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Et si le nucléaire était sur le déclin ? (un article de Charlie)

Vous allez me dire : c’est de la pub. D’un certain côté, c’est un flag’, car je vous mets ci-dessous un article que j’ai signé dans le dernier Charlie-Hebdo. Et de l’autre, ben non, car cet article ne sera plus lisible demain dans Charlie, vu que ce sera un autre numéro. Avec un nouvel article de moi ? Certes. Et du coup, c’est bien de la pub ? Eh merde, je suis coincé.

L’heure est grave, car on va parler d’une foutaise colossale. C’est assez simple : le nucléaire l’a dans le cul. Qui le dit ? Une petite bande emmenée par l’un des types les plus épatants de la place, et que personne ne connaît bien sûr. Benjamin Dessus, né en 1939, obtient à l’âge de 24 ans un diplôme d’ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications. On s’en fout, c’est exact. Mais attendez la suite. En 1976 – Reiser, réveille-toi ! – il est de l’aventure de la première centrale solaire française, Thémis. En 1978, il participe aux travaux du groupe Bellevue, qui déboucheront sur une « Esquisse d’un régime à long terme tout solaire », qui nous débarrasserait à l’horizon 2050 du nucléaire et des énergies fossiles. En 1982, les socialos ayant remporté l’élection présidentielle de 1981, il est directeur technique de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME, devenue depuis Ademe). Et l’on arrête là, car Dessus n’a jamais cessé de penser une énergie au service des hommes, sans nucléaire.

Bien qu’il n’abuse pas d’une réputation impeccable, jusque chez les plus grands ingénieurs d’État, Dessus continue d’emmerder le monde. Surtout les amoureux transis de l’atome.  Il préside une association d’intérêt public, Global Chance (1). Laquelle vient de publier un Cahier (15 euros) renversant de bout en bout : Nucléaire, le déclin de l’empire français. On y apprend ce que personne n’écrit jamais dans la presse, ce qui fait un gentil électrochoc.

Premier point décisif : le nucléaire mondial va très mal. Après un apogée de 444 réacteurs dans le monde – 58 dans notre seule petite France à nous – en 2002, on est redescendu à 433 en août 2009. Dans un pays comme les États-Unis, aucun réacteur commandé après 1979 n’a été achevé. La part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité – attention ! pas de l’énergie – est passée de 18 % dans les années 90 du siècle passé à 13,6 % en 2009, en baisse pour la quatrième année consécutive.

Ajoutons à l’attention de nos ingénieurs français candidats au kidnapping que trouver de l’uranium devient un sport de combat. On l’a vu au Niger, où les locaux relèvent la tête, mais ça chauffe aussi en Finlande et au Nunavut (Canada), où nos explorateurs se heurtent aux ennemis du progrès. En bref, ça craint pour les nucléocrates d’Areva, qui ont un besoin vital de faire croire que tout baigne, et dans l’immédiat de fourguer leurs centrales EPR, dites de troisième génération, et présentées comme au top de la sécurité. C’est pas gagné, les amis. Les deux chantiers EPR de la planète, qui devaient servir de vitrine pour les acheteurs étrangers, sont en rade. En Finlande, le boulot a pris quatre ans de retard et devrait coûter, au bas mot, six milliards d’euros au lieu de trois. Idem à Flamanville, en Normandie, avec trois ans de retard sur les prévisions et une note passée de trois à cinq milliards. Abu Dhabi et la Chine devront faire des ronds dans l’eau en attendant qu’on ait tout réglé.

Et n’oublions pas Sarkozy. Mais la vraie dinguerie, ce n’est pas lui, quoique. En visite à la centrale nucléaire de Gravelines, notre chef inspiré a déclaré : « Faire confiance au nucléaire, c’est continuer à investir dans le nucléaire. Ce n’est pas le moratoire. Le moratoire, c’est le choix du passé et du Moyen-Âge (…) À cause d’un tsunami au Japon, il faudrait remettre en cause ce qui fait la force de la France ? ». Non, la dinguerie n’est pas là, mais du côté du Giec, ce machin mondial qui travaille sur la crise climatique.

Alors que ce nucléaire qui fout les chocottes ne produit que 3 % – 3 % – de l’énergie finale consommée dans le monde, les énergies renouvelables, selon le Giec, pourraient en fournir près de 80 % d’ici 2050, soit demain soir (2). Les renouvelables, c’est-à-dire les énergies éolienne, solaire, hydraulique, géothermique. À moins que les 120 scientifiques qui signent le rapport soient de sérieux fumistes, cela change tout.

Plutôt, cela changerait tout dans un monde mieux fait. Car pour arriver à ce résultat, il faudrait investir massivement dès aujourd’hui autour de 1 % du PIB mondial actuel. Ramon Pichs, l’un des auteurs du rapport : « Ce n’est pas tant la disponibilité des ressources que les politiques publiques mises en place qui permettront ou non de développer les énergies renouvelables ». En France, c’est d’ores et déjà râpé. Ce sera ou l’EPR ou le solaire. Et notre bon maître a déjà décidé pour nous. Nous aurons du nucléaire, avec plein de poils autour. Sauf si on lourde bon papa, et encore.

(1) www.global-chance.org/index.php

(2) Potential of Renewable Energy Outline in Report by the Intergovernmental

L’Allemagne et la Suisse forever (sur le nucléaire)

Vous savez quoi ? Oui, je suis sûr que vous savez quoi. La France est un pays malade. En général comme en particulier. Dans le domaine du nucléaire, la cause est entendue, hélas. Une caste d’ingénieurs d’État – en la circonstance, ceux des Mines, qui tentent aujourd’hui de nous fourguer les gaz de schistes – a imposé sans l’ombre d’un débat la forme d’énergie la plus dangereuse de tous les temps humains. Les défenseurs et thuriféraires de l’industrie nucléaire peuvent continuer leur baratin habituel. La vérité est là : cette industrie impose la terreur à l’humanité entière.

Ce coup de force des ingénieurs – la « noblesse d’État » décrite par Pierre Bourdieu – date de mars 1974. Il y avait là comme une fenêtre de tir, ce qui correspond fort bien à ce corps dont tant de membres ont partie liée au complexe militaro-industriel. La Guerre du Kippour d’octobre 1973 a provoqué un quadruplement du prix du pétrole. Les politiques ne pensent qu’à cela, secoués par leurs amis industriels, qui exigent le retour aux fabuleux profits des Trente Glorieuses. Le président de la République d’alors, Georges Pompidou, est mourant, et disparaît au reste le 2 avril 1974.

Mais en mars, il est encore officiellement en poste. C’est dans ce climat funèbre que quelques ingénieurs des Mines viennent faire le siège de ce pauvre Pierre Messmer, Premier ministre. Tous ces hommes se connaissent, et se comprennent à demi-mot. Messmer a été ministre de la Défense, comme l’a été Pierre Guillaumat, patron du corps des Mines, comme le sera André Giraud, futur patron des Mines. Et Messmer, de sa seule et misérable autorité, conférée par un homme mourant, accepte de lancer le programme électronucléaire français. Ainsi. En deux coups de cuiller à pot [Léa, merci…]. Contre nous tous. Voilà pourquoi nous avons 58 réacteurs nucléaires, ce qui fait de notre pays, rapporté à notre population, le plus nucléarisé dans le monde.

Où veux-je en venir ? Les fous du nucléaire français sont pleinement ridiculisés par la décision de la Suisse de sortir du nucléaire d’ici 2034 et, bien sûr, par l’annonce allemande historique de renoncer sous dix ans à l’atome. J’entends en ce moment un crétin, à la radio, qui insiste sur l’électricité nucléaire que l’Allemagne sera obligée d’importer, faute d’en disposer sur son sol à l’avenir. Bah ! qu’ils criaillent donc.

Nous sommes aveuglés, en France, par la puissance monopolistique de monstres comme EDF et Areva. La vérité est que le nucléaire est sur le déclin, enfin. À cause – ô misère ! – des épouvantables catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Et les moulinets de madame Anne Lauvergeon [Flore, merci], ex-employée de ce cher François Mitterrand, aujourd’hui patronne d’Areva, n’y peuvent rien changer. Un dernier mot : mettez-vous à la place des Allemands. Ils assument avec courage une grande décision politique, morale, écologique. Et malgré les trémolos sur l’Union européenne, le voisin français refuse toute discussion sur une énergie qui menace pourtant le continent européen du pire. Notre centrale nucléaire de Cattenom – Lorraine – est à 35 kilomètres de la ville de Luxembourg et à 80 kilomètres de la ville allemande de Trèves.

L’Europe, et le monde ? Ils s’en contrefoutent. Mais ce n’est pas une nouvelle digne de ce nom.

Un article à garder (sur le nucléaire)

Jean-Paul Brodier, de Metz – ma dette augmente d’heure en heure – m’envoie la traduction d’un article paru dans l’un des grands quotidiens allemands, Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ma foi, il ne reste plus qu’à lire.

Rhétorique et réalité
Les neuf lieux communs du partisan du nucléaire

Par Frank Schirrmacher, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 28 mars 2011

Des décennies de débat sur le nucléaire ont perverti la langue. Les phrases que nous entendons pendant le moratoire [de fonctionnement des centrales nucléaires en Allemagne, décidé après les accidents de Fukushima] sont des manœuvres de diversion. Elles formulent des thèses qui n’en sont pas et sont des insultes à l’intelligence. Voici une analyse des éléments de langage les plus importants.

1. Les centrales atomiques allemandes sont les plus sûres du monde.

Cela ressemble à une affirmation technique, mais ce n’est en vérité qu’une comparaison morale. Elle dit seulement que, par comparaison avec ce que font les autres, ce que nous faisons est le meilleur. Elle ne compare rien de technique. Le message devrait donc être : même dans le pire des cas, notre uranium ne rayonne que quelques heures et non des centaines d’années. Naturellement, c’est absurde. Cette comparaison est un leurre : elle n’a rien à voir avec ce qui se passerait dans le pire des cas, mais seulement avec ce que les hommes peuvent prévoir dans le meilleur des cas.
Par définition, l’accident atomique majeur, le pire des cas, est caractérisé par le fait qu’il ne peut se comparer qu’à lui-même. Comme on ne peut pas exclure le risque résiduel, la formule simple pour un moratoire est : même les centrales atomiques les plus sûres du monde ne sont pas sûres ; ou bien : même les centrales atomiques les plus sûres ne sont sûres que dans la mesure où elles sont sûres.

2. La sécurité absolue n’existe pas

Une inversion classique, une tromperie. Car le fait est justement qu’ une certitude absolue existe : nous savons en fait exactement ce qui arrive quand le cœur nucléaire entre en fusion, combien de temps dure la radioactivité, quels sont les effets du césium et de l’iode sur les gens et l’environnement, combien de générations futures auront à en souffrir dans le pire des cas. C’est la certitude absolue d’un processus physique qu’on peut mettre en rapport avec l’insécurité relative des centrales, reconnue par les opérateurs eux-mêmes.

3. Le risque fait partie de la vie

Cette phrase est une tautologie. La vie est toujours un risque. Si les risques font effectivement partie de la vie, la vie procède de l’évaluation des risques. La perfidie de la phrase tient dans ce qu’elle insinue qu’il faut rappeler aux gens l’existence de risques. En vérité, la vie toute entière n’est qu’une gestion des risques, qui commence le matin quand on ouvre la porte de sa maison, mais ne finit pas le soir quand on regarde le journal télévisé. Les hommes du vingt-et-unième siècle vivent dans une évaluation permanente des risques, non pas parce qu’ils sont des fanatiques du risque, mais parce que le risque est devenu la norme. C’est ainsi, par exemple, que personne ne traverse une rue passante sans avoir regardé à droite et à gauche. Pourtant les gens traversent les rues, mais pas les autoroutes en général.

De même, courir un risque signifie toujours calculer ses chances. Gerd Gigerenzer a défini dans un autre contexte l’heuristique appliquée par les gens pour évaluer de tels risques : « éviter les situations dans lesquelles de nombreuses personnes perdent la vie à un moment donné. » La phrase « le risque fait partie de la vie » signifie en fait, dans le cas de l’accident atomique majeur : tu dois envisager que toi, ta famille et des descendants éventuels serez un jour écrasés d’un coup. Cela n’a plus rien à voir avec le risque, mais avec le destin, auquel il ne nous reste qu’à nous abandonner. De ce point de vue, la chance de l’énergie atomique ne tient pas à une énergie moins chère, mais à la chance que l’accident maximal ne s’est pas encore produit jusqu’ici. C’est peu de chance, en regard du risque.

Hartmut Gründler, malheureusement oublié aujourd’hui, dénonçait il y a des décennies, dans le magazine littéraire des Éditions Rowohlt, Die Sprache des großen Bruders (La langue de Big Brother), la manipulation par le langage dans l’ère atomique. Il proposait déjà à l’époque de remplacer la tournure euphémique « Chances et risques de l’énergie nucléaire » par la tournure appropriée : « Chances et dégâts par l’énergie nucléaire ».

4. Un cas comme celui de Fukushima ne pourrait pas se produire en Allemagne

Le tour de passe-passe consiste à comparer des choses que personne ne compare l’une à l’autre et à laisser de côté les choses comparables. Naturellement, un cas pareil à celui de Fukushima ne pourrait pas se produire en Allemagne. Mais ce n’est vrai que pour les faits déclencheurs. La nature même de l’accident atomique majeur comporte son caractère invraisemblable. Il ne peut être comparé qu’avec lui-même. D’autres risques potentiels s’ajoutent dans d’autres pays, c’est pourquoi personne ne plaide pour des digues anti-tsunami [en Allemagne].

Mais il ne s’agit pas de cela. Bien sûr, un cas comme celui de Fukushima pourrait se produire, comme chacun le ressent. Il faut faire la distinction entre la survenue de l’accident atomique majeur, qui peut se produire partout, et l’incapacité des hommes à en venir à bout. L’un est l’exception, alors que l’autre, comme nous le voyons pour la troisième fois [après Harrisburg en 1979 et Tchernobyl en 1986], est la règle. Fukushima montre que les hommes ne peuvent pas interrompre les processus atomiques qu’ils ont déclenchés lors d’un accident majeur. Or, c’est une compréhension de nature normative : ce que nous voyons à Fukushima peut se produire partout dans le monde.

5. Même si nous [en Allemagne] sortons du nucléaire, nous restons entourés de centrales atomiques

C’est peut-être l’argument le plus minable, car il dénote le suicide de la politique. On peut transférer l’argumentation à titre expérimental à la prolifération des armes atomiques ou au traité de non-profilération nucléaire. Même si nous n’avons pas d’arme atomique, les autres en auront. Dans le passé, ce n’était pas une raison de s’en procurer mais au contraire d’empêcher d’autres d’en fabriquer.

6. Le courant ne sort pas de la prise

Cette affirmation appartient, comme celle du point 2, aux arguments d’infantilisation qui présentent les critiques comme des naïfs, des utopistes ou des nantis. Variante de la phrase : « les légumes ne poussent pas chez Aldi, mais dans les champs ». Les opposants à l’énergie atomique parlent de l’ensemencement, du fumage et des conditions de formation des légumes. Ils veulent décider de la culture.

7. La chance / le risque d’arriver à un accident atomique majeur est extrêmement invraisemblable

La chance d’avoir six numéros et le complémentaire au loto est de 1 sur 139 millions. Pourtant il tombe à intervalles réguliers. Évidemment, c’est lié au grand nombre de joueurs. De même la chance d’un accident majeur devient d’autant plus vraisemblable qu’il y a davantage de centrales atomiques. Malgré la probabilité infinitésimale de gagner au loto, les chances sont réelles de devoir partager le jackpot. La probabilité est absolument certaine de faire partager par tous et leurs descendants les conséquences de l’accident majeur. Nous ne parions pas qu’il ne se produira pas, mais seulement qu’il ne se produit pas maintenant. Il se produira pour un nombre assez élevé de parieurs.

8. Fukushima n’a absolument rien changé pour nous

Toute une civilisation technique, des semaines après l’événement, ne sait ni ce qui s’est réellement passé, ni ce qu’elle peut faire. C’est une nouveauté historique. Que nous n’ayons pas été atteints physiquement ne change rien à la généralisation [de cette leçon] à l’ensemble de la culture technico-scientifique. Jochen Hörich l’explique depuis des années avec l’exemple de Tchernobyl : l’explosion étonne l’expert, mais pas l’étudiant qui distribue des tracts devant le restaurant universitaire. Il s’y est attendu. Fukushima a changé quelque chose pour nous, parce qu’il est arrivé ce qu’aucun expert n’a prévu, mais que tout le monde a envisagé.

9. Prophètes de malheur! L’humanité a survécu à bien d’autres choses, elle survivra à ça aussi

Le gouvernement américain a instauré il y a des années une commission qui devait réfléchir à la façon de munir d’avertissements les décharges de déchets atomiques ultimes. Le problème est que le danger mortel persistera des millions d’années. Les hommes sauront-ils encore au moins lire ? Comprendront-ils nos signes ? Que signifiera une tête de mort ? Faut-il construire des pyramides ? La commission, composée d’anthropologues, d’ethnologues et d’écrivains a échoué en fait. Conclusion : que nous survivions à quelque chose ne signifie pas que nos enfants y survivront.
Il n’existe aucune technologie, autre que l’atomique, avec laquelle nous pouvons nous projeter aussi loin dans l’avenir. Les décharges ultimes du temps de la naissance du Christ, s’il y en avait déjà eu, n’auraient perdu aujourd’hui qu’une petite fraction de leur dangerosité. Peut-être ce danger se serait-il confirmé au dix-neuvième siècle qui a remué le sol comme aucun autre… Goethe en tant que directeur des mines [à Ilmenau en Thuringe] aurait apprécié. Nous n’aurions alors pas à nous poser la question de la survie, puisque nous n’existerions pas, au moins sans déformation.

Quand on ne comprend pas tout (sur les gaz de schistes)

AVISSE ! UN GRAND RASSEMBLEMENT INTERNATIONAL CONSACRÉ À L’ÉNERGIE SE PRÉPARE POUR CET ÉTÉ 2011 SUR LE LARZAC. FAITES CIRCULER L’INFORMATION ! NOUS ALLONS AVOIR BESOIN DE BRAS, DE JAMBES ET DE TÊTES, PAR MILLIERS. AVISSE ! AVISSE À TOUS !

Surtout, garder la tête froide. Dans l’affaire sinistre des gaz et pétroles de schistes, les annonces fleurissent comme les cerisiers du printemps. C’est la fête, on se pousse du coude pour être sur la photo. En résumé, cela semble simple : c’est fini. Les députés socialistes préparent un projet de loi d’abrogation des permis. Une centaine de députés de différentes tendances sont déjà réunis dans un groupe de ferme opposition à cette nouvelle aventure industrielle. Mieux ou pis, doublant dans l’avant-dernière ligne droite les socialos, les députés UMP ont déposé leur propre projet, qu’il faudra bien entendu analyser à la loupe binoculaire. Dans l’état actuel des choses, emmenés par leur président Christian Jacob, ils réclament eux aussi l’interdiction pure et simple de l’exploration et donc, à fortiori, de l’exploitation des gaz et pétroles de schistes.

Ajoutons au pandémonium un autre projet de loi, déposé par l’inénarrable Jean-Louis Borloo, qui avait signé en mars 2010, alors qu’il était ministre de l’Écologie et de l’Énergie, certains des premiers permis. À l’insu de son plein gré. Un mot de commentaire sur ce roi bouffon déjà moqué ici il y a quelques jours. Il est assez grave, il est assez désespérant pour l’idée démocratique, que les journalistes politiques de notre pays, ignares il est vrai, et indifférents ô combien à ce qui touche à l’écologie, n’aient pas questionné Borloo sur ce qui est, d’évidence, une forfaiture.

Qui s’en soucie ? Personne apparemment. Il signe des actes lourds de conséquences pour le pays entier, puis demande leur abrogation un an plus tard, sans rien expliquer des mécanismes qui nous ont menés là. Qui décide de quoi ? Cette question me hante, et j’espère que vous êtes dans le même cas que moi. Qui a décidé jadis de nous faire vivre sous la menace de 58 réacteurs nucléaires ? Qui s’apprêtait à changer les plus belles régions de France en un eldorado de l’industrie lourde ? Moi, je le sais : un corps oligarchique, celui des Mines. Mais qui l’apprendra ailleurs ?

Passons aux leçons de l’événement, même s’il est trop tôt pour se montrer affirmatif. Je suis infiniment heureux, d’ores et déjà. Car nous avons, d’évidence, remporté une victoire éclatante. Elle ne marque nullement la fin d’un combat qui ne fait que commencer, mais elle va, à coup certain, donner de l’énergie à tous les combattants. Ainsi donc, preuve est faite que l’on peut affronter des forces puissantes, et les vaincre, au moins provisoirement. Nous avons tant besoin de bonnes nouvelles ! Simplement, il faut reconnaître que nous ne savons pas ce qui a conduit à ce spectaculaire recul. Il va de soi que la mobilisation immédiate et massive a joué un rôle-clé. Il va de soi également, et j’écris cela à dessein, pour les grincheux, que José Bové nous a beaucoup aidés. Bien des choses sérieuses me séparent de cet homme, mais bien davantage m’en rapprochent. Tout au long de cette première étape, que nous avons franchie ensemble, depuis la fin de l’été passé, José a constamment joué le jeu.

Et c’est de cela que je veux me souvenir aujourd’hui. Il fallait que ce mouvement soit incarné, et cet homme pouvait le faire. Il l’a fait. Je ne chipoterai donc pas mes remerciements. Derrière, juste derrière, des centaines d’activistes hors parti, suivis par des milliers d’enthousiastes, ont formé un mouvement sans vraie hiérarchie, bordélique, mais très efficace. Il n’est pas temps d’en faire le bilan, d’autant plus que la coordination que nous avons bâtie reste formidablement vivante. Elle va continuer de nous surprendre, j’en suis convaincu.

Que s’est-il passé pour que le système politique établi bascule si vite ? Je dois dire que je l’ignore. Je crois, sans préjuger du reste, qu’un emballement s’est produit au point de départ. Il a été clair, d’emblée, que le refus transcendait les frontières classiques. Et qu’il entraînerait, en cas de poursuite de la folie industrialiste sur le terrain, des troubles considérables. De nombreux notables, qui de droite qui de gauche, préparant leurs chères cantonales, ont été contraints, bien souvent, de prendre position. Elle ne pouvait qu’être contraire aux souhaits de l’industrie. À l’échelon supérieur, des conseils généraux, quelquefois de droite – l’Aveyron – et des Conseils régionaux ont embrayé, légitimant le combat au couteau qui se préparait. On peut, je le crois, parler d’une onde de choc qui a fini par ébranler les états-majors nationaux. Le cas de Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, est intéressant. Élu de la Seine-et-Marne, où l’opposition au pétrole de schistes est vive, il a évidemment pu jauger l’impact électoral prévisible de cette affaire, à un peu plus d’un an de législatives difficiles. À la marge, notons qu’il est chiraquien, et que chatouiller le nez de Sarkozy, très proche du dossier, n’a pas dû lui déplaire exagérément.

Tout cela explique-t-il la situation ? Non, il faut l’avouer. Des pièces essentielles du puzzle manquent. Et le mystère reste grand. Question : pourquoi les industriels, Total et GDF-Suez en tête, ont-ils été incapables de former un vrai lobby actif ? Pourquoi, alors que cela paraît si simple, les députés n’ont-ils pas été inondés d’invitations et de dépliants en couleur ? Je ne sais pas la réponse. Autant il est facile d’admettre qu’ils ont été bousculés dans un premier temps par notre vivacité, autant il est incompréhensible qu’ils n’aient pas réagi depuis. Autre questionnement : le rôle du corps des Mines, véritable inspirateur des permis d’exploration. Sa discrétion apparente m’étonne bien moins. Les Mineurs n’aiment pas la lumière. Leur biotope se trouve dans les bureaux lointains des administrations centrales. Ils ont l’habitude, de longue date, de diriger les affaires énergétiques de la France. Sans rendre le moindre compte à la société, ni d’ailleurs aux politiques.

En la circonstance,  je pressens qu’ils ont été stupéfiés par la marche des événements. Obtenir le contreseing d’un ministre comme Borloo, c’est enfantin. Défendre de manière contradictoire un projet qui s’attaque à des repères essentiels, comme le paysage, l’eau ou le climat, c’en est une autre. Je fais le pari que le corps des Mines a été proprement déstabilisé. La démocratie, ce n’est pas encore exactement comme l’oligarchie. Un peu de patience, messieurs les ingénieurs.

Une conclusion ? Je n’en vois qu’une. Après cette guerre-éclair, il serait désastreux pour tous de s’arrêter sur un tel chemin. D’autant que nos adversaires n’ont évidemment pas dit leur dernier mot. Nos « bonnes » transnationales iront chercher des gaz et pétroles de schistes ailleurs. Sarkozy ne laissera pas tomber Paul Desmarais ainsi. Le corps des Mines va se ressaisir. Tout cela a les meilleures chances de se produire. Mais au-delà, il me semble que la situation a rarement été meilleure pour une appropriation par la société de la question décisive de l’énergie. Les débats volés du passé, dont celui sur le programme électronucléaire, doivent rester derrière nous, et à jamais. Sur fond de cataclysme japonais – cette horreur continue à me ronger chaque jour -, il devient possible de relier tous les fils volontairement dispersés. Celui des gaz et des pétroles de schistes. Celui du nucléaire. Celui des énergies renouvelables.

Nous devons, car nous pouvons cette fois, exprimer les vrais besoins énergétiques de la société française. Loin des manœuvres étatiques. Loin des lobbies industriels, dont le seul programme est l’expansion sans fin. Mais avec les peuples du Sud. Les Chinois, les Indiens, les Africains, les Latinos, les nord-américains, tous nos voisins européens. Cela tombe bien : il se prépare un rassemblement mondial sur toutes ces questions, début août 2011, sur le plateau du Larzac. Vous n’avez tout simplement pas le droit de ne pas en être. Certains d’entre vous réclament régulièrement de l’action. Du concret. En voilà !

PS ajouté le 9 avril : Dans un commentaire, Jean-Pierre Jacob fait remarquer que j’ai oublié de parler de Gasland. Comme il a raison ! C’est évident ! Ce film a été à la fois éclairant, éclaireur, fédérateur. VIVE JOSH FOX !

Une simple vérité sur le nucléaire (les aveux de M.Lacoste)

Le journal Le Monde daté 31 mars 2011 contient en sa page 6 un entretien avec André-Claude Lacoste, patron de la sécurité nucléaire en France. L’univers de l’atome est chez nous celui de l’opacité et du mensonge. Comme au Japon, soit dit en passant. Je ne crois pas que Lacoste, bien que faisant évidemment partie du cadre, soit un homme foncièrement malhonnête. J’ai donc prêté une attention spéciale à ses propos. Et ne me suis pas arrêté à son aveu – déjà ancien, mais tout de même ! – que nul ne peut garantir notre pays contre un accident grave. Le texte ci-dessous est, entre les lignes, l’esquisse d’une critique radicale du système, que jamais Lacoste n’assumera publiquement. Il n’empêche, c’est un document. Nous sommes menacés directement par des fous, ivres de leur puissance pour la raison que nous leur avons confié les clés de l’enfer. Lisez Lacoste, relisez Lacoste, songez en même temps au drame biblique que connaît le Japon. Vous tremblez ? Moi aussi.

André-Claude Lacoste, président de l’Autorité française de sûreté nucléaire (ASN)

« On ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident grave en France »

Quel regard portez-vous sur la crise nucléaire à Fukushima ?

André-Claude Lacoste : Le Japon vit un drame absolu, effroyable. Le séisme et le tsunami ont fait au moins 25 000 morts, sans compter les sans-abri. L’accident nucléaire n’est qu’un élément de cette tragédie. Concernant l’état de la centrale, deux éléments sont positifs : les Japonais ont remplacé l’eau de mer par de l’eau douce pour refroidir les cuves des réacteurs et maintenir le niveau d’eau dans les piscines de combustibles usés ; et nous avons moins d’inquiétudes sur l’état de ces piscines. Pour autant, nous sommes toujours face à une crise majeure. L’issue dépend de deux facteurs : le rétablissement d’un refroidissement permanent des installations par de l’eau douce et la disponibilité d’une source froide. Il faudra un nombre considérable de semaines ou de mois, d’autant qu’il y a maintenant des fuites permanentes de radioactivité, sans qu’on sache très bien d’où elles émanent.

» Les conditions d’intervention sont extrêmement difficiles. Il ne s’agit pas d' »opérations suicide »: on n’envoie pas les travailleurs à la mort. Mais leur temps d’intervention est très limité: on parle d’une vingtaine de minutes, ce qui est très court.

Qu’en est-il de la contamination de la région de Fukushima ?

Sur le site, la radioactivité est très intense. Alentour, il faut attendre de disposer de chiffres pour se prononcer. Tout dépend des concentrations que l’on trouvera, notamment en iode et en césium radioactifs. J’ai le sentiment que la zone d’évacuation de la population [dans un rayon de 20 km] et celle de mise à l’abri [10 km supplémentaires] représentaient des périmètres raisonnables. Mais il est clair qu’il existe une dispersion de radioactivité au-delà des 30km en « taches de léopard ». La gestion de ces territoires contaminés va durer des années, sinon des décennies.

Quelle assistance la France peut-elle apporter ?

Areva a des compétences sur les réacteurs à eau bouillante, héritées de Siemens. Le Commissariat à l’énergie atomique a des capacités de recherche. Ces entreprises peuvent fournir des esprits neufs, moins englués dans la gestion quotidienne de cette crise effroyable.
En ce qui concerne l’ASN, nous menons depuis 2005 une réflexion sur les situations post-accidentelles, avec un comité directeur (Codirpa) qui associe une centaine de personnes. On n’a, Dieu merci, pas d’expérience pratique, mais des idées sur la façon de gérer le moins mal possible. Notre offre d’assistance intellectuelle sera confirmée à l’occasion du déplacement du président de la République et de la ministre de l’écologie, jeudi 31 mars à Tokyo.

» Concernant ce Codirpa, certaines associations regrettent que les scénarios étudiés ne soient pas assez graves… Il a toujours été dans notre intention de couvrir une gamme de scénarios allant du plus probable au plus extrême. Il me paraît évident qu’on va intégrer, typiquement, ce qui se passe au Japon.

Un accident nucléaire majeur peut-il survenir en France ?

Je l’ai toujours dit : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses: essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire. Quand survient une crise comme au Japon, il faut en tirer un retour d’expérience. Deux initiatives politiques vont en ce sens, portées par la Commission européenne, avec des stress tests, et par le premier ministre, François Fillon, qui nous a demandé un audit des centrales françaises. Celui-ci portera sur l’aléa sismique, l’inondation, la perte d’alimentation électrique, la perte de source de refroidissement, la gestion de crise et le cumul de ces difficultés.

» Nous sommes en train de bâtir ce programme. Je veillerai à sa cohérence avec les tests de résistance demandés par la Commission européenne. Avec mes homologues d’Europe de l’Ouest, nous avons publié une première proposition sur le contenu de ces tests. Pour nous, c’est une vérification des marges de sûreté. Prenons l’aléa sismique: on a vérifié que l’installation y répondait, voyons comment elle réagirait à un aléa plus fort. Existe-t-il un risque que ces « stress tests » répondent au plus petit dénominateur commun entre les autorités de sûreté ? Je ne crois pas. Pour chacun des chefs d’autorité nucléaire, ce qui se passe au Japon est un vrai choc. Nous prenons très au sérieux les conditions d’analyse.

En 2003, en France, il y a eu conflit entre EDF et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur cet aléa. Les antinucléaires vous accusent d’avoir tranché en faveur de l’électricien…

On va tout revisiter. En matière sismique, il y a des chapelles de spécialistes qui se battent avec furie. En l’occurrence, en 2003, j’ai tranché de façon que l’on arrive à une évaluation raisonnable du risque. Je n’ai strictement aucun regret. L’ASN a pour mission de trancher des débats techniques ou scientifiques.

Nicolas Sarkozy a dit que si un réacteur ne passait pas les tests, il n’hésiterait pas à le fermer. Quels sont ceux qui vous paraissent les plus faibles ?

Nous n’avons pas commencé ce travail. Si on trouvait matière à fermer, on le ferait. Mais en désigner à l’avance voudrait dire que nous n’avons pas fait notre travail par le passé. La déclaration du commissaire européen Günther Ottinger affirmant que certaines centrales ne vont pas passer le test me paraît de nature à décrédibiliser le système d’évaluation.

Avez-vous les moyens de conduire rapidement ces analyses ?

L’audit national et les stress tests porteront sur les cinq thèmes cités, à partir de données disponibles. S’il faut poursuivre les études, nous le ferons, mais il est légitime que nous rendions compte à la fin de l’année au Parlement. Il va falloir augmenter nos moyens pour éviter de baisser la garde sur nos contrôles habituels. On ne peut pas faire appel aux compétences étrangères, mobilisées sur leur propre terrain. Peut-on rappeler des retraités? Nous en sommes au tout début de la réflexion.

Vous attendiez-vous à ce qui s’est passé au Japon ?

Non, parce que la crise japonaise résulte d’un cumul d’agressions extérieures – un tremblement de terre, puis un tsunami – qui a surpris l’exploitant et nos homologues. En France, avec des phénomènes d’un ordre de grandeur très différent, nous n’avons pas étudié, par exemple, le cumul d’un tremblement de terre et d’une inondation. Il y a à l’évidence des problèmes nouveaux à se poser.

Comme la rupture de barrages…

Tout à fait. Mais ces questions dépassent, et de beaucoup, le seul domaine du nucléaire. Il faut avoir l’esprit totalement ouvert.

Propos recueillis par Pierre Le Hir et Hervé Morin