu. Tout peut être modifié, sauvé, changé, à la condition d’unir, loin de toute considération électoraliste. Nous verrons bien, je ne suis pas devin. Mais il serait accablant que madame Voynet reproduise, à son échelle, ce que tente Christian Blanc, le secrétaire d’État de Sarkozy, avec le Grand Paris. C’est-à-dire un projet délirant, du passé, dépassé, de métro géant – la « double rocade » -, qui ruinerait les ressources publiques de l’Île-de-France pour des dizaines d’années. Ce que nous refusons à l’un, nous devons évidemment le contester à l’autre. Nous voulons, je veux en tout cas de la discussion, de l’ouverture,  de la démocratie. Et pas un lamentable simulacre. L’urgence est de remettre tout le dossier à plat. Pour l’heure, souvenez-vous en, rien n’est fait. Et tout est possible. Même le meilleur.

Fabrice Nicolino, le 30 mars 2010

nike air max soldes pas cher nike air max soldes pas cher

Chapeau, monsieur Hulot !

Sarkozy et toute la classe politique aux pelotes. On pourra toujours ergoter. Je pourrais bien entendu le faire à propos de Nicolas Hulot, dont j’ai déjà parlé ici plus d’une fois. Et à l’occasion d’une manière acide. Je me souviens d’un coup de téléphone qu’il avait donné chez moi, un matin de septembre 2008 (lire ici). Nous nous étions engueulés, sur des sujets fondamentaux pour moi, comme les nécrocarburants. Plus tard, je l’avais félicité (lire là), et tout était rentré dans l’ordre, un ordre éminemment provisoire et mouvant.

Je n’ai jamais caché que j’aime ce qu’est devenu Hulot. J’ai soutenu son évolution il y a près de quinze ans dans une presse qui lui était froidement hostile. Politis, par exemple. Je ne le connais certes pas en intime, mais nous nous croisons, oui. Et je crois que nous nous apprécions, au-delà de différences considérables. Car je vois évidemment tout ce qui peut nous séparer. L’important, le décisif en cette occurrence, c’est que cet homme est de liberté. Il n’est pas ce qu’il fut. Il n’est plus l’homme des paillettes télévisées. La crise écologique lui a dessillé les yeux, et l’a conduit sur un chemin où je peux, où je dois – tel est mon sentiment profond – lui serrer la main. Je rappelle, malgré la détestation que j’ai pour TF1, que l’émission Ushuaïa Nature est regardée par des millions de nos contemporains. Et que des messages d’une grande force et d’une vraie qualité y ont été régulièrement diffusés.

Rien que pour cette raison, j’aurais grande estime pour lui. Mais ce qui me touche le plus chez cet homme est cette capacité d’arrachement à lui-même qu’il a manifestée. Pour ce que je sais, il vient de loin, politiquement, socialement, culturellement. Le mouvement sincère d’un être fait partie des spectacles qui m’émeuvent en profondeur. Je ne cherche pas pourquoi, je constate. Et pour ce qui concerne la crise écologique, faut-il insister ? Si des millions de gens à qui, a priori, nous n’avons guère envie de parler, ne se jettent pas, tôt ou tard, dans la fournaise, nous sommes perdus. Je considère Hulot comme un éclaireur, un missionnaire.

Et maintenant, cette magnifique nouvelle. La fondation Hulot se retire de cette foutaise appelée Grenelle de l’Environnement, que j’ai conspué dès les premiers instants (ici). C’est tard ? Mon Dieu oui, comme c’est tard ! Mais au moins, c’est fait. Le misérable édifice politicien organisé par Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet s’effondre pour de bon. Car sans Hulot et les 750 000 signataires du Pacte écologique, que reste-t-il ? Une arnaque. Je serais à la place des écologistes officiels de Greenpeace, du WWF, de France Nature Environnement, j’aurais simplement honte. Car évidemment, ce sont eux, les militants de toujours, qui auraient dû mener la fronde. Et ils n’ont rien dit, rien fait. Honte !

Ce pauvre président de France Nature Environnement, Sébastien Genest, a donné il y a une poignée de jours un lamentable entretien à La Tribune (ici). Il y déclare notamment : « L’abandon de la taxe carbone n’est pas synonyme d’une remise en cause du Grenelle de l’environnement. Au contraire, l’événement taxe carbone implique une poursuite et une relance de l’esprit du Grenelle, dont le champ d’intervention est large et ne peut se résumer uniquement à cette taxe. Des tas d’autres engagements du Grenelle ont également de l’intérêt ». Pauvre garçon ! Pauvre mouvement de protection de la nature, à qui Nicolas Hulot administre une leçon tardive, mais sans appel, de courage et de lucidité. Nicolas, si tu lis ces quelques paroles, sache que je pense à toi, que je te salue, que je te félicite.

PS :  Nathalie Kosciusko-Morizet, dont j’ai dit, dont je maintiens qu’elle est une politicienne tout ordinaire, vient de déclarer son soutien à Chantal Jouanno (ici). Ah quelle rouée personne ! Elle qui sait ce que vitesse veut dire – ne s’occupe-t-elle pas d’économie numérique ? – a pris tout son temps, des jours et des jours, avant de trouver un mot en faveur de Jouanno l’esseulée. Je parie, sans preuve aucune, qu’une analyse soignée et soigneuse de carrière, appuyée sur des sondages, l’aura décidée. Sans preuve aucune, certes.

Mon commentaire sur les commentaires (faut suivre)

Je commencerai ce court billet par un bonsoir à tous. Je ne suis pas et ne risque pas de devenir un professeur de morale, mais il me vient parfois l’envie de fermer tout simplement l’espace des commentaires. Depuis un temps qui m’échappe un peu, il me semble bien assister à une inflation de propos qui n’ont aucun rapport avec ce dont on parle. Pis, certains des mots écrits par des lecteurs me gênent carrément. Ainsi, et désolé pour son auteur, je n’ai pas envie de lire des développements aussi hasardeux que ceux rapprochant la bagnole des grands massacres nazis (à retrouver dans la liste pour ceux qui le veulent).

J’ai créé Planète sans visa pour y faire circuler des informations intéressantes sur la crise écologique, et permettre, éventuellement, d’aider tel ou tel à y voir un peu, un tout petit peu plus clair. Pas pour que chacun raconte son petit bastringue avant d’aller faire ses courses. D’autant qu’il y a un point technique dont je ne me plains pas, mais que vous devez connaître. Je suis moralement et légalement tenu de modérer les textes qui apparaissent ici. Ce qui signifie qu’il existe un filtre, et que ce filtre, c’est moi. Je ne peux laisser passer des écrits injurieux, diffamatoires, racistes, etc. Et c’est bien normal. Et si je le faisais et que je sois condamné, je ne trouverais aucun argument en ma faveur. Il faut assumer. J’assume. Y compris ce rôle ingrat, qui demande du temps, que je refuse de perdre dans des conneries. Je sais que cela paraîtra dur à certains, mais tant pis. Je crois pouvoir demander un peu de respect pour un lieu de travail et d’élaboration qui ne demande rien d’autre que de l’attention. Et du respect, je me répète.

Pas de malentendu ! Je suis ravi, en règle très générale, de vos interventions. Et même de celles qui ne se rapportent pas explicitement aux textes que j’écris. Cela n’a pas d’importance à mes yeux si. Si ces textes ouvrent ne serait-ce qu’un fenestron sur d’autres histoires, d’autres lieux, d’autres personnages. Et à la condition que tout cela apporte au moins un petit quelque chose à notre communauté intellectuelle et morale. Car c’est ainsi que je perçois notre collectif informel où, certes, l’égalité n’est pas de la partie, puisque je tiens le manche. Il n’empêche que je me sens comptable. Il n’empêche que le respect que j’attends, je l’accorde en retour à tout lecteur de bonne foi, fût-il très éloigné de ma pensée. Cela est arrivé maintes fois, et se reproduira je l’espère. Planète sans visa ne peut servir en tout cas, et ne servira pas au blabla. Je suis d’avance navré, mais c’est comme cela. Que chacun, en conscience, fasse ce qu’il a à faire. Et que chacun se souvienne qu’il existe une multitude d’autres lieux où parler pour ne rien dire.

Nos vemos.

Des fleurs pour Chantal Jouanno

Je me suis salement moqué de Chantal Jouanno le 22 janvier 2009 (ici). Je signalais notamment un film vidéo réalisé au moment de la campagne des présidentielles, où elle était follement ridicule. Elle le reste, je viens de le regarder à nouveau. Et, de nouveau, j’ai rigolé aux dépens de la secrétaire d’État à l’Écologie.

Mais je dois reconnaître aujourd’hui qu’elle a changé. La championne de karaté, propulsée hors des tatamis par Sa Seigneurie Sarkozy en personne, donne ce jeudi 25 mars 2010 un entretien au quotidien Libération. Elle se lâche. Elle y parle avec une sincérité que je n’attendais pas. Concernant la défunte taxe carbone, elle tire à boulets rouges contre le patronat, disant par exemple : « C’est clair, c’est le Medef qui a planté la taxe carbone. Au nom de la compétitivité. Est-ce que le Medef s’est ému des 2 milliards de bonus distribués aux banquiers ? ».

Faut-il le souligner ? Ce n’est pas dans la ligne. Borloo, l’increvable bonimenteur, a préféré hier accuser les socialistes d’avoir miné son beau projet. Non, elle n’est pas dans la ligne officielle, et j’ai envie de croire qu’elle n’est pas en mission commandée. J’ai envie de croire qu’elle parle d’elle-même, sans y avoir été incitée par Sarkozy pour tenter de calmer l’incendie. Ai-je tort ?

J’espère que non. Chantal Jouanno a des mots convaincants. Elle dit : « Si on attend que l’Europe prenne une décision, la taxe carbone sera reportée sine die. Cela pose un problème ontologique à la gauche comme à la droite. Nos élus et une partie de la société n’ont pas compris l’importance de l’écologie. On a vingt ans pour changer les mentalités ». Et elle ajoute : « Il faut essayer quelque chose. Il me reste la parole. Je me ferai peut-être exploser mais ce n’est pas grave. Je vais juste parler vrai. Je préfère aller au bout. Je ne suis pas là pour faire de la provoc, mais porter la parole que l’écologie n’est l’otage d’aucun clan ».

Pas de panique à bord ! je ne viens pas de brutalement tomber amoureux, et mon regard ne me semble pas, pour l’heure en tout cas, alangui. Je sais qui est cette dame. Je sais sa proximité avec Sarkozy. Autant dire que des années-lumière me séparent et me sépareront toujours d’elle. Il reste qu’à la différence d’une Kosciusko-Morizet, politicienne jusqu’au bout des ongles, passant de l’Écologie à l’Économie numérique avant d’aller peut-être à la Santé, il semble que Chantal Jouanno a pris conscience de quelque chose qui la transcende.

Un grand mot ? Oh oui ! Exagéré ? Peut-être bien, l’avenir le dira. Mais je dois rappeler, malgré mes emportements aussi nombreux qu’extrêmes, que je mise sur l’homme, et la femme. Si je ne croyais pas à la possibilité que des êtres dissemblables – et lointains les uns des autres – se mettent en mouvement, je ne parlerais plus de crise écologique. Je ne parlerais plus du tout, en réalité. Or je pense que le cours des esprits et des âmes est le seul espoir authentique qu’il nous reste. Que m’importe à la fin d’où l’on part, pourvu qu’on se soit mis en marche dans la bonne direction. Le reste viendra par surcroît, s’il advient.

Madame Jouanno, je me répète, ne pensera jamais comme moi. Moi surtout, je ne la rejoindrai jamais sur le terrain qui restera, en toute hypothèse, le sien. Et peut-être suis-je, de toute façon, en train de bâtir un château de cartes et de sable dans l’Espagne la plus profonde qui se puisse concevoir. Il demeure que la crise écologique devra sous peu mobiliser des millions de personnes dans ce vieux pays couturé qu’est la France. J’ai le pressentiment que madame Jouanno en sera. Et c’est pourquoi, à rebours de ce que je suis pour l’essentiel, je lui offre ce jeudi matin un frais bouquet de fleurs des champs. Without any pesticide application.

Flagrant délit à la frontière (sur la taxe carbone 2)

Personne n’y coupe. Bien malins ceux qui se gaussent de Sarkozy, bien malins, et bienheureux. En effet, cet homme est une fois de plus ridicule. Cet homme qui avait comparé la taxe carbone à l’abolition de l’esclavage et à celle de la peine de mort se couche au premier tournant. Les produits dopants – glace à reflets dorés, chocolat à gogo, Carla Bruni, etc. – dont il se sert couramment n’auront donc pas suffi. Il est à terre, pleurnichant comme ne le ferait pas un gosse de trois ans.

Je voudrais dire deux choses. La première sur lui, la seconde sur tous les autres. Commençons : j’ai écrit ici, le 30 janvier 2009, un papier sur l’art du go, dont j’extrais ceci : « Et alors ? Pourquoi mêler Sarkozy à ces grands souvenirs personnels ? Parce qu’il me fait penser à un désastreux joueur de go. C’est un tacticien habile, mais un lamentable stratège. Il est l’homme de l’instant, il est celui qui croit avoir niqué – un mot fétiche chez lui – le monde parce qu’il a placé quelques pions dans les coins qui retiennent son attention. Mais il est totalement incapable de concevoir, d’entrevoir, de situer les enjeux ailleurs qu’autour de sa personne. Il va donc perdre la partie, mais comme c’est la nôtre, c’est fâcheux. Notez que ceux qu’on dit d’en face sont aussi mauvais. Tous. Un bon joueur de go aurait déjà, par un magari audacieux suivi d’un wariuchi, réduit à néant les moyos que Sarkozy croit en sa possession. Après avoir occupé deux ou trois o-ba,  il aurait lancé un retentissant atari. Atari, qui veut dire échec ».

Nulle peine d’insister, je pense. Quant à l’autre chose, elle s’adresse à la totalité de la gauche, NPA et Verts compris, bien entendu. À ces soi-disant adversaires décidés de la politique menée par la droite au pouvoir. Je les plains. Je nous plains du fond de l’âme. Car de deux choses l’une. Deux, et pas trois. Ou la pulvérisation de la taxe carbone est un signe épouvantable, et en ce cas, il faut se lever en masse. Tout de suite. Pas demain. Pas après-demain, après les magouilles d’après-élection entre Aubry, Royal, Frêche et consorts. Pas après-demain, quand les Placé, Duflot, Jadot, Cohn-Bendit et tous autres auront enfin réparti les seconds rôles. Pas après-demain, quand Mélenchon saura s’il a réussi à imposer sa candidature aux présidentielles aux débris de l’ancienne armada stalinienne. Pas après-après-demain, quand Besancenot aura réussi à obtenir 1500 euros de SMIC pour tous. Non. Aujourd’hui.

Ou bien tous ces pseudos, tous ces joueurs de mirlitons et amateurs de fredaines n’ont rien à foutre de la crise écologique. C’est d’autant plus probable qu’ils ne savent d’ailleurs pas ce que c’est. Ce qui se passe sous nos yeux fatigués, somnolents, indifférents le plus souvent est la preuve expérimentale que la crise écologique ne fait pas partie du programme. De leur programme. Or elle est désormais tout le cadre. Celui dans lequel les autres fragments du réel s’inscrivent. Pour une fois, et à ma grande surprise, je dois confesser mon accord avec quelques paroles prononcées ce 24 mars 2010 par Michel Rocard, que j’ai secoué comme un vieux prunier une bonne dizaine de fois. Il a déclaré, et je cite de mémoire, que dans dix ans, ceux qui n’agissent pas pour limiter les effets du dérèglement climatique seront tenus pour des criminels contre l’humanité.

Mais je me reprends déjà. C’est aujourd’hui qu’ils sont criminels, et tous. Et tous ceux pour qui ont voté ceux qui ont voté. Criminels assurément, mais pas seulement contre l’humanité. Criminels contre la vie, contre ce qui bouge et vit encore sur terre. Assassins tranquilles des animaux et des plantes de la Terre. Tous. Qu’ils aillent se faire foutre.

PS : Je préviens ceux qui auraient envie d’écrire en commentaire quoi que ce soit en faveur des “climatosceptiques” que je ne laisserai pas passer. Leurs textes iront à la poubelle. Droit à la poubelle, que cela plaise ou non. Pour moi, une frontière est en train de naître, qui sépare et séparera toujours plus ceux qui considèrent le drame absolu qui se noue, et tous les autres. J’ai d’ores et déjà choisi ma place.

D’une façon bien plus générale, j’ose un rapprochement qui irritera plus d’un. Juste un rapprochement, car je sais bien que la situation en cours ne se peut comparer : elle est sans précédent. Un rapprochement, J’INSISTE LOURDEMENT. Je pense, j’espère de toutes mes petites forces réunies que j’aurais eu une attitude digne dans d’autres temps historiques. Je n’en suis hélas pas sûr, et ne le serai jamais, mais j’espère néanmoins, ce qui reste permis. J’espère donc que, face au danger fasciste, dans les années trente du siècle passé, je n’aurais pas hésité à empoigner un fusil et à tirer sur ces ordures. J’espère de même que, face à la flicaille stalinienne, j’aurais eu le bon réflexe de ceux qui, dans les rues de Barcelone, en mai 1937, défendirent la liberté au risque de leur peau. Ils périrent presque tous, il est vrai, mais au moins dans l’honneur et la conscience d’avoir été des hommes.