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Huit principes et deux traductions (plus une prise de tête)

En quelques heures, j’ai reçu deux traductions des huit principes proposés dans l’article précédent, dont je dois rappeler qu’ils ne sont pas les miens, mais ceux qui accompagnent le Manifeste de Dark Mountain Project (voir supra). La première traduction ci-dessous est celle de Valérie; la seconde de Darken. À tous les deux, un vif remerciement. J’ajoute que Valérie s’inquiète de la tonalité de ces principes, y trouvant un son si péremptoire qu’elle en arrive à craindre la reproduction pure et simple de tragiques impasses du passé.

Bon, chacun pourra juger. Il est évident que je n’entends pas me prosterner devant ce texte, ni devant aucun autre. Son évident mérite, à mes yeux, est qu’il dessine une frontière. Et nous avons besoin d’une frontière. Non de guérites surmontées de mitrailleuses lourdes, mais de lieux vraiment différents à partir desquels chacun puisse voyager réellement. Il apparaîtra à certains que la remise en cause la place de l’homme sur la Terre n’est pas acceptable. À mes yeux, c’est pourtant une condition élémentaire du changement nécessaire.

La traduction proposée par Valérie

Eight principles of uncivilisation

‘We must unhumanise our views a little, and become confident
As the rock and ocean that we were made from.’

Les huit principes de la décivilisation

 

‘Nous devons être moins centrés sur l’humain, et laisser venir avec confiance.

Comme le rocher et l’océan dont nous sommes nés »

 

  1. We live in a time of social, economic and ecological unravelling. All around us are signs that our whole way of living is already passing into history. We will face this reality honestly and learn how to live with it.

Nous vivons un temps de délitement social, économique et écologique. Autour de nous se lit l’évidence : notre mode de vie est dès à présent en train de devenir obsolète. Nous affronterons sans détours cette évidence, et apprendrons à vivre avec.

  1. We reject the faith which holds that the converging crises of our times can be reduced to a set of ‘problems’ in need of technological or political ‘solutions’.

Nous rejetons la croyance selon laquelle toutes les crises convergentes de notre temps sont réductibles à une série de « problèmes » dont il s’agirait simplement de trouver les « solutions » politiques ou technologiques.

  1. We believe that the roots of these crises lie in the stories we have been telling ourselves. We intend to challenge the stories which underpin our civilisation: the myth of progress, the myth of human centrality, and the myth of our separation from ‘nature’. These myths are more dangerous for the fact that we have forgotten they are myths.

Nous pensons que ces crises prennent racine dans les récits dont nous n’avons cessé de nous bercer. Nous voulons remettre en question ces récits, sur lesquels repose notre civilisation actuelle : le mythe du progrès, celui de la place centrale de l’humain, et celui de notre séparation d’avec  la « nature ». Ces mythes sont d’autant plus dangereux que nous avons oublié qu’ils sont des mythes.

  1. We will reassert the role of storytelling as more than mere entertainment. It is through stories that we weave reality.

Nous chercherons à rendre à la fiction son rôle, qui va bien au-delà du simple divertissement. C’est à travers les récits et la fiction que nous appréhendons la réalité.

  1. Humans are not the point and purpose of the planet. Our art will begin with the attempt to step outside the human bubble. By careful attention, we will reengage with the non-human world.

Les êtres humains ne sont pas la raison d’être de la planète. L’art, tel que nous le concevons, s’efforcera de s’extraire de la bulle humaine. C’est en devenant attentifs et attentionnés à son égard que nous renouerons avec le monde non-humain.

  1. We will celebrate writing and art which is grounded in a sense of place and of time. Our literature has been dominated for too long by those who inhabit the cosmopolitan citadels.

Nos faveurs iront à la littérature et aux arts qui s’enracinent dans l’espace et le temps. Il y a trop longtemps que notre littérature est dominée par ceux qui habitent les citadelles urbaines globalisées.

  1. We will not lose ourselves in the elaboration of theories or ideologies. Our words will be elemental. We write with dirt under our fingernails.

Nous ne perdrons pas notre temps et nous-mêmes dans l’élaboration de théories et d’idéologies. Nos mots seront à l’état brut. Nous écrivons avec de la terre sous les ongles.

  1. The end of the world as we know it is not the end of the world full stop. Together, we will find the hope beyond hope, the paths which lead to the unknown world ahead of us.

La fin du monde tel que nous le connaissons n’est pas la fin du monde. Ensemble, nous trouverons l’espoir qui vient après l’espoir, les chemins qui mènent au monde encore inconnu qui nous attend.

La traduction proposée par Darken

1) Nous vivons une époque de décomposition sociale, économique et écologique. Autour de nous, des indices nous montrent que notre mode de vie tout entier bascule déjà dans l’Histoire. Nous ferons face à cette réalité avec honnêteté et nous apprendrons à vivre avec.

2) Nous rejetons cette foi selon laquelle les crises convergentes peuvent être réduites à une série de “problèmes” qui attendent chacun des “solutions” techniciennes ou politiques.

3) Nous croyons que les racines de ces crises reposent dans des récits que nous nous sommes contés à nous-mêmes. Nous avons l’intention de défier ces mythes qui sous-tendent notre civilisation : le mythe du progrès, le mythe de la centralité humaine, le mythe qui nous sépare de “la nature”. Ce mythes sont dangereux car nous avons oublié que ce sont des mythes.

4) Nous réaffirmons que le rôle de ces récits va au-delà du simple divertissement. C’est à travers ces mythes que nous percevons la réalité.

5) Les humains ne sont pas l’alpha et l’oméga de cette planète. Notre art débutera par la tentative de se tenir au-dehors de la bulle humaine. Par une attention renouvelée, nous relierons le monde non-humain.

6) Nous célébrerons l’écriture et l’art qui se fondent sur un sentiment d’appartenance spatial et temporel. Notre littérature a été trop longtemps dominée par ceux qui habitent des tours d’ivoire cosmopolites.

7) Nous ne nous perdrons pas dans l’élaboration de théories et d’idéologies. Nos mots seront basiques. Nous écrirons les ongles noircis.

8) La fin du monde tel que nous le connaissons n’est pas la fin du monde. Ensemble, nous trouverons l’espoir au-delà de l’espoir, ces chemins qui nous mènent vers ce monde inconnu qui nous attend.

À bas la franchouillardise (et vive la culture) !

Je ne suis pas amer, ne croyez surtout pas. J’aime trop la vie pour cela. Mais je vois comme beaucoup que mon point de vue – partagé par quelques-uns – n’a pas l’ombre d’une chance à court terme. C’est ainsi. Il suffit, mais ce n’est qu’un détail, au fond, de voir à quel point la France est désespérément franchouillarde. Et les Français, pardi ! La campagne électorale aura montré que, pour l’essentiel, on se passionne pour des niaiseries bien de chez nous, d’un bord à l’autre du champ politique officiel.

À peine si l’on évoque l’Europe. Quant au monde, quant à la crise écologique planétaire, nul n’en parle. S’il vous plaît, chers Grands Mélenchonistes Distingués, inutile de me faire valoir quelque extrait de tel ou tel discours. Si cela gardait un sens – hélas, non -, il me semble que vous, et tous autres d’ailleurs, devriez être morts de honte d’avoir encore laissé passer une occasion de parler de ce qui se passe réellement sur Terre. Car – faut-il y insister ? -, pas un mot sur le milliard d’affamés chroniques, pas un mot sur les dizaines de millions de réfugiés climatiques déjà recensés, qui seront des centaines sous peu, pas un mot, mais cela je l’ai déjà dit, sur l’affaissement déjà engagé des principaux écosystèmes de la planète.

En bref, et je l’écris sans élever le ton, cette campagne électorale aura été une merde. Et je plains en les maudissant ceux qui y auront participé. Depuis beau temps, je sais que la politique ne saurait évoluer vraiment sans que la culture profonde ait préalablement changé la donne. Dans mon jeune temps, j’appréciais une formule du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci, qui fut ensuite tant galvaudée. Dans ses Quaderni dal carcere – Cahiers de prison , le taulard Gramsci parle de cette fameuse « hégémonie culturelle ». Je le cite, en italien, pour le seul plaisir d’écrire un peu cette langue : « La supremazia di un gruppo sociale si manifesta in due modi, come dominio e come direzione intellettuale e morale. Un gruppo sociale è dominante dei gruppi avversari che tende a liquidare o a sottomettere anche con la forza armata, ed è dirigente dei gruppi affini e alleati. Un gruppo sociale può e anzi deve essere dirigente già prima di conquistare il potere governativo (è questa una delle condizioni principali per la stessa conquista del potere); dopo, quando esercita il potere ed anche se lo tiene fortemente in pugno, diventa dominante ma deve continuare ad essere anche dirigente ».

Bon, je ne traduis pas mot à mot. Gramsci distingue, au sein d’une société humaine, la domination, qui permet à une classe sociale d’user de la force armée sur tout autre, et la direction intellectuelle et morale de cette même société. On peut conquérir le pouvoir par la domination, mais on ne peut le conserver que par sa direction. Autrement dit, en exerçant une hégémonie culturelle qui impose sans violence à l’ensemble de la société des valeurs, un imaginaire, une manière de penser la vie ensemble.

Je ne lis plus Gramsci depuis des lustres, mais j’ai pensé à lui pour une évidente raison. L’écologie telle que je la pense reste fort éloignée d’avoir imposé une vision générale de ce qui compte vraiment. La campagne qui s’achève montre amplement que l’imaginaire dominant, écrasant, est celui de la publicité et de la possession de biens matériels. Sans d’immenses batailles culturelles, suivies de victoires, jamais l’écologie ne pourra espérer changer le cours des événements. Est-ce possible ? Je ne sais pas. Je veux le croire.

Et je vois que je ne suis pas le seul à me poser la question, heureusement ! Je vous renvoie à un site britannique fort intéressant, qui s’appelle Dark Mountain Project. Au passage, je signale que l’écrivain anglais Paul Kingsnorth, cofondateur de ce projet, donne un entretien au dernier numéro de la revue L’Écologiste, qui s’appelle : « Quelle insurrection culturelle pour voir le monde autrement ? ». J’en extrais ceci : « En tant que mouvement créatif, il n’est pas de notre ressort de proposer des plans tout faits. Les musiciens proposent-ils des solutions ? Les romans ont-ils des plans ? Notre objectif n’est pas d’apporter des réponses sur un plateau et nous n’avons pas de solutions politiques ou technologiques aux problèmes que nous soulevons. L’idée que nous pouvons trouver une solution à tout problème est une idée progressiste, elle fait partie du récit de notre civilisation, que nous remettons en question. Notre but n’est pas de sauver le monde, mais de créer une insurrection culturelle qui nous aidera à voir le monde autrement ».

Revenons-en au site lui-même (c’est ici). Un manifeste a été écrit, mais sincèrement, je n’ai pas le temps – ni le courage – de le traduire. Si quelqu’un veut s’en charger, je m’engage, moi, à le publier ici en français. Je me contente de vous livrer ci-dessous les huit principes de base retenus par ce Manifeste.

The eight principles of uncivilisation

‘We must unhumanise our views a little, and become confident
As the rock and ocean that we were made from.’

  1. We live in a time of social, economic and ecological unravelling. All around us are signs that our whole way of living is already passing into history. We will face this reality honestly and learn how to live with it.
  2. We reject the faith which holds that the converging crises of our times can be reduced to a set of ‘problems’ in need of technological or political ‘solutions’.
  3. We believe that the roots of these crises lie in the stories we have been telling ourselves. We intend to challenge the stories which underpin our civilisation: the myth of progress, the myth of human centrality, and the myth of our separation from ‘nature’. These myths are more dangerous for the fact that we have forgotten they are myths.
  4. We will reassert the role of storytelling as more than mere entertainment. It is through stories that we weave reality.
  5. Humans are not the point and purpose of the planet. Our art will begin with the attempt to step outside the human bubble. By careful attention, we will reengage with the non-human world.
  6. We will celebrate writing and art which is grounded in a sense of place and of time. Our literature has been dominated for too long by those who inhabit the cosmopolitan citadels.
  7. We will not lose ourselves in the elaboration of theories or ideologies. Our words will be elemental. We write with dirt under our fingernails.
  8. The end of the world as we know it is not the end of the world full stop. Together, we will find the hope beyond hope, the paths which lead to the unknown world ahead of us.

Je vous prie à nouveau de m’excuser, mais je n’ai réellement pas le temps de traduire ces huit principes. Si je devais n’en retenir qu’un seul, ce serait le troisième, qui suggère de combattre enfin les « récits » qui fondent notre civilisation. Trois mythes, d’autant plus dangereux que nous avons oublié ce qu’ils sont, dirigent nos pas. Le mythe du progrès; celui de l’importance centrale de l’homme; celui de notre séparation d’avec la nature.

Encore une chose : Dark Mountain Project organise du 17 au 19 août prochain un festival : renseignements ici. Il vaut au moins la peine de se tenir au courant.

S’il va à Rio (le cas Schmidheiny) DEUXIÈME PARTIE

C’est une suite de l’article précédent, qui prend la forme d’une pétition mondiale, adressée au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. Je vous conseille donc de commencer par le premier texte, qui explique en détail. Je ne raffole pas des pétitions, mais celle-là a un sens très particulier. Lancée et soutenue par des structures du monde entier, qui luttent pour l’interdiction de l’amiante, elle me va droit au cœur. Eh oui, l’interdiction de l’amiante n’est pas mondiale, de loin ! Comme les industriels du tabac, ceux de l’amiante font de la résistance, et disposent d’outils de lobbying considérables.

Bref, cette pétition (ici) réclame le strict minimum : que cette crapule de Schmidheiny soit déclarée persona non grata à Rio, en juin prochain. Moi, je signerais bien volontiers pour des mesures infiniment plus radicales, mais chaque chose en son temps. Peut-être. Voici le texte :

APPEL SOLENNEL AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, BAN KI-MOON

signez ici

Nous, signataires du présent appel, prions instamment les Nations unies, les autorités internationales, les chefs d’Etats et de gouvernements, et la présidente du Brésil, Dilma Roussef, de déclarer Mr. Stephan Schmidheiny “persona non grata” lors du Sommet de la Terre  RIO+20, qui aura lieu du  20 au 22 Juin, à Rio de Janeiro, Brésil. Criminel  condamné  pour avoir causé un désastre environemental, Mr. Schmidheiny n’a pas le droit de participer  à cette importante réunion  qui va traiter de la planification et de la protection du futur de notre planète Terre.

Mr. Schmidheiny est en même temps le fondateur et président honoraire  du Conseil des Affaires pour le Développement Durable (World Business Council for Sustainable Development – WBCSD) et l’ancien propriétaire du groupe multinational Eternit, producteur de ciment-amiante, et également le fondateur “philanthrope” de la Fondation Avina, qui soutient des actions sociales et environnementales en Amérique Latine.

Le 13 Février 2012  à Turin, en Italie, Mr. Schmidheiny a été condamné à 16 années de prison  pour avoir causé “un désastre  environnemental intentionnel permanent” et omis intentionnellement « d’installer des réglements de sureté et de santé (mesures préventives)” qui auraient  protégé ses employés et la population en général  des risques mortels de l’exposition à l´amiante, reconnus de longue date. L’ amiante est un minéral cancérigène, qui cause la mort de plus de 107 000 personnes par an, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Compte-tenu de la sentence décrétée en Italie, et des dommages pour l´environnement dont Mr. Schmidheiny a été directement le responsable, nous prions instamment les Nations unies et la présidente du Brésil, Dilma Roussef, de déclarer Mr. Stephan Schmidheiny “persona non grata”  et de lui interdire de participer  à la Conférence  Rio+20.

Pour plus d´informations  et pour obtenir cette pétition traduite en d´autres langues veuillez vous connecter à l´adresse suivante:  http://bit.ly/IDB2Lb

S’il va à Rio (le cas Schmidheiny) PREMIÈRE PARTIE

Insupportable est un bien faible mot. Stephan Schmidheiny est l’héritier d’une famille suisse, parmi les plus riches. La transnationale Eternit était dans les souliers du Père Noël. Née en 1901, cette dernière fera fortune, immense fortune grâce à l’amiante (ici). 1901, c’est très proche de 1906, date à laquelle l’inspecteur du travail Denis Auribault écrit une note admirable (ici) sur la dangerosité de l’amiante. À Condé-sur-Noireau (Calvados), dans ce qui deviendrait bien plus tard, et pour cause, la Vallée de la mort, il a constaté une véritable décimation chez les travailleurs d’une usine de tissage de l’amiante. Seul, en notant, en comparant, en examinant, il a tout compris.

Eternit a compris autre chose. Le « magic mineral », comme on nommera longtemps le poison, est idéal pour le profit. L’entreprise prospère, les années puis les décennies passent. Stephan, né en 1947, finit par prendre les rênes. Et l’argent continue de remplir les caisses de la dynastie. Je passe, car je pourrais continuer ainsi encore des pages et des pages. En Italie, grâce à l’existence d’un procureur d’exception, Raffaele Guariniello, la justice a attrapé au colback les dirigeants d’Eternit-Italie. Deux, en fait, dont Stephan Schmidheiny. La bagatelle de 3 000 prolos italiens – la liste ne sera jamais complète – sont assurément morts d’avoir respiré l’amiante des Schmidheiny. Le procès de Turin, commencé en 2009, s’est achevé le 13 février 2012. Et Stephan a pris seize années de prison, comme un simple criminel. Comme le pur et simple criminel qu’il est.

Vous pensez bien qu’il n’est pas venu recevoir son prix. En près de trois ans de procès, il n’a jamais pointé le nez en Italie, à fortiori à Turin. Il faut dire que Schmidheiny a refait sa vie d’une admirable façon, loin des yeux, loin des morts, en Amérique latine. Depuis une vingtaine d’années, l’homme a décidé d’être une sorte de philanthrope écolo, créant fondations et pseudo ONG, sans jamais oublier, car on ne se refait pas, le business. J’ai beaucoup écrit sur le sujet, et mon ami Patrick Herman a consacré un portrait au monsieur dans la revue XXI. Mais je dois constater que nos efforts n’ont jamais convaincu le moindre journal important de s’intéresser à cette vaste opération de chirurgie esthétique (lire notamment ici).

La chose paraîtra incroyable aux Bisounours de l’écologie officielle, mais Schmidheiny a été le bras droit de Maurice Strong dans l’organisation du premier Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Sous l’auguste couvert des Nations unies, deux hommes de l’industrie transnationale – Strong a passé la moitié de sa vie au service des industries pétrolière et nucléaire – ont préparé ce funeste Sommet où tout le monde s’est embrassé à la manière de Folleville, dans le vaudeville de Labiche. Les ONG, abruties par le spectacle de leur propre image, ont bradé tout esprit de résistance à la destruction, tandis que les ennemis de la Terre triomphaient. Au fait, puisqu’il y a des Amis de la Terre, pourquoi ne désignerait-on pas ses Ennemis ?

Bref. Une pantomime. Et un pandémonium. Schmidheiny ne s’est pas arrêté là, ce qui aurait été dommage. Constatant que tout est possible – et comment lui donner tort ? -, il crée dans la foulée de Rio-92 le fantastique Conseil mondial des affaires pour le développement durable. En anglais, seule langue dans laquelle il est connu, le World Business Council for Sustainable Development, ou WBCSD. Ce WBCSD (ici) est une entreprise planétaire de désinformation, de storytelling (ici), et compte parmi ses membres le pire de l’industrie. L’agrobusiness – Syngenta, Bayer, BASF -, le nucléaire – Areva -, le pétrole – Shell -, le militaire – Dassault systèmes -, l’agroalimentaire, Coca-Cola soi-même. La liste complète compte 190 entreprises.

Schmidheiny, le criminel de Turin, s’est depuis placé dans l’ombre. On le comprend, il n’est plus présentable. Créateur je l’ai dit du machin, il n’en est plus que président honoraire. Mais la manœuvre continue de plus belle. En juin prochain aura lieu à Rio un nouveau Sommet de la Terre, 20 ans après le premier. Les Nations unies ont été contraintes, les pauvrettes, de renoncer cette fois à Maurice Strong, car il commence – il est né en 1929 – à se faire vieux. L’organisateur officiel, comme j’ai eu le loisir de le dénoncer dans un silence assourdissant, n’est autre que Brice Lalonde. Cet ancien écologiste de salon après 1968, ci-devant membre du PSU, est désormais un ultralibéral ami de l’ancien ministre Alain Madelin.

Comme cela tombe bien ! Si vous avez l’occasion d’aller sur le site officiel de Rio 2012 (ici), vous ne manquerez pas de tomber sur un « coordinateur officiel » du Sommet, appelé Business Action for Sustainable Development (BASD). Le suspense est-il soutenable, lui aussi ? Allez, inutile de le faire durer. Derrière ce BASD se cache bel et bien le WBCSD. Donc Schmidheiny. Les Nations unies et Brice Lalonde font affaire avec un homme condamné à seize années de prison pour la mort de 3 000 ouvriers italiens.

Il y a une suite, sous la forme d’un Appel à l’action, qui apparaîtra sous peu, chers amis lecteurs, sur Planète sans visa. Réservez vos places !

PS auquel je ne résiste pas : pourquoi diable les écologistes officiels, dont Europe-Écologie-Les Verts, ne s’emparent-ils pas de cette stupéfiante affaire ? Elle est connue, essentiellement par moi il est vrai. J’ai écrit et alerté différentes personnes, dont je ne cite pas le nom, de peur de les gêner dans d’éventuels efforts auxquels je ne crois plus guère. Qu’attentent Qu’attendent [Merci à Marc] donc les Verts ? Et Greenpeace ? Et Hulot ? Et les autres ? Quant au Parti de Gauche de mes chers amis mélenchonistes, tiens, ils ne foutent rien non plus.

Ce déshonneur si général (à propos de deux sondages)

Je ne reviens pas sur Mélenchon. Si je dis ça pour commencer, c’est pour ne pas décourager tout à fait les mélenchonistes qui viennent jeter un œil sur Planète sans visa. Je ne parle pas de lui, mais de tous. Et sous l’angle que je vais préciser, tous se valent certainement. Or donc, cette funeste campagne électorale. Rien d’important n’y aura été dit. Les années passent, les élections défilent, les pathétiques associations  « écologistes » officielles – celles du Grenelle de l’Environnement – poursuivent leurs filandreuses manœuvres, les tenants de « l’écologie politique » se ridiculisent et nous offensent, la crise écologique s’apprête à engloutir un monde inerte, indifférent, lâche, stérile.

Je ne sais, et personne d’ailleurs ne sait, ce qui nous attend. Tout ne ne s’écroulera pas de sitôt, ni d’un bloc. L’ingéniosité technologique des humains est telle que les plus puissants – nous – gagneront sans doute quelques années, et peut-être même des décennies. À notre échelle dérisoire, cela peut suffire à tous les corniauds de notre connaissance. À celle des équilibres écosystémiques, on peut au moins être convaincu que le coup est parti. Aucune force ne peut plus empêcher le dérèglement climatique, la folle désorganisation des océans et de leur vie jadis si extraordinaire, l’amenuisement délirant des forêts tropicales, la disparition de milliers, de dizaines de milliers, de centaines de milliers d’espèces pour la plupart inconnues.

Rien n’y fera plus. La voie qui nous reste consiste à faire face, à restaurer sur le plan écologique ce qui peut l’être, à unir les hommes les plus valeureux autour d’un programme essentiel, respectueux de la vie et des êtres. Au risque de surprendre mes lecteurs les plus distraits, je suis en effet pour l’union. Une union très large, même, qui se moquerait des oppositions contingentes d’aujourd’hui. Mais la condition en est drastique, car je parle là d’un rassemblement de tous ceux qui se déclarent conscients du basculement en cours.

Et ce basculement n’a évidemment rien à voir avec les picrocholines querelles dont nos candidats – je me répète : tous nos candidats – font leurs délices quotidiens. Tenez, je viens de découvrir deux sondages. Oui, je sais ce que cela vaut, ne me cherchez pas sur ce terrain. Il demeure qu’ils peuvent nous servir à réfléchir à ce qui se passe derrière le rideau de cette si vieille scène publique. Le premier a été commandé par le quotidien La Croix, où je tiens par ailleurs chronique toutes les six semaines depuis 2003. Que dit cet étonnant sondage ? Que 82 % des Français ont une image négative de la mondialisation (ici). Et que près des trois quarts seraient en faveur de mesures protectionnistes. L’autre sondage, commandé par la Fondation de Nicolas Hulot, assure que 84 % des Français sont inquiets de la crise écologique. Et que 55 % mettent sur le même plan cette crise et cette autre pourtant omniprésente dans les médias qu’on appelle économique (ici).

Eh bien ? D’abord, pas de niaiseries : je sais que les craintes par rapport à la mondialisation – cet immense désordre planétaire, de toute façon condamné – concernent avant tout la situation française. On ne veut pas de la concurrence chinoise, mais on serait probablement ravi de pouvoir fourguer à Pékin nos turbines, nos trains et nos centrales nucléaires. N’empêche. Visiblement, une grande partie de notre peuple ne croit pas une seconde à ces invraisemblables conneries répétées ad nauseam depuis trente ans par la coterie autodésignée sous le nom de « cercle de la raison » (ici). Une pique concernant Martine Aubry, que tant d’écologistes officiels auraient voulu à la place de François Hollande. La dame – je précise que je ne vois aucune différence entre elle et tout autre de son clan – demeure, en ce printemps 2012, une grande amie du sarkozyste Alain Minc, inventeur de l’expression « cercle de la raison ». Je ferme le ban.

Je le ferme et j’en viens au second sondage. À nouveau, il ne saurait être question de le prendre au pied de la lettre. Je serais stupéfait de découvrir que la crise écologique – la vraie, celle dont je ne cesse de parler ici – ait des contours clairs et véridiques dans la tête du peuple français. De nouveau, n’empêche. Aussi floue qu’elle soit, cette crise évidente inquiète beaucoup. Et une majorité, apparemment, souhaite qu’on consacre autant d’énergie à la contenir qu’à scruter le sort de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal.

C’est simplement extraordinaire. Le peuple est disponible. Le peuple serait disponible pour un discours sincère sur l’état du monde. Qui dise quelques vérités, qui appelle au sursaut, qui indique le chemin à prendre et les sacrifices – inévitables – à consentir pour vivre dans un monde plus sûr. Et capable d’accueillir encore nos enfants et nos petits-enfants. Mais les politiciens que nous avons acceptés sur scène, ceux que nous tolérons avec tant d’insouciance, ces politiciens s’en contrefoutent. Désolé, M.Mélenchon comme tous autres. Ils forment une caste aussi ignorante du réel que l’était la camarilla des chefs militaires français de 1935. Ceux-là même qui nous menèrent au grand désastre de mai-juin 1940, sur fond de ligne Maginot.

La politique, quand elle est une œuvre d’art – autant dire que ce n’est presque jamais le cas -, est une pédagogie. Elle élève, elle éduque, elle rend meilleure une société, elle en fait une vaste intelligence collective, capable alors de prodiges. Nos politiciens sont des ânes bâtés, qui n’ont jamais lu un livre sérieux sur ces événements cruciaux qui déferlent comme autant de tsunamis. Et puis, quelle franchouillardise ! C’est à pleurer. Où est l’Europe pour commencer ? Où est le monde ? Où sont les animaux nos frères ? Où est l’océan dont nous venons pourtant ? Où sont l’air et le vent ? Où est l’eau ?

Je vous demande à l’avance de me pardonner, mais tant de désolante connerie m’accable vraiment. Cette campagne électorale dérisoire, affreuse et dérisoire, me fait songer au nuage de Tchernobyl, que nos douaniers avaient si vaillamment arrêté à nos frontières, de leurs petits bras bleu-blanc-rouge. Oui, je pense à cela. Le débat prétend d’évidence, sans l’avouer jamais, que nos problèmes pourraient être pensés, et peut-être résolus, dans le cadre de notre défunte nation. Je n’insiste pas sur qui vous savez, qui proclame la patrie dans 9 discours sur 10. Oui, je veux bien parler de l’homme de la fumeuse et fumiste « planification écologique ».

J’ai déjà eu l’occasion de parler de cette scène d’anthologie, qui date de la Toussaint 1938. Daladier, ce si pénible garçon, est allé se déculotter à Munich devant Hitler. Il a notamment abandonné la Tchécoslovaquie aux appétits fascistes. Quand il revient, son avion survole la piste du Bourget, et notre grand homme devine une foule immense qui l’attend. Il croit qu’on veut le lyncher pour sa lâcheté. Il est acclamé, car les manifestants présents croient, veulent croire, font croire que Daladier aurait sauvé la paix de l’Europe.

Commentaire de Churchill : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ». Ceux qui jouent le jeu de cette élection sans honneur sont les Munichois de 2012. Cela pourrait bien ne pas me rendre très populaire auprès de tant d’entre vous. Mais j’ai décidé il y a longtemps de dire ce que je pense. Et j’essaie.