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Hollande, sa Conférence, son foutage de gueule

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 25 septembre 2013

Même pas drôle. Le gouvernement a organisé la semaine passée une Conférence environnementale avec des écolos au pied. Au programme : rien. À l’arrivée : que dalle.

Conférence environnementale. Commencée vendredi, terminée samedi, oubliée dimanche. C’est plus chiant qu’on ne croit à écrire, mais le raout convoqué la semaine passée par Hollande n’aura été que petite politicaillerie. La planète crame pour de vrai, et nos zozos socialos la jouent Quatrième République, donnant un peu à tout le monde. Quelques miettes ici, trois rogatons là. Dernière trouvaille en date : une invention technocratique présentée comme une taxe sur l’énergie, qui pourrait rapporter des merveilles à la saint-glinglin, à moins qu’elle ne disparaisse dans le trou noir du budget de l’État. Ça s’est vu ? Pardi ! c’est la règle.

Commençons par le cadre : ce vendredi 27 septembre, le GIEC devrait rendre public son cinquième rapport sur l’état du climat planétaire. Des fuites annoncent ce qu’on savait déjà : les semblants de digue n’ont pas tenu, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, de même que le niveau des mers et les extrêmes climatiques. On va droit au bordel géant, avec des centaines de millions de réfugiés chassés de chez eux par la montée des eaux ou des températures. Le petit père Pachauri, prix Nobel de la paix et président du GIEC : « Il est minuit moins cinq ».
Pas pour Hollande. Pour notre bon président, ce sera toujours l’heure de lire L’Équipe, dont on sait que c’est une priorité matinale. À côté du classement de la Ligue 2, rien ne vaut. Tout le microcosme « vert » sait qu’il ignore tout, absolument tout, des questions de base posées par la crise écologique. Et que, par-dessus tout, il s’en tape. Ayrault de même. Les Verts idem, qui sont mieux accrochés à leurs banquettes que la patelle à son bout de granit.

La vérité, approximative, est ailleurs que dans les salons. Pour être sûr de bien tenir sa Conférence de pépères, Hollande a fait lourder les rares qui auraient pu gêner les images pour TF1. Le « Rassemblement pour la planète » a ainsi été exclu sans explication, alors qu’il réunit tous les bons connaisseurs des liens évidents entre santé et environnement.

Exeunt l’association « Générations futures », qui est derrière toutes les mobilisations contre les pesticides, ainsi que le « Réseau Environnement Santé » (http://reseau-environnement-sante.fr), en pointe sur tous les sujets. À la place, on a invité huit associations, dont quatre appartiennent à France Nature Environnement (FNE), des gens bien élevés dont 70 % des recettes viennent de l’État et des collectivités locales. Pas de « Générations futures », mais un siège pour les surfeurs si gentillets de Surfrider.

Toute la Conférence aura été du même tonneau. Pendant qu’on faisait semblant de parler agriculture et eau, les vraies décisions étaient prises ailleurs. Le 14 septembre, à Rennes, Ayrault annonçait que les porcheries de moins de 2 000 bêtes n’auraient plus besoin d’enquête publique, ni d’étude d’impact. Avec une simple déclaration, on peut désormais conchier tous les environs. Pour ne pas faire de jaloux, le sous-ministre à l’Agriculture Guillaume Garot rendait visite le 19 septembre au « restaurant » KFC de Paris-Alésia. KFC, rappelons-le, c’est Kentucky Fried Chicken, une chaîne de fast-food qui a une ribambelle de casseroles au cul. Et alors ? Garot était sur place pour contresigner un partenariat.

Même cohérence à propos de la biodiversité. Tandis qu’une table ronde blablatait sur le sujet à la Conférence environnementale, on chantait sur le terrain une autre chanson. Le 15 septembre, le ministère de l’Écologie autorisait les chasseurs à buter des loups dans le Var et les Alpes-Maritimes au cours de leurs simples battues au gibier. Or le Loup est protégé par une convention internationale, et ce feu vert aux tueurs ramène en fait, et tranquillement, au XIXème siècle. Pareil ou presque dans les Pyrénées, où les défenseurs de l’ours en sont réduits à lancer un appel à la surveillance des braconniers (contact : vigie@ferus.org), qui gueulent de plus en plus forts, assurés qu’il sont de l’impunité.

La place manque et manquera toujours pour le reste. Sarkozy avait inventé le Grenelle de l’Environnement. Hollande a sa Conférence. Rien de neuf sous l’implacable soleil. Vert.

Le monde a choisi la cécité (sur le climat)

Pour moi, une journée de deuil, et je ne m’épancherai pas. La crise climatique s’aggrave, elle est peut-être hors de contrôle (ici), nul ne sort dans les rues pour hurler. Cinquième rapport du Giec. Le désastre est déjà là. France-Inter consacre trois minutes à ce drame absolu dans son journal de 13 heures, et puis passe aux choses sérieuses. Madame Duflot surjoue une indignation à propos des Roms qui, si elle était vraie, l’aurait conduite à annoncer sa démission. Voulez-vous que je vous dise ? Sa loi sur le logement, elle peut se la mettre quelque part. Ça vous choque ? Tant pis. Il est bon de temps à autre de vider son sac. L’heure est de toute façon aux ruptures franches, délaissant les susceptibilités. Et quand je parle d’Inter et de Duflot, il s’agit bien entendu des deux premiers exemples auxquels j’ai pensé. Il en est des centaines.

La dernière fois qu’on a osé parler dans ce pays, ce fut à propos de la torture de masse en Algérie. La dernière fois qu’il a fallu risquer sa vie, ce fut contre le fascisme. La dernière fois que l’on a volontairement omis une vérité essentielle, ce fut sur le stalinisme. C’est à cette aune qu’il faut juger l’indifférence de notre époque au vaste dérèglement en cours du climat. Sauf que la stabilité du climat était la condition première de l’existence des sociétés humaines. Sauf que la menace sur tout et sur tous n’a jamais été aussi grande, de fort loin.

D’une catastrophe l’autre (souvenirs du nucléaire)

Pour les besoins d’un travail, j’apprends que sans les ingénieurs-chimistes qui ont rendu commercialement profitable l’invention du nylon, pas de bombe nucléaire. Le « projet Manhattan », qui fit sortir de terre en quelques mois les usines de Hanford et d’Oak Ridge, n’aurait pas existé sans le savoir-faire technique, technologique, matériel du groupe DuPont. Sans chimistes, excusez-moi de répéter, les équations des physiciens comme Fermi seraient restées dans les laboratoires. Je vous laisse penser. L’alliance de la chimie de synthèse et du plutonium (voyez le passionnant livre de Pap Ndiaye, Du nylon et des bombes, Belin, 2001).

Les accidents de 1956, 1961 et 1987

Si j’évoque ce fait, c’est qu’un autre me trouble profondément. Ou plutôt deux, ou trois, ou cent, nul ne sait ni ne saura jamais. Le 13 septembre (ici), le quotidien  The Guardian rapporte qu’en juillet 1956, en Angleterre, un avion gros-porteur américain est sorti de piste et a heurté violemment un silo abritant des missiles nucléaires, avant d’exploser. On s’en est sortis. Tout juste. En janvier 1987, un camion de l’armée de l’air britannique a dérapé sur une route verglacée, avant de se perdre sur le bas-côté. Il contenait des bombes H, à hydrogène. Et si ces deux exemples sont cités, c’est qu’ils ne figurent pas dans les listes officielles, qui comptent pourtant des dizaines de situations limites. Combien d’autres affaires cachées ? Par définition, on ne le sait.

Le 20 septembre, s’appuyant sur un document américain déclassifié, The Guardian, à nouveau, raconte une histoire à hurler (ici). Le 23 janvier 1961, aux États-Unis, un accident a bien failli décimer la population du nord-est du pays. Washington, Baltimore, peut-être New York auraient pu être rayées de la carte. Avec des millions de morts à la clé. Ce jour-là, un bombardier B52 a explosé en vol, relâchant du même coup deux bombes à hydrogène représentant 260 fois la puissance de la bombe atomique d’Hiroshima. La première bombe tombe dans un champ, l’autre dans une prairie. Par miracle, sans exploser. Ajoutons que le mensonge officiel, en Amérique, est que le nucléaire militaire n’a jamais mis en danger des vies américaines.

La gélatine des fûts radioactifs

Bien sûr, ils mentent comme des arracheurs de dents. Et ils sont en outre d’une ignorance qui, combinée à leurs autres défauts intrinsèques, peut VRAIMENT conduire au pire. En Belgique, l’analyse de 58 fûts de déchets radioactifs venant de la centrale de Doel vient d’être rendue publique. C’est digne d’intérêt. Si on a mené ce travail dans le site d’entreposage des déchets, c’est bien entendu parce que l’on avait un pressentiment. Et comme on avait raison ! 42 des 58 débordent d’une matière gélatineuse dont on ne sait rien, mais qui inquiète beaucoup, y compris chez nos damnés « experts ». Le phénomène était connu des nucléocrates depuis février, mais ces messieurs-dames n’ont daigné mettre au courant leur ministre de tutelle qu’en août. Mais à part cela, madame la marquise, tout va très bien. Le porte-parole de Belgoprocess, qui gère le dépôt de déchets, assure faire preuve de « transparence » et d’« ouverture ».

Que puis-je ajouter de sensé ? S’il existait en France des démocrates à l’ancienne – disons plutôt : à mon goût -, il est certain qu’EDF, AREVA, CEA et tous autres monstres ne pourraient jouer notre sort commun à la roulette russe. Or, ne s’amusent-ils pas au bord du gouffre depuis 70 années ? Comment se fait-il donc qu’aucun accident important n’ait jamais été admis chez nous ? Rien au moment des assemblages à Valduc (Côte d’Or). Rien au Sahara, où se déroulèrent les premiers essais. Rien à Moruroa, si loin de nos regards. Rien dans nos ciels tricolores, où circulent pourtant des avions nucléarisés depuis cinquante ans. Rien à bord des sous-marins. Rien dans les ports d’entretien – Toulon, Cherbourg, Brest. Rien sur les routes, où circulent toute l’année des engins de mort. Rien sur les lignes de chemin de fer. Rien, jamais.

Où sont passés les démocrates ?

Oui, s’il existait des démocrates à l’ancienne, capables d’aller choper au col tous ces salauds, eh bien, cela ferait une certaine différence. Mais sur ce plan-là aussi, rien n’est en vue. Les socialos sont ralliés à la bombe depuis Mitterrand l’atlantiste. Les ci-devant communistes ont toujours salivé devant la puissance de l’atome. Et la droite, n’en parlons pas. Mais c’est bien parce que nous sommes si faibles, si mous, si lâches que les puissants d’hier, d’aujourd’hui, de demain, peuvent continuer à mentir avec tant d’aplomb. Je sais que c’est facile à écrire. Je le sais bien. Et je sais aussi que ces mots dérisoires peuvent ressembler à de la bouillie masochiste pour les chats de ma défunte grand-mère.

Je sais tout cela. Mais mon désarroi est si grand, ce samedi finissant, que je ne peux m’empêcher. Certes oui, des craquements se font entendre d’un bout à l’autre de notre vieux monde. Mais quand ? Quant tout cela deviendra-il un espoir véritable, planétaire, vivifiant ? Hier et aujourd’hui, nos gouvernants ont pu installer en plein Paris leur Barnum de la Conférence environnementale. Désespérément attachés à leurs banquettes et strapontins, ces pauvres gens d’Europe Écologie-Les Verts ont fait semblant d’applaudir pour ne pas déranger leurs urgentes affaires de places. Cela va passer, mais un jour comme aujourd’hui, je me demande pourquoi nous sommes si cons.

Et les armes chimiques françaises, M.Hollande ?

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 11 septembre 2013

La morale est devenue un jeu télé. La France gaulliste a oublié les armes chimiques de B2 Namous. La France socialo a oublié les 5 000 morts d’Halabja.

Hollande est un magnifique rigolo. On le savait, mais son numéro sur la France éternelle, morale en bandoulière, crève le plafond. Il ne serait donc pas supportable que notre glorieux pays laisse un abominable dictateur – Assad – user d’armes chimiques contre ses petits nenfants.

Bon, on a le droit d’aimer les fables. On a aussi le droit de connaître l’Histoire. Le 16 mars 1988, des Mirage made in France larguent sur la ville kurde – irakienne – d’Halabja des roquettes pleines d’un cocktail de gaz sarin tabun et moutarde. 5 000 morts. Des gosses figés au sein de leur mère. Mitterrand, alors au pouvoir, s’en contretape et ne dit pas un mot. L’urgence est de soutenir Saddam Hussein, raïs d’Irak, contre les mollahs de Téhéran. Et que l’on sache, pas un mot de Hollande, en ce temps l’un des experts du parti socialiste.

Mais ce n’est pas exactement tout. La droite sarkozyste, si elle était autre chose qu’une bande, fermerait gentiment sa gueule. Or elle piaille. Or Fillon, Jacob, Copé et tous autres miment les donneurs de leçons. Il est vrai que ce n’est pas demain la veille qu’ils devront s’expliquer sur la base secrète B2 Namous.

Cette sombre affaire commence dans les cerveaux gaullistes dès le retour du noble Général au pouvoir, en juin 1958. De Gaulle a l’obsession qu’on sait : la grandeur, par la puissance. Et cette dernière ne peut exister selon lui sans la bombe, la vraie, la seule. La première bombe atomique de chez nous explose le 13 février 1960 dans la région de Reggane, au cœur d’un Sahara alors français. Ce qu’on sait moins, c’est que le pouvoir gaulliste deale ensuite avec l’Algérie d’Ahmed Ben Bella pour conserver au Sahara des bases militaires secrètes. Les essais nucléaires français, devenus souterrains, continuèrent dans le Hoggar, près d’In Ecker, jusqu’en 1966.

Pour la chimie, forcé, les choses commencent avant. La France a signé en 1925 une convention internationale interdisant l’utilisation d’armes chimiques, mais que valent les chiffons de papier ? Entre 1921 et 1927, l’armée espagnole mène une guerre d’épouvante chimique contre les insurgés marocains du Rif. Et l’on sait maintenant que la France vertueuse avait formé les « techniciens » et vendu phosgène et ypérite à Madrid.

C’est dans ce contexte sympathique que la France de 1962, celle des Accords d’Évian, arrache aux négociateurs algériens du FLN des contreparties à l’indépendance. Notamment le maintien de bases militaires. Outre Reggane et In Ecker, B2 Namous, un polygone de 60 kilomètres par 10 au sud de Béni Ounif, non loin de la frontière marocaine. Personne n’entend parler du lieu avant un retentissant dossier publié dans Le Nouvel Obs en 1997, sous la signature de Vincent Jauvert.

En résumé, nos vertueux soldats ont utilisé sur place des grenades, des mines, des obus et bombes, des missiles même, tous chargés de munitions chimiques parmi les pires. Jusqu’en 1978, c’est-à-dire jusqu’à nos héros bien connus, Raymond Barre et Giscard d’Estaing. Dans une note de l’état-major français, publiée par Jauvert, on peut lire : « Les installations de B2-Namous ont été réalisées dans le but d’effectuer des tirs réels d’obus d’artillerie ou d’armes de saturation avec toxiques chimiques persistants ; des essais de bombes d’aviation et d’épandages d’agressifs chimiques et des essais biologiques ».

Et la sarabande ne s’arrête pas là. En 1997, le ministre de la Défense – le preux rocardien Alain Richard est aux commandes – fait répondre à Jauvert : « L’installation de B2 Namous a été détruite en 1978 et rendue à l’état naturel ». En février 2013, le journaliste de Marianne Jean-Dominique Merchet révèle qu’un accord secret a été conclu entre François Hollande et l’Algérien Abdelaziz Bouteflika. Et il porte sur la dépollution de B2 Namous, « rendue à l’état naturel » trente ans plus tôt. Sans précision, le site, qui n’est protégé par aucune clôture, contiendrait bon nombre d’obus non explosés et des produits chimiques « à manier avec une grande prudence ». B2 Namous, combien de morts ?

Hollande, soldat de la morale universelle, n’a qu’un mot à dire pour que l’on sache enfin la vérité.

Le transhumanisme de Politis (pourquoi je ne suis pas de gauche)

Lecteur, je ne vais pas te prendre en traître : l’article ci-dessous est démesurément étiré. Je n’avais pas prévu, mais c’est écrit, et si tu as mieux à faire que te perdre dans mes méandres personnels, je crois pouvoir t’assurer que je comprends. J’insiste : c’est long.

J’avais pensé ne rien dire sur un extravagant dossier de l’hebdomadaire Politis (ici, le texte complet), en kiosques de fin juillet à fin août pour cause d’été. Mais j’ai finalement changé d’avis. Le groupe grenoblois de critique sociale Pièces et main d’œuvre (PMO) et le groupe lillois Hors-sol (ici) en ont fait une critique acerbe, que j’approuve, mais à laquelle je crois devoir ajouter mon grain de sel.

Une chronique oubliée

De quoi s’agit-il ? De transhumanisme. C’est un courant idéologique qui représente à mes yeux un grand danger. Je l’ai dit de nombreuses fois, et le drôle, c’est que j’ai écrit sur le sujet une chronique parue en janvier 2002 dans … Politis (n°682). Il y a dix ans et plus, je peux vous assurer que nous n’étions que très peu à en parler. Trois, deux, un ? Passons.  Voici un extrait de cette chronique : « Avec les transhumanistes, vous ne risquez pas de vous ennuyer, soyez-en sûr. Qui sont-ils ? Une poignée pour l’heure, mais dont tout permet de penser qu’ils forment l’avant-garde d’une armée immense. Le transhumanisme est une sorte de théorie, née chez certains scientifiques et concepteurs de nouvelles technologies. Selon eux, la nature humaine, loin d’être inaltérable, ne cesse d’être modifiée en profondeur par les découvertes, le changement, le neuf. Elle est malléable, à volonté ou presque.
> Or de glorieux horizons se découvrent, grâce notamment aux nanotechnologies moléculaires, aux machines intelligentes, aux « médicaments de la personnalité », à la vie artificielle, à l’extension devenue possible du corps par la machine, etc. Qu’allons-nous faire de ces miraculeuses vendanges ? Mais en profiter, bien entendu, pour sortir de nous-mêmes. C’est là l’occasion d’aller au-delà –
trans – de notre misérable enveloppe. De l’audace, de l’audace ».

Et encore ceci : « Les plus allumés [des transhumanistes ]envisagent de coloniser l’espace, de réanimer des gens tenus congelés pendant des dizaines d’années, de repousser la mort si loin qu’on ne la verrait plus ou presque. Les limites, la limite n’existeraient plus : l’anti-écologie ». Et enfin cela  : « Et place à l’homme nouveau. Supérieur ? On aimerait se tromper, mais on croit retrouver des effluves transhumanistes chez des auteurs comme Maurice G. Dantec – récemment encensé, jusqu’au grotesque, dans Le Monde – ou Michel Houellebecq. Annoncent-ils une nouvelle poussée de régression ? Ce serait une mauvaise nouvelle, mais elle n’étonnerait guère ».

Un autre transhumanisme est possible

Presque douze ans plus tard, comme le notent PMO et Hors-sol, Politis se fend donc d’un dossier consacré au transhumanisme. Je l’ai lu, bien entendu. Et je comme je connais un peu la chanson, je vois bien quel en est le sens général. Malgré quelques précautions jetées ici ou là en travers des textes, ce qui domine est bien une fascination. Le titre de couverture résume d’ailleurs au mieux l’état d’esprit de ce magazine-là : « L’homme augmenté, c’est déjà demain ». Oui, une fascination, mais aussi l’acceptation d’un fait présenté comme inévitable.

La roue tourne, la machine avance, la science et la technique commandent aux sociétés humaines. Même s’il n’est pas formulé explicitement, je distingue sans mal une sorte de mantra progressiste. L’homme n’accepte pas sa condition, depuis le début de sa réflexion, et recherche en conséquence de nouveaux outils. « Serions-nous tous déjà un peu transhumains ? », se demande avec un petit frisson Politis. Pardi ! Les jeux sont faits. Dès lors, comme avec toutes les saloperies passées, il s’agit de composer, d’entraîner le fatal progrès dans la bonne direction supposée. Laquelle est clairement indiquée par un personnage inouï, Marc Roux, président de l’association française de transhumanisme Technoprog (AFT). Attention les yeux ! Roux est de gauche. Bien sûr ! C’est un fier « technoprogressiste » qui ne s’interdit rien « en matière de progrès » et clame pour finir : « Un autre transhumanisme est possible ! ». Tu l’as dit, bouffi.

À ce stade, il convient de préciser la nature de mes relations avec Politis. J’ai fait partie de l’équipe qui a fondé ce journal en 1988. Je suis celui qui, avec Jean-Paul Besset, a tenté, en 1990, de le changer, lui faisant quitter les rives de la gauche – plutôt radicale – pour lui faire aborder celles de l’écologie. Nous y avons échoué, pour des raisons trop longues à détailler ici. J’ai quitté l’hebdomadaire à l’été 1990, et j’ai repris une collaboration extérieure en 1994, réalisant chaque semaine une page consacrée à l’écologie. Et je me suis barré dans un grand éclat au printemps 2003. L’amusant, c’est que Hervé Kempf, qui vient de quitter Le Monde, où il estimait ne pouvoir travailler librement, a consacré un article aux conditions de ma rupture avec Politis, totale et définitive (ici, l’article de Kempf en 2003).

Un avis sur Bernard Langlois et Denis Sieffert

Tout cela, bien qu’anecdotique, mérite quelques lignes supplémentaires. Certains d’entre vous lisent ou, plus sûrement encore, ont lu Politis. Je ne garde aucune amertume de ces années-là, car à la vérité, j’ai toujours pu écrire ce que je voulais, sauf à la fin. Et c’est rare. Mais je savais, et il ne s’agit pas d’un anachronisme de la pensée, que deux cultures radicalement différentes cohabitaient. La première, hégémonique, était représentée par Bernard Langlois, talentueux éditorialiste et très discutable directeur. Bernard est un homme de gauche, indécrottablement de gauche, et c’est bien son droit. C’est son univers, son passé, son avenir. Certes oui, l’écologie compte à ses yeux, mais comme une pièce rapportée, un ajout qui enrichirait les vieilles pensées. Et non pas comme une façon vraiment neuve de penser le monde  et ses si nombreux problèmes.

De même chez Denis Sieffert, l’actuel directeur de la rédaction. Sur un plan personnel, je l’ai toujours trouvé humain – sous ma plume, un vrai compliment -, malgré quelques vrais défauts personnels que je n’appréciais pas. Je suis sûr qu’il en a autant à mon sujet. En ce qui concerne sa vision du monde, c’est autre chose. Formé à la terrible école des lambertistes (OCI, Jospin, Mélenchon et tous autres), il voit la plupart des questions sous leur angle tactique, pour être gentil. L’écologie n’existe pas. Le courant écologiste, si. Tout, chez lui, est passé à la moulinette du rapport de forces et des vieux schémas. Là encore, c’est bien son droit. Comme c’est le mien d’être aux antipodes.

Seul contre tous (humour)

Voilà pour l’idéologie dominante de Politis. Une éternelle resucée de propos tenus depuis des décennies dans des milliers de gymnases et préaux, dans des centaines d’émissions télévisées ou radiodiffusées. Le public de ce journal est connu : des gens respectables mais vieillissants qui, ayant cru dans la gauche, parfois extrême, ne parviennent ni ne parviendront à renoncer à leurs illusions. Surtout ne pas les réveiller ! Oh ne les faites pas lever ! C’est le naufrage. L’autre culture, à Politis, c’était moi. Du moins après le départ définitif de Jean-Paul Besset et malgré le soutien de la journaliste Véronique Lopez. Je ne dis pas cela pour me vanter : il s’agit d’un fait.

Mais ce n’avait rien d’un enfer : je crois devoir parler d’une coexistence (le plus souvent) pacifique. On me foutait une paix royale, fortement teintée d’indifférence pour mes articles. Et je faisais semblant de croire que nous étions d’accord sur l’essentiel, ce qui n’est pas vrai. Car, et j’ai eu l’occasion de le dire au moment de mon départ en 2003, je ne suis pas de gauche. Eh oui ! c’est comme cela, amis lecteurs : vous lisez la prose d’un qui n’est pas de gauche. Avant que de mettre ma tête dans la lunette de la guillotine, je réclame deux minutes supplémentaires au(x) bourreau(x). Franchement, la gauche, c’est quoi ?

Aussi rude que doive être la secousse, je dois dire tout de suite que la gauche est une création humaine. Elle a son point de départ historique. Elle disparaîtra, fatalement. Pendant les deux millions d’années de son existence – plus ou moins, le débat ne sera jamais clos -, l’Homme s’est totalement passé de cette invention, qui ne date que de…1789. Au cours d’une séance de l’Assemblée constituante, cet été brûlant-là, les opposants au veto royal se placent sans y penser à gauche du président; et les partisans du roi à sa droite. Il faudrait donc remercier la Révolution française ? Pas réellement. Car la distinction se perd dès les origines, pour ne s’imposer en France qu’à la fin du XIXème siècle, au moment de l’Affaire. Dreyfus, évidemment.

Et avant la gauche, les gars ?

Ne serait-ce pas un peu fâcheux pour ceux qui se drapent dans le drapeau au moindre souffle d’air neuf ? La Commune de Paris s’est totalement foutue de la gauche, dont elle ignorait l’existence. Fourier, Proudhon, Marx, Bakounine s’en sont tapés tout autant. Certes, ils n’arrivent pas à la cheville de M. Mélenchon, mais tout de même, n’est-ce pas incroyable ? Cessons de rire un instant : la gauche est un mythe, une croyance. Je crache d’autant moins sur cette évidence que je sais la nécessité de fondations psychiques dans toute action humaine d’importance. Donc, une croyance. Une croyance qui a la peau exceptionnellement dure, je m’empresse de l’écrire. Car quoi ?

Si l’on regarde l’histoire concrète de la social-démocratie – française, pour mieux me faire entendre -, on voit avec facilité que ce courant a pactisé avec le pire sans le moindre état d’âme. La politique de ce bon M. Hollande vient de là. Je cite sans hiérarchie ni exhaustivité la défense de l’Empire colonial et le racisme institutionnalisé qui l’a toujours accompagné ; le soutien forcené, par le biais de l’Union sacrée, à la vaste boucherie continentale déclenchée en septembre 1914 ; le refus d’armer le gouvernement légal de l’Espagne républicaine, en 1936 ; d’innombrables massacres dans des pays soumis, comme à Madagascar ; la torture de masse en Algérie, etc. Je passe volontairement sur les années Mitterrand, sommet de la manipulation de masse, au cours desquelles tant de bons couillons auront cru, successivement, et en quelques mois, dans la rupture avec le capitalisme puis dans la réhabilitation de celui-ci, sous la forme d’embrassades avec l’excellent Bernard Tapie et le formidable Silvio Berlusconi. Question imbécile : un mouvement à ce point éloigné de ses nobles buts constamment proclamés mérite-t-il encore le respect ?

L’autre branche de ce mouvement socialiste s’appela, à partir de 1920 la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), autrement dit le parti communiste. Comme je ne fais pas une histoire du communisme français – de nombreux livres disent l’essentiel -, j’en reste à une généralité : le parti communiste a une histoire honteuse, indéfendable. Pour ne considérer que l’exemple de la lutte contre le fascisme hitlérien, qui fait pourtant la fierté des vieux de la vieille, il est sans conteste que le parti communiste a commencé par pactiser avec l’occupant à l’été 1940. Sur ordre de Staline, on s’en doute. Comme on se doute que, si Hitler n’avait pas envahi l’Union soviétique en juin 1941, les staliniens ne seraient jamais entrés en résistance. Tout le reste n’est que propagande. Un mot sur Jacques Duclos, dont la biographie n’a jamais été écrite, mille fois hélas.

Jacques Duclos et l’Espagne stalinienne

Duclos a été dirigeant du parti communiste pendant un demi-siècle, de 1926 à sa mort en 1975. C’était un homme de l’Apparat international, comme les staliniens appelaient leur vaste appareil policier. Je ne sais pas s’il fut, comme des gens sérieux le pensent – et parmi eux des historiens – un pur et simple agent du Guépéou/NKVD. Cela expliquerait bien des choses. Et jetterait sur son rôle en Espagne une ombre encore plus terrible. Car Duclos fut l’homme en France  de l’Espagne stalinienne, aux côtés de l’ordure appelée André Marty, qui gagna au passage le surnom de boucher d’Albacete. À partir de 1930 – cette date est importante, car elle montre que, dès cette année, Duclos cornaque l’alors groupusculaire parti communiste espagnol – jusqu’au triomphe franquiste de 1939, le chef stalinien multiplie les voyages au-delà des Pyrénées. Qui connaît l’histoire de l’Espagne de ces années noires – et c’est mon cas – sait ce que signifient ces missions à répétition. Car le parti communiste espagnol a été pendant tout ce temps l’auxiliaire de la politique soviétique stalinienne en Europe. Laquelle passait, entre 1936 et 1939 par l’enlèvement, la torture, l’assassinat de centaines de militants espagnols, poumistes ou anarchistes notamment, qui déplaisaient au grand Manitou du Kremlin.

J’entends déjà les soupirs. Encore ces vieilleries ! Mais ce type est malade ! Eh bien, je m’en moque totalement. J’ai vécu à Montreuil, dans la banlieue parisienne, où une station de métro porte encore le nom maudit de Jacques Duclos, cette canaille. Et, tenez, l’ancien maire de Montreuil, qui entend bien reconquérir son bien éternel en 2014 – Dominique Voynet a gagné l’élection de 2008 -, s’appelle Jean-Pierre Brard, ancien député. Qui est-il ? Un apparatchik du parti communiste, lui aussi, d’une époque plus récente que celle de Duclos il est vrai. Il a fait l’école des cadres du parti, qui était dans les années soixante, quand il y fut, le tremplin des carrières bureaucratiques. Et il a séjourné en Tchécoslovaquie entre 1969 et 1971, au pire de la répression contre le Printemps de Prague. Avant de s’installer en Allemagne de l’Est, patrie de la Stasi et des tirs dans le dos des passeurs de Mur. En bref, quel talent ! C’est cet homme qui s’est présenté aux élections législatives de Montreuil l’an passé. Sur une liste Front de Gauche, ce rassemblement de M. Mélenchon. Mais quelle surprise !

En mémoire des massacrés

Passons au-delà de nos si petites frontières. Je plains – je plains et je maudis – ceux qui, ici, ailleurs, hier, aujourd’hui comme demain, osent absoudre sans rien en connaître les crimes sans nom du stalinisme. On ne cesse de me reprocher ce qui serait une obsession, vaguement malsaine. Seulement, il y a erreur : je REVENDIQUE mon obsession de tous ces massacres oubliés. Je pense, moi, oui je pense aux millions de morts de la famine organisée par Staline après 1933. Je pense aux peuples innombrables du Goulag. Je pense aux dizaines de millions de morts de l’époque maoïste. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir la moindre prescription, car je vous rappelle que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Libres à vous, alzheimériens volontaires, de vous sentir quittes de ces flots de sang. Libre à moi de vous considérer comme complices.

Il m’est plaisant de constater que les hommes de gauche, et par exemple ceux qui dirigent Politis, se sont toujours réclamés d’une philosophie de l’Histoire – dans le passé, elle se voulait scientifique – sans seulement comprendre ses leçons les plus évidentes. Parmi elles, la différence constante, flagrante, indiscutable entre l’adhésion à des valeurs et la soumission à l’idéologie. Je le répète : la gauche est toute récente, mais les combats émancipateurs sont de tout temps. Aussi bien, comment classer la révolte somptueuse des paysans de Münster (ici), qui a commencé en 1524 ? La vulgate progressiste, c’est-à-dire cette manière tellement de gauche de considérer l’Histoire comme la marche plus ou moins linéaire du progrès, cette vulgate considère toujours le luddisme (ici), ce mouvement anglais des briseurs de machines industrielles, comme régressif. Pardi ! Il s’opposait à la prolétarisation des paysans et artisans, annonciateur, selon les Saintes Écritures, de la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Il était donc réactionnaire, pas vrai ?

Un mouvement et des valeurs

Où veux-je en venir ? Mais voyons, n’est-ce pas évident ? J’ai constamment défendu, au long de ma vie, des valeurs qui m’accompagneront au tombeau. Et ce sont, je le crois, des valeurs universelles, qui m’auront aidé à vivre dignement. M’auraient-elles conduit à mourir ? En tout cas, je suis vivant. Et bien plus, je le crains pour eux, que tant de pantins et de polichinelles qui se réclament de la gauche chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Non, décidément non, je ne suis pas de gauche. J’appartiens à une vaste Internationale confuse, qui trouvera ou non sa voie. Qui se cherche en tout cas, qui se reconnaît parfois en ce qu’elle remet en cause la totalité des formes politiques nées de l’industrialisation du monde. La droite, cela va sans dire. Mais la gauche tout autant, qui fait semblant d’aller en direction de l’écologie, comme M. Mélenchon chez nous, alors qu’elle ne fait que passer une couche de peinture verte sur les vieilles harangues. N’est-il pas évident que les mélenchonistes – et nul doute que Politis est mélenchoniste – font du greenwashing, de même que la Shell ou EDF ?

Je résume, et que personne ne rie, car je résume vraiment. La gauche est une vieille chose, associée étroitement au processus de la destruction du monde. Une autre culture émerge des décombres, qui suit un chemin difficile, hésitant, fatalement long. La première est morte. La seconde reste fragile, mais elle déborde d’énergie, et comme elle est le seul avenir concevable, pour le moment du moins, il faut lui souhaiter de grandir au point de dominer culturellement le monde. Car c’est de la culture profonde des humains que surgiront d’éventuelles solutions. J’ai choisi depuis longtemps, et ma rupture avec Politis, si ancienne déjà, ne saurait être plus totale.

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L’article paru dans Le Monde au moment de mon départ de Politis en 2003

Le regard écologiste sur les retraites déchire « Politis »

Article paru dans l’édition du 19.06.03

Le départ du chroniqueur écologiste, un des fondateurs de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste, révèle la résistance de la culture de gauche à l’écologie. Croissance à tout prix contre environnement ?

PEUT-ON critiquer dans un journal de gauche l’opposition à la réforme des retraites ? C’est apparemment difficile, comme le manifeste la crise ouverte à Politis par son chroniqueur écologiste, qui s’est traduite par son départ volontaire, expliqué dans le nº 755 de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste. Mais l’affrontement entre caractères fougueux est, bien plus qu’une péripétie de rédaction, le révélateur d’un fossé entre la gauche et l’écologie.

Tout part du 8 mai, quand Fabrice Nicolino, un des journalistes de Politis depuis sa fondation en 1989, aborde dans sa chronique hebdomadaire le débat sur les retraites : « Nous sommes – grosso modo 500 millions d’habitants du Nord – les classes moyennes du monde réel. Nous consommons infiniment trop, et précipitons la crise écologique, jusqu’à la rendre peut-être – probablement – incontrôlable. Tandis que quatre à cinq milliards de ceux du Sud tiennent vaille que vaille avec deux ou trois euros par jour, nous vivons de plus en plus vieux, et ne travaillons pour de vrai qu’à partir de 23 ou 25 ans. La conclusion s’impose : ne touchons surtout à rien ! » Et d’enfoncer le clou : « Le syndicalisme, fût-il d’extrême gauche ou prétendument tel, est devenu réactionnaire. Où trouve-t-on la moindre critique de la prolifération d’objets inutiles et de l’hyperconsommation chère à tant de retraités ? »

L’article agit comme une décharge électrique sur nombre de lecteurs, qui envoient des lettres indignées, publiées dans le numéro du 22 mai : « Croyez-vous que la paupérisation des retraités va permettre de résoudre le dérèglement climatique ? », interroge Marlène Ribes. « En quoi serait-il préférable, pour se questionner et agir sur l’avenir de la planète, la situation des pays du Sud, etc., de travailler plus longtemps, d’avoir des revenus diminués de 30 à 40 % ? », questionne Chantal Jouglar. Et d’autres de pester : « C’est déplaisant de lire dans Politis des propos dignes du Figaro », regrette Odile Horn.

Discussions enflammées

Dans le même numéro, Fabrice Nicolino précise sa position, sans l’affadir : « Je ne serai plus jamais solidaire avec ceux qui, ayant «conquis» la télé, la voiture individuelle, le magnétoscope, la chaîne hi-fi, le téléphone portable et le lecteur DVD, se préparent à de nouvelles campagnes d’hyperconsommation. » Evoquant la crise écologique globale, le journaliste affirme : « Le mouvement syndical, en étant incapable de relier ses revendications, que je ne conteste pas dans leur principe, à ce drame qui domine et conditionne l’époque – les menaces sur la vie -, est devenu fondamentalement réactionnaire. (…) Ceux qui se battent pour le maintien de leur situation personnelle, souvent privilégiée sur le plan personnel, sans remettre en cause nos manières concrètes de vivre et de gaspiller ont tort. »

En interne aussi, le débat a provoqué des discussions enflammées en comité de rédaction. Denis Sieffert, directeur de la rédaction, a expliqué avoir dit au perturbateur que les termes de « “criailleries corporatistes” ressortissaient au vocabulaire libéral ». La discussion a été vive et elle a conduit Fabrice Nicolino à choisir de quitter l’hebdomadaire. Politis a publié une nouvelle explication de son ex-collaborateur, ainsi que des lettres de lecteurs approuvant son approche. L’un d’eux, Philippe Drion, « salue son courage pour oser aller à l’encontre d’une sorte de pensée unique, commune à presque toute la classe politique française, qui affirme que notre bonheur doit impérativement passer par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat et donc plus de consommation. »

La figure tutélaire du journal, Bernard Langlois, ironise par contre sur « les adieux de Fontainebleau d’un collaborateur de ce journal qui s’érige en porteur de la vraie croix écologiste », tout en reconnaissant que la gauche est « encore beaucoup trop marquée par le culte du progrès, de la croissance ». Mais cette gauche peut-elle accepter de proclamer la nécessité de réduire la consommation matérielle, un impératif qui reste au coeur de l’approche écologiste ?

Hervé Kempf