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Chávez et l’oeil qui voit tout

Je viens de rentrer d’une semaine passée ailleurs. Et c’était beau, je vous le dis en confidence électronique. J’ai vu le soleil, la pluie, une rivière en furie, quelques circaètes en vol, et des herbes folles, car la saison est folle, elle aussi. Le vent semblait une brise marine.

Comme il est ce soir, dimanche, je n’ai que quelques minutes. Pourquoi parler du président vénézuélien Hugo Rafael Chávez Frías, ce Chávez adoré en France par une part notable du mouvement dit altermondialiste ? Parce que ce militaire obsédé par l’autorité et le narcissisme me dégoûte. Et que certains altermondialistes, qui seraient tant utiles dans la bagarre pour la vie sur terre, préfèrent se vautrer dans un soutien qui rappelle celui apporté jadis à Cuba, puis au Nicaragua.

Chávez a été formé – en partie – à la politique par un militant négationniste, et donc antisémite, nommé Norberto Ceresole. Je ne crois pas que vous trouverez cela dans Le Monde Diplomatique. Il a un projet terrifiant pour l’écologiste que je suis : un gazoduc qui permettrait l’exportation du gaz vénézuelien à travers l’Amazonie, jusqu’en Argentine et au Brésil. Longueur : entre 7700 et 9000 km. N’importe quel potentat de droite qui oserait une telle idée serait cloué au pilori par les amis de Chávez. Là, silence.

Mais ce n’est pas de cela que je voulais vous parler en deux mots. Non. Chávez vient d’imposer une loi totalitaire, grâce au parlement à ses bottes galonnées. Tout Vénézuélien a désormais l’obligation de collaborer avec les services secrets chavistes, sous peine d’aller en taule pour une durée pouvant aller jusqu’à quatre ans.

Des services secrets au service d’un caudillo, un peuple tenu de dénoncer et de se dénoncer. Quand donc cette atroce bouffonnerie, qui est aussi une tragédie, cessera-t-elle ?

40 ans mais plus toutes ses dents

(N’oubliez pas mon post-scriptum)

L’autre jour, assemblée générale d’une association de journalistes dont je suis membre, les Journalistes pour la nature et l’écologie (JNE). Pour l’essentiel, j’y ai fait le pitre avec l’un de mes compères, Marc Giraud, auteur de plusieurs livres très plaisants, dont Le Kama-Sutra des demoiselles et Calme plat chez les soles (les deux chez Robert Laffont). Ce sont des livres qui racontent des histoires étonnantes sur la sexualité des bêtes. Eh oui, quoi.

À un moment de l’assemblée, j’ai entrepris Thierry Jaccaud, lui aussi JNE et par ailleurs rédacteur-en-chef de la revue L’Écologiste. Sur quel sujet ? Celui-là même que je vais vous exposer. En un mot, le mouvement écologiste et de protection de la nature, en France, est dans une situation de faillite.

De quand date ce mouvement ? De 1969. Avant cette date, le discours sur la nature et sa protection était la propriété privée des vieilles barbes et des sociétés savantes. Depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à l’après 68 en effet, il y a eu monopole. Seuls les scientifiques, les naturalistes – et quelques poètes déjà chevelus – ont pu, ont su évoquer le sort de la planète et de ses équilibres naturels. Il n’y a pas l’ombre d’un reproche. Le reste de la société était occupé ailleurs.

Survient mai 1968. Survient du coup une génération en rupture avec ses aînés. L’écologie, très présente dans la culture underground des États-Unis tout au long des années soixante, devient chez nous une force intellectuelle et bientôt sociale. Cette même année 1968 se crée la Fédération française des sociétés de protection de la nature (FFSPN), qui deviendra en 1990 France Nature Environnement (FNE). Les professeurs y font toujours la loi, mais cela ne va pas durer.

Cela ne dure pas, car le réel se manifeste enfin. Décrété en 1963, notre premier parc national, celui de la Vanoise, est menacé en 1969 d’une amputation sauvage, pour faire plaisir aux promoteurs d’une station de ski. Tel est le point de départ, le point zéro. Des centaines de milliers de personnes signent une pétition portée par une partie notable du tout jeune mouvement de mai. Et les bagarreurs gagnent, contre l’État.

Le combat pour la Vanoise dope toute une série de grandes associations régionales, à commencer par la Frapna, mais aussi Bretagne Vivante (alors Sepnb) ou Alsace nature. À cette époque, la plupart des militants sont de jeunes enthousiastes, antinucléaires et, osons le gros mot, anticapitalistes. Presque tous, au fil des ans, feront le choix de la longue marche dans les institutions.

Je ne juge pas, je vous le jure. Confrontées à une menace qu’elles analysaient mal, les associations ont tout misé sur la concertation, la discussion et le rapprochement, dût-il parfois être difficile. Ils ont cru de bonne foi que la France était le cadre nécessaire et suffisant, que la création du ministère de l’Environnement en 1971 était une bonne nouvelle, que leurs partenaires locaux finiraient par jouer le jeu dès lors qu’ils auraient suffisamment été informés. Mais ils se sont lourdement trompés.

Pendant des décennies, et jusqu’à aujourd’hui, des milliers, des dizaines de milliers de bénévoles ont investi les structures officielles les plus abstruses : les commissions départementales d’hygiène, des sites, des déchets, des carrières, que sais-je ? Ils se sont engloutis, la machine les a intégralement digérés. Parallèlement, par un processus inévitable, et qui ne met pas en cause les personnes, les associations se sont institutionnalisées. Elles ont réclamé des subsides publics, les ont obtenus, et se sont progressivement enchaînées elles-mêmes.

Aujourd’hui, FNE fédère officiellement 3 000 associations locales, thématiques ou régionales. C’est un réseau impressionnant, mais le drame est qu’il ne sert à rien. J’entends déjà les cris, y compris d’amis, et qu’on me pardonne, mais je persiste : à rien. Je sais la quantité d’efforts consentie, ou plutôt, je l’imagine (mal). Des centaines de milliers de soirées ont été offertes en cadeau à la société, mais allons de suite au résultat, cela m’évitera d’être méchant.

En 1969, par aveuglement, nul ne comprenait. L’affaire de la Vanoise est d’ailleurs symptomatique. Le mouvement naissant croyait qu’il fallait, qu’il suffisait d’aligner des victoires locales pour inverser le courant général. On gagnerait dans la montagne, puis dans la plaine, puis sur la mer, etc. La pédagogie ferait le reste. Nul ne voyait la nature des forces en présence, et le caractère connecté, écosystémique, global des menaces sur la vie.

Ce mouvement s’est alors engagé dans une impasse totale, en traitant chaque jour avec des acteurs inconscients, mais imposants, de la destruction du monde. Et ces derniers ont gagné, car ils étaient la force, tandis que le mouvement s’est enlisé, épuisé, avant de s’arrêter au bas d’une côte qu’il ne montera jamais.

Qui oserait me dire que la situation générale est meilleure qu’en 1969 ? Qui ? Nous sommes passés d’une situation inquiétante à un état du monde angoissant. Tous les grands équilibres – de la planète, pas de notre minuscule pays – sont proches d’un point de rupture qui peut nous mener au chaos général. Et FNE continue de siéger, impavide, dans toutes les structures que l’État, son financier principal, lui désigne. Je viens de lire une « lettre » de FNE à notre président Sarkozy sur les biocarburants, que je juge déshonorante pour nous tous (ici). Usant de tournures alambiquées, ce texte, qui aborde la question de la faim de manière incidente, ne réclame même pas l’arrêt des subventions françaises à cette industrie criminelle. Nous en sommes là ! Pas question de mordre la main qui vous nourrit.

Bien entendu, ce bilan calamiteux ne se limite pas à FNE. Un jour peut-être, la véritable histoire du WWF sera écrite. Et ce jour-là, la surprise sera au programme, croyez-moi. Car cette association internationale financée par l’industrie n’aura cessé de chercher et de trouver des accommodements avec les pires transnationales. Par exemple en osant « vendre » à la société l’idée d’un usage soutenable du bois tropical. Ou du soja. Ou des biocarburants. Cette politique-là est simplement scandaleuse, et tout le monde se tait. Mais pas moi.

Disant cela, je n’oublie pas que d’authentiques écologistes, dont certains sont des amis, travaillent pour le WWF. Je ne les cite pas, car je ne veux pas les mettre dans l’embarras. Et je ne souhaite pas même qu’ils quittent l’association, car ils y font malgré tout un travail utile. Mais enfin, regardons les choses en face : le WWF accompagne la marche à l’abîme des sociétés humaines et du vivant.

Greenpeace ? J’ai été membre du Conseil statutaire de ce groupe pendant des années. Ne me demandez pas ce que c’est, car je l’ignore. Pour moi, cela signifiait participer à des réunions inutiles, une à deux fois par an. Ce qui me reste de Greenpeace, c’est que j’y compte des proches, à commencer par ma chère Katia Kanas, présidente actuelle en France. Et alors ? Et alors, Greenpeace a suivi une pente redoutable, et peut-être inévitable. Les sociologues qui étudient l’histoire des associations parlent classiquement de deux phases. La première, dite « charismatique », est celle des fondateurs et de l’exaltation. La suivante est celle de « l’institutionnalisation ». Nous y sommes.

Pour ce que j’ai pu voir, Greenpeace n’est plus. Les cinglés de 1971 voguaient à bord du Phyllis Cormack en direction de l’Alaska, pour y occuper le site des essais nucléaires américains. Ceux d’aujourd’hui gèrent la manne du fundraising, méthode éprouvée pour récolter du fric auprès de millions de donateurs. Certes, et ce n’est pas rien, Greenpeace ne dépend ni de l’État ni de l’industrie. Mais ses cadres supérieurs, souvent recrutés par petite annonce hors du mouvement écologiste, sont des cadres supérieurs. Et Greenpeace-France est une PME de l’écologie, tristement incapable, par exemple, de mener la bagarre pourtant essentielle contre les biocaburants. Dieu sait pourtant que je les y ai invités !

Toutes les tendances de cette écologie officielle, plus quelques autres que je n’ai pas le temps de citer, se sont retrouvés à la table de Borloo et Kosciuko-Morizet l’automne dernier. Je veux parler du Grenelle de l’Environnement, bien sûr. À cette occasion, le mouvement a montré où il en était, c’est-à-dire au même point qu’en 1969. C’est-à-dire bien plus bas en réalité. Car c’est une chose de croire au Père Noël quand on est un gosse qui découvre le monde. Et une autre quand on approche des quarante ans.

Ce mouvement aura bientôt quarante ans, en effet, et c’est le mien. Ma famille. Je ne suis pas partisan de la table rase, qui n’est que fantasme. Mais d’évidence, il est temps de faire un bilan. Selon moi, il est limpide : nous avons échoué, tous, à empêcher l’emballement de la machine à détruire la vie. Il est donc certain que les moyens utilisés ne sont pas adaptés au seul objectif qui vaille. Je ne crois pas, en effet, qu’on puisse se contenter de risettes de Borloo, de bises de Kosciucko et de passages à la télé. À moins que je sois le roi des imbéciles, et que personne ne m’ait prévenu du changement de programme ?

Nous avons échoué, soyons sérieux. Il faut le dire, il faut l’écrire, il faut même le proclamer. Sur cette base-là, essentielle, il s’agira de reconstruire un mouvement différent, plus fort, plus conquérant, partant avec ceux qui le voudront à l’assaut du ciel, pour la restauration du monde vivant. Je vous lance donc, je me lance aussi, bien sûr, un appel au sursaut. Arrêtons la dégringolade. Ouvrons les yeux, fermons la télé, et osons dire cette évidence que le roi écologiste est nu. Pour commencer.

PS : Exceptionnellement, je vous demande de diffuser ce qui est bel et bien un appel à tous les réseaux de votre connaissance. Je ne prétends pas avoir raison, mais je suis certain que nous avons besoin d’un grand débat. Et donc, je vous en prie, faites circuler. Merci.

Quand le lion sera historien

L’autre jour, je discutais avec une femme qui me disait aimer beaucoup certain proverbe africain. Je n’ai pas vérifié, et peut-être n’est-il pas africain. Il n’est pas impossible que ce ne soit pas, d’ailleurs, un proverbe. N’importe, car le voici : « Tant que les lions n’auront pas leur propre historien, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur ».

Pas mal, non ? Moi, j’aime. Et je pensais à cela tout à l’heure en découvrant dans le journal Le Monde – qui me tombe de plus en plus souvent des mains, est-ce normal ? – un article sur les prix agricoles (ici). Un de plus ? Je confirme. Celui-là, s’appuyant sur une étude conjointe de la FAO et de l’OCDE, prévoit un malheur planétaire durable. L’augmentation des prix alimentaires ne serait pas un feu de paille, mais une bombe à mèche très lente. Les experts susnommés prévoient en effet, dans les prochaines années « une hausse d’environ 20 % pour la viande bovine et porcine, de 30 % pour le sucre, de 40 % à 60 % pour le blé, le maïs et le lait écrémé en poudre, de plus de 60 % pour le beurre et les oléagineux, et de plus de 80 % pour les huiles végétales ».

Cette flambée, obéissant à des facteurs structurels, n’aurait aucune chance de disparaître au cours des dix prochaines années. Or donc, et c’est moi qui pose la question, que pourront faire ceux de nos frères – car je n’ai pas rêvé, officiellement, ce sont bien des frères – qui survivent avec un dollar par jour ? J’ai la désagréable impression qu’ils iront se faire foutre, allongés dans une caisse en carton, pour l’éternité.

Ces chiffres effarants n’existent que pendant la fraction de seconde où ils passent devant la rétine fatiguée d’un de ces cadres moyens ou supérieurs qui lisent Le Monde. Car qui lit ce journal ? Sitôt lu, sitôt oublié. Il n’en restera rien, sauf pour ceux qui ont tant besoin de tout. D’où ce retour au lion. Ah ! si Le Monde était écrit par un paysan bambara désespéré ou un cul-terreux de l’Uttar Pradesh, certes, on n’y lirait pas les mêmes choses.

Peut-être saisirait-on enfin ce que signifie un suicide aux pesticides parce que le puits est à sec et que l’achat d’une pompe supplémentaire n’est pas possible. Ce que la vente d’une fillette au marchand de putes ou au chef des mendiants peut provoquer dans la tête d’une mère ou d’un père ou d’une fillette. Ce que c’est que pleurer sur la poussière d’un champ où il ne pleuvra pas. Ce que c’est que mâcher une racine pour tromper celle qui vous mange la tête et l’âme, la reine Famine.

Mais heureusement, le journal Le Monde – et tous autres – est réalisé par des journalistes qui maintiennent une saine distance avec les faits dont ils rendent compte. Le journalisme n’est pas l’école de l’émotion, mais celle de la congélation. Et c’est pourquoi vous ne lirez nulle part dans nos journaux gorgés de publicité pour la bagnole, l’avion et le nucléaire le texte renversant de cet entretien avec l’Indienne Vandana Shiva (ici).

Shiva, pour ceux qui ne la connaissent pas, est l’incarnation d’un mouvement dont on parle peu en vérité, celui qu’on appelait il y a quinze ans l’antimondialisation. Physicienne, écologiste, écrivain, elle dirige Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy, une fondation très active en matière de défense de la biodiversité. Celle qui est défendue depuis des milliers d’années par les paysans pauvres, celle qui permit l’existence en Inde d’une centaine de milliers de variétés de riz, adaptées aux moindres conditions locales. Elle a également créé une ONG qui n’a rien à voir avec les nôtres, car celle-là se bat. Son nom ? Navdanya (ici), qui veut dire « neuf graines ». Cette association regroupe des dizaines de milliers d’adhérents et promeut une agriculture paysanne qui doit beaucoup à ce que nous nommons l’agriculture bio. Un réseau d’une vingtaine de banques de semences a d’ores et déjà permis de sauver de l’anéantissement environ 8 000 variétés de riz. 8 000 !

Que nous dit Shiva dans l’entretien signalé plus haut ? Je ne peux que vous conseiller de le lire, si l’anglais ne vous rebute pas. Et je ne vais pas le paraphraser, non. Sachez que c’est un grand texte, appuyé lui sur des réalités certaines. Sur l’Inde, dont tant d’ignorants nous disent qu’elle rejoint à marches forcées le Nord, Shiva rétablit un à un les faits qui décideront de l’avenir de ce pays. Nous sommes loin, c’est-à-dire tout près, de la voiture Tata chère au coeur de Pierre Radanne (ici).

Contrairement à ce que la propagande voudrait faire croire, la situation indienne est catastrophique. La perspective de l’autosuffisance alimentaire s’éloigne de jour en jour. Lisez, lisez avec moi s’il vous plaît. L’Inde connaît une croissance de 9,2 % par an. Celle que mesurent des indices aussi faux que le PIB. 9,2 % ! Prodigieux ! clame le choeur universel des nigauds. Dans le même temps, l’Inde bat l’Afrique pour le nombre de ses affamés. L’Afrique ! clame le choeur universel des pleureuses.

Eh bien oui, l’Afrique est dépassée par l’Inde, où 50 % des enfants souffrent de différents niveaux de malnutrition. Où un million d’entre eux meurent de faim chaque année. Je vous le dis, je vous l’assure, Shiva n’est pas folle. La réalité est aux antipodes de notre réalité. Mais le lion n’est pas près d’avoir son historien.

Socialistes et (surtout) compagnie

Je préfère en rire. Je veux dire que, sérieusement et consciencieusement, j’en rigole. Je le fais parce que je n’y peux rien, et qu’à ce degré de dinguerie, je me laisse aller. Je ne dois pas être le seul à ricaner dans les pires situations, même si, quelquefois, je me surprends moi-même. J’ai (presque) toujours ri au milieu des bourrasques.

De quoi s’agit-il cette fois ? Oh, des socialistes. De leurs histoires. De leurs batailles picrocholines, de leur ridicule ego, de leurs pâles personnes. Je vous l’avoue, je n’en sauve aucun. J’ai déjà parlé ici de DSK, qui a accepté le soutien empressé de Sarkozy pour devenir le patron du Fonds Monétaire International (FMI), agent majeur et planétaire de la destruction du monde.

Les autres ne valent pas mieux. Delanoë a fini par croire qu’il pourrait aussi bien qu’un autre. Et il a raison : aussi bien, pas davantage. Royal, enflammée l’an passé par les compliments grotesques de BHL, devenu le temps de sa campagne un conseiller écouté, tente si j’ai bien compris de prendre la direction du PS. Et quantité d’autres, de Moscovici à ce pauvre Julien Dray, envisagent de lui, de leur disputer le titre. Sur Dray, notons ensemble cette forte sentence par lui prononcée sur RTL, et qui s’adresse à son ancienne grande amie Ségolène Royal : « Quand un pâtissier essaie de monter une pièce montée (…) pour une communion, un mariage, il y a la petite figurine au-dessus, elle est importante. Est-ce que le pâtissier commence à faire la figurine d’abord ? Non, en général, il commence à construire la pyramide. Il associe les choses». Ajoutant finement : « Ce qui est valable en pâtisserie est un peu valable en politique ».

Même à l’aune de l’histoire de leur parti, l’ensemble de ces gens sont des nains de jardin. Car lorsqu’on passe de Jaurès et Blum – et Dieu sait pourtant que je ne fais pas partie du fan club – à cette étonnante médiocrité, il est manifeste qu’on descend rudement. Mais en réalité, il y a pire. Bien pire : il n’y a jamais qu’un fil unique, qui les relie tous, et c’est bien entendu leur aveuglement complet.

Contemporains comme vous et moi d’une crise sans aucun précédent de la vie – du moins depuis l’apparition de l’espèce humaine -, tous ces fiers dirigeants font néanmoins comme si elle n’existait pas. Et en effet, elle n’existe pas pour eux. Par exemple, et ce n’est qu’un exemple, pas un ne se sent concerné par les émeutes de la faim en cours. Pas un ne relie la profonde décadence de l’agriculture industrielle, dont ils sont il est vrai des défenseurs, et cette tragédie insupportable.

La question reste de savoir qui gagnera le prochain congrès, qui défiera donc la droite la prochaine fois, et qui montera au mieux les marches du ridicule pouvoir d’État français. Si on les laissait faire, la vie politique pourrait ainsi durer mille ou dix mille ans sans qu’aucun changement ne se produise jamais.

Est-ce que je les méprise ? Je suis bien obligé de l’avouer : c’est oui. Et c’est grave, car derrière ces personnages de troisième zone se trouve une part notable du peuple auquel j’appartiens. Sans lui, pas d’eux. Même si les relations entre la représentation et les représentés sont complexes, elles renvoient fatalement à une réalité qui m’attriste au plus profond.

Parmi les quelques choses auxquelles je crois pour de bon, cette certitude qu’il faut définitivement tourner le dos à ces formes politiques-là. À la droite bien entendu. Mais tout autant à la gauche, et d’ailleurs à toutes les gauches. Je suis toujours étonné de croiser tant de gens qui oublient que ces mots de gauche et droite ont une histoire. Avec une date de naissance qui sera tôt ou tard rejointe par un acte officiel de décès.

Ce qui ne bouge guère, ce qui doit inspirer aujourd’hui et demain, c’est l’idée de justice, que j’associe volontiers à celle d’égalité fondamentale. Le reste peut bien être balayé. Et le sera, croyez-le ou non. Je gage même qu’on est proche du terme de cette histoire « racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur » mais qui signifie cette chose précise : il est temps qu’elle cesse.

Quand Bové déconne (il n’est pas seul)

Faudrait pas s’en aller. Mais en même temps, quel bonheur de partir et de tout débrancher ! Je viens donc de me carapater quelques jours et rien ne m’aura réellement manqué du spectacle ambiant. Je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser. Est-ce moi ? Eux ? Nous, en somme ?

Bon, j’ai passé du temps avec mon ami Patrick, dans un lieu dont je ne peux rien dire de précis. Dont je ne veux, en réalité : il faut conserver par devers soi des territoires intimes. Et celui-là l’est, ô combien. C’est sublime. Il y a du schiste et du calcaire, une rivière et un ruisseau, des orchidées, des vallons qui referment leur mystère année après année. Et puis moi, lorsque j’y suis.

Avec Patrick, on est allés voir un type sympa comme tout, qui vendait quelques vieilles pierres pouvant servir de cadre et de jambage à une fenêtre future. Ancien ouvrier (hautement spécialisé) à domicile, retraité – mais toujours paysan -, il tient six hectares au bord de la rivière, où il cultive différentes plantes. Il est aussi propriétaire de ruines, de l’autre côté de la départementale. D’authentiques ruines perdues dans la pente, la ronce, le lierre et l’oubli. Avec au bas le bel encadrement de l’ancienne porte de l’entrée. Soit de très lourdes pierres, trois de chaque côté, dont il n’avait plus que faire.

Moi si. Pour cette future fenêtre. L’oeil avisé de Patrick, qui habite par là, avait repéré depuis longtemps ces six pierres de grès et approché l’ancien ouvrier. Qui avait fixé un prix dérisoire et topé avec moi. Ne restait plus qu’à récupérer les monstres. Nous y sommes allés l’autre matin, avec le fourgon de Patrick, un pied de biche, deux bastaings, un gros marteau, des gants et la brouette de René, évidemment. Que ferait-on, là où je me réfugie, sans l’aide de René et de ses nombreux matériels ?

À pied d’oeuvre, je dois dire que je n’en menais pas si large. La vieille entrée – donc les pierres d’encadrement – était au bord de la route, dans un tournant, et les bagnoles nous frôlaient les fesses au passage. Puis, il était clair que nous pouvions nous esquinter les mains et les pieds, au mieux peut-être. Patrick sait travailler ce genre de chantier foutraque, mais pas moi. Oh non !

Bref, nous fûmes à la lutte. Pour sortir les pierres de leur gangue de terre et de plantes enchevêtrées, les tirer de ce qui restait de maçonnerie, puis les basculer dans le vide. Oui, il n’y avait pas d’autre moyen que les extraire comme de très grosses molaires avant de les jeter dans la banquette, c’est-à-dire le fossé. Nous en avons fait rebondir deux ou trois sur les vieilles portes corrompues, que nous avions disposées comme des oreillers de bois. Le risque réel était que le vieux grès de la pierre ne cogne trop dur à terre et se brise. Car le grès est parfois du verre.

Bon, cela nous a pris du temps, et je préfère ne pas détailler l’extrême difficulté à placer une pierre de 120 kilos peut-être dans une brouette, alors que les voitures filent à cinquante centimètres de soi. L’important, c’est que nous avons réussi, sans rien casser d’autre que mon dos. Pour Patrick, je ne saurais dire.

Moi, c’est simple, j’étais fier et heureux. Je pensais que ces pierres avaient une histoire profonde qui menaçait bêtement de s’arrêter au bord d’une départementale sans âme. Je pensais que ce travail leur offrait une seconde vie, une vie neuve qui défierait à nouveau le temps, l’espace d’une seconde ou deux, au moins. Et je dois ajouter que la transaction sur les pierres couvrait une merveille, qui se trouvait ailleurs, et que nous sommes allés chercher avant de repartir.

Quelle merveille ? Une clé de voûte, en grès elle aussi. avec une date très visible dessus, accompagnée de plusieurs mots, en latin peut-être, à moitié effacés. Mais la date était limpide, elle, et c’était : 1789. Oui, la date de tous les débuts. Cette date miraculeuse qu’il faut aujourd’hui dépasser. Non pas oublier, certes. Mais dépasser, oui, et au plus vite !

Bon, là-dessus, je rentre. Et j’apprends qu’une manoeuvre de troisième zone a fait échouer le vote de la loi OGM à l’Assemblée nationale. Je vais vous dire : que me chaut ? Toute cette histoire, depuis les débuts calamiteux du Grenelle de l’Environnement en octobre 2007, respire le jeu de rôles, la manipulation, le faux-semblant. Car il n’a jamais été question d’interdire si peu que ce soit les OGM. Seulement de leur permettre d’avancer dans un pays qui résiste encore au rouleau compresseur de la marchandise universelle.

Je l’ai déjà dit maintes fois ici : pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas, les associations écologistes ont échangé leur indépendance contre un plat de lentilles. Et nous le payons tous. La pantomime d’hier n’est qu’un épiphénomène, qui sera vite oublié. Ce qui restera, c’est la loi. Une loi qui rendra légale la contamination de l’agriculture bio par les OGM. Et qui pourra conduire en prison ceux qui oseraient couper trois tiges de maïs génétiquement manipulés.

Mais qui manipule qui, ou quoi ? Je lis avec stupéfaction que José Bové a présenté le couac d’hier, au moment du vote, comme une « victoire historique ». Mon Dieu ! Une victoire ! Historique ! C’est ainsi, quand on ne porte plus attention au sens des mots et à leur portée, qu’on se retrouve perdu pour de vrai. Une grande partie des opposants actuels à la marche du monde se sont coulés dans le moule et acceptent de jouer le rôle légèrement bouffon que les médias leur concèdent.

J’aime bien José Bové, que je connais depuis une vingtaine d’années. Bien avant donc l’affaire de Millau. Je l’aime bien, mais cela ne m’empêchera pas de dire ce que je pense. Il déconne. Et quantité d’autres avec lui, qui ont créé le mythe d’un Borloo courageux et d’une Kosciusko-Morizet écologiste. Nous en sommes donc à ce point extrême de recul de la pensée : à les en croire, cette dernière, secrétaire nationale adjointe de l’UMP, parti du président, serait une alliée. Mais de qui ? Mais pour faire quoi ? Passer à la télévision ?