Ci-dessous, un message de Frédéric Wolff, que je salue au passage
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Les collectifs contre les compteurs « communicants » s’organisent. Des communes rejettent cette technologie nuisible, coûteuse et déshumanisante, des individus refusent d’être pollués et fliqués. La propagande d’Etat n’endort plus grand monde, à part peut-être les techno-fanatiques.
Y aurait-il de l’eau dans le Gazpar et le Linky ? Le vent serait-il en train de tourner ?
Pour que le vent tourne effectivement, il conviendrait de ne pas en rester là.
Parce qu’enfin, les raisons invoquées pour décliner ces mouchards à domicile sont, à peu de choses près, les mêmes qui devraient nous conduire à bazarder nos smartphones, nos objets connectés et, plus largement, nos mille et une collaborations à la grande machine à détruire.
Alors Linky, smartphone, objets connectés et mode de vie, même combat ?
Toxiques, les compteurs « intelligents » ? Ils le sont, oui, 24 heures sur 24. Ils émettent des radiofréquences dans le circuit électrique des habitations dont les câbles – non blindés dans la grande majorité des cas – ne sont pas prévus pour cet usage. Les compteurs seront également une source de pollution électromagnétique, ainsi que les antennes qui seront installées pour transmettre les index au fournisseur d’électricité via le réseau de téléphonie mobile. Pour mémoire, ces ondes sont déclarées cancérigènes possibles par l’OMS et des centaines d’études ont prouvé leur nocivité (lire ou relire les rapports Bio-Initiative et l’appel de Fribourg, entre autres).
Nos chers portables seraient-ils toxiques, eux aussi ? A plus d’un titre, oui. Les ondes, inhérentes – faut-il le rappeler ? – à leur fonctionnement, polluent leurs utilisateurs et pas seulement. Tout le vivant est affecté. Les électro-hypersensibles – partie émergée de l’iceberg – subissent une torture quotidienne qui, parait-il, est abolie dans les pays modernes. Pas pour tout le monde, assurément. Il en va de même pour le wifi et les téléphones fixes sans fil. Grâce à eux, on peut irradier tout un quartier et rendre le monde inhabitable, particulièrement pour les personnes, de plus en plus nombreuses, rendues malades à en mourir, parfois.
Mais la pollution de nos smartphones adorés ne s’arrête pas là. Les mines de coltan et autres métaux rares, qui servent à leur fabrication, polluent les terres, les nappes et les rivières ; les déchets de toutes nos quincailleries électroniques empoisonnent aux métaux lourds les sacrifié(e)s de nos petites commodités. Comment peut-on justifier ça ?
Intrusifs, les compteurs connectés ? Et pas qu’un peu. Même la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’en émeut : « Une analyse approfondie des courbes de consommation pourrait permettre de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie des occupants d’une habitation : heures de lever et de coucher, heures ou périodes d’absence, la présence d’invités dans le logement, les prises de douche, etc. » Les voleurs se frottent les mains. Merci qui ? Merci l’Etat et les industriels !
Et nos smartphones idolâtrés, nos réseaux sociaux adulés ? Pire que des indics : des mouchards renseignés par nous-mêmes ! Même la Stasi n’aurait pas osé imaginer ça dans ses rêves les plus fous. Y aurait-il une forme de flicage plus supportable qu’une autre ? Apparemment oui, pour les exaltés de la connexion numérique.
Déshumanisants, les compteurs électroniques ? Aussi ahurissant que cela puisse paraître, c’est l’objectif principal : se passer des releveurs pour récupérer les index en temps réel, pour couper l’électricité à distance en cas d’impayé, pour éteindre certains appareils et lisser les pics de consommation…
Et l’invasion des écrans dans nos vies, le remplacement des humains par les machines ? Un grand progrès pour l’humanité ? Et l’école numérique – en wifi ou en filaire -, une avancée vers la construction de l’humain sans humains, vers des classes sans professeur et des enfants rivés à leurs tablettes pendant les cours et à leurs smarphones durant la récréation ? Et les esclaves de Foxconn où se fabriquent nos cellulaires plébiscités ? Et les puces RFID, la planète intelligente nous réduisant à des données, des flux qu’il faut optimiser, contrôler, piloter. Qui, mieux qu’une machine peut assurer l’efficacité optimale du bétail que nous sommes ? Dans ce monde, l’erreur est humaine ou plutôt, l’erreur est l’humain.
Fragiles, les compteurs innovants ? Incendies, pannes, les préjudices de ce type s’accumulent, les câbles, fils et appareils électriques n’étant pas conçus pour transporter des radiofréquences. Comme ERDF dégage toute responsabilité, comme les assurances excluent des garanties les dommages causés par les champs électromagnétiques, la facture sera payée par les victimes elles-mêmes. C’est nouveau, c’est moderne : la double peine pour les sinistrés, l’impunité pour les coupables ! Quant au risque de piratage, sans doute que nos gouvernants comptent sur la déchéance de nationalité et les assignations à résidence pour dissuader les terroristes de procéder à des black-out – un jeu d’enfant, apparemment – sur notre territoire.
Et la numérisation du monde, l’internet des objets ? Quid en cas de panne électrique, de tempête solaire, de dysfonctionnement technique, de cyber-terrorisme… ? Jamais nos sociétés n’ont été aussi fragiles. Mais qu’importe. Droit devant, telle est la devise de nos capitaines de Titanic, pardon, du numérique.
Favorables aux économies d’énergie, les compteurs branchés ? A ce stade, l’imposture est à son comble. Il ne s’agit en aucun cas de réduire notre consommation électrique, mais de rationaliser la distribution d’électricité pour répondre à la croissance des gadgets connectés, des data centers, des voitures électriques, de la maison et de la ville « intelligentes »… Bienvenue dans « l’enfer vert », cher aux technocrates de l‘« écologie » rebelles et tais-toi.
Concernant les smartphones et particulièrement internet dont la consommation d’énergie explose et dépasse celle de l’aviation au niveau mondial, même logique de dilapidation, mêmes mensonges éhontés. Le numérique dématérialise tout : l’humain, le réel et l’énergie qu’il gaspille pour une finalité unique : accélérer la marchandisation, la « servicisation » et la croissance sans limite.
Le numérique, dont les smartphones et internet font partie, est un accélérateur de nuisances. Le « bon usage », la neutralité de la technologie relèvent de l’enfumage. Le bon et le mauvais côté sont indissociables et comment prétendre séparer le bon grain de l’ivraie dans un « système technicien » (Jacques Ellul) qui dicte sa loi ? D’ailleurs, de quoi parle-t-on quand on évoque le « bon » côté ? La logique de ces machines est de se substituer, à plus ou moins long terme, au monde réel et vivant, à l’imprévu, et in fine, aux humains.
En résumé : Pourquoi faut-il refuser Linky ? Pourquoi faut-il rejeter les smartphones et les objets connectés ? Pour les mêmes raisons. Alors, on va jusqu’au bout de la logique ? Chiche !
Retour sur la terre. La contestation s’étendra-t-elle ? Les contempteurs de Linky iront-ils plus loin que la signature d’une cyber-pétition et, pour les plus acharnés, qu’une lettre à leur maire ou qu’un refus du compteur chez eux ? Questionneront-ils leur mode de vie et ses conséquences ? Renonceront-ils à leur quincaille électronique « de destruction massive » ?
Personnellement, j’en doute, au risque de froisser quelques susceptibilités militantes. Pourquoi cela ?
Parce qu’il est plus facile de défiler contre une antenne près de chez soi ou du Linky dans sa maison que de renoncer à son mobile et à son hyper-connexion. Plus largement, parce que, et c’est bien pratique, le capitaliste, c’est l’autre : le banquier, le trader, « la classe de Davos », « les maîtres du monde », « les responsables de la crise », – « leur crise » -, pour reprendre la phraséologie de Susan George, présidente d’honneur d’Attac. Ainsi, il suffirait de mettre hors d’état de nuire ces « maîtres de l’univers » ; ainsi, nous pourrions concilier expansion industrielle, croissance verte et lutte contre le saccage du climat et de la vie sur terre ; ainsi, « nous continuerons à fabriquer des produits résolument complexes, non locaux et de grande dimension, des avions par exemple qu’il faut espérer propulsés à l’hydrogène et respectueux de l’environnement » (Susan George, toujours, cité par Pierre Thiesset). On croirait presque du Mélenchon dans le texte ou, au choix, des suppôts de l’écologie industrielle !
On se sent tout de suite beaucoup mieux, non ? Nous, les 99% de victimes, extérieures au monde industriel et technicien, nous aurions trouvé les boucs émissaires et la solution ultime, entre les mains des ingénieurs et des économistes. On dégage les 1% d’« affreux » et ça roule ! Décroissants, adeptes de la simplicité et de l’autonomie, passez votre chemin, notre mode de vie n’est pas négociable.
Parce que, de tous ces gadgets connectés en tous lieux et à toute heure, nous n’avons pas vraiment envie de nous priver. Dans notre cœur, la balance penche du côté des bénéfices, jamais de celui des coûts ou très rarement. Les nuisances occasionnées, plus ou moins, nous les connaissons, nous y collaborons. Mais surtout, ne pas se prendre la tête. Ne pas interroger notre conscience. Ne jamais poser la question en termes moraux. La morale, c’est réactionnaire, c’est accusatoire. Coûte que coûte, il faut être progressiste. Revendiquer toujours plus de droits, jamais de devoirs ni de limites. Tant pis pour les torturés des ondes, tant pis pour les empoisonnés de nos déchets électroniques, pour les esclaves de nos gadgets, pour les morts des guerres menées afin de contrôler les ressources rares, tant pis pour les derniers gorilles, pour les eaux et les terres saccagées par les ravages miniers, tant pis pour nos vies soumises à la tyrannie des machines…
Parce que, dans nos existences hors sol, déconnectées des saisons, des arbres, du monde réel, des autres de chair et parole, de nos besoins profonds, nous cherchons des ersatz de connexions via les écrans qui nous déconnectent toujours plus de la vie.
Tout cela pour dire quoi ? Que le combat est à mener dans nos vies, avant tout. Que nous n’aurons rien réglé si nous nous contentons de faire dans l’incantation – « Stop Linky » et, dans le genre pathétique s’il en est, « Pour une école numérique sans wifi », « Pas d’antenne près de chez nous, mais nous ne sommes pas contre les portables, hein ! » -, tout en continuant à collaborer ardemment à la machine à dévaster le monde par notre travail, notre consommation, notre style de vie et les technologies que nous chérissons.
Nous avons à reconsidérer nos besoins et à cesser de nous mentir. Nous sommes partie prenante du système capitaliste et technicien. Notre premier devoir devrait être de nous en extraire le plus possible. Il nous faut mener un effort sans précédent de lucidité. Il nous faut prendre conscience de nos dissonances et en tirer des conséquences, essayer au moins, ne pas nous tenir quittes. C’est une épreuve, sans doute. Elle peut donner lieu à bien des tempêtes à surmonter. Enfin, pas de quoi mettre non plus notre vie en péril, comme ont pu le faire les résistants en d’autres temps.
Je ne prétends pas avoir accompli les changements que j’appelle de mes vœux. Qui, d’ailleurs, pourrait revendiquer une telle prouesse ? J’en suis loin. Mais je ne me considère pas libéré de ce devoir : nommer et tenter l’épreuve du réel.
Sinon quoi ? Qu’y a-t-il à espérer sans cette étape, sans changements radicaux dans nos modes de vie ? De quel partage, de quelles solidarités pouvons-nous nous réclamer, quelles valeurs morales peuvent nourrir nos pensées et nos actes, si nous en restons à l’écume des choses ?