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L’Inde entre les mains d’un fou de Dieu

Cet article a paru dans l’hebdo Charlie Hebdo le 21 mai 2014

Tragédie probable en Inde, où un hindouiste d’extrême droite vient de prendre le pouvoir. Modi serait l’un des responsables des pogroms antimusulmans de 1992, et son élection ne peut que surexciter le Pakistan voisin. Voisin, musulman, et nucléaire.

Claquons des dents. La victoire de Narendra Damodardas Modi aux élections générales de l’Inde, proclamée le 16 mai 2014,  est l’une des pires nouvelles de ces dernières années. On ne peut décrire un sous-continent en trois lignes, mais retenons que l’Inde est un pays de près de 1,3 milliard d’habitants, en conflit latent avec le Pakistan voisin, en conflit possible avec la Chine proche.

Modi, c’est l’archiponte du Bharatiya Janata Party (BJP), un parti nationaliste hindouiste, qui a été au pouvoir une première fois en 1996, et jusqu’en 2004. Mais Modi n’a rien à voir, ou si peu, avec l’ancien chef du BJP, Atal Bihari Vajpayee, car il ressemble fort à un fasciste. Et même à un nazi si l’on en croit Salman Rushdie, l’auteur des Versets Sataniques. Le 15 novembre 2012, l’écrivain déclare à Libération : « À la tête de l’opposition, le Parti du peuple indien fait les yeux doux à Narendra Modi, qui est l’homme qui s’apparente le plus à un nazi en Inde. Il est tout à fait possible que ce type devienne Premier ministre un jour et, là, il y a de quoi avoir peur pour la démocratie indienne ».

Or on y est. Modi, qui dirigeait l’État du Gujarat depuis 2001, va désormais gérer le sort de presque 20 % des habitants de la planète. Et Rushdie exprime un point de vue largement répandu chez les intellectuels du pays. Dans un article titré « Modi est-il un fasciste ? », l’universitaire très connu Apoorvanand écrivait sans trembler en avril dernier : « Modi rassemble pratiquement toutes les caractéristiques que les psychiatres, les psychanalystes et les psychologues associent, sur la base d’années de travaux, aux personnalités autoritaires ». De son côté, le spécialiste des affaires sino-indiennes, Kanti Bajpai, décrit dans The Times of India  (29 mars) la montée d’un fascisme soft appuyé sur les transnationales. Cerise faisandée sur le gâteau électoral : le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) soutient de toutes ses forces Modi. Or le RSS a été créé en 1925, sur le modèle des fasci, les faisceaux mussoliniens de la Marche sur Rome, en 1922. Avec une singularité indienne : la lutte au couteau contre le « séparatisme musulman ».

Tel est le véritable enjeu historique de l’élection de Modi. La question musulmane est en effet au cœur de toutes les politiques indiennes depuis l’indépendance de 1947, car près de 15 % de la population, soit 150 millions de personnes, se réclament de l’islam. Les heurts avec la majorité hindoue n’ont jamais cessé, et pour la seule période entre 1947 et 1963, au moins 7,5 millions de musulmans d’Inde ont été simplement déportés dans la partie Ouest du Pakistan. Et pour ceux qui sont restés, pogromes à volonté.

Le 6 décembre 1992, des hindouistes rasent une mosquée de la ville d’Ayodhya, et les affrontements qui suivent font 2 000 morts. En 2002, rebelote : prenant prétexte d’un accident de train, les hindouistes du BJP zigouillent des centaines de musulmans, dont beaucoup sont cramés dans leurs propres maisons. Où ? Au Gujarat, État dirigé par Modi soi-même, toujours considéré par une partie de l’opinion indienne comme le grand responsable des massacres.

Résumons. Un extrémiste religieux vient de s’emparer du pouvoir dans un pays clé de l’avenir commun. Ce qui ne peut qu’exacerber les tensions déjà si fortes avec le Pakistan voisin, musulman et propriétaire comme l’Inde d’un copieux arsenal nucléaire. Les deux pays ont déjà été plusieurs fois au bord de l’étripage final. La situation avec la Chine pourrait, elle aussi, se durcir, car Pékin rêve de détourner une partie des eaux descendant de l’Himalaya, qui sont vitales pour des centaines de millions d’Indiens.

Rien de tout cela n’empêche les affaires. Au Gujarat, Modi est un adepte résolu de l’hyper-libéralisme. Exemple entre 100 : en octobre 2008, il réussit à convaincre le constructeur de bagnoles Tata de s’installer au Gujarat. Au Bengale occidental, où Tata espérait construire une vaste usine, les petits pedzouilles locaux, expropriés, avaient reçu le soutien du gouvernement local, aux mains des partageux du « Left Front », un coalition de gauche. Faut-il un autre dessin ?

Das Volk hat das Vertrauen der Regierung verscherzt (Trahison !)

Clément, que je ne connais pas, me demande dans un commentaire d’étoffer mon propos précédent sur le résultat des élections. Hélas, je n’ai pas le temps. Mais je peux quand même glisser quelques mots. Un, union totale contre l’épouvantable régression que représente le Front National. Sur ce sujet, je n’entends pas plaisanter. Jamais. Il m’est arrivé de voter, moi qui ne vote (presque) jamais, pour un politicien de droite méprisable, de manière à contrer un vote frontiste. Je recommencerai demain s’il y a lieu. Je me répète : contre l’extrême régression, l’union, même si cela me fait grincer les dents.

Pour le reste, pouah ! Les partis politiques connus ne sont pas les instruments qu’il nous faut pour faire face aux tsunamis écologiques d’aujourd’hui et, pis encore, de demain. C’est l’évidence. J’ai écrit tant et tant de fois sur le sujet, ici même, que j’hésite à entonner mon discours coutumier. Le Parti de Gauche, qui comprend d’excellentes personnes, est une triste resucée d’épisodes antérieurs, avec des plumes vertes sur le croupion, il est vrai. Il vient de faire 3 % du nombre des inscrits dans une élection où il est si facile de se défouler. Morale de l’histoire ? J’ai entendu Mélenchon du coin de l’oreille, qui appelait le peuple, je crois, à se ressaisir. Cela me fait penser à ce stalinien de Brecht, qui avait tant à se faire pardonner. Quand éclatent les émeutes ouvrières de 1953 contre le système imposé à l’Est par Staline et la Stasi, Brecht écrit : « Das Volk hat das Vertrauen der Regierung verscherzt. Wäre es da nicht doch einfacher, die Regierung löste das Volk auf und wählte ein anderes? ». Autrement dit : « Le peuple a perdu la confiance du gouvernement. Ne serait-il pas plus simple alors, pour le gouvernement, de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? ». C’est censé être drôle. Ça l’est.

Quant aux écologistes officiels, ils sont ridicules, ce qui devient une habitude. Avec un peu plus de 4 % des inscrits, ils fanfaronnent encore. Je crois avoir entendu Duflot vanter la résistance – héroïque, non ? – de son parti. C’est la débandade générale, et ce mouvement n’a rien à dire. Mais stop. Les enjeux sont ailleurs, planétaires, décisifs pour tous les êtres vivants. Or englués dans leur pauvre tambouille cérébrale, qui ne parle jamais que d’un monde disparu, les partis anciens n’offrent pas le moindre espoir pour l’avenir. Selon moi, il faudra donc faire sans. L’urgence, sans certitude aucune de succès, est de développer aussi vite qu’il est possible d’autres manières de penser et de vivre. En somme, de tout miser sur la culture. Celle qui décide de la consommation, du transport, de l’habitat, de la nourriture, de l’éducation.

Il s’agit de rebâtir une hiérarchie des problèmes et des solutions, qui tourne le dos aux formes politiques passées, car elles ne sont plus que des spectres. Alors peut-être le neuf apparaîtra-t-il. Alors, peut-être, irai-je voter pour un parti capable de conjuguer le sort des immigrés et des pauvres de chez nous et celui des peigne-culs des rizières et des champs de mil. Capable de parler enfin du dérèglement climatique en cours, qui exige dès aujourd’hui de drastiques mesures, et commande d’affronter l’industrie, dont celle de la bagnole, dont celle du téléphone portable, dont celle de tous les colifichets pour lesquels notre peuple se bat chaque matin. Capable de défendre les loups ici, les baleines et les éléphants ailleurs. Mais aussi le meranti, le ramin, l’acajou, le sapelli, le virola, le mahogany l’okoumé, tous ces arbres somptueux que des criminels changent chez nous en portes et fenêtres. Capable d’arrêter à jamais la pêche industrielle, sans doute l’une des pires inventions humaines. Capable d’enfin sacraliser l’eau et les sols, sans lesquels l’avenir des hommes, des bêtes et des plantes sera de feu, de sang et de larmes.

On me dira que c’est impossible. Alors la route s’arrête là. Car il est encore plus insensé de croire que les partis dégénérés qui miment le jeu politique sont de taille à affronter le réel. Amis lecteurs, cela prend pour moi la forme d’une alternative claire. Ou nous créons du nouveau, sur des bases solides. Ou nous allons vers la dislocation des sociétés humaines, à commencer par la nôtre.

Soir d’élection européenne

Dans un régime démocratique, non censitaire, le peuple tranche les débats. La majorité ce soir, dont je suis exceptionnellement, a envoyé aux pelotes la totalité de la représentation politique. Simplement en n’allant pas voter. Peut-être se souvenait-on au passage de ce référendum de 2005 volé à ceux qui avaient alors dit non. Mais comme il se doit dans un pays qui ne respecte pas ses principes déclarés, tout le monde s’en contrefout. Eh bien, moi, je me contrefous de leurs résultats et de leurs commentaires.

Ramené au nombre d’électeurs inscrits, qui ne rejoint d’ailleurs pas – pourquoi ? – celui des électeurs potentiels, le Front National a obtenu 10 % des suffrages. L’UMP, 8 %. Le parti socialiste, qui gouverne tout, moins de 6 %. Les écologistes officiels, moins de 4 %. Le Front de Gauche de ce pauvre M. Mélenchon, moins de 3 %. Telle est la vérité, qui n’est pas bonne à dire.

La sécheresse fait le lit de la guerre

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 14 mai 2014

Et si la crise climatique était l’une des causes cachées du soulèvement syrien et des révolutions arabes ? Une pluie d’études montre que l’on a trop longtemps ignoré les fondements écologiques des guerres et des révolutions. Faut que ça change.

Ne plus avoir d’eau. Moins pour les hommes, plus pour les bêtes, plus pour la terre. En 2006, la Syrie connaît une première sécheresse, qui passe inaperçue. Le pays est aride – 45 % est même désertique – et dans les années « moyennes », il n’y pleut qu’entre 200 et 400 mm, contre 750 en France, avec des pointes de plus de 1100 dans une ville comme Brest.

En 2007, tout recommence, en pire. En 2008, tout recommence, en pire. Une situation qui, d’après l’ONU, n’a pas été vue depuis quarante ans. Mais entre-temps, la population est passée de 6 millions à 20, dont beaucoup, installés en ville, ont des exigences nouvelles. À la fin de l’été 2008, au moins un million de paysans et de bergers sont dans la détresse hydrique. Selon des estimations ridicules, mais officielles, 59 000 éleveurs ont perdu la totalité de leur cheptel, mort de soif. En 2009, tout recommence, en pire : 300 000 habitants de l’Est et du Nord-Est – autrefois le grenier à blé – quittent leurs terres, probablement à jamais, et s’installent à Damas, à Alep, à Deir ez Zor. En 2010, tout recommence, en pire : les exilés sont au moins 500 000. La récolte du blé passe de 4,1 millions de tonnes en 2007 – pour tout le pays – à 2,4. Or les Syriens ont besoin d’à peu près 4 millions de tonnes.

Là-dessus, la guerre civile, qui débute au printemps 2011, et une question qui tombe sous le sens : pourrait-il y avoir des liens entre sécheresse et révolte ? Le 27 janvier 2014, la chercheuse néerlandaise Francesca de Châtel publie un article éclairant dans la revue Middle Eastern Studies (1), qui permet de voir la Syrie tout autrement. Oublions un instant les djihadistes, les alaouites, les chiites, les sunnites, le Hezbollah libanais. La Syrie n’a-t-elle pas besoin avant tout d’eau ? De Châtel ne conteste pas l’existence de facteurs sociaux et politiques, mais juge que la question de l’eau les a influencés et a pu être modifiée par eux.

Comme tant d’autres ailleurs, le régime n’a rien vu venir, perdu dans ses rêveries de toute-puissance et d’expansion sans limites. Quand Assad le père – Hafez – arrive au pouvoir en 1970, 7,5 % de la surface agricole est irriguée. En 2006, on dépasse les 25 %. Dans son article, de Châtel met davantage en cause la gestion politique de la sécheresse par Damas que le phénomène lui-même. Le clan Assad, qui mise désormais sur la libéralisation à tout crin et la fin des aides publiques, aurait tout simplement laissé jouer le marché – le prix du fourrage double en quelques mois -, condamnant ses paysans les plus pauvres à l’exil intérieur.

Le dérèglement climatique expliquerait-il les sécheresses à répétition ? Le scénario est conforme aux prévisions régionales, mais de Châtel s’y intéresse d’autant moins que Bachar, le maître de Damas, tente de tout mettre sur le dos du climat, qui serait le seul responsable du désastre. Un autre travail passionnant permet en revanche de poser de nouvelles questions sur l’éventuelle dialectique entre changement climatique et le phénomène connu sous le nom de « révolutions arabes ». Publiée en février 2013 par un think tank américain proche des Démocrates – le Center for American Progress (2) -, l’essai à plusieurs voix ouvre sur un monde inconnu.

On connaît la vulgate répétée de télé en radio depuis des années. Un vendeur ambulant tunisien, Mohamed (Tarek) Bouazizi, s’immole par le feu le 17 décembre 2010 dans la petite ville de Sidi Bouzid. De proche en proche, magnifiée par les réseaux sociaux, la révolte gagne toute la Tunisie et plusieurs pays arabes, dont l’Égypte. Mais n’a-t-on pas oublié en route l’importance décisive du climat et de l’alimentation ?

Les auteurs ne font pas plus dans le simplisme que de Châtel. Les changements en cours du climat ne sauraient être la cause des changements de régime, mais leurs conséquences peuvent avoir allumé la mèche, faite des causes habituelles. Et ils reprennent à leur compte l’expression « threat multiplier » : la crise climatique serait un multiplicateur de menaces. L’extrême sécheresse de 2010 en Chine, qui a renchéri le prix du blé sur le marché mondial, a évidemment eu des répercussions sur l’Égypte, plus grand importateur de blé de la planète. D’une manière générale, les pays arabes sont fragiles, car ils disposent de peu de terres cultivables et de peu de ressources en eau, ce qui contraint la plupart à devoir importer entre 25 % et 50 % de leur consommation de céréales. En pointant des relations auxquelles le regard n’est pas habitué, comme celle entre la place Tahrir et la place Tienanmen, on court le risque d’être chahuté, voire ridiculisé par les chercheurs plus classiques, de loin les plus nombreux.

Et il est vrai qu’aucune preuve, au sens scientifique comme au sens policier, ne peut être apportée. Deux des rédacteurs de ce travail, Sarah Johnstone et Jeffrey Mazo concluent par ces mots : « Le printemps arabe se serait probablement produit d’une manière ou d’une autre, mais le contexte dans lequel il s’est produit n’est pas sans conséquences. Le réchauffement climatique n’a peut-être pas provoqué le Printemps arabe, mais il peut l’avoir fait arriver plus tôt ».

Ce n’est pas la première fois que des chercheurs – encore rares – s’intéressent aux liens pourtant puissants entre conditions écologiques et crises humaines paroxystiques. Aux Amériques, l’universitaire canadien Thomas Homer-Dixon – très connu, il a dirigé différents instituts traitant ce sujet – publie le 31 janvier 1992 (dans le New York Times) un article que beaucoup tiennent là-bas pour pionnier. Clinton vient d’être élu pour un premier mandat, et Homer-Dixon l’invite à agir au plus vite. S’appuyant sur les exemples du Bangladesh, de la Chine, des Philippines, d’Afrique du Sud, du Sénégal, de la Mauritanie, du Pérou, d’Haïti, il constate que « les pénuries de ressources renouvelables contribuent déjà à des conflits violents dans de nombreuses parties du monde en développement ». Et il ajoute plus loin : « Nous comprenons maintenant que [ces pénuries] produisent souvent des effets sociaux cachés et cumulatifs, comme les grandes migrations et des troubles économiques. Ces événements peuvent entraîner des affrontements entre groupes ethniques ainsi que des conflits civils et insurrectionnels ».

Dix ans plus tard, la guerre civile du Darfour semble bien lui donner raison. En 2003 commence dans l’ouest du Soudan – le Darfour – une guerre atroce entre les Janjawids et des tribus comme les Four, Massalit et Zaghawa. Les premiers sont des miliciens noirs arabisés, souvent nomades, les seconds des paysans sédentaires, noirs eux aussi.

La guerre devient si démentielle que, dès 2004, le Congrès américain la désigne comme un génocide, ce qui demeure contesté. Le fait est que le climat a changé entre le Nil et le lac Tchad. Le chercheur Jérôme Tubiana résume ainsi (3) l’état des lieux : « Au cours des quarante dernières années, [la région] a connu des vagues intenses de sécheresse, des précipitations de plus en plus variables et une diminution générale de la durée de la saison des pluies. On estime qu’au Darfour les températures ont déjà augmenté de 0,7°C entre 1990 et 2005 ».

En 2007 (le 16 juin), le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon se paie une tribune retentissante dans le Washington Post. « Si la violence a éclaté au Darfour pendant la sécheresse, écrit-il, ce n’est nullement par hasard. Jusque-là, les bergers nomades vivaient tranquillement au contact des agriculteurs sédentaires. Un récent article décrit la manière paisible dont les agriculteurs partageaient leurs puits et accueillaient les éleveurs qui sillonnaient le pays en faisant paître leurs chameaux. Mais quand les pluies ont cessé, les agriculteurs ont clôturé leurs terres de peur qu’elles ne soient ravagées par les troupeaux ».

Est-ce aussi clair que semble le penser Ban Ki-moon ? Le Darfour a donné lieu, dans les marges, à des débats de grande qualité. Ainsi cet article inspiré du chercheur Marc Lavergne (CNRS, Groupe d’études et de recherches sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), publié dans Revue Tiers Monde (Le réchauffement climatique à l’origine de la crise du Darfour ?). S’interrogeant sur les liens entre déplacés et mouvements de population d’une part, dérèglement climatique d’autre part, il note : « Le réchauffement climatique fait (…) office de facteur déterminant d’explication de ces mouvements de population. Cette « récupération » (…) peut conduire à des schématisations outrancières, voire à des erreurs permettant d’évacuer les responsabilités des acteurs effectivement à l’origine des crises ou des conflits ».

De fait, les autorités de Khartoum – la capitale soudanaise – ont surabondamment exploité l’explication « climatique ». Car non seulement elle masque leurs écrasantes responsabilités, mais elle fait retomber la faute historique sur les sociétés du Nord, qui sont bel et bien le déclencheur de la crise climatique. Mais malgré l’excellence des autres arguments avancés par Lavergne, il ne fait pas de doute que le climat devient une question politique majeure, au Darfour comme ailleurs.

La revue bien connue Science publiait le 1er août 2013 une méta-analyse portant sur 60 études publiées et 45 conflits (4). Le résultat – controversé – montre une corrélation évidente entre des événements climatiques parfois mineurs et l’irruption de conflit. À toutes les échelles spatiales et temporelles. On passe des violences domestiques à cause d’une canicule aux meurtres sur fond de sécheresse, des révoltes paysannes à l’effondrement de civilisations comme celles de Mésopotamie ou des Indiens mayas. Une fois encore, les auteurs – Solomon Hsiang, Marshall Burke, Edward Miguel – insistent sur les limites de leur travail. Le climat, en toute hypothèse, viendrait se surajouter à des causes plus coutumières, et ne serait pas nécessairement la cause principale des affrontements entre humains.

Corrélation ne veut pas dire explication. Mais le chantier qui vient de s’ouvrir ne fermera pas de sitôt. Selon des extrapolations tirées de cette dernière publication, le risque de guerre civile pourrait augmenter de 50 % dans un grand nombre de pays au cours des prochaines décennies.

(1) The Role of Drought and Climate Change in the Syrian Uprising: Untangling the Triggers of the Revolution
(2) The Arab Spring and Climate Change
(3) In « Darfour-Tchad : s’agit-il de la première guerre du climat ? »
(4) Quantifying the Influence of Climate on Human Conflict

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Entre récoltes et génocide

Faut-il ajouter le climat aux autres facteurs expliquant le génocide rwandais de 1994 ? En 1984 et surtout 1989, des sécheresses graves ont en tout cas frappé le pays et provoqué des famines. Avec entre les deux, les pluies surabondantes de 1987, détruisant les cultures de pommes de terre, de haricots et de maïs.

La suite n’est pas plus réjouissante. Dans un article publié en 1996 (Climat et crise rwandaise), l’agrométéorologue de la FAO René Gommes rapproche les conditions climatiques locales et la tenue des massacres. À l’automne 1993, quelques mois avant le début des tueries, « les pluies de septembre et d’octobre sont très faibles et conduisent à une réduction notables des rendements et des surfaces plantées. La première récolte de haricots est perdue, et les pluies insuffisantes ne permettent pas de replanter ». En mars 1994, quelques semaines avant l’embrasement, c’est pire, car des centaines de milliers de réfugiés du Burundi aggravent une situation alimentaire devenue critique. « Dans le nord, le déficit de production est du à la sécheresse et à des déplacements massifs de population (…)  Le sud a été particulièrement affecté par la sécheresse et la population est confrontée à des déficits alimentaires de proportions très inhabituelles. On signale des morts dus à la famine ».

Une autre question, totalement ignorée, pourrait avoir joué un rôle : l’érosion des sols. Dès 1992, l’agronome allemand Dieter König alerte sur la disparition du sol arable sous l’action des pluies : « Au Rwanda, écrit-il, les dégâts d’érosion peuvent être observés partout. La plupart des collines sont complètement déboisées et intensément cultivées ». 100 tonnes de sol par hectare, selon König, disparaissaient chaque année, à jamais. Rappelons que le Rwanda est un pays de 26 000 km2 – la Bretagne en fait 34 000 -, dont la population est passée de 1 830 000 habitants en 1949 à 6 750 000 en 1990, soit près de quatre fois plus. Juste avant le génocide, la densité de population pouvait atteindre 500 habitants par km2 à la campagne, conduisant les paysans à défricher toujours davantage. Un cercle vicieux menant à l’épuisement accéléré des sols et donc à une baisse des rendements de cultures vitales pour l’alimentation, comme le sorgho, les petits pois ou les haricots.

Pour le Rwanda comme pour d’autres pays, l’évocation de causes autres que politiques, sociales, économiques peut hérisser le poil. Le livre de l’Américain Jared Diamond « Effondrement » (Gallimard, 2006) concentre les critiques, car l’auteur y écrit notamment : « La population rwandaise a augmenté à un taux moyen de plus de 3 % l’an (doublement en moins de 24 ans). Le développement économique du Rwanda fut stoppé par la sécheresse et l’accumulation de problèmes environnementaux. Le pourcentage de la population consommant moins de 1600 calories par jour (niveau en dessous de celui de la famine) était de 9 % en 1982, 40 % en 1990. D’où le génocide en 1994. Il n’est pas rare, depuis, d’entendre des Rwandais soutenir qu’une guerre était nécessaire pour diminuer une population en excès et pour la ramener au niveau des ressources en terre disponibles. »

Alerte rouge pour les Indiens de Sarayaku

Je me fais le messager, car il y a urgence. J’ai consacré deux articles au sort des Indiens de Sarayaku, en Équateur (ici le premier, et surtout le second). L’Équateur est dirigé par Rafael Correa, grand ami de Mélenchon, qui le soutient toutes les trois phrases. Vérité en France, grand désastre en Équateur. Vous trouverez ci-dessous un appel des Indiens, qui redoutent – j’espère qu’il ne s’agit que d’une fausse alerte – une intervention des ganaches de gauche contre leur splendide territoire. Rude début de journée.

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