Le temps passe si vite que l’on a oublié l’hiver. Il y a une dizaine de jours, la France claquait des dents et battait des records de consommation électrique chaque soir ou presque. On attendait de vastes coupures dans les régions les plus fragiles, comme Paca ou la Bretagne. Moi, j’en ai profité pour écrire deux papiers dans Charlie-Hebdo la semaine passée, que je vous mets ci-dessous, en complément des billets précédents de Planète sans visa. Hum, on nous aurait donc mené en bateau ? Pas possible. Pas possible, n’est-ce pas ?
Les papiers de Charlie :
Notre France va-t-elle connaître un krach électrique ? À l’heure où Charlie boucle, ce n’est pas encore gagné. Mais avec un peu de chance, un vaste black-out peut bloquer d’un clic des milliers d’ascenseurs et des millions de rasoirs électriques. Merci qui ? EDF, qui promet la lumière aux benêts depuis l’après-guerre. Merci quoi ? Le chauffage électrique.
Comme c’est bien organisé ! En 1971, EDF invente le chauffage électrique. Pile poil au bon moment, car à la fin de 1973, profitant de la maladie du Pompidou et du quadruplement du prix du pétrole, les ingénieurs des Mines et leurs complices du gouvernement lancent la construction de nombreuses centrales nucléaires. Seulement, soyons pas cons, il faut penser à la suite. Produire de l’électricité, c’est bien, mais la vendre, c’est mieux. Citation de Marcel Boiteux (1), alors directeur général d’EDF, en 1973 : « Tout client nouveau qui opte pour le chauffage électrique nous amène à augmenter d’autant notre programme nucléaire ».
Boiteux, t’es chic comme tout. Le chauffage électrique a donc servi de cheval de Troie pour imposer le nucléaire à une société qui n’en voulait pas. Dans la foulée, des armées de margoulins se lancent à l’assaut. Pour les fabricants de convecteurs, les installateurs, les bureaux d’études pour logements neufs, les vendeurs de laine de verre et de placoplâtre, c’est Noël tous les matins. Une industrie de l’arnaque se met en place.
Comme on peut s’en douter, personne ne vérifie rien. Le chauffage électrique ne peut chauffer que des pièces bien isolées. Or tel n’est pas le cas des millions de logements, souvent sociaux, qui vont être royalement équipés au fil des décennies. Selon EDF même, dans sa communication interne, 50 % des logements chauffés ne respectent pas, en 1999, la réglementation d’isolation de 1977. Et les deux tiers celle de 1982. Un triomphe (2). Les proprios installent deux merdouilles avec résistance électrique, et laissent le locataire se démerder avec les factures. Les promoteurs de maisons neuves préfèrent installer quelques appareils plutôt que de payer un chauffage central, bien plus cher au départ. Les sociétés HLM, qui n’ont rien à refuser à EDF et à l’État, balancent du tout électrique dans des immeubles en carton-pâte et obligent ainsi les prolos à jongler avec l’addition.
Un exemple parmi 500 000 autres : la cité des Grands Pêchers, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). En 1997, Bertrand et Nils Tavernier viennent y tourner « De l’autre côté du périph’ », et réveillent une putain de colère. L’hiver, les gueux grelottent et sortent jusqu’à un demi-smic pour payer une électricité qui se barre par les fenêtres et les portes. Les responsables HLM dénoncent l’attitude d’EDF, soutenue au plus haut niveau de l’État (3).
Face aux gueulantes, EDF sort une arme de destruction massive nommée publicité : la propagande Vivrélec déferle à partir de 1996 sur la France. Cela donne, dans le texte : « Vous voulez faire construire ou acheter un logement neuf, et vous réfléchissez à son mode de chauffage. Aujourd’hui, avec les nouveaux appareils, le chauffage électrique vous offre de nombreuses possibilités pour un très grand confort ». Ou bien : « Pratique et esthétique, le radiateur sèche-serviettes ». Ou encore : « Satisfaction sur toute la ligne », ce qui est, précisons-le, un jeu de mots.
Le chauffage électrique repart du bon pied. Selon les derniers chiffres officiels connus, 31 % des logements individuels et collectifs sont chauffés à l’électricité, et surtout, 80 % des logements neufs, en 2009 étaient livrés avec. Voici venue l’heure de la leçon de choses. En France, 80 % de l’électricité est nucléaire. Notons ensemble l’intelligence de ce mode de production. Un, faire garder par des hommes en armes des mines d’uranium, au Niger par exemple. Deux, enrichir le minerai et larguer les déchets où c’est possible, loin des yeux. Trois, bâtir 58 réacteurs nucléaires, en priant le bon dieu des atomes qu’aucun n’explosera jamais. Quatre, aligner de vastes réseaux de lignes à très haute et à haute tension, si bonnes pour la santé des riverains.
Compter 100 000 Km en tout. Enfin, servir bien chaud à domicile ce qui reste dans la hotte du père Noël. Comme vous le saurez en lisant l’encadré que Charlie a caché ailleurs sur cette page, il ne reste pas bézef. Est-ce au moins bon pour le climat, comme le jure EDF sur la tête de sa mère ? Benjamin Dessus, l’un des meilleurs connaisseurs du dossier électricité, rappelle que « l’Ademe et RTE (Réseau de Transport d’Électricité) ont montré que tout kWh électrique supplémentaire consacré au chauffage d’ici 2020 contiendrait 500 grammes de CO2, contre 300 pour le fioul et 200 pour le gaz ». C’est technique, très. Mais l’Ademe et RTE sont des autorités officielles. Le chauffage électrique est bien une merde.
(1) Le Point, le 30 juillet 1973
(2) In Sujets ou citoyens, par Marc Jedlizcka et Didier Lenoir (Cler)
(3) Libération, 6 décembre 1997
(4) www.terraeco.net/La-France-du-tout-electrique-est,7051.html
Un deuxième papier
Le plus con de tous les chauffages du monde
Tout le monde le sait : la France ne cesse de battre ses records historiques de consommation d’électricité. Plus de 100 000 mégawatts (MW) chaque soir, à l’heure où s’allume le chauffage électrique. Autour de 19 heures, il faut mobiliser une puissance électrique colossale. Sauf qu’on ne l’a pas en magasin : il faut en acheter 7 à 8 % à l’étranger, surtout en Allemagne. Bien souvent en provenance du charbon.
Le nucléaire qui devait nous sauver de la bougie est un bon connard de l’énergie, qui produit sans lever la tête de son établi. Comme on ne sait pas stocker l’électricité, il faut la vendre quand elle sort du tuyau. À prix cassé tout au long de l’année. Mais quand l’hiver arrive, changement de programme. Le chauffage électrique est si foldingue qu’EDF n’arrive plus à suivre.
Il y a encore plus distrayant. L’électricité nucléaire – 80 % de celle made in France – est une gagneuse. Entre l’uranium que l’on extrait de la mine et celui, enrichi, qu’on enfourne dans les centrales, on perd 14 % de l’énergie de départ. Rien qu’un début, car la conversion de la chaleur en électricité n’est que de 33 %. Tout le reste, soit 67 %, disparaît dans les systèmes de refroidissement des centrales. Fini ? Pas encore. Les pertes en ligne, le long des pylônes, ou autour des convecteurs à domicile, parachèvent le miracle. Au total, l’énergie utile n’est que de 25 % de celle de départ.
Quand tu chauffes à l’électricité nucléaire, tu perds les trois quarts en route. Question efficacité, nos bons amis de la nucléocratie ont réinventé la cheminée sans insert. Retour au Moyen Âge, avec une bougie dans le cul.