Je reçois à l’instant un commentaire sur le nucléaire de quelqu’un qui semble s’appeler M. Fischer. Qui est-il ? Je l’ignore bien. Le net permet, sous le couvert de l’anonymat, de se livrer à n’importe quelle sottise. Celle-ci est insignifiante dans la hiérarchie de ce qu’on y trouve chaque jour, mais enfin, elle existe tout de même. Avant de répondre, je vais donc laisser la place à ce M.Fischer, qui connaît si bien le monde du nucléaire.
Commentaire de M.Fischer (si ce nom existe) :
M. Nicolino,
vous écrivez dans un français honorable, des approximations que vous présentez comme valeurs scientifiques, dites-vous, mais très grossières voire fausses. Par exemple, vous devriez lire un ouvrage de physique un peu sérieux (cela existe)sur le devenir du Pu 240. Sachez aussi que si la terre ne contenait plus d’éléments radioactifs(et on lui donne allègrement quelques 13 milliards d’années), elle serait beaucoup plus froide qu’elle n’est aujourd’hui, et vraisemblablement invivable pour l’Homme. De même, le couvercle de n’importe quel réacteur fut-il un RBMK de Tchernobyl, n’a jamais pesé 2000 t. Avez-vous songé à sa manipulation pour sa mise en place, son transfert, etc !!! Aérez un peu vos cellules grises en lisant des choses sérieuses, cela nous fera plaisir.
Ma réponse :
Je dois dire que, de longue date, les imbéciles me font rire. Comme on disait dans mon jeune temps : « toujours ça que les Boches n’auront pas ». Pauvres Allemands. Mais j’ai changé, sauf que je continue à rire. D’abord un mot en général. Ce monsieur, qu’il exprime ici son incapacité ou son insondable ignorance, ne prend même pas la peine d’écrire en quoi ma prose serait « grossière », voire « fausse ». C’est ainsi, et ce n’est pas autrement. On me conseille donc la lecture d’un livre de physique. Pour quoi ? Mystère. Un de plus. Quant à « l’argument » apparemment central, il consiste dans le fait que la Terre serait bien plus froide en l’absence d’éléments radioactifs.
On reconnaît souvent l’imbécile à ses inventions et à ses falsifications, volontaires ou non. Celui-là répond à une thèse qui n’a évidemment pas été défendue. De la sorte, croit l’imbécile, il est plus aisé de défaire celui qu’on attaque. Serait-ce pour la raison qu’on ne sait pas trouver mieux ? Je garde cela dans un coin de la tête, comme pure hypothèse. Voyez la question de l’effet de serre. Sans absorption naturelle d’une partie de la chaleur émise par le soleil, la terre serait évidemment inhabitable. Mais parce que les activités humaines dégagent un surcroît significatif de gaz à effet de serre, toute l’étonnante « machine » climatique se détraque. Exactement ce qui se passe avec les éléments radioactifs, qui deviennent un épouvantable problème dès lors que les hommes s’en servent et en dispersent. Monsieur Fischer, je sais bien que je suis ignorant. Mais quel mot faudra-t-il forger pour vous ?
Oui, quel ? Je ne prétends ni ne prétendrai jamais – ô joie ! – être expert en quoi que ce soit. Je n’ai cessé de l’écrire depuis deux ans, et le répète encore. Si vous aviez lu, ce qui semble au-dessus de vos forces, le texte que vous attaquez, vous seriez tombé sur ces mots du cher grand Paul Ricœur : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».
Il me reste deux points à souligner dans la courte missive que vous avez eu le cran de m’adresser. Le premier concerne le réacteur de Tchernobyl. La cause est entendue, je raconte des sornettes. Oui, mais en compagnie. J’ouvre le livre Les mystères de Tchernobyl (Autrement, 2006), coordonné par des journalistes, des universitaires, des scientifiques. Page 31, en réponse à une question de Galia Ackerman, un certain Georges Lochak déclare exactement ceci : « Il y a une semaine, mon ami Urutskoïev m’a justement confié qu’il ne savait pas quelle force avait propulsé le couvercle du réacteur appelé Elena – pesant près de 2 000 tonnes – et l’avait fait retomber sur le côté ».
M. Fischer, je ne vous demande pas si vous savez lire, je vais faire comme si, malgré mes doutes. Ce monsieur Lochak ne dit-il pas exactement ce que j’ai écrit moi-même ? Il me semble. Or Georges Lochak est non seulement un physicien, mais aussi un théoricien, et il a été l’élève de Louis de Broglie, dont il a écrit la biographie (Louis de Broglie, Flammarion, 1992). Il est aussi le co-auteur d’un ouvrage sur les applications de la mécanique quantique (L’Objet quantique, Flammarion, 1989). Et c’est ce gaillard-là qui vient donner raison à cet abruti de Nicolino ! N’est-ce pas plutôt distrayant ?
Quant au point concernant le plutonium 240, sachez que je regrette vivement que vous ne nous ayez pas donné une leçon complète. Je gage que nous aurions passé un bon moment. Voici très exactement ce qu’on trouve sur la page Wikipédia consacrée à la chaîne de désintégration. Je précise tout de même qu’un article publié en décembre 2005 dans la grande revue scientifique Nature établit que l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia vaut à peu de choses près, en rigueur, l’illustrissime encyclopédie Britannica. Ce qui suit, ainsi que le tableau, en provient intégralement :
Le plutonium 240 est produit en réacteur à partir du plutonium 239, par capture neutronique. La proportion de plutonium 240 dans les produits d’activation de l’uranium sera d’autant plus élevée qu’il aura subi une irradiation prolongée en réacteur. À long terme, la radioactivité du Pu 240 est dominée d’abord par l’uranium 236, et à échelle de temps géologique, par le thorium 232, quasiment stable (il est présent dans l’écorce terrestre en quantité quatre fois plus importante que l’uranium).
Élément chimique | Rayonnement | Demi-vie | |
---|---|---|---|
Plutonium 240 | 240Pu | Radioactivité ? | 6 560 ans |
Uranium 236 | 236U | Radioactivité ? | 23 millions d’années |
Thorium 232 | 232Th | Radioactivité ? | 14,05×109 a |
Radium 228 | 228Ra | Radioactivité ?– | 5,75 ans |
Actinium 228 | 228Ac | Radioactivité ?– | 6,15 heures |
Thorium 228 | 228Th | Radioactivité ? | 1,19 an |
Radium 224 | 224Ra | Radioactivité ? | 3,63 jours |
Radon 220 | 220Rn | Radioactivité ? | 55,6 s |
Polonium 216 | 216Po | Radioactivité ? | 0,145 s |
Plomb 212 | 212Pb | Radioactivité ?– | 10,64 h |
Bismuth 212 | 212Bi | Radioactivité ?– | 60,55 min |
Polonium 212 | 212Po | Radioactivité ? | 0,3 ?s |
Plomb 208 | 208Pb | Stable | – |
Faut-il ajouter quelque chose ? Je ne sais. Le certain est que, si le nucléaire est défendu aujourd’hui par des gens comme ce M.Fischer, il me paraît clair que de grands espoirs nous sont permis. En attendant, ils ont la force, le pouvoir, des moyens illimités et une arrogance à leur mesure. Faute de mieux, et en attendant mieux, rions. Cette énergie libératrice et bon marché, sans grand danger connu, reste pour le moment à notre pleine et entière disposition. Profitons, je pressens que cela ne durera pas.