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En avant vers de nouvelles aventures

Je vais vite, car à la vérité, je me fous en bonne part du résultat des élections d’hier. Un mot à destination des Pleureuses : arrêtez de chialer sur tel ou tel épisode. La France était à l’entrée dans 2017 une terre profondément ancrée à droite et paraissait promise à Fillon et à ses redoutables sbires, tel ce président de la région Pays-de-la-Loire Bruno Retailleau, qui serait aujourd’hui ministre de l’Intérieur. Par un coup de baguette magique, le pays a été confiée à des gens moins sinistres, mais qui n’entendent nullement s’attaquer à ce qui domine de si haut notre époque : la crise écologique.

En somme, on n’aura pas eu le pire, mais qu’est-ce que le pire ? Lecteur, imagine cette scène : un ruffian frappe à ta porte, et comme tu ne réponds pas, arrache les gonds et te refile une raclée monumentale. On est d’accord, ce serait mieux si tu pouvais saisir le manche du tisonnier avant d’avoir la tête en sang. Ah ! j’oubliais. La crapule a en outre déposé une bombe dans ton salon, avec un minuteur. Et s’en est allé après t’avoir battu comme plâtre. Et maintenant cette autre scène : un jeune homme bien mis sonne à ta porte, et si je dis bien mis, c’est parce que tu viens de regarder derrière le rideau : oui, ce garçon a l’air sympa. Tu ouvres, et en effet, comme il est agréable ! Il a même apporté une bonne bouteille, et vous vous livrez à une partie d’échecs sur fond de vin rouge qu’il a le bon goût de te laisser gagner. Mais quelle bonne soirée ! Seulement, lui aussi laisse derrière lui une bombinette qui, sitôt qu’il sera parti, arasera ta jolie maison et te transformera en andouille et en andouillette.

Alors, tu préfères quoi, au juste ? La bombe ou la bombe ? Tiens, je remarque que tu as oublié le coup de poing dans la gueule du premier : s’agirait-il d’un indice ?

Bon, et à part cela, je suis content – mais comme c’est mesquin ! – de l’élimination de Cambadelis, qui ne s’en relèvera pas. De El Khomri, de Touraine, de NKM, de quelques autres. Et je suis également content de la disparition, du moins comme force nationale, d’Europe Écologie-Les Verts, dont les chefaillons, tout effrayés de découvrir l’existence du néant, tentent de bricoler encore avec Hamon. Une mention pour ce pauvre garçon appelé Jean-Vincent Placé. Certes, il a rempli la fonction qui était sans doute la sienne : détruire ce mouvement absurde et dérisoire qu’étaient les Verts. Mais j’ai dans l’idée que pour une fois – de son point de vue -, il a commis quelque grave erreur. Lui qui, bien avant tous les autres, déclarait sans complexe être compatible avec la droite, a loupé le coche avec Macron. Le nigaud a choisi Hamon quand un de Rugy, traître bien sûr, mais triomphant, choisissait la République en marche. Bon, on s’en fout. Oui, je m’en fous considérablement, car il faut continuer, sans se laisser distraire par les crottes de mouche. Continuons ensemble, car nous avons un tâche surhumaine à accomplir : sauver tout ce qui peut l’être encore. C’est à l’aune de ce si noble combat qu’on peut, qu’on doit juger tout le subalterne.

Un simple commentaire post-électoral

Je me sens, ainsi que d’autres, enfin majoritaire. Non merci, je n’ai pas davantage voté qu’à la présidentielle, car je (re)mets en question l’organisation générale de la société, et comme j’essaie d’être cohérent, je ne donne pas ma voix à ceux qui la perpétuent. Mon commentaire sera bref :

Les candidats macronistes pur jus ont obtenu le vote de 13,43 % des électeurs inscrits – on ne compte pas ceux qui ne le sont pas -, auxquels il faut ajouter 1,94 % pour l’allié du Modem. Soit en tout 15,37 %. Et ils vont décider en notre nom pendant cinq ans. Ma foi.

Ajoutons que le PS obtient 3,54 %; la France Insoumise 5,25 %; le Parti communiste 1,29 %.

La France ? Mais quelle France ?

Mélenchon et tous les autres (seconde partie)

Je vais essayer de ne pas vous faire peur avec des grands et gros mots, mais ce sera difficile, je préfère vous le dire de suite. Cet article se lit idéalement à la suite de celui qui le précède, Mais qu’est donc ce fier monsieur Mélenchon ? Voyez-vous, amis lecteurs, lecteurs non-amis, je dois nous rappeler que la pensée humaine est – aussi – une vaste histoire.

Je viens de lire un livre fort intéressant, bien qu’un peu bancroche à mon goût dans sa construction, qui me sert de point de départ. Dans La société écologique et ses ennemis (La Découverte, 744 pages, 27 euros – mais quel vilain titre ! -, Serge Audier traque pour nous, avec prudence mais constance, les penseurs plus ou moins proches de l’écologie qui ont jalonné l’histoire de ce qu’on nommait jadis le mouvement ouvrier. Ce mouvement qui, né avec l’industrialisation et la prolétarisation des ouvriers, artisans et plus tard paysans, a donné naissance à toutes les gauches. Marx, la social-démocratie, le stalinisme, l’essentiel du mouvement syndical.

Le rendez-vous historique de 1864

Cette histoire était-elle écrite d’avance ? Était-elle fatale ? Bien entendu, non. Un courant dominant l’a emporté, celui que les anarchistes de la Première internationale appelèrent, avec une géniale prescience le « courant autoritaire ». Cette Première internationale, fondée en 1864, explosera entre ceux qui soutenaient le Russe Bakounine – les anarchistes anti-autoritaires – et ceux qui défendaient l’Allemand Marx. La querelle deviendra scission en 1872. Mais retenez : tout le monde n’était pas d’accord avec les idées de Marx, et certains des plus clairvoyants redoutaient une soumission croissante à l’autorité et à la hiérarchie. Cette évolution non plus n’était pas inévitable, mais elle s’est produite.

Et bien avant ce que les staliniens et tant d’autres, hélas, nommeraient le soi-disant « socialisme scientifique », de merveilleux penseurs avaient délicatement déployé leur ailes de géants. Comme le mal-aimé Charles Fourier, qui imaginait, outre les phalanstères remis au goût du jour après 68, la si belle Île d’Harmonie, couverte de forêts et de fleurs, enchantée du matin au soir par le chant de milliers d’oiseaux. Certains de ses contemporains, sans être aussi socialistes que lui, méritent au moins mention, comme la divine George Sand, subtile amoureuse du monde. Tenez, ces quatre vers À Aurore : « La nature est tout ce qu’on voit,/Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime./Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,/Tout ce que l’on sent en soi-même ».

Élisée Reclus, mon idole

Ils sont nombreux, et le plus souvent inconnus, ceux qui dessinaient pourtant les contours d’une autre destinée commune. Je songe au moment où j’écris au formidable Thoreau de Walden. À son amour pour l’eau, les arbres, la marche, à son fameux traité sur la désobéissance civile, à sa révolte si profonde contre le despotisme d’État. Au si grand John Muir, fabuleux naturaliste, infatigable découvreur du sauvage. Aux jeunes fous, aux ardents poètes qui partaient à la fin de chaque semaine, vers 1860, décapiter les résineux plantés en masse – déjà ! – à Fontainebleau. Au pionnier de l’écologie scientifique George Perkins Marsh, dont j’ai parlé il y a sept années ici. Au grand géographe Elisée Reclus, l’une de mes idoles, anarchiste jusqu’au fond de l’âme, qui me fit vibrer jadis avec son Histoire d’un ruisseau. À tant d’autres, je vous perdrais.

Non, décidément, une autre pensée de l’avenir était possible. Qui sera restée dans les limbes. Ses auteurs, ses promoteurs ont été tantôt moqués, tantôt oubliés, tantôt battus ou abattus. Je ne doute pas une seconde que, si l’on avait suivi leurs pas au lieu que de plébisciter la machine, la vitesse, l’argent, nous ne serions pas aujourd’hui  face à une horrible crise écologique planétaire. Mais le temps passe, et  il me faut vous parler de cette lèpre de l’espérance humaine que furent le stalinisme et toutes ses si nombreuses dépendances. Je ne vous l’ai pas dit, mais je l’ai écrit plus d’une fois : le mouvement ouvrier aura été une œuvre de civilisation. Des générations de combattants ont rêvé d’un monde qui ne s’édifierait pas sur le malheur et les cadavres. Seulement, cette immense espérance se sera brisée en deux temps. D’abord au moment de la terrible guerre de 1914, qui vit le suicide de l’Europe. La grande responsabilité n’en incombe pas, à mes yeux, aux bourgeoisies rapaces de notre continent, quel qu’ait pu être leur rôle. Mais au mouvement socialiste, incapable d’unir les peuples contre la boucherie.

En souvenir de mes morts de Kronstadt

Des ruines de l’affrontement surgit la « Révolution bolchevique » – un pur et simple coup d’État – de 1917, qui vit apparaître de nouveaux monstres. Vous vous souvenez de cette merveilleuse Internationale des ouvriers, fondée en 1864 ? Ceux qu’on appelait désormais les « marxistes », au premier rang desquels le parti bolchevique, étaient bel et bien obsédés par l’obéissance, la hiérarchie – un bureau politique régnant sur un parti dominant toute la société – l’autorité pseudo-scientifique. Et je ne parle pas de leur folie productiviste, eux qui voulaient, comme l’écrivit Trotski dès les années 20 du siècle passé (dans l’essai Art révolutionnaire et art socialiste) : « L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans ». In memoriam le Goulag et la Kolyma, la famine ukrainienne et son lot de cannibales, les hauts-fourneaux et le stakhanovisme, le nucléaire sans nul contrôle, la police partout. Lénine, Trotski et Staline vainquirent, mais à quel prix exorbitant !

Rappelons au moins trois faits connus. Un, les bolcheviques, très minoritaires, dispersèrent par la baïonnette l’Assemblée constituante réunie, après des élections libres, en octobre 1918. Deux, les marins, ouvriers et soldats de la ville de Kronstadt se révoltèrent contre le nouveau pouvoir en mars 1921 et réclamèrent des élections libres et la liberté de la presse. L’Armée rouge de Trostki attaqua aussitôt, emprisonna, assassina des milliers de Justes. Trois, l’armée de l’Ukrainien Makhno, lui-même anarchiste, parvint à réunir en Ukraine, entre 1918 et 1921 la Makhnovchtchina, une armée d’inspiration libertaire qui atteindra jusqu’à 50 000 combattants. Opposée tout à la fois aux troupes nationalistes de Petloura, aux armées blanches de Dénikine et Wrangel, aux divisions bolcheviques, elle finira elle aussi noyée dans le sang de ses soldats.

Non, je ne raconte pas tout. Mais je veux évoquer encore l’Espagne de 1936, où un syndicat anarchiste, la CNT, était le plus puissant de tous. C’est dans ce pays que l’idée anarchiste est allée le plus loin, notamment dans les campagnes. Écrivant cela, applaudissant encore, au fond de moi, la geste des Solidarios, d’Ascaso, de Durruti, je n’oublie nullement les ombres de ce grand mouvement et certains meurtres injustifiables. Mais en l’occurrence, laissez-moi penser que l’essentiel est ailleurs. Les staliniens russes, aidés par des crapules stipendiées locales, et quelques étrangers comme notre Duclos national, ont proprement tué le mouvement social espagnol. Par le meurtre, les enlèvements, la torture, par le crime à tout instant.

Un détour par le Nicaragua sandiniste

Bien entendu, un tel travail d’anéantissement de la liberté vient de loin, et va plus loin encore. Si je n’aime pas Mélenchon, c’est que je maudis en bloc l’histoire du parti communiste, qui a longtemps été son allié. Et de même cette épouvantable histoire emplie d’un sang noir et rouge qui s’est poursuivie dans l’Est de l’Europe, en Chine, au Vietnam, au Laos, au Cambodge, à Cuba, au Nicaragua, au Venezuela, partout où le mensonge règne ou a régné. Vous avez le droit imprescriptible de ne pas voir le lien, évident pour moi, entre la structure mentale des staliniens d’antan, et des expériences qui, en apparence, sont éloignées. Mais je crois sincèrement que, dans ce cas, vous avez tort.

J’ai connu de près le Nicaragua sandiniste de 1979, au moment où le tyran Somoza était chassé du pouvoir par quelques bandes de jeunes guerilleros. Un mois plus tard, je découvrais dans Barricada, le quotidien du FSLN, le Front sandiniste victorieux, un article « de fond » sur la « révolution » d’octobre 17. Tous les mensonges, toutes les calomnies, toutes les si cruelles inventions, comparables au faux Protocole des Sages de Sion, y étaient en toutes lettres.

Pour le triomphe du mycorhize

Je vous le dis, et je le proclame : la pensée libre, dont nous avons tant besoin, est une plantule fragile, qui disparaît plus facilement qu’elle n’apparaît. Et au moins deux traditions s’opposent et s’opposeront. Celle si chère à mon cœur, établie par tant de peintres, de poètes, d’écrivains, de penseurs, de militants. Elle fait irrésistiblement penser à un rhizome, ou mieux encore à un mycorhize,  cette association parfaite entre les racines des plantes et des champignons, par quoi passe la sève du monde, l’information, la lumière et la clarté, la mobilisation et l’action. Cette dimension est horizontale, refuse l’existence de chefs autoproclamés, et prétend, contre l’évidence j’en conviens, que la destinée des hommes est d’être libres et solidaires.

L’autre tradition m’aura toujours épouvanté, et je la récuse en totalité. C’est celle de la servitude volontaire au nom de l’admiration vouée au grand personnage. C’est la langue de la domination, qui multiplie toujours les dominés. Celle des cages mentales dans lesquelles les pouvoirs de la place, aussi différents qu’ils aient pu paraître, enferment leurs adversaires et ennemis. Or moi, je ne suis pas un adversaire, je suis un ennemi de ce monde et de ceux, Mélenchon compris, qui ne rompront jamais avec le joug, remodelé certes, rafistolé et repeint, mais qui aura toujours le même poids sur la nuque des serfs de l’Autorité.

Mais qu’est donc ce si fier monsieur Mélenchon ? (première partie)

Je sais bien que les mélenchonistes les plus mélenchoniens me détestent, mais cela ne m’a jamais empêché d’écrire sur leur héros ce que je voulais. Et je compte bien continuer ici, malgré leurs inévitables protestations. Je compte rappeler ici quelques points déjà abordés, puis ajouter une pincée de poudre noire dans la (si petite) blessure que je leur ai infligée. Avis à l’univers : il faut, il faudrait lire le texte qui suit en compagnie de celui qui le suivra. Où l’on verra, peut-être, les raisons profondes, les racines politiques, historiques et personnelles qui sont au commencement  de mes lourdes critiques contre Mélenchon. Avis donc : il n’y a pas un article sur lui, mais deux.

Et ça commence par un préambule. Je comprends en partie l’engouement de tant de gens pour La France Insoumise. Les proclamations de ce regroupement contiennent quelques belles idées qu’il serait pénible – et même stupide – de rejeter. Il est vrai que, et tout à mes critiques, je ne l’ai pas assez fait, grâce à ce mouvement et à Mélenchon, certaines questions sont sorties du réduit mental où elles étaient. Grâce à Mélenchon ? Vous avez bien lu : grâce à lui. Malgré tout ce que je peux lui reprocher, il a ouvert une porte, libérant des énergies qui s’épuisaient en vain à défendre des causes subalternes. Je me permets de faire un rapprochement avec le grand texte du pape François, Laudato Si, même si cela n’est pas de même nature, ni de signification et de puissance comparables. Je précise que François m’impressionne.

Les si tristes funérailles d’Hugo Rafael Chávez Frías

Je salue donc ceux des Insoumis qui ont placé la question écologique au centre de leur monde, même si c’est d’une manière qui ne me convient pas vraiment. Et Mélenchon itou, qui est parvenu à secouer sa tête chenue pour y faire entrer un peu d’air et de lumière. Sommes-nous d’accord ? Je l’espère, car cela ne va pas durer. D’abord, Mélenchon nous a bassinés je ne sais combien de dizaines de fois avec ce géant qui n’était qu’un nain, Hugo Rafael Chávez Frías, défunt président du Venezuela. L’apothéose de cette séquence a été la veillée funèbre, à l’annonce de la mort del Jefe au début de l’année 2013. Citation de Mélenchon : « Ce qu’est Chavez ne meurt jamais. C’est l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la révolution ». Autre citation : « Il n’a pas seulement fait progresser la condition humaine des Vénézuéliens, il a fait progresser d’une manière considérable la démocratie ». On sentait le pleur tout près de sortir.

Et là-dessus, silence total. Aucune explication n’est fournie de l’abominable descente aux enfers de ce grand pays. Le successeur, Maduro, fait endurer à son propre peuple la pire crise sociale qu’a connue le pays depuis son indépendance pour le coup bolivarienne de 1811. La camarilla militaire chaviste a copieusement pillé le pays et son immense rente pétrolière, distribuant des prébendes qui n’auront servi qu’à doper une consommation de biens importés. Rien de fondamental n’aura changé, alors que le chavisme au pouvoir a vingt ans d’âge. Les corrompus du sommet ont eu le temps de planquer les trésors volés à Miami, et je suis bien certain qu’ils ne paieront pas le prix de leur vilenie. Il ne restera bientôt plus rien du chavisme. Cela, une révolution ? J’aimerais presque croire que c’est une blague. Sur le sujet, j’ai écrit ici même, en 2009, un article qui peut se relire. On y découvre celui que Chávez décrivait comme un grand ami. Norberto Ceresole, fasciste et négationniste argentin, car c’est de lui qu’il s’agit, a fort contribué à la formation politique de Chávez, qui s’appuie comme chacun devrait le savoir sur le triptyque El Caudillo (Jefe), el ejército, el pueblo. Le chef, l’armée, le peuple. Une insupportable vision verticaliste du pouvoir, revendiquée pourtant. On peut aussi lire ceci ou encore cela.

 

L’économie chinoise, chance pour l’humanité

J’ai entendu Mélenchon oser face à Jean-Jacques Bourdin une phrase du genre : « Mais enfin, vous savez que Castro et Chávez sont morts ? », sous-entendant par là qu’il n’y avait pas lieu d’y revenir. Mais quelle audace !  Venant d’un homme qui se croit incarner l’Histoire en marche, et ne cesse de vanter telle ou telle figure de la Révolution française, c’est réellement gonflé. Et surtout ridicule pour qui se réclame encore du matérialisme et du marxisme. On pourrait donc faire parler les morts, mais pas tous. Seulement ceux qui arrangent la ligne politique du moment. Comme c’est commode.

En 2012, j’ai remis le couvert et abordé une dimension proprement infâme du personnage Mélenchon en évoquant le sort fait au journaliste d’origine brésilienne Paulo Paranagua : c’est . Un peu plus tard, toujours cette année 2012, j’ai commencé à parler d’autres pays de cette Amérique latine que j’ai bien connue, et pour lesquels Mélenchon avait les yeux de Chimène. Ainsi de l’Équateur et de sa si fameuse « révolution citoyenne ». Vous verrez ici le sort fait aux Indiens de Sarayaku, et l’ode de Mélenchon à la destruction du monde par l’économie chinoise (« Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité », octobre 2012). Ainsi du Pérou, ici cette fois. Et encore deux fois sur l’Équateur : en septembre 2013 et en novembre 2016.

Quant au Mélenchon « écologiste », il y a pléthore d’articles sur Planète sans visa. Je me permets d’en citer celui-ci, cet autre, celui-là et deux derniers, ici et là. Ils ont au moins trois ans, et depuis, je n’ai pas changé d’avis. Un seul exemple éclairera mon propos : le fameux meeting de l’hologramme, en février 2017. Lui à Lyon, son ombre portée à Auber. Eh bien, la totalité de la prestation était un show profondément anti-écologiste, articulé autour de trois frontières humaines à repousser plus loin : la mer, l’espace, le numérique. Rendez-vous compte un peu ! Si l’écologie a un sens, c’est bien celui d’avoir découvert puis admis les limites de l’action humaine. Simplement parce qu’un mur physique infranchissable empêche d’aller au-delà. Quand il n’y a plus de sol, on ne cultive plus rien. Quand il n’y a plus de poissons, on n’en pêche plus. Quand l’eau vient à manquer parce que nappes et rivières ont été surexploitées, les êtres vivants meurent un à un.

Or à Lyon, il s’agissait d’aller encore plus loin. La mer ? Il faudrait lancer un vaste programme d’industrialisation à coup d’hydroliennes géantes, d’éoliennes off shore, d’usines aquacoles destinées à fabriquer des algues. Je n’invente rien. Et voyez comme Mélenchon parlait de nos pauvres océans sur son propre blog, le  26 mars 2012 : « Ne sommes-nous pas la nation d’Europe qui a su s’immiscer dans l’espace et qui occupe aujourd’hui la moitié du marché mondial des tirs de satellites ? N’avons-nous pas mis au point le navire de transport spatial le plus abouti pour alimenter la station internationale de l’espace ? Rien n’est hors de portée pour nous, sitôt que l’État et le collectif s’en mêlent ! La mer est notre nouvel espace de réussite et d’exploits scientifiques et techniques ! C’est ma proposition ! ».

La si fabuleuse chienne Laïka

Vous avez noté : « Rien n’est hors de portée ». Ou encore, dans une interview pathétique donnée à Match : « L’idée de l’expansion humaine en mer s’est présentée à moi comme une espèce d’antidote à la déprime générale. Et comme un fait d’évidence totalement occulté! (…) Quand j’étais gamin, je découpais et je collectionnais les articles sur la conquête de l’espace. Je crois que j’ai encore dans ma cave un cahier où j’avais collé fiévreusement les exploits de la chienne Laïka et de Youri Gagarine ». L’expansion humaine, comme si elle n’avait pas assez détruit comme cela sur terre ! Et cette imagerie de pacotille sur l’espace, qui lui a fait acclamer à Lyon le savoir-faire des ingénieurs et l’excellence de la base de Kourou, oubliant l’essentiel, qui est de conquête, de conquête militaire, même si elle est pour l’heure pacifique encore. Dieu ! mais un écologiste commencerait évidemment, parlant de la mer, par parler de la dévastation des océans. Et réclamerait, c’est en tout cas mon point de vue, l’interdiction de la pêche industrielle. Or non, je le répète : aller plus loin encore, et ouvrir fatalement, compte tenu de ce qu’est l’économie réelle, la voie aux industries transnationales, seules à même d’investir massivement. Et je n’insiste pas, non, faute de place, sur le ridicule et plein accord avec le déferlement du numérique (et des jeux vidéos), qui pose pourtant des problèmes politiques de fond. Car quoi ? Qui ne sait que la démocratie est synonyme de lenteur, indispensable à la parole, à l’échange, à la coopération, à l’élaboration, à la décision ? La numérisation du monde pose des problèmes neufs, et graves. Mais pas pour Mélenchon.

Je suis extrêmement long, mais je m’en excuse pas. Il s’agit en effet d’une affaire sérieuse. Sur un plan politique général, je reste stupéfait par la facilité avec laquelle des millions de gens semblent avoir oublié Mitterrand, à qui Mélenchon, ce n’est pas exagéré, voue un culte. L’ancien président a promis ce qu’on voulait bien croire, de manière à être élu, et puis s’est détourné sans explication de son plantureux programme. Certes, il ne fut coupable que de l’extrême faiblesse de ses suivants, croyants et courtisans. Mais tout de même ! Mélenchon ne se cache aucunement d’admirer au plus haut point un homme de droite qui a fait entrer le fric et le capitalisme le plus infect – Tapie, Berlusconi – dans l’imaginaire de la gauche française. Et cela n’aurait aucune signification particulière. Hier, des foules compactes ont acclamé les crapules staliniennes Thorez, Marty, Duclos, Aragon, Marchais. Et d’autres des politiciens « de gauche » soutenant les pires aventures coloniales, comme Guy Mollet, Robert Lacoste, Mitterrand déjà ou Gaston Defferre. Que veux-je dire ? Qu’il est au moins possible que la France dite insoumise repose sur le même rapport malsain à la politique et à l’autorité.

Et si on parlait un peu de l’Internationale ?

De vous à moi, ne voyez-vous pas que cette manière verticaliste – lui là-haut, nous en bas – tourne le dos aux rêves les plus anciens de l’émancipation ? Bien qu’ayant rompu avec beaucoup de l’imaginaire de ma jeunesse, je continue d’entendre L’Internationale avec davantage qu’un pincement au cœur. On y entend ces mots, que je revendiquerai pour ma part jusqu’à la fin : « Il n’est pas de sauveur suprême. Ni Dieu, ni César, ni Tribun ». Je crois sincèrement que Mélenchon se prend pour les trois.

Avant d’achever ce qui, je vous le rappelle, est le premier volet d’une série de deux, je me sens contraint d’évoquer de graves mensonges de Mélenchon, qui n’ont attiré l’attention de personne. De personne en tout cas qui en ait parlé sur la place. Cela tombe donc sur moi, et je l’accepte comme le reste. Dans un livre d’entretiens paru il y a un an au Seuil (avec Marc Endeweld, Le Choix de l’Insoumission), Mélenchon y réécrit son histoire politique d’une manière qui m’a sidéré. Et offensé, car je continue à croire dans la vérité et la rectitude.

Je n’en ferai pas la critique complète, qui serait pourtant méritée. Mais laissez-moi insister sur le Mélenchon lambertiste, dirigeant à Besançon de la secte appelée Organisation communiste internationaliste (OCI), celle-là même qui a fait de Jospin un espion de choix, membre du parti socialiste, jusqu’au poste de Premier secrétaire du PS après 1981, tandis qu’il était membre clandestin de l’OCI. Cette organisation a une histoire profondément noire, faite de graves violences contre les individus, et qui aura eu la grande originalité de soutenir des concurrents du FLN algérien – le MNA – manipulés par l’armée française; puis de combattre toute participation aux luttes de la jeunesse contre la guerre américaine au Vietnam; de refuser publiquement de participer aux barricades de mai 68; d’insulter sur tous les tons les combattants du Larzac, les antinucléaires des années 70, les militantes féministes, etc.

Quand il soutenait Lip à l’insu de son plein gré

Vous me direz qu’on s’en fout, mais vous me lisez, et je ne m’en fous pas. Mélenchon a été donc le chef – et chez eux, ce mot n’était pas à prendre à la légère – de l’OCI à Besançon pendant plusieurs années de l’après-68. Or dans son livre, il raconte de telles calembredaines qu’on ne peut les appeler autrement que des mensonges. Il raconte par exemple que la grève des travailleurs de Lip – elle débute au printemps 1973 – aurait suscité chez lui un énorme enthousiasme, ce qui est nécessairement faux. Toute personne ayant vécu cette époque sait que le courant lambertiste vomissait chaque semaine, dans sa feuille honteuse Informations ouvrières, les gens de Lip, au motif qu’ils avaient partie liée avec la CFDT honnie, très majoritaire dans l’entreprise. Et voilà que Mélenchon en rajoute, vantant le formidable curé de Lip, Jean Raguénès, que son mouvement, donc lui fatalement, exécrait publiquement et constamment.

De même, il invente « une immense compassion » pour les Vietnamiens, qui aurait été la base de son engagement contre l’impérialisme américain. Pure bullshit. Les lambertistes comme lui maudissaient à ce point le Vietcong et le Nord-Vietnam qu’ils pourchassaient à coups de bâton ceux qui, dans les rues de Paris, défilaient pour la victoire du FNL vietnamien. J’en ai été le témoin direct, mais ce point ne saurait, de toute façon, être discuté.

Enfin – il y a bien plus, mais je m’arrête là -, Mélenchon ose évoquer un soutien aux guérillas d’Amérique latine – cela cadre si bien avec son affection pour les nouveaux caudillos comme Chávez ou Correa – des années 70. On est là dans le grotesque, un grotesque nauséabond, car il y a derrière tout cela des morts. Je suis un témoin vivant de ces événements, et de cette époque, et quand Mélenchon affirme son adhésion à une « ligne d’action révolutionnaire de type insurrectionnel », j’ai un début de nausée. Ainsi que le clamait chaque semaine le journal de Mélenchon Informations Ouvrières, les lambertistes étaient VISCÉRALEMENT opposés à ces groupes, tels le MIR chilien, les Tupas d’Uruguay, le FSLN nicaraguayen qui avaient choisi l’affrontement armé.

Je sais d’avance ce que diront certains lecteurs : il s’agit de vieilleries. Soit. Mais elles sont exprimées en 2016 par quelqu’un qui dit vénérer l’histoire des hommes, et qui combat officiellement toutes les cliques au nom d’un impérieux devoir d’honnêteté. La falsification, si elle n’est pas née avec le stalinisme, a atteint avec lui des sommets que nul n’est encore arrivé à dépasser. L’OCI et le passé de Mélenchon ont officiellement été antistaliniens, mais ils ont repris des méthodes qui étaient celles de leurs supposés adversaires. Je n’ai pas le temps de vous raconter l’affaire Michel Varga, très bien documentée. Et cela, figurez-vous, ne passe pas. Pour mieux comprendre pourquoi, il faudra attendre mon prochain rendez-vous, ici même. J’y parlerai de personnages beaucoup, beaucoup plus intéressants, comme par exemple Charles Fourier, Henry David Thoreau ou encore Nestor Ivanovitch Makhno et Élisée Reclus. Croyez-moi, l’air qu’ils ont bu ferait encore éclater plus d’un poumon.

Hulot, 10 000 fois hélas

 

Chers lecteurs,

Certains d’entre vous savent que je travaille pour Charlie et je dois écrire sur Hulot dans le numéro de mercredi prochain. Je ne m’étendrai donc pas, désolé. Mais je peux vous dire à quel point je suis stupéfait de tant de naïveté de la part de Hulot. Seulement, s’agit-il encore de naïveté ?

Il y a cinq ans, j’ai écrit Qui a tué l’écologie ?, livre dans lequel je consacrais un chapitre très critique à Hulot et sa fondation. Laquelle, et ce n’est pas rien, a comme partenaires des industriels aussi marqués que Vinci ou la holding agro-industrielle Avril (ex-Sofiprotéol). Je n’ai évidemment pas changé d’avis. Hulot aura passé des dizaines d’heures en tête-à-tête avec Chirac, sans que rien ne change. Donné une énorme crédibilité à une vulgaire opération politicienne de Sarkozy en 2007, le si funeste Grenelle de l’Environnement. Accepté un poste de Hollande et fait croire aux si nombreux crédules que les Accords de Paris sur le climat étaient une victoire, alors qu’ils sont un désastre.

Je ne doute pas qu’en bon communicant, il saura mettre en valeur sa politique. Mais dites-moi ? N’a-t-on pas déjà vu cela ? En 1981, Mitterrand renonçait à l’extension du Larzac et à la centrale nucléaire de Plogoff. Et puis, rien d’autre que la poursuite implacable de la destruction du monde. De même en 1997 avec Jospin, qui avait dealé avec les Verts de Voynet et Cochet l’abandon de Superphénix et du canal Rhin-Rhône.

Hulot a déjà, c’est l’évidence, obtenu la fin du projet de Notre-Dame-des-Landes, et gagnera sur quelques autres points symboliques, car tel est l’intérêt de Macron. Mais la machine continuera dans la même direction, car tel est son but. Hulot et ceux qui le suivent dans cette triste aventure oublient tout. Comment est structurée une société. Quel en est l’imaginaire. Comment s’exerce le pouvoir et au profit de qui. Quelles forces sociales, économiques et culturelles défendent quels intérêts, et pourquoi. Quel est le jeu des transnationales et que signifie défendre, comme le fait Macron, le commerce mondial au travers de traités comme le Ceta.

Ce gouvernement est farci de lobbyistes si évidents que personne ne les voit plus. Comme dans La Lettre volée, de Poe. Défenseurs militants du nucléaire, des exportations d’armes, des mines d’or en Guyane, du business en général, ils ont en partie réussi à rendre évidents, presque naturels, leurs choix idéologiques au point que personne ne paraît oser le leur reprocher. Le slogan implicite de tous ces gens crève les yeux : c’est celui de Thatcher. There is no alternative. Il n’y a pas d’autre choix.

Est-ce que je suis déçu par Hulot ? Oui, je le suis. Il avait la responsabilité de préparer une génération au grand changement. Il préfère un poste d’illusionniste.