Ne cherchez donc pas. Cela ne s’est jamais produit. Ni dans votre vie, ni dans celle de vos parents, ni dans celle de vos aïeuls, aussi loin que l’on remonte. Jamais. Même si l’on était capable de dénicher, sur le vaste arbre généalogique des humains, la trace de celui (ou celle) qui, voici 2 millions d’années, devait contribuer à vous donner naissance, il faudrait encore admettre que l’homme, depuis ses origines, n’a jamais vu cela.
Et cela, bien entendu, c’est la crise écologique. Autrement dit la destruction systématique de tout ce qui tient et soutient l’existence de la vie sur terre pour de grands mammifères comme nous. Nous sommes mal, sans rire. Cette crise a beau être évidente, elle demeure sans le moindre intérêt. Il est manifeste que toute politique raisonnable, à quelque niveau que ce soit – depuis le plus petit canton du monde jusqu’à la planète entière – devrait mettre au premier plan la sauvegarde. Or, il n’en est manifestement rien.
Au milieu de dizaines de nouvelles du même genre, je vous signale une étude parue dans la revue Science (lire ici). Le rythme d’acidification des océans serait sans précédent depuis 300 millions d’années. Et la cause de ce phénomène tiendrait à l’explosion des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui obligerait les mers à absorber toujours plus de carbone. Mais jusqu’où ? 300 millions d’années en arrière, cela inclut quatre crises d’extinction de masse des espèces, survenues au cours de cette gigantesque période. Dont la dernière, il y a 65 millions d’années, a vu mourir les dinosaures, probablement maîtres de la Création de cette époque.
Tout le monde – du moins ceux qui ont fait l’effort de lire un peu -, sait que nous sommes plongés dans la sixième crise d’extinction de l’histoire de la vie, en relation directe avec les activités industrielles humaines. Et l’article de Science, sans entrer dans des détails que personne n’est d’ailleurs en mesure de décrire, souligne que, par le passé, l’acidification a signifié la mort d’une quantité astronomique d’espèces vivantes. La certitude, la quasi-certitude, c’est que l’acidification accélérée annonce des phénomènes cataclysmiques.
Et c’est alors que je sors mon crincrin coutumier, pour vous parler de notre ridicule campagne électorale. Mais avant cela, un rapprochement absurde, qui m’aidera je l’espère à me faire comprendre. Les hommes sont le plus souvent – toujours ? – en retard d’une guerre. Voyez avec moi l’exemple de Charles de Gaulle, écrivant en 1934 Vers l’armée de métier. Dans ce livre, De Gaulle colporte comme n’importe qui un paquet de sottises partagées par tout le monde de son temps, mais il émet également une idée neuve, qui montre la force de son esprit. Il y théorise en effet la nécessité de régiments blindés autonomes, libérés du poids de l’infanterie, dotés de chars mobiles. C’est génial, ce qui le conduit comme de juste à la solitude.
En 1934, l’état-major de l’armée et les politiciens qui lui sont dévoués – presque tous – pensent un éventuel affrontement avec l’Allemagne comme un remake de 1914, sous la forme d’une revanche globale. Grâce aux fortifications de la ligne Maginot, nos soldats défendront avec vaillance le sol de la patrie, et finiront par épuiser puis écraser l’ennemi. Le schéma entier est statique. Ils avancent, nous contenons, nous contre-attaquons. Sauf que l’armée allemande, jeune et enthousiaste, de M. Hitler, ne daigna pas jouer le jeu. Les blindés de Guderian osèrent franchir les Ardennes par une route jugée impossible, bousculant les vieilles barbes en quelques jours. De même, en Belgique, des parachutistes déposés par planeurs s’emparèrent en quelques heures de forts jugés jusque-là imprenables. Nous eûmes, pour paraphraser Churchill, la guerre et le déshonneur.
Quel rapport avec aujourd’hui ? Je reconnais que le lien est faible, mais pas forcément pour les raisons que vous croyez. Il est faible car la crise écologique est sans commune mesure avec ces tragiques événements. Elle est infiniment plus grave, et ses conséquences, que nul ne peut prévoir, seront sans nul doute à ses dimensions. Je préfère ne pas aller plus loin sur ce chemin. Eh bien, la suite ? Je crois et je crains que les esprits humains ne soient pas capables de voir en temps réel ce qui se passe pourtant sous leurs yeux. Quelle que soit l’explication, et à mon sens il y en a plusieurs, qui se mêlent, nul n’entend regarder en face le noir soleil qui pourtant éclaire et obscurcit tout. Le déni, phénomène troublant autant que fascinant – que l’on songe donc au déni de grossesse, et à ses formes extrêmes – est sûrement décisif, mais il se combine à d’autres limites.
Parmi elles, je nommerai volontiers l’imbécillité. Je n’entends pas parler de la stupidité, pas seulement. L’imbécillité dont je veux parler est ce « caractère de celui qui est plus ou moins incapable de raisonner, de comprendre et d’agir judicieusement ». Cette définition-là me convient parfaitement, et elle permet d’englober la totalité des candidats à l’élection présidentielle. Y compris madame Joly et monsieur Mélenchon, sans qu’il soit nécessaire de faire la liste des autres.
Tous sont des imbéciles de la plus belle eau. Mais je compte bien, malgré tout, prendre leur défense. Certes, ils sont incapables de raisonner et d’agir judicieusement. Est-ce bien de leur faute, à ces pauvres chéri(e)s ? Non. Ils n’ont pas la moindre culture dans les domaines cruciaux pourtant de l’activité publique que sont l’eau, le sol, la mer, la forêt, la chimie, le climat, la systématique, la biologie en général. Ils sont dramatiquement ignorants, et c’est à jamais. Urbains jusqu’au tréfonds, incapables de distinguer un chêne d’un hêtre, reconnaissant avec peine un merle, n’ayant pas marché plus de dix kilomètres à pied depuis deux ou trois siècles, ils sont tous détestables. Et d’autant plus détestables que la plupart ont eu tout le temps nécessaire pour apprendre.
Mais souhaitaient-ils apprendre ? Un Mélenchon a été bureaucrate politique toute sa vie durant, et il est sénateur depuis la bagatelle de 25 ans. Il lui a paru plus digne de s’intéresser à la secte OCI, puis aux jeux de pouvoir dans un parti – le PS – dont il fut membre 31 ans. La nature ? Quelle nature ? Les autres sont aussi dignes d’éloges. Sarkozy, qui n’a jamais réellement travaillé, ne voit la complexité du monde qu’au travers de notes de synthèse – selon : une page ou deux, jamais plus – que ses conseillers lui pondent chaque demi-heure. Je vous rassure : il ne les lit pas toutes, car il n’aurait pas le temps. Mais vite ! quand l’on reçoit à 11 heures l’ambassadeur d’Ouzbekistan et à 12 heures l’envoyé du pape, il vaut mieux, je vous le dis, ne pas se tromper de fiches.
Si vous souhaitez rire, et que vous ne connaissez pas ce petit document, laissez-vous tenter par ce court échange sur le sunnisme de Ben Laden (c’est ici). Où l’on voit qu’un homme légalement capable de déclencher une guerre en notre nom ne sait rien d’une réalité de base qui devrait pourtant l’obséder. Quant à Hollande, qu’espérer franchement d’un homme qui, lorsqu’il était premier secrétaire du PS, aventure qui dura onze ans, commençait ses savoureuses journées d’équilibriste par la lecture de L’Équipe ? Et sans jamais trouver le bon moment pour régler le cas désespérant de Georges Frêche, Jean-Noël Guérini ou Jean-Pierre Kucheida ?
Vous pensez bien que la crise climatique ou la ruine accélérée de la biodiversité n’auraient jamais pu trouver la moindre place dans des emplois du temps aussi chargés. Et vous pensez juste. Ces politiciens professionnels n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe sur Terre. 300 millions d’années, pour en revenir à mon point de départ, ne sont rien pour ceux qui comptent en jours de pouvoir. Et ils ont bien raison, puisque l’on continue à voter pour eux, rendant du même coup inconcevable que l’on s’attaque si peu que ce soit à quelque problème d’importance que ce soit. Ô vous qui vous apprêtez à voter Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, Corinne Lepage ou François Hollande, ou tout autre (Bianca, voilà le résultat), je ne sais sincèrement pas quoi vous dire. Je cherche sans trouver. J’aimerais faire une pirouette, mais au vrai, je n’ai pas trop le cœur à rire. Il faut vraiment tout recommencer. Et autrement.