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Trois mots à un imbécile authentique (sur le nucléaire encore)

Je reçois à l’instant un commentaire sur le nucléaire de quelqu’un qui semble s’appeler M. Fischer. Qui est-il ? Je l’ignore bien. Le net permet, sous le couvert de l’anonymat, de se livrer à n’importe quelle sottise. Celle-ci est insignifiante dans la hiérarchie de ce qu’on y trouve chaque jour, mais enfin, elle existe tout de même. Avant de répondre, je vais donc laisser la place à ce M.Fischer, qui connaît si bien le monde du nucléaire.

Commentaire de M.Fischer (si ce nom existe) :

M. Nicolino,
vous écrivez dans un français honorable, des approximations que vous présentez comme valeurs scientifiques, dites-vous, mais très grossières voire fausses. Par exemple, vous devriez lire un ouvrage de physique un peu sérieux (cela existe)sur le devenir du Pu 240. Sachez aussi que si la terre ne contenait plus d’éléments radioactifs(et on lui donne allègrement quelques 13 milliards d’années), elle serait beaucoup plus froide qu’elle n’est aujourd’hui, et vraisemblablement invivable pour l’Homme. De même, le couvercle de n’importe quel réacteur fut-il un RBMK de Tchernobyl, n’a jamais pesé 2000 t. Avez-vous songé à sa manipulation pour sa mise en place, son transfert, etc !!! Aérez un peu vos cellules grises en lisant des choses sérieuses, cela nous fera plaisir.

Ma réponse :

Je dois dire que, de longue date, les imbéciles me font rire. Comme on disait dans mon jeune temps : « toujours ça que les Boches n’auront pas ». Pauvres Allemands. Mais j’ai changé, sauf que je continue à rire. D’abord un mot en général. Ce monsieur, qu’il exprime ici son incapacité ou son insondable ignorance, ne prend même pas la peine d’écrire en quoi ma prose serait « grossière », voire « fausse ». C’est ainsi, et ce n’est pas autrement. On me conseille donc la lecture d’un livre de physique. Pour quoi ? Mystère. Un de plus. Quant à « l’argument » apparemment central, il consiste dans le fait que la Terre serait bien plus froide en l’absence d’éléments radioactifs.

On reconnaît souvent l’imbécile à ses inventions et à ses falsifications, volontaires ou non. Celui-là répond à une thèse qui n’a évidemment pas été défendue. De la sorte, croit l’imbécile, il est plus aisé de défaire celui qu’on attaque. Serait-ce pour la raison qu’on ne sait pas trouver mieux ? Je garde cela dans un coin de la tête, comme pure hypothèse. Voyez la question de l’effet de serre. Sans absorption naturelle d’une partie de la chaleur émise par le soleil, la terre serait évidemment inhabitable. Mais parce que les activités humaines dégagent un surcroît significatif de gaz à effet de serre, toute l’étonnante « machine » climatique se détraque. Exactement ce qui se passe avec les éléments radioactifs, qui deviennent un épouvantable problème dès lors que les hommes s’en servent et en dispersent. Monsieur Fischer, je sais bien que je suis ignorant. Mais quel mot faudra-t-il forger pour vous ?

Oui, quel ? Je ne prétends ni ne prétendrai jamais – ô joie ! – être expert en quoi que ce soit. Je n’ai cessé de l’écrire depuis deux ans, et le répète encore. Si vous aviez lu, ce qui semble au-dessus de vos forces, le texte que vous attaquez, vous seriez tombé sur ces mots du cher grand Paul Ricœur : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».

Il me reste deux points à souligner dans la courte missive que vous avez eu le cran de m’adresser. Le premier concerne le réacteur de Tchernobyl. La cause est entendue, je raconte des sornettes. Oui, mais en compagnie. J’ouvre le livre Les mystères de Tchernobyl (Autrement, 2006), coordonné par des journalistes, des universitaires, des scientifiques. Page 31, en réponse à une question de Galia Ackerman, un certain Georges Lochak déclare exactement ceci : « Il y a une semaine, mon ami Urutskoïev m’a justement confié qu’il ne savait pas quelle force avait propulsé le couvercle du réacteur appelé Elena – pesant près de 2 000 tonnes – et l’avait fait retomber sur le côté ».

M. Fischer, je ne vous demande pas si vous savez lire, je vais faire comme si, malgré mes doutes. Ce monsieur Lochak ne dit-il pas exactement ce que j’ai écrit moi-même ? Il me semble. Or Georges Lochak est non seulement un physicien, mais aussi un théoricien, et il a été l’élève de Louis de Broglie, dont il a écrit la biographie (Louis de Broglie, Flammarion, 1992). Il est aussi le co-auteur d’un ouvrage sur les applications de la mécanique quantique (L’Objet quantique, Flammarion, 1989). Et c’est ce gaillard-là qui vient donner raison à cet abruti de Nicolino ! N’est-ce pas plutôt distrayant ?

Quant au point concernant le plutonium 240, sachez que je regrette vivement que vous ne nous ayez pas donné une leçon complète. Je gage que nous aurions passé un bon moment. Voici très exactement ce qu’on trouve sur la page Wikipédia consacrée à la chaîne de désintégration. Je précise tout de même qu’un article publié en décembre 2005 dans la grande revue scientifique Nature établit que l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia vaut à peu de choses près, en rigueur, l’illustrissime encyclopédie Britannica. Ce qui suit, ainsi que le tableau, en provient intégralement :

Le plutonium 240 est produit en réacteur à partir du plutonium 239, par capture neutronique. La proportion de plutonium 240 dans les produits d’activation de l’uranium sera d’autant plus élevée qu’il aura subi une irradiation prolongée en réacteur. À long terme, la radioactivité du Pu 240 est dominée d’abord par l’uranium 236, et à échelle de temps géologique, par le thorium 232, quasiment stable (il est présent dans l’écorce terrestre en quantité quatre fois plus importante que l’uranium).

Élément chimique Rayonnement Demi-vie
Plutonium 240 240Pu Radioactivité ? 6 560 ans
Uranium 236 236U Radioactivité ? 23 millions d’années
Thorium 232 232Th Radioactivité ? 14,05×109 a
Radium 228 228Ra Radioactivité ? 5,75 ans
Actinium 228 228Ac Radioactivité ? 6,15 heures
Thorium 228 228Th Radioactivité ? 1,19 an
Radium 224 224Ra Radioactivité ? 3,63 jours
Radon 220 220Rn Radioactivité ? 55,6 s
Polonium 216 216Po Radioactivité ? 0,145 s
Plomb 212 212Pb Radioactivité ? 10,64 h
Bismuth 212 212Bi Radioactivité ? 60,55 min
Polonium 212 212Po Radioactivité ? 0,3 ?s
Plomb 208 208Pb Stable

Faut-il ajouter quelque chose ? Je ne sais. Le certain est que, si le nucléaire est défendu aujourd’hui par des gens comme ce M.Fischer, il me paraît clair que de grands espoirs nous sont permis. En attendant, ils ont la force, le pouvoir, des moyens illimités et une arrogance à leur mesure. Faute de mieux, et en attendant mieux, rions. Cette énergie libératrice et bon marché, sans grand danger connu, reste pour le moment à notre pleine et entière disposition. Profitons, je pressens que cela ne durera pas.

Une réponse à monsieur Francis Sorin (sur le nucléaire)

Ce texte est une réponse à celui qui précède, et ne se comprend guère sans sa lecture préalable.

Cher monsieur Sorin,

Il va de soi que nous sommes en désaccord radical, mais ce n’est pas une raison pour manquer de politesse. Vous avez jeté un regard sur un mien article, et vous en êtes apparemment sorti tourneboulé. Ma foi, je le comprends. Vous êtes un défenseur convaincu de l’industrie nucléaire, je suis son adversaire définitif. Vous avez bien lu : définitif. Après tout, vos amis ne mettent-ils pas en service et en mouvement des radionucléides dont la demi-durée de vie se compte en millions d’années ? Je ne prétends pas, moi, atteindre ces invraisemblables durées.

Monsieur Sorin, je suis bien certain que vous savez tout sur le plutonium 240 – je prends un exemple presque au hasard – et son rôle dans l’industrie que vous défendez avec vaillance. Mais tous les lecteurs de Planète sans visa ne sont peut-être pas dans ce cas. Aussi bien, me voilà obligé d’écrire que le plutonium 240 se désintègre en uranium 236, qui lui-même se désintègre en thorium 232. Or la demi-durée de vie de l’uranium 236 se compte en centaines de millions d’années et celle du thorium en un nombre considérable de milliards d’années. Ce qui explique d’ailleurs qu’il existe sur cette planète, dans des quantités significatives, du thorium originel, contemporain de la création même de la Terre.

Eh bien, je vais vous dire calmement comment je vois les thuriféraires du nucléaire. Calmement. Ils sont empreints d’une arrogance qui confine à la folie la plus extrême. Et croyez, monsieur Sorin, que je n’en fais pas une affaire personnelle. Et croyez de même que je retiens ma plume, car ce que je pense réellement de ceux qui ont créé ce monde neuf, puis l’ont imposé à toute l’humanité, n’est pas publiable. Vous évoquez dans votre courrier la durée grotesque – je vous prie de m’excuser – de 50 années pour justifier l’existence d’une industrie créant de la radioactivité pour des millions et des milliards d’années. Le drame de gens comme vous, c’est qu’ils reconstruisent un monde, une société, une histoire, à partir d’une misérable technique.

Car le nucléaire n’est qu’une misérable technique, rien de plus, mais qui a changé le destin de l’humanité, quoi qu’il arrive désormais. Vous ne semblez rien savoir ce que c’est une société d’humains. De ce qu’est son rythme. De ce qu’est sa mémoire. De que sont ses convulsions. Cinquante ans, dites-vous ? Mais un pays administré comme l’est la France – et combien sont dans ce cas ici bas ? – ne sait pas même où se trouvent les aiguilles au radium qui ont été dispersés dans les hôpitaux entre 1910 et 1950. Où sont-elles, monsieur Sorin ? Avez-vous eu des nouvelles ? Un pays comme la France a connu depuis un peu plus de deux siècles une révolution – 1789 -, d’innombrables émeutes et soulèvements, dont la Commune de Paris en 1871, de nombreuses guerres – entre autres, celles de Napoléon, celle de 1870, celle de 14, celle du Maroc, celle de 1939, celle d’Indochine, celle d’Algérie -, des changements de régime, plusieurs modifications radicales de son paysage, et j’en passe.

Et voilà que, s’appuyant sur un savoir technique censé obéir au projet humain et ne pas s’imposer à lui, voilà que des gens comme vous surgissent et prétendent qu’ils sont les plus forts, les plus beaux, les plus intelligents. Combien de temps faudra-t-il pour que les hommes oublient tout, TOUT, des localisations des cimetières nucléaires que votre industrie va léguer à notre pauvre descendance ? Je vous aide, et prévoyant plus que large, je nous donne 300 ans. Trois siècles en arrière, mais c’est encore Louis le Quatorzième, ses carrosses, son château de Versailles et les « baisades » dans les allées du Jardin. Comment oseriez-vous vous porter garant pour ce qui va se passer sur terre dans des millions d’années, quand tout souvenir de nous – vous, moi, le voisin de palier – aura été effacé ? Comment osez-vous, monsieur Sorin ?

Le nucléaire résume le pire de l’homme, en ce qu’il prétend vaincre le temps et les limites physiques. En ce qu’il entend défier l’éternité. Si votre industrie était moins ivre de sa surpuissance, elle serait bien obligée d’admettre cette évidence, car c’en est une, qu’une technologie d’une telle force recèle nécessairement des failles que l’esprit humain n’est pas en mesure de deviner. Je vous renvoie, monsieur Sorin, à un autre article que j’ai écrit sur Planète sans visa, en avril 2008. Il concerne les mystères qui entourent la catastrophe de Tchernobyl, et il ne s’agit pas de fantasmagorie, mais de physique (ici). En voici un extrait qui en donne le ton : « Par exemple, pourquoi les peintures intérieures de la centrale sont-elles restées intactes ? Pourquoi des traces de craie datant de la construction y sont-elles encore visibles, si la chaleur est montée si vite, et si haut ? Le tout – peintures comme craie – aurait dû disparaître sous la chaleur des flammes. Et puis, une explosion dans la salle des machines a-t-elle réellement eu lieu avant celle du réacteur ? Trois secondes avant, trente secondes ? Ce n’est pas la même chose. Enfin, quelle force inouïe a-t-elle pu soulever le couvercle du réacteur, lourd de 2 000 tonnes, jusqu’à le faire retomber sur le côté ? N’ayons pas peur de l’écrire : cela sent l’énigme ».

Le spécialiste français de la mécanique quantique, Georges Lochak, président par ailleurs de la Fondation Louis-de-Broglie, est-il lui aussi, et autant que moi, un antinucléaire ? Je suis sûr que vous me le direz. Vous me donnerez aussi des nouvelles du professeur Bandajevski, si cela ne vous dérange pas trop (ici). Et puis vous me direz tout le mal qu’il faut penser de Nesterenko, mort récemment (ici). Enfin, s’il vous reste un peu de temps, vous m’aiderez sans aucun doute à retrouver cette maudite aiguille perdue hélas dans une botte de foin (ici). Restera à régler la question de mon insondable ignorance. Eh ! Il me faut bien répondre à mon tour. Alors voilà.

Alors voilà. Je ne reçois pas vos textes. Parce que je n’en ai pas besoin. Jadis, j’ai envoyé aux pelotes d’autres institutions qui organisent la propagande en faveur du nucléaire et qui inondaient mon adresse professionnelle de journaliste d’hymnes patriotiques à la gloire de l’atome, sur papier évidemment glacé. L’eussé-je voulu, j’aurais pu faire le tour du monde aux frais de la Princesse, car vos amis sont riches, et bienveillants à ceux qui leur mangent dans la main. Mais je préfère mes petits menus à moi. Et je me vante de ne recevoir aucune publicité, aussi déguisée qu’elle soit, en faveur d’une industrie que je juge criminelle par essence. Ce qui ne m’empêche pas de me tenir au courant, figurez-vous.

Je viens d’aller vérifier dans ma bibliothèque, qui compte 75 livres sur le sujet. Cela paraît rond, cela peut sembler un truc, mais c’est plus simplement la vérité. Et parmi eux, des livres de scientifiques, mais oui, parfaitement. De scientifiques. Mais aussi de philosophes, certes. Connaissez-vous Paul Ricœur ? Cet homme, né en 1913 et mort en 2005, était un intellectuel, de mon goût. Je nous laisse tous réfléchir, vous comme moi et quiconque, à ces quelques phrases de lui, qui datent du 29 octobre 1991 : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».

Recevez, monsieur Sorin, mes salutations. Elles sont malgré tout sincères. Malgré tout.

Fabrice Nicolino

Monsieur Francis Sorin n’est pas content (sur le nucléaire)

Un précédent papier (ici), que j’ai consacré à la privatisation du nucléaire en France, me vaut la réponse courtoise de M.Francis Sorin. Lequel est le directeur d’une société savante dédiée à l’industrie nucléaire,la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Cette dernière est bien connue dans le monde finalement clos du nucléaire. Elle est ainsi présentée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche : « Créée en 1973, la Société Française d’Energie Nucléaire a joué un rôle important dans la réussite technique et économique du programme électronucléaire français et de grands programmes de recherches nucléaires, ainsi que dans le rayonnement international des techniques françaises grâce aux fructueux échanges entre spécialistes qu’elle a organisés ».

Je vais bien entendu répondre à monsieur Sorin, en tentant de rester dans le ton qui est le sien. Il a le droit de parler calmement, et nous avons, ce me semble, le devoir de l’écouter. Mais aussi celui de lui répondre. Je m’y attelle sans tarder.

Bonjour,

Je suis consterné par la représentation que certains de nos compatriotes se font encore du nucléaire. Comme s’il s’agissait d’une entreprise maléfique pilotée par des puissances infernales !

Doucement! Revenons à un peu de rationnalité. Considérons les faits et arrêtons d’agiter des fantasmes!
Les réflexions publiées dans ce forum révèlent une méconnaissance profonde des réalités du nucléaire. On en dresse un portrait caricatural en surévaluant systématiquement les risques qu’il représente. Il faut pourtant constater -si l’on fait le bilan mondial de ces 50 dernières années – que par rapport aux sources électrogènes traditionnelles (combustibles fossiles et hydraulique)le nucléaire se classe de loin comme l’énergie qui induit le moins de dommage pour la sécurité et la santé des individus et pour l’environnement. On me répondra Tchernobyl, radioactivité, déchets… Ces items ont certes une forte charge émotionnelle, mais tout cela ne remet nullement en cause le constat précédent.

Je viens d’écrire un livre sur toutes ces questions (voir présentation sur le site de la SFEN www.sfen.org): « Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre », Editions Grancher.Je ne veux pas me faire de la pub déplacée et je ne prétends pas détenir la vérité…mais j’invite toutes les personnes de bonne volonté…et les intervenants de ce forum, au premier rang desquels M.Nicolino, à mieux s’informer sur ces questions (à travers mon livre ou autres documents sérieux, peu importe…)

Je ne conteste pas le droit à tout un chacun de récuser le nucléaire… mais ce serait tellement mieux si on arrétait de dire n’importe quoi sur cette énergie !

Francis Sorin, directeur du Pôle Information de la Société Française d’Energie Nucléaire

Le nucléaire change de mains (ni vu ni connu)

Nous avons bien de la chance, savez-vous ? Aller se plaindre encore, après toutes les révolutions que la France nous offre sans rechigner ? Nous sommes des ingrats, voilà bien la triste réalité. Le dernier exemple en date vous aura peut-être échappé, preuve que, décidément, nous regardons tous le doigt du sage alors qu’il nous montre évidemment la lune. Le doigt, en cette occurrence, c’est ce contrat français raté aux Émirats Arabes Unis.

Vous vous souvenez ? C’était hier. Malgré la diplomatie activiste de notre admirable président, le président sud-coréen Lee Myung-Bak a bel et bien signé le contrat du siècle – pour lui – avec le Sheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyan, président des Émirats. Les Coréens construiront donc quatre réacteurs, et nous perdons la bagatelle de…combien, au fait ? Le contrat signé porte sur un peu plus de 20 milliards de dollars, mais on ne sait pas ce que le consortium français exigeait en échange de sa nouvelle merveille technologique, l’EPR. Certains évoquent une offre à 35 milliards de dollars, d’autres vont jusqu’à 40 et moi, je m’en contrefous, mais grave.

Plutôt, je suis heureux, même si cela ne durera pas. J’imagine notamment la tête d’Anne Lauvergeon, patronne d’Areva, apprenant la déroute de ses équipes commerciales. Madame Lauvergeon est une femme assurément remarquable, dans un sens qui ne lui plaira peut-être pas. Elle représente à la perfection notre époque d’artifices et de depistaggio, comme disent les Italiens pour désigner les trucages visant à perdre l’esprit. Polytechnicienne, ingénieur des Mines, elle doit bien être de gauche, puisqu’elle est devenue en 1990, sous Mitterrand, secrétaire générale-adjointe à l’Élysée, puis sherpa du président, et à ce titre chargée de préparer pour lui les sommets internationaux.

Le reste va de soi. Des postes de plus en plus élevés, dans le privé cette fois, puis une nomination en 1999 au poste de P.D-G de la Cogema, qui allait devenir Areva, fleuron de notre nucléaire. Merci qui, au fait ? Je veux dire, pour le nucléaire ? Merci Jospin, bien entendu. Je ne serais pas étonné que notre excellent Claude Allègre, alors ministre de la technologie – entre autres – ait eu son mot à dire. Or donc, Lauvergeon. Et un immense fiasco, qui rejaillit sur elle et menace désormais sa carrière. Comme je suis triste.

Au-delà, car il faut bien aller au-delà, nous assistons dans l’indifférence générale à un mouvement colossal de notre société, qui s’appelle la privatisation de l’industrie nucléaire. Cela, ce n’est pas un contrat perdu, c’est une déroute en rase campagne. Le prix que nous payons pour avoir été incapables de comprendre l’échec du mouvement antinucléaire après Malville – en 1977 – et partant, d’y remédier. Car enfin, et croyez bien que je suis désolé d’écrire ce qui vient si près d’une nouvelle année, mais enfin ? Passons en revue la composition du consortium français qui vient de prendre cette si belle raclée.

Qu’y trouve-t-on ? Areva, bien sûr, qui reste essentiellement un groupe public. EDF, de même, mais où la participation de l’État ne cesse de baisser. Plus de 10 % du capital appartient déjà à des investisseurs privés. Et son président Henri Proglio, nommé sur ordre de Sarkozy, n’est autre que le patron – non exécutif – d’une entreprise privée de premier plan, Veolia. GDF-Suez ? L’État n’en possède que 35,7 %. Et moins encore à l’avenir. Vinci, ses routes, autoroutes et rocades ? 100 % privé, et près de 34 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2008. Mais Vinci – encore bravo – a été le mécène de la restauration de la galerie des glaces de Versailles. Alstom et ses turbines géantes, qui équipent le barrage des Trois-Gorges en Chine ? 100 % privé, avec Bouygues comme actionnaire principal. Enfin Total, qu’on ne présente plus, champion des champions, plus gros chiffre d’affaires de notre pays avec 180 milliards d’euros en 2008.

Il n’est ainsi pas exagéré de parler d’une révolution, dont les conséquences se feront fatalement sentir un jour ou l’autre. Car à qui diable peut aller la fidélité d’un patron du privé ? À l’intérêt général, universel et perpétuel ? J’imagine que vous avez un début de réponse sous la main. Encore deux points sans importance. Le premier : EDF est soupçonnée en Grande-Bretagne d’espionnage à l’encontre de Greenpeace. Le second : Total a englouti en 2 000 le groupe Elf, et donc son personnel spécialisé, formé au service Action de la DGSE, avec les magnifiques résultats qu’on sait en terre africaine, du Gabon de Bongo à l’Angola de Dos Santos, en passant par le Congo de Denis Sassou Nguesso.

Qu’ajouter ? Le nucléaire est une folie intrinsèque, qu’il soit à la charge du public ou du privé. Car il mènera tôt ou tard à cette catastrophe qu’aucun de ces crétins n’est en mesure de prévoir. Le nucléaire est un crime moral d’une ampleur à peu près sans précédent, par les risques qu’il fait courir à tous, descendance comprise. Certes, certes, certes. Mais refiler un bébé pareil à des gens qui ne songeaient déjà qu’à la destruction du monde, et qui s’y employaient jour et nuit, est-ce bien une heureuse manière de finir l’année 2009 ? Sarkozy et ses amis mériteraient ce que ce bon couillon de Louis XVI appelait par mégarde une révolte. Tel sera mon vœu principal pour 2010.

Avisse à la population sur l’art de faire durer le développement

Cela ne me fait pas tant rire que cela, mais force est d’avouer que c’est drôle. Probablement suis-je au fond un bien mauvais coucheur. En tout cas, rappelez-vous : en septembre 2007, au cours de ce décidément impayable Grenelle de l’Environnement, la plupart des associations écologistes de la place ont échangé miroirs, rubans et colifichets contre une magnifique opération politicienne. D’un côté, elles recevaient l’onction des huissiers et de l’amuseur-en-chef de l’Élysée. Et de l’autre, ce dernier pouvait annoncer sous les vivats une « révolution écologique » française.

Encore bravo à tous les comédiens pour leur numéro. Et n’oublions pas ceux qui, dans les coulisses, s’occupaient du décor. Nous sommes en décembre 2009, et le Grand Emprunt national tant attendu sort enfin des bureaux scellés où il était enfermé. Premier constat décoiffant : certains parlent de 35 milliards, d’autres de 22. Le vrai chiffre est 22 – contre 100 envisagés par une partie de la droite -, auxquels il faut ajouter 13 milliards qui devraient être remboursés par les banques. De toute façon, quelle importance ? 5 milliards devraient – qui vérifiera jamais ? – aller au « développement durable ». Après tout, rions de bon cœur, ce sera toujours ça de pris. On va refiler de l’argent à tous les instituts publics et boîtes privées qui nous ont mené à la situation présente, parmi lesquels le CEA, Total, l’Ademe, l’Inra, l’IFP, etc (ici).

On parle pêle-mêle de séquestration de CO2 avec essais à Lacq, dans les Landes. De biocarburants bien entendu, de nucléaire évidemment. Oh la jolie farce ! Pour bien cadrer l’opération, il fallait un expert, et l’État impartial en avait un, par chance, sous la main. Ce sera le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le CEA, c’est historiquement l’armée dans ce qu’elle a de plus opaque et secret, pour la raison évidente qu’on lui doit notre bombe atomique. Le CEA a joué également un rôle clé dans le triomphe de Superphénix, dont nul ne sait combien de milliards d’euros il nous aura coûté après démantèlement, s’il a lieu un jour. 10 ? 100 ?

En pleine possession de sa prodigieuse intelligence, l’homme qui ignorait en 2007 combien de sous-marins d’attaque nucléaires nous avons, Nicolas Sarkozy soi-même, vient d’annoncer que le CEA changeait de nom. Autre temps, autre nom. On efface tout et on recommence. Le CEA devient le « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ». Attention les yeux, car voici venir un court cours de philologie. Alternatif est, dans cet usage, discutable, car il signifie dans l’intitulé remplacement, alors que ce mot désigne en théorie un choix entre deux possibilités. Mais ce n’est pas le plus intéressant. Non. Ma question est celle-ci : qui diable a pu imposer une telle expression ? Elle n’a rien d’évident. Il aurait été évident d’écrire : « et aux énergies renouvelables », ce qui, au passage, aurait fait plaisir aux écolos-gogos. Oui, qui ? Moi, je fais l’hypothèse que la nomenklatura qui dirige le CEA n’aura pas supporté le mot renouvelable, qui est trop connoté, qui évoque clairement le langage de l’adversaire. Je peux me tromper, évidemment, mais permettez-moi de penser au poids de la culture militaire dans les hautes sphères de cette belle institution.

Au-delà, et finalement, c’est bien l’essentiel, le choix du mot « alternatives » fonctionne tel un lapsus scriptae de première force. Car il s’agit bel et bien de remplacer ce qui est. Et donc, de continuer à l’avenir de consommer comme des abrutis sans jamais mettre en cause notre modèle criminel et suicidaire de gaspillage énergétique. Il s’agit de suivre la même route, avec les mêmes objectifs, avec les mêmes acteurs. Vous le saviez déjà ? Crotte, moi qui voulais faire le malin. Si vous avez le temps, lisez quelques phrases piochées sur le site même du CEA (ici) : ne me dites pas que nous sommes tombés en de mauvaises mains. Et vive l’atome, au fait !