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L’université d’Oxford perd le Nord

Tellement fou que je ne résiste pas. Oxford vient de perdre 30 millions de livres (38 millions d’euros) que la noble université avait placées dans trois banques islandaises, lesquelles, on le sait, sont en situation de faillite (lire ici, en anglais). Pour être totalement sincère, cette perte reste virtuelle, mais l’université a d’ores et déjà appelé au secours.

Quel symbole ! La plus ancienne université d’Angleterre – on trouve la trace d’un enseignement là-bas dès 1096 – a lamentablement spéculé en Islande. Et perdu. La culture la plus essentielle d’un des pays les plus civilisés de l’histoire humaine aux mains de la finance. Entre les mains de ruffians qui ne sont même pas sûrs de savoir qui est Shakespeare. Nous en sommes bien là, il n’y a aucun doute sur la question.

Pour ceux qui croient au bon papa Noël

Préambule : Une campagne contre le crime des biocarburants est en cours. Il suffit d’un clic, ne prétendez pas que c’est trop, je ne le croirai pas : c’est ici.

Je me souviens que j’y ai beaucoup cru. Et que c’était un pur délice. Le Père Noël. Une année, j’ai même eu une idée que je juge, aujourd’hui encore – mes chevilles enflent à vue d’oeil –  flamboyante. J’ai demandé à ma mère, qui était le messager de ces cieux éternellement étoilés, un cadeau particulier. Je voulais une baguette magique. C’est assez évident, je pense. Avec la baguette, je comptais me transformer en Père Noël domestique et quotidien. Et comme mon âme était pure comme un cristal de neige, mon intention était d’en faire profiter le monde entier. Je le jure. J’avais six ans.

Sans transition, je vous annonce que le Grenelle de l’Environnement, dont il va bien falloir fêter le premier anniversaire – on la fait quand, la grande fête, les gars ? -, est une autre façon de croire au Père Noël, mais beaucoup moins agréable. Dès que j’aurai le temps, je décortiquerai une fois de plus l’infernal mécanisme – une sorte de piège à mâchoire, qui fait très mal quand il se ferme – que les écologistes ont déclenché.

Ce jour, une seule information : j’apprends que les patronats italien et allemand, profitant de la crise financière et des claquements dents qu’elle entraîne, ne jouent plus le jeu. Même pas pour rire (lire ici). Ils réclament désormais le renvoi aux calendes du plan Climat de l’Union européenne, ridiculement dérisoire pourtant. Et ajoutent pour qu’on comprenne bien leur propos, limpide en vérité : « La croissance et l’emploi seraient menacés si l’industrie européenne devait supporter de nouvelles réglementations concernant l’environnement ». Faudra-t-il vous l’envelopper, ou consommerez-vous cette merde sur place ?

Je n’ai pas encore entendu Laurence Parisot, notre chère patronne des patronnes sur le sujet, mais je ne doute pas qu’elle partage le sentiment de ses compagnons. Une nouvelle fraîche, en revanche, du baron Ernest-Antoine Seillière, qui dirigea avant elle le Medef. Je le croyais retiré des affaires avec les plantureuses plus-values qu’il avait légitimement empochées, mais pas du tout. Le vieux monsieur rugit depuis Bruxelles, où il dirige une organisation du patronat européen portant le nom de Business Europe.

Que veut notre grand homme miniature ? Qu’on lui foute la paix, bien sûr. Mais aussi qu’on exonère les patrons de toute charge concernant les permis dits de droit à polluer. Aujourd’hui, ces derniers sont gratuits, mais demain, il faudrait payer en cas de dépassement des émissions. Et cela, jamais ! Ernest-Antoine Seillière vivant, on ne verra jamais un patron payer quand il dépasse les généreux quotas de pollution que Sarkozy and co lui accorde (lire ici) pour attaquer au lance-flammes ce qui reste de la beauté du monde.

Je vous le dis en confidence, le Père Noël de mon enfance avait tout de même de plus jolies manières.

Bandajevski, simple héros de l’humanité

Je pense avoir été le premier à évoquer dans un journal national – Politis – le sort du médecin Youri Bandajevski, en 2002. Si je me trompe, mes excuses anticipées. Je n’ai de toute façon pas grand mérite, car j’avais été alerté par l’ami Romain Chazel, de l’association CriiRad. Vous trouverez plus bas la copie de l’article publié alors, qui faisait le point sur l’abominable histoire, celle de Tchernobyl.

Si je reviens sur le sujet ce lundi matin, c’est que j’ai failli manquer un petit papier, qui est un entretien avec Youri, mené par le journaliste Hervé Kempf dans Le Monde (lire ici). Kempf défend depuis des années ce médecin des enfers, et ce n’est pas si facile lorsque l’on travaille pour un quotidien à ce point institutionnel. Dont acte. En tout cas, réalisant cet interview au téléphone – Youri est exilé en Lituanie -, il permet de faire le point sur la véritable situation sanitaire autour de Tchernobyl. Elle est « très mauvaise. Toute la population biélorusse est, du fait de l’alimentation, en contact avec la radioactivité. Mais dans les régions les plus contaminées, au sud-est du pays, autour de la ville de Gomel, deux millions de personnes sont dans une situation très dangereuse.Les taux de mortalité et de maladies y sont beaucoup plus élevés que dans le reste du pays. Les docteurs Valentina Smolnikova, Alexeï Duzhy et Elena Bulova (…) font état d’une forte augmentation des maladies cardio-vasculaires et des cancers des organes internes. Cela explique une forte mortalité, trois à quatre fois plus forte que dans le reste du pays. Mais il est difficile de rassembler l’information. Le gouvernement cherche à la cacher. Les données ont été trouvées dans des rapports nationaux non publiés et grâce à divers contacts. Il faut ouvrir les yeux : au coeur de l’Europe, une population vit dans une situation mortelle ».

Bandajevski n’est hélas pas un charlatan. Il a circulé pendant des années dans les zones contaminées, soigné des enfants, enterré des morts. Il sait ce que le pouvoir biélorusse cherche à masquer. Il sait ce que le lobby mondial du nucléaire, qui a tout à perdre, cherche à masquer. Il sait. Et le pire de tout, au-delà des mots, est que le grand mensonge règne sur le monde. Oui, oui il est possible qu’un événement majeur de l’histoire humaine soit recouvert sous la cendre. Un monde soi-disant libre, ouvert, surinformé peut ignorer qu’en Europe, une catastrophe nucléaire sans précédent rend malade, tue, transforme des territoires entiers de la planète en géhenne.

Que la leçon serve au moins à quelques-uns d’entre nous.

PS : Si j’avais pu choisir cette année les récipiendaires des Prix Nobel, j’aurais créé une récompense spéciale, et accordé à Bandajevski le Nobel de la paix ET celui de médecine. Mais on ne m’a pas demandé mon avis.

L’infernal retour de Tchernobyl

(PUBLIÉ DANS POLITIS 729)

Une fantastique bagarre de l’ombre se mène en Biélorussie pour masquer les véritables conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, qui sont effarantes. Le professeur Bandajesky, un scientifique de premier plan, est en train de mourir dans un camp, d’autres ne peuvent plus travailler. L’enjeu est énorme pour le lobby nucléaire mondial, qui tente, comme celui du tabac jadis, de gagner du temps. Dire la vérité serait en fait compromettre l’atome

Soyons solennel : l’histoire qui suit (1) sort vraiment de l’ordinaire, et l’on recommandera de la lire avec l’attention qu’elle mérite. D’autant qu’il y a urgence : Youri Bandajevsky est sans doute en train de mourir dans le camp où la mafia au pouvoir à Minsk (Biélorussie) l’a jeté pour huit ans, en 2001. Qui est-il ? Un formidable médecin, né en 1957, spécialiste de premier plan d’anatomo-pathologie. En 1990, alors qu’il n’a que 33 ans, il prend la direction du tout nouvel Institut de médecine de Gomel.C’est un choix courageux, pour ne pas dire héroïque : Gomel est au coeur de la zone contaminée par Tchernobyl.

Bandajevsky y commence un travail de fond sur les effets sanitaires de la catastrophe, et découvre très vite des choses stupéfiantes. En faisant passer des électrocardiogrammes à ses propres étudiants, il constate chez eux de nombreux problèmes, trop nombreux pour être le fait du hasard. Plus tard, en autopsiant près de 300 personnes à la morgue de Gomel, il entrevoit une piste essentielle : leurs reins, leurs coeurs contiennent des concentrations très singulières de césium 137 (Cs137), l’un des principaux radionucléides dispersés par Tchernobyl. Tout se passe comme si l’incorporation du césium était différenciée selon les organes concernés.La femme de Bandajevsky, Galina, qui est pédiatre, entre en scène. Elle et son mari, aidés de quelques étudiants, se mettent à sillonner la Biélorussie pour ausculter le plus grand nombre possible d’enfants.

Si le césium fait de tels ravages chez les adultes, pensent-ils, il doit en faire davantage encore chez les gosses, dont le poids est moindre et le métabolisme plus rapide. En quelques années, ils examinent des milliers d’enfants biélorusses, trouvant chez la plupart d’entre eux des concentrations de Cs137 supérieures à 50 becquerels par kilo de poids corporel, un seuil au-delà duquel apparaissent les maladies. D’ailleurs, beaucoup présentent de sérieuses pathologies cardiaques, dont d’inquiétantes arythmies.En croisant ces résultats cliniques et le niveau de contamination de ces mêmes enfants, l’équipe de Bandajevsky réalise qu’il existe un lien flagrant entre concentration de Cs137 et malformations cardiaques. Au-delà de 70 becquerels de césium par kilo chez les gosses, à peine 10% d’entre eux conservent un coeur normal. De nouvelles études confirment les premières découvertes.

Au total, 70% des enfants vus par les époux Bandajevsky autour de Gomel souffrent de pathologies cardiaques.C’est terrifiant sur le plan sanitaire – personne ne soupçonnait des effets pareils -, et c’est explosif sur le plan politique. La Biélorussie, qui a consacré pendant des années jusqu’à 20% de son budget aux conséquences de Tchernobyl, n’a plus qu’une idée en tête : nier les problèmes, en tout cas relativiser. C’est que deux millions de personnes, dont 500 000 enfants vivent dans des zones contaminées : il faudrait, à suivre Bandajevsky, au moins évacuer les femmes enceintes et les plus jeunes enfants, et donner à tous les autres le moyen de se protéger contre la contamination, notamment celle des aliments.Contrairement à Hiroshima et Nagasaki, où la réaction thermonucléaire s’était produite dans l’atmosphère, l’explosion de Tchernobyl a contaminé le sol en y déversant des centaines de tonnes de particules radioactives.

Lesquelles se retrouvent perpétuellement dans les récoltes avant de passer dans les produits alimentaires. C’est l’horreur, une horreur sans fin. Ayant bien d’autres chats à fouetter, la mafia biélorusse veut au contraire, à toute force, clamer qu’on peut vivre sur des terres contaminées, et qu’on peut même y renvoyer des personnes déplacées au moment de la catastrophe.En 1998, le professeur et son épouse sont face à leurs responsabilités : parler, publier leurs résultats, et donc défier le redoutable régime postsoviétique d’Alexandre Loukachenko; ou bien se taire. Galina rapportera plus tard 24 heures d’une discussion exténuante avec Youri.

Elle a peur pour sa famille, pour ses enfants, tente de le convaincre de biaiser, de composer. « Et lui m’a répondu : « Alors tu n’es pas un médecin. Et si tu n’es pas un médecin, tu peux mettre ton diplôme sur la table, et sortir balayer la cour » » (2).Les résultats sont publiés, et comme si cela ne suffisait pas, Youri, qui est membre d’une commission chargée de contrôler les fonds publics destinés à Tchernobyl, découvre une magouille gigantesque. Sur les 17 milliards de roubles affectés en 1998 à l’Institut de recherche sur les radiations, seul 1,1 milliard a été utilisé pour des études utiles. Le reste ? Gaspillé, ou pire. Il est menacé, reçoit des lettres anonymes, mais continue à alerter l’opinion.

Dans une de ses dernières interventions publiques, il déclare : « Si on n’entreprend pas des mesures permettant d’éviter la pénétration des radionucléides dans l’organisme des adultes et des enfants, l’extinction menace la population d’ici quelques générations ». Vous avez bien lu : extinction.Le 13 juillet 1999, il est arrêté, et jeté en prison pour six mois. Ce qu’on lui reproche ? D’avoir touché des pots de vin ! Il perd vingt kilos, vieillit, aux yeux de ses amis, de dix ans en quelques semaines. Le 27 décembre 1999, il est libéré dans l’attente d’un procès, et se remet aussitôt au travail.

Mais le 18 juin 2001, une chambre militaire – ce qui interdit tout appel – le condamne à huit ans de camp à régime sévère et à la confiscation de tous ses biens. Evidemment, son successeur à l’Institut de Gomel met fin aux travaux en cours sur le césium. Bandajevsky s’enfonce dans la nuit, qui risque de lui être fatale (voir encadré sur la campagne pour sa libération).Mais l’affaire Bandajevsky, si elle terrible, n’est pas unique. Le pouvoir biélorusse, en effet, est parvenu en quelques années à museler ou contrôler toute recherche authentique sur les véritables effets de Tchernobyl. Après avoir chassé sa propre ministre de la Santé, le docteur Dobrychewkaïa, il est parvenu à fermer un autre institut scientifique, celui du professeur Okeanov, spécialiste des cancers, et à occulter les travaux des professeurs Demidtchik et Goncharova.

Le cas du professeur Vassili Nesterenko est plus frappant encore. Héros de Tchernobyl, où il a été irradié au moment de l’explosion, il s’est constamment heurté depuis aux autorités en place. Bientôt menacé d’internement, puis de procès en corruption – comme Bandajevsky -, il poursuit néanmoins un travail de terrain qui prouve l’extraordinaire contamination de la chaîne alimentaire. On lui confisque finalement ses appareils de mesure, et victime d’un infarctus, il perd la direction de son institut. Va-t-il céder ? Non. Grâce notamment à une fondation irlandaise, il crée un institut indépendant, Belrad, et repart au combat. En 2000, il parvient même à mettre au point un produit à base de pectine de pomme, très efficace pour l’élimination du césium dans les tissus humains.Ces impitoyables manoeuvres politico-mafieuses pourraient paraître lointaines, et presque exotiques.

Mais ce serait oublier que Tchernobyl est un enjeu mondial pour le lobby nucléaire. Qui tient le « bilan » de la catastrophe tient probablement entre ses mains l’avenir de cette industrie de la mort. Michel Fernex, professeur émérite de la faculté de médecine de Bâle, qui suit la totalité de ce dossier avec une énergie et une vigilance admirables : « Si les conséquences sanitaires de Tchernobyl étaient connues, elles mettraient fin au programme de développement nucléaire mondial ».Est-ce la véritable enjeu des drames à répétitions qui frappent la Biélorussie ?

Le même Fernex a mis au jour l’intolérable  sujétion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à ce lobby essentiel qu’est l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Où sont passés les résultats de la conférence de 1995 ?Bien plus près de nous, EDF, Areva, Cogema ont lancé en 1996 en Biélorussie le projet Ethos (voir encadré). S’agit-il, comme l’affirment ses promoteurs, d’aider les populations locales ? En partie, sans doute. Mais ces travaux, qui portent sur la radioprotection, visent in fine à « prouver » qu’on peut vivre durablement sur des terres contaminées par l’atome.

Une démarche qui ne peut que satisfaire au plus haut point le pouvoir biélorusse. Faut-il parler de complicité objective ? Au début de 2001, l’institut Belrad de Nesterenko s’est vu retirer la gestion de cinq centres de contrôle radiologique dans la région de Stolyn. Précisément sur le territoire où travaillent « nos » experts. Et ce n’est pas l’effet du hasard : dans un courrier adressé à Nesterenko, le président du très officiel organismes Com Tchernobyl lui annonce que ces cinq centres seront transférés à un autre institut conformément à la proposition des scientifiques français, dans le cadre du projet Ethos-2.

Certes, les responsables d’Ethos ont immédiatement parlé de malentendu, et multiplient depuis les contacts avec Nesterenko. Mais au nom de quelles valeurs des scientifiques d’un pays démocratique parviennent-ils à travailler dans un pays où la liberté de recherche – et la liberté tout court – est à ce point bafouée ? Comment osent-ils travailler sur la « fertilisation raisonnée de la pomme de terre » sans dire un mot sur le sort de Bandajevsky, qui a prouvé que 70% des enfants par lui examinés souffraients de problèmes cardiaques ? Oui, au nom de quelles valeurs ? Celles de l’atome ?

(1) Cet article doit beaucoup aux informations rassemblées par la Crii-rad, notamment dans son excellent bulletin Trait d’Union n°22

(2) Propos tirés d’un film du réalisateur Wladimir Tchertkoff.

Ce qui se cache derrière l’Angolagate

Ce fut sans doute, et longtemps, l’un des plus beaux pays de la terre. L’Angola abrite les sources d’un fleuve unique qui va se perdre dans le désert du Kalahari, l’Okavango, dont les rives sont miraculeusement intactes. Pays de forêt dense, de marais, de savanes, de désert, de mangroves, de mer, pays de plaine et de hauts-plateaux, pays immense peuplé de lions, d’éléphants, de zèbres, de gorilles, de chimpanzés, de (rarissimes) rhinocéros noirs, de chiens sauvages, l’Angola demeure, malgré la folie ambiante, un territoire grandiose. Grand comme deux France et demie.

Les humains, souvent victimes et parfois bourreaux, en ont fait la porte de l’enfer. Rien que de très banal ? Presque. Entre 1993 et 2000, un présumé trafic d’armes à destination de ce pays a permis de vendre au pouvoir en place à Luanda, la capitale du pays, 790 millions de dollars d’armes diverses (lire ici). Des chars, des hélicoptères, des pièces d’artillerie, des lance-roquettes, des lance-flammes, des mines et des armements d’infanterie, excusez du peu. En plein milieu d’une guerre civile. De très braves garçons de chez nous, parmi lesquels Jean-Christophe Mitterrand, Jacques Attali, Paul-Loup Sulitzer, Georges Fenech, Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani sont pour quelques mois devant un tribunal parisien. À des titres divers, ils auraient aidé deux marchands et trafiquants d’armes de haute volée – Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak – dans leur philanthropique entreprise.

Tous se récrient et parlent qui de complot, qui de grossière erreur. Rions un peu avant de pleurer. Pasqua : « Je ne sais pas comment cette enquête a été lancée mais je constate que tout a été fait pour me mettre en cause dans des affaires où je n’ai rien à voir ». Le glorieux fils Mitterrand se dit de son côté « totalement innocent » et n’aurait rien su de rien, se contentant d’empocher une belle galette en échange de conseils en placement. L’ancien député UMP Georges Fenech dirige depuis le 19 septembre dernier – merci, Sarkozy – la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Dans le procès de l’Angolagate, il est soupçonné d’avoir touché en 1997 un chèque de 15 000 euros de la société de vente d’armes Brenco International. À cette date, Fenech était juge et même responsable syndical de l’Association professionnelle des magistrats (Apm). Mais si.

Ce qui restera merveilleux, quel que soit le verdict, c’est qu’aucun de ces mis en examen n’a eu envie de gerber quand un marchand d’armes – dont tous savaient qu’il vendait à un pays martyr – leur a proposé une affaire. Pas même cet éternel moraliste de Jacques Attali, grand et noble coeur socialiste. Pas même lui, qui a toujours de si belles choses à dire sur les pays du Sud. Une de ses sociétés a touché 160 000 dollars pour une étude sur le microcrédit en Angola. Au beau milieu d’une guerre civile totale où plus rien ne tenait debout ! Et il a approché Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, pour tenter d’obtenir un cadeau fiscal en faveur de Falcone, personnage central, s’il en est, de l’Angolagate. Oh quelle jolie bande !

Parlons tout de même de la guerre civile. Opposant deux factions issues de la guerre d’indépendance – le Mpla et l’Unita -, elle aura fait, entre 1975 et 2002, au moins 500 000 morts, directes si j’ose écrire. À l’échelle de la France, cela représenterait plus que 3,5 millions de personnes. Inutile de dire que des centaines de milliers de mutilés doivent être ajoutés à ce bilan inouï. Ainsi que des millions de paysans déracinés, s’installant, encore plus vite qu’ailleurs en Afrique, dans les bidonvilles des grandes cités, Luanda en tête. La guerre civile n’a pas seulement dévasté la société humaine, mais clairement et définitivement bouleversé la structure du pays, l’occupation du territoire, l’avenir le plus lointain.

Officiellement, au départ en tout cas, le Mpla était un mouvement marxiste, dans la tradition tiers-mondiste des années soixante, et à ce titre longtemps défendu par les soldats cubains envoyés par Castro, qui faisaient face, au sud, aux troupes de l’Unita manipulées, elles, par l’Afrique du Sud raciste de l’apartheid. La « belle » gauche contre la « sale » droite de toujours. Mais au moment où nos héros entrent en scène en compagnie de Falcone et Gaydamak, la roue a tourné plusieurs fois sur elle-même, et l’Angola est devenu un formidable producteur de pétrole, notamment off-shore, au large des côtes. Le Mpla et l’Unita étripent leur peuple pour une seule et unique raison : qui aura l’argent de la rente ? Qui aura les Mercedes, le champagne, les putes, les villas, les comptes numérotés.

En 1993, quand commence l’immonde vente d’armes au régime de Dos Santos – le président angolais -, notre pays est en situation de cohabitation. Mitterrand est à l’Élysée, Balladur à Matignon. Je constate en passant que Pasqua, Marchiani, Fenech sont assurément de droite, tandis qu’Attali et Mitterrand fils penchent en théorie de l’autre côté. Il y a union nationale, figurez-vous, car Elf et Total ont un besoin absolu d’accès aux puits angolais. Elf, avant d’être racheté par Total, aura largement financé la guerre menée par le Mpla, grâce à la vente du pétrole qu’il lui concédait. Citation : «  Les Français ont permis au MPLA de terminer la guerre. Mais ils ont tué le pluralisme politique, attaque William Tonet, directeur de l’hebdomadaire d’opposition Folha 8. Le pays des droits de l’homme a privilégié ses intérêts pétroliers (ici)». Aujourd’hui encore, Total commercialise le tiers des deux millions de barils de pétrole produits en Angola chaque jour. En 2009 devraient commencer les forages d’un gisement fabuleux situé à 150 km des côtes, Pazflor, par des profondeurs d’eau comprises entre 600 et 1200 mètres. Rien ni personne ne fera dévier ce fer de lance, dont nous profitons tous ici, bien au chaud.

L’Angolagate est réellement une histoire cynique comme on en voit peu. Ainsi, en mai 2008, Son Altesse Sérénissime (SAS) Sarkozy a rendu visite au président angolais, déclarant sur place vouloir « tourner la page des malentendus du passé ». Une allusion évidente, même pour le plus corniaud, à cet Angolagate qui menace aussi la nomenklatura en place à Luanda. Car bien sûr, les chefs locaux ont touché. Encore heureux. Le 11 juillet, notre vertueux ministre de la Défense, Hervé Morin (lire ici) a rédigé une lettre très gentille dans laquelle il affirme qu’après un soigneux examen du dossier, il peut garantir qu’il n’y a pas eu de trafic d’armes, car ces fameuses armes ne sont pas passées par le territoire français. Et en ce cas, la France ne peut sérieusement reprocher quoi que ce soit à Falcone, qui a fait son beau travail hors de nos frontières. Non, cela ne sent pas le pétrole. Cela pue. Et pas seulement le pétrole, mais aussi l’uranium. Car l’Angola en recèle de grandes quantités, dont notre champion du nucléaire, Areva, a le plus grand besoin pour ses – nos – centrales. Surtout depuis que le Niger, grand producteur, gronde. Des équipes hautement spécialisées sont sur place. Faisons-leur confiance.

Bon, je suis déjà bien trop long, j’en ai conscience. Dans ce pays maudit par l’histoire récente, et qui est un bijou de la nature, inutile de dire que l’écologie n’a pas voie au chapitre. De grotesques projets financés en partie par l’aide internationale se perdent un à un dans les sables et les méandres du fleuve Okavango. Les corrompus au pouvoir ont autre chose à faire. Du fric. Vite. Aussi vite que coule le pétrole, ce sang noir des pauvres de toujours.

Luanda n’est plus une ville depuis longtemps. La cité des colons portugais, qui aurait pu contenir peut-être 500 000 habitants, en parque 5 millions. Ou 6, nul ne sait. Sur 13 millions vivant dans le pays. Enverrions-nous nos caniches et nos chats angora dans ce pandémonium ? Sûrement pas, nous avons des principes moraux, tout de même.

Deux Angolais sur trois survivent avec moins de deux dollars par jour dans un pays où la vie matérielle est dominée par le grand luxe. Je ne crois pas que vous le sachiez : Luanda, la capitale, est classée la ville plus chère au monde. Au monde, je confirme. Un studio peut se louer 15 000 dollars par mois. Difficile à croire, n’est-ce pas (lire ici) ? L’Angola n’a plus ni industrie ni agriculture, et importe rigoureusement tout par bateaux. Des tomates comme des fleurs coupées, des bagnoles – 5 000 chaque mois – comme des ordinateurs ou même du…pétrole raffiné. Les embouteillages sont là, on s’en doute bien. Sauf pour les innombrables piétons de ce monde qui n’est plus le mien.

Quand vous entendrez parler ces prochains jours du procès parisien, douillet, de l’Angolagate, ayez je vous en prie une pensée pour le peuple angolais, victime de satrapes et d’immenses salauds à leur service. Juste un instant, juste une pensée pour ces gosses qui vendent leur cul et leur âme dans les rues défoncées de Luanda, dont les hôtels de luxe accueillirent Attali, Mitterrand, Pasqua et consorts. Une seconde, une vraie pensée pour eux.

En mai 2008, le vice- ministre angolais de l’Urbanisme et de l’Environnement, Mota Liz, a affirmé que 500 000 hectares de terres agricoles pouvaient être « mobilisées » pour la production de biocarburants. En juillet 2008, le premier ministre, Fernando da Piedade Dias dos Santos, a confirmé que le gouvernement angolais souhaitait « promouvoir l’attribution rationnelle de terres pour les projets de biocarburants ». Nous n’avons encore rien vu.

Tazieff, Cousteau et Lorius au café du Commerce (génial !)

Rendons d’abord à César ce qui lui appartient, d’autant que la chose est sublime. Michel R.Tarrier est un naturaliste, excellent connaisseur du Maroc, et il est aussi un essayiste virulent. Je reçois, comme d’autres, certains de ses (vifs) messages par le net, dont le dernier m’a carrément soufflé.

Figurez-vous que Tarrier a dégotté un extrait vidéo d’une émission de la télévision française, datée du 4 septembre 1979. Pour les vieux tromblons dans mon genre, il me suffira de prononcer le nom de Joseph Pasteur, haute figure de ces années-là, pour me faire comprendre. Et pour les autres, il faudra regarder ce morceau d’une émission-phare des années 70, Les dossiers de l’écran (ici), qui ne dure jamais qu’un peu moins de six minutes.

Nous sommes dans l’anthologie, prière de mettre les patins avant d’entrer au salon. Sur l’écran, de gauche à droite, Claude Lorius, Haroun Tazieff, le commandant Cousteau, Joseph Pasteur. Paul-Émile Victor est caché. De quoi parle-t-on ce soir ? De l’Antarctique. Mais dans le morceau choisi, de…réchauffement climatique. Et c’est tout simplement génial.

Quelques mots de présentation. Lorius est alors un de nos grands glaciologues,  spécialiste incontesté des raids en Antarctique. Il a l’air jeune. Je le dis, car je l’ai interrogé il y a deux ans, et nul doute qu’entre-temps, il avait vieilli. Donc, Lorius. Faut-il présenter Tazieff ? D’abord ingénieur agronome, il deviendra volcanologue et sera pendant des décennies une vedette de la télé. Bon, j’en ai souvent fait ma tête de Turc, et si vous voulez savoir pourquoi et que vous avez une patience d’ange, lisez donc ceci. Quant à Cousteau, qu’ajouter ? Tout de même cela : sa formation est celle d’un officier de marine (canonnier, je le jure), point. Et il a également été espion à partir de 1938 au moins. Le reste, vous le savez comme moi : les films sous-marins, la Calypso, les appels au sursaut.

Venons-en au petit film. Pasteur pose une question, inquiet de l’activité volcanique. Pourrait-elle, avec des conséquences majeures, faire fondre les glaces alentour ? À cet instant grave, Tazieff le cabotin s’empare du micro. Un régal. Car il a décidé de faire flipper son monde, ce qu’il commande à volonté. D’un geste ample du bras – façon générosité sans frontières -, il lâche : « Ce ne sont pas les volcans, qui pourront le faire, c’est la pollution industrielle ». En particulier, le gaz carbonique. Ah, on savait cela en 1979 ?

Tazieff atteint vite au magnifique, qui se révèle burlesque. Se tournant vers Lorius, le seul scientifique de l’aréopage,  il précise, toujours à propos, du gaz carbonique  : « C’est Claude qui nous disait tout à l’heure qu’il s’agissait de plusieurs dizaines de milliards de m3 de…». À cet instant, moi, Fabrice Nicolino, qui suis bon public, j’éclate de rire. Car évidemment, Tazieff ne sait de quoi il parle. Et Lorius, légèrement pincé tout de même, le reprend : « Non, il s’agit de 20 milliards de tonnes de CO2 que l’homme rejette chaque année à la suite de ses activités ».

Permettez-vous ? Tazieff n’est au courant de rien. Il est surtout très satisfait d’être soudain le centre de l’attention, ce qui est toujours agréable. Il ne sait rien, mais d’une manière dérangeante et même stupéfiante, il va peu à peu décrire pour nous – en 1979 ! – le scénario même de la crise climatique dans laquelle nous sommes plongés en 2008. Car il ajoute aussitôt : « Ce gaz carbonique risque de changer l’atmosphère en une espèce de serre ». Vous avez bien lu.

Aussitôt, Cousteau grogne : « Ah, ça, c’est du baratin ! ». Regardez Tazieff à ce moment précis. Il a un rictus gêné, et soulève ses mains comme pour s’excuser de ce qu’il vient de commettre. Il est, il me paraît en tout cas manifeste qu’il ne croit guère ce qu’il avance. Mais il continue pourtant, ajoutant, après quelques divagations des uns et des autres : « Il pourrait y avoir un effet de serre général par réchauffement de 2 à 3 degrés de la température. D’où fusion d’une énorme quantité de glaces, tant au nord qu’au sud, et même des glaces de montagne. 2 ou 3 degrés suffisent pour faire monter les eaux, entraînant la noyade de toutes les côtes basses ». Adieu, ajoute-t-il, à New-York, Le Havre, Marseille.

Lorius, le seul vrai savant du lot, s’insurge, et rappelle l’étonnante stabilité des glaces de l’Antarctique, qui n’auraient pas bougé depuis des millions d’années. Et laisse entendre clairement qu’il ne croit pas au réchauffement. Tazieff repart au combat, sous les yeux effarés de Pasteur, qui redoute que les braves spectateurs de l’émission ne s’évanouissent de peur. Haroun met en cause directement l’industrie, « qui vient jeter le trouble sur les grands rythmes naturels ».

Cousteau, alors révulsé, lance: « On commence à me casser les oreilles, avec les histoires de CO2. Il y a des choses bien plus graves, comme les pluies de scories, qui changent la teinte de la glace ». Hélas, le tableau s’achève ici, je n’y peux rien. Quant à chercher la morale de l’histoire, je dois bien avouer ma peine. Mais je vais essayer, puisque je ne suis pas payé pour cela.

Première évidence : en 1979, la vision cohérente de la crise climatique existait. Dix ans avant l’alerte générale. Sauf qu’elle est ici énoncée par un homme qui niera ensuite, farouchement, le dérèglement climatique, et défendra jusqu’au grotesque l’industrie et ses produits les plus dangereux, comme les PCB. Tazieff, on feint de l’ignorer, a terminé sa vie dans un compagnonnage inouï avec les anti-écologistes les plus durs qui soient. En comparaison, Claude Allègre serait un frère d’armes. Pourquoi ces mots, dans cette bouche-là ? Mon hypothèse est que Tazieff les avait glanés de manière inopinée, quelques jours auparavant, et qu’il aura décidé de briller ce soir-là en faisant claquer des dents. Une telle possibilité est conforme à ce que fut cette bête de scène, gravement ignorante dans de nombreux domaines.

Reste cette question, à laquelle je suis incapable de répondre. Qui était, en 1979, à ce point clairvoyant ? Dans tous les cas, cela n’aura servi à rien. Ni à personne. Il est une autre leçon, qui concerne Lorius. Cet homme, sirotant un jour un whisky dans une base antarctique, et voyant éclater dans son verre les bulles d’air contenues dans un glaçon, a eu une illumination. Et si les glaces étaient de parfaites archives climatiques du passé le plus lointain ? Et si, en faisant de longs carottages des glaces de l’Antarctique, on retrouvait, piégées en profondeur, des bulles d’un air vieux de centaines de milliers d’années ? Je vous passe les détails, mais petite cause – le whisky -, grandes conséquences. Les carottages ont fini par révéler l’essentiel du drame climatique en cours. Et précipité l’alerte mondiale en 1988.

Or donc, Lorius, le grand sceptique de la télé, en 1979, est aussi celui – avec quelques autres tout de même – qui aura alerté l’humanité sur la réalité du réchauffement général. Cela fait réfléchir. L’un des plus grands glaciologues planétaires, il y a trente ans, nie pratiquement que l’Antarctique puisse fondre. Or il fond, en partie du moins.

Et Cousteau ? Eh bien, il se révèle ici un Allègre écologiste. Un homme qui abuse de son statut public pour tenir des propos de Café du Commerce qui ne reposent sur rien. Qu’on ne lui parle pas de C02 ! Qu’on lui parle plutôt de ces terribles scories ! Franchement, ce ton d’autorité pour énoncer de telles conneries…

Enfin, et j’en ai terminé, ce débat de basse qualité mais de grande intensité comique révèle surtout l’extrême confusion de l’esprit des humains. En y réfléchissant comme il faut, je crois que telle devrait en être la principale conclusion. Les hommes étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire ignorants, hâbleurs, arrogants, il ne faut surtout pas les doter d’outils qui dépassent leurs pauvres petites capacités. Il ne faudrait pas. Car c’est fait, vous le savez comme moi. On a confié le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du Cern à des clones de nos trois personnages de la télé. Et la bombe. Et les filets de 100 km de long. Et les nanotechnologies. Et les marchés financiers électroniques, etc. On a confié les clés de l’enfer à de simples couillons qui nous ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Bienvenue dans un monde meilleur.