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(Presque) rien : Mélenchon défend DSK

Ci-dessous, un article de 20 minutes, journal gratuit. Mélenchon dans ses œuvres, qui défend DSK, avec qui il a passé plus de trente ans dans le même parti, face à la colère qui gronde. Il fait semblant, en bon bouffon de la République, de ne pas comprendre de quoi il s’agit. On s’en fout, évidemment, qu’un pote de DSK lui ait prêté une Porsche de 100 000 euros. Le problème, social, politique, éthique, écologique in fine, c’est que DSK accomplit la besogne sans voir une seconde – la vérité brutale, c’est qu’il s’en tape -, qu’il crache ainsi à la gueule du monde. Et, moi, je vous le dis : j’ai reçu mon compte de crachats. Qu’il aille se faire foutre.  ¡ Y que se vayan todos !, pour reprendre un mot cher à ce pauvre Mélenchon. Qu’ils se tirent. Tous. Et Mélenchon le premier.

Train de vie: Jean-Luc Mélenchon défend DSK

Mis à jour le 13.05.11 à 12h10

Ennemi politique  déclaré de Dominique Strauss-Kahn, Jean-Luc Mélenchon l’a toutefois défendu ce vendredi matin sur BFM TV dans la polémique sur son train de vie. Pour lui, parler de « la voiture » ou de « la marque des chaussures»« c’est la décadence de la politique ». « Ce n’est pas ça qui fait que je considère que DSK n’est pas du tout un bon candidat pour la gauche », a-t-il assuré. Du moins « si on veut qu’elle soit rassemblée » et « si on veut rassembler » «les gens» et « pas les états-majors », a-t-il ajouté.  « Vous ne pouvez pas rassembler les gens si vous amenez sur le terrain un candidat qui est le représentant de ce que tous les autres ne peuvent pas supporter, c’est-à-dire une mondialisation libérale extravagante, une brutalité sociale comme celle qui s’abat sur la Grèce », a-t-il expliqué. Il a aussi fait valoir: « Il y a des ouvriers de droite et des riches de gauche, il y a des ouvriers de gauche, il y a des riches de droite ».

François Mitterrand, grand homme de droite (et de poche)

Mise en garde : le texte qui suit est long. Fait aggravant, il parle de François Mitterrand, trente ans après un orage parisien qui ne laissa que quelques gouttes sur le pavé

Appelons cela un interlude, entre deux cris contre l’état de notre planète. Mais au fait, les amis, si l’état de notre humanité n’était pas ce qu’il est, en serait-on à ce point de déréliction écologique ? Je m’autorise trois mots sur notre grand homme de poche, François Mitterrand. Il y a trente ans, donc, il remportait l’élection présidentielle au nom du parti socialiste, et promettait de rompre avec le capitalisme. Mais vite, hein ? Il ne fallait pas traîner. Aux oublieux, à ceux qui étaient trop jeunes, je dédie ce court passage tiré d’un document officiel du parti socialiste. Il est consacré à une sorte de congrès tenu à Alfortville (Val-de-Marne) quelques mois avant mai 1981.

Cet extrait fait partie d’un texte écrit en 2006, en une époque bien plus calme pour nos Excellences de gauche, et son ton en est singulièrement adouci. Voici : « Divisé en trois parties – comprendre, vouloir, agir – le projet socialiste doit orienter l’action des socialistes pour les années 80. Rupture avec le capitalisme et stratégie d’union de la gauche, volonté de s’affranchir de la logique du marché et des contraintes extérieures, affirmation de la souveraineté nationale face au processus d’intégration européenne et à la puissance américaine, le texte soumis aux militants est marqué par le volontarisme politique et économique ; il réunit 96 % des suffrages ». En 1980, les mots réellement prononcés étaient de feu. Il s’agissait de faire rendre gorge aux capitalistes, rien de moins.

Longtemps après le roi du Tibet

Or donc, il s’agissait bel et bien de changer le monde. Ce qui n’a pas été fait, à moins qu’on l’ait caché à tous. Je sais que de nombreux lecteurs de Planète sans visa conservent pour Mitterrand les yeux de Chimène. Et moi ? Euh, non. Lorsque la discussion roule sur ces années-là en présence de femmes et d’hommes de gauche, la première et souvent la seule chose qu’ils trouvent à dire, c’est : « Oui, mais quand même, l’abolition de la peine de mort ». Et, bien que je sois poli, et que je tâche alors de détourner la conversation, je dois dire qu’intérieurement, je rigole. Ou bien je bous, selon. L’abolition de la peine de mort eût pu être décidée longtemps avant, et l’aura été sous toutes sortes de régimes. Elle avait été décidée il y a plus de 13 siècles au Tibet, sous le règne de l’excellent roi Songtsen Gampo. Le Venezuela l’avait inscrit dans sa Constitution en … 1864. Alors bon, Mitterrand n’aura fait que suivre un mouvement historique. Et c’est tout. Nous, les Français, avons bel et bien cette fâcheuse tendance à croire que nous inspirons la terre entière. Même lorsque nous arrivons parmi les derniers.

Mitterrand avait en tout cas d’affreuses raisons personnelles pour abolir. Car comme le rappelle le livre – que j’ai lu – signé par François Malye et Benjamin Stora (François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010), il avait du sang sur les mains. Devenu ministre de la Justice et garde des Sceaux en février 1956, il le restera jusqu’au 21 mais 1957. Et pendant ce temps, sous sa responsabilité écrasante, 45 militants de la cause algérienne ont été guillotinés, dont le communiste Fernand Iveton. Je vous le dis, je n’aurais pas aimé être Missak Manouchian en 1944, avec un Mitterrand au pouvoir. Tiens, au fait, n’a-t-il pas été ami jusqu’à son assassinat – en 1993 – avec ce cher René Bousquet, l’un des plus hauts responsables de la police fasciste du régime de Pétain ? Si.

Sur cette photo prise à Marseille en 1943, Bousquet a vraiment l’air très malheureux de la présence nazie en France. Où en étais-je ? L’Algérie. Un jour, Michel Rocard accusa Mitterrand, en public, d’être un assassin. Et il avait bien entendu raison. Ce qui ne l’empêcha nullement de devenir son Premier ministre, car la carrière, mon Dieu, c’est la carrière. Question d’une rare absurdité, d’autant qu’elle plonge au plus profond de cette aventure : Mitterrand était-il de gauche ? Je vous vois frétiller, car il y a de quoi. Mitterrand a été toute sa vie un homme de droite, et l’aura à peine caché. Les sots, les pauvres sots sont ceux qui ont cru autre chose, et ne veulent à aucun prix qu’on ose s’attaquer à leur idole de pacotille.

Un militant d’extrême-droite

Reprenons en quelques phases. Avant guerre – Mitterrand est né en 1916 -, il est un militant d’extrême droite. Sans doute pas un activiste, quoique, mais en tout cas, ce qu’on pourrait appeler sans excès un fasciste. Le 1er février 1935, il participe à une manifestation de petites crapules pour protester contre l’installation de médecins étrangers en France. Aux cris de « La France aux Français » et « Non à l’invasion métèque ». Ce n’est pas un gosse, il va avoir vingt ans. Autour de l’internat des Pères maristes – 104, rue de Vaugirard, à Paris -, où Mitterrand habite alors, la canaille fasciste est omniprésente. Mitterrand noue des liens de franche amitié avec des responsables de la Cagoule, parmi lesquels Eugène Deloncle, Gabriel Jeantet ou Simon Arbellot. Or la Cagoule est une société secrète antisémite, très proche des militaires, qui entend bien abattre par la force et le complot la « Gueuse », comme ils appellent la République. Un coup d’État sera déjoué de justesse en 1937, et l’on retrouvera beaucoup de ces chers anges aux côtés des nazis, quelques années plus tard. Un détail : l’un des hommes de main de la Cagoule, Jean Filliol, assassinera en 1937 les frères Rosselli, opposants à Benito Mussolini. Sur commande du dictateur romain.

Dans ces conditions, Mitterrand pouvait-il devenir le grand résistant antifasciste qu’une vulgaire propagande ne cesse de nous vendre ? Voyez à quoi je suis rendu : j’en doute. J’en doute d’autant plus fort que Mitterrand a été avant tout un maréchaliste convaincu. Un homme de Vichy. Je ne peux tout raconter, vous seriez lassé. Mitterrand sera décoré de l’ordre de la Francisque par Pétain lui-même, en mars ou avril 1943. Un Pétain qu’il admire alors de toutes ses belles forces, comme l’attestent des lettres d’époque, signées de sa main. Il va jusqu’à se féliciter de la création du Service d’ordre légionnaire (SOL) de Darnand, ancien de la Cagoule, qui deviendra la Milice, chère au cœur de tous les démocrates. Extrait du serment des volontaires du SOL : « Je jure de lutter contre la démocratie, la lèpre juive et la dissidence gaulliste ».

Ensuite, Mitterrand serait devenu résistant. Quand ? En toute certitude, après les premières lourdes défaites de l’armée nazie. Probablement dans la deuxième moitié de 1943. Je ne vais pas jouer au devin, mais je crois profondément que son choix fut alors opportuniste. Au reste, il ne faut pas exagérer ce que les mitterrandistes de toujours ont présenté comme autant d’actions de gloire. Mitterrand n’est pas Jean Moulin. Mitterrand ne figurait pas sur l’Affiche rouge, car sur cette affiche de 23 héros assassinés par les nazis, il n’y avait que des métèques, engeance que notre Mitterrand national n’aimait guère. Des Espingouins. Des Ritals. Des Polaks. Des Arméniens. Et parmi eux – pouah ! -, des juifs.

Une seule et même obsession

J’insulte ? En effet, j’insulte. Ceux de l’Affiche rouge sont de mon sang. À la sortie de la guerre, un Mitterrand tout ripoliné devient dès 1944 une sorte de ministre des Anciens combattants. Il est aussi copain avec un autre grand résistant, un certain Jacques Foccart, qui sera le suprême Manitou de la Françafrique. Formidable. Peu après, il donnera un témoignage décisif qui sauve Eugène Schueller, financier de la Cagoule avant guerre, et fondateur de l’Oréal, la belle entreprise de madame Bettencourt, je n’y peux rien. Il a 28 ans et va bientôt obtenir ce qu’on appelle aujourd’hui un « emploi fictif » dans le vaste empire L’Oréal. Ô beauté des cieux. Parallèlement, Mitterrand sera 12 fois ministre jusqu’en 1957. Un record fabuleux. Pendant ces années, la France s’honore de vastes massacres à Madagascar, en Indochine, en Algérie. Ailleurs. Mitterrand n’a qu’une obsession, la même qui court tout au long de sa vie : le pouvoir. Pour lui. Il tente à de nombreuses reprises de devenir Président du Conseil, le poste le plus haut sous la Quatrième République. Mais il échoue et, pis que tout, un revenant lui barre la route de la victoire : De Gaulle, qui revient au sommet en 1958 et sera bientôt président, élu pour comble au suffrage universel.

Pendant toutes ces années, son arme politique s’appelle l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), formée en 1945, et dont il sera le chef après 1950. Ne pas se laisser impressionner par l’étiquette. L’UDSR aura été un parti de notables. De notables de droite. Mitterrand y prend le pouvoir après des manœuvres qui rappellent fort sa prise de pouvoir sur le parti socialiste en 1971. Cette courte citation d’un excellent article de l’universitaire Éric Duhamel (Pleven et Mitterrand) : contrairement à Pleven « François Mitterrand, en revanche, s’appuie sur une poignée d’hommes qu’il a connus avant la guerre et une cohorte rencontrée sous l’Occupation. Par l’intermédiaire des associations de PG [ prisonniers de guerre], tous ces hommes sont capables dans chaque département de recruter ceux de leurs camarades qui sont prêts à faire un bout de chemin avec “François” ». C’est de cette époque que date l’amitié indéfectible qui réunit Roland Dumas – député UDSR en 1956 -, notre grand moraliste à bottines, et Mitterrand. C’est à peu près de ce temps-là que datent les liens plus qu’étranges noués avec François de Grossouvre, retrouvé mort d’une balle dans la tête à l’Élysée en 1994. À peu près, car au fond, qui le sait ? Le sûr, c’est que De Grossouvre a été membre du Service d’ordre légionnaire (SOL) de Vichy déjà nommé. Le sûr, c’est qu’il a joué un rôle important dans la création en France de réseaux politico-militaires imaginés après-guerre par les Américains. Ce qu’on a appelé en Italie Gladio, et dont le rôle dans la stratégie de la tension et les attentats des années 70 du siècle passé est certain. Le sûr, c’est qu’il aura été, une fois Mitterrand élu président en 1981, le gardien de tous les secrets. Dont beaucoup, selon moi, demeurent inconnus.

Prise de pouvoir au parti socialiste

Je vous sens perdus, et j’en suis désolé. Il me faut aller plus vite, car je rédige ce texte le 9 mai 2011 au soir, et je tiens à ce qu’il soit en ligne le 10, notre grand anniversaire national. De Gaulle. Un De Gaulle terrible, qui bouche les allées du pouvoir pendant des années. Mitterrand en sera l’opposant en chef. De gauche ? Voyons donc ! En 1965, entre les deux tours de la présidentielle, il recevra l’étrange appui de l’avocat fasciste Tixier-Vignancour,  qui avait obtenu 1 253 958 voix au premier tour. Au nom de quoi ? Tixier-Vignancour avait en tout cas, bien entendu, été vichyste pendant la guerre. Le reste ? Après avoir tenté l’impossible pour revenir dans le jeu, notamment en mai 1968, où il se brûla les ailes, Mitterrand a compris l’essentiel. S’il veut gagner – c’est la seule chose qui compte -, il doit représenter la gauche. Toute la gauche, y compris ces communistes qu’il vomit depuis sa jeunesse, et dont il ne cessera, avec un magnifique succès, d’attaquer les positions de pouvoir, jusqu’à les réduire au rang de supplétifs.

Comment faire ? D’abord, comme avec l’UDSR de 1950, s’emparer d’une structure. Ce sera le parti socialiste, en voie de pure et simple disparition en 1970, après de calamiteux résultats en 1969. Au congrès d’Épinay, en 1971, par la ruse, toutes les ruses, Mitterrand s’empare d’un parti dont il n’est même pas membre ! Grâce, entre autres, au concours empressé d’un certain Jean-Pierre Chevènement, dont vous aurez du mal, même en cherchant, à retrouver qu’il fut officier d’active pendant la guerre d’Algérie, et partisan assumé de l’Algérie française. La suite vous est connue dans les grandes lignes. La saison, qui dure dix ans, est aux grands discours. Mitterrand, homme de droite, devient un expert de l’emphase « gauchiste », bien meilleur à ce jeu que le pauvre Guy Mollet de jadis, qui nous a pourtant légué l’expression « mollettiste », désignant ceux qui parlent d’une manière et agissent d’une autre.

Dans les conditions décrites plus haut, il était fatal que Mitterrand ne fasse rien de ce qu’il avait promis. La gauche au pouvoir ne décréta pas la mobilisation générale pour les banlieues, mais la mobilisation générale de Julien Dray et Harlem Désir. Elle ne combattit pas le capitalisme, mais tout au contraire, réhabilita l’exploitation et donc les exploiteurs, Tapie en tête. Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? Il faut dire qu’avec un Attali dans le bureau d’en face, ce ne dut pas être si difficile. Elle déplia le tapis rouge pour Berlusconi, à qui l’on refila une chaîne de télé, la défunte 5. Elle statufia Jacques Séguéla, fondateur de l’agence de pub Euro RSCG, qui conseille aujourd’hui aussi bien DSK que les industriels des gaz de schistes, sans oublier, jusqu’à certain changement, Laurent Gbagbo. Elle coucha avec le fric et la corruption.

« Dites-moi, où est le pouvoir ? » (air connu)

Trente ans plus tard, c’est oublié. L’ombre bienfaisante de Mitterrand câline candidats et futurs électeurs. Hélas, je n’ai plus le temps – et vous, je l’espère, plus la patience – de vous dire en détail pourquoi une génération entière s’est elle-même fourvoyée de la sorte. Et pourquoi la suivante est prête à recommencer. Cela a à voir, selon moi, avec l’une des faces les mieux cachées de la réalité. Cette soumission à l’autorité si bien analysée par Stanley Milgram. Il faut du chef. Il faut de l’admiration. Et donc de l’aveuglement. Et donc de la connerie à tous les étages. Rien ne changera jamais vraiment tant que ce phénomène sera à ce point dominant. Oh, je ne pense pas qu’on puisse balayer une telle invariance psychique en soufflant dessus, certainement pas. Mais je suis bien convaincu que nous serons perpétuellement défaits si nous ne sommes pas capables d’analyser et de critiquer sans relâche la notion même de pouvoir. Et ce lien maudit qui pousse des millions d’êtres à croire n’importe quelle promesse, sourire aux lèvres et yeux embués.

Allez, une conclusion. Mitterrand et la crise écologique. Il s’en cognait d’autant plus qu’il n’avait strictement rien remarqué. Et ne venez pas me dire que c’est une question d’âge ! Le vieux Dumont était né, lui, en 1904, douze ans avant Mitterrand. Et il avait 70 ans en 1974, quand au même moment Mitterrand promettait la Lune aux crédules pour pouvoir s’y installer un jour en leur marchant dessus. Jacques Ellul était né quatre ans avant Mitterrand. Cornelius Castoriadis était né six ans après Mitterrand. André Gorz était né sept ans après Mitterrand. Ivan Illich était né dix ans après Mitterrand. Alors non, ne me parlez pas d’âge ou de génération. Mitterrand est l’archétype de l’homme ignorant, et qui lisait pourtant des livres. Philistins, petits marquis d’ici ou d’ailleurs, idiots savants de toute nature ne cesseront jamais de vanter sa culture. Mais quelle était-elle, dites-moi ? Un homme qui entendait mener la France aura passé son existence sans dire un mot sur la crise de la vie sur terre. Contemporain de l’événement le plus foudroyant de l’histoire des hommes, il n’en aura rien su. Comment appelle-t-on cela, par chez vous ?

Ce que j’ai voté en 1981 ? Mitterrand. Mais je jure qu’il s’agissait d’un vote contre Giscard. J’avais la naïveté de croire qu’une victoire de la gauche ouvrirait un espace neuf à la liberté de tous. Si c’était à refaire, j’irais plutôt regarder le soleil se lever. Puis le soleil se coucher. Et entre-temps, je sais que je ne mettrais pas le pied dans un bureau de vote.

Coup de force des lobbies (sur les gaz de schistes)

Il se passe en ce moment-ci, dans notre vieux pays perclus de sombres histoires, une affaire en tout point extraordinaire. Je rappelle qu’après une mobilisation sans guère de précédent récent, surtout dans le sud de la France, des élus de droite et de gauche ont pris peur. La joyeuse perspective de l’extraction de gaz et de pétrole de schistes ici même – pollution massive de nos eaux, destruction de nos paysages, émissions massives de gaz à effet de serre en violation de la loi française – semblait bien devenir, sous nos yeux incrédules, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Révolte populaire, notre mouvement contre les gaz et les pétroles de schistes –  « notre », car j’en suis, ô combien – paraissait jusqu’à ces derniers jours provisoirement victorieux. La gauche, puis la droite tombaient d’accord pour déposer en urgence un projet de loi – il sera discuté le 10 mai – abrogeant les permis d’exploration si généreusement accordés par l’ancien ministre Borloo à l’industrie pétrolière. Sarkozy, qui souhaite tant une campagne présidentielle à sa main, avait accepté, malgré sa proximité obscène avec des acteurs de premier plan du dossier, Paul Desmarais et Albert Frère, de laisser voter cette loi. Et de même Fillon, qui garantissait encore avant-hier, l’abrogation des permis. Au nom de la France, non ?

On se doutait certes que de puissants lobbies – Desmarais, les ingénieurs des Mines, Total et Suez – feraient leur travail, dans l’ombre si conforme à leurs intérêts. Mais on ne pensait pas – je n’imaginais pas, non – que les députés se coucheraient de la sorte après avoir clamé leur engagement définitif, Christian Jacob (UMP) en tête.  Le texte définitif de la loi qui sera discutée mardi prochain n’est pas connu. Mais tout indique, au-delà des arguties dont on nous comblera jusque dans les médias, que l’abrogation des permis n’y figurera pas.

Oui, lecteurs de Planète sans visa , nous assistons en direct à un coup de force des oligarchies qui détiennent les vrais pouvoirs. Bien que n’ayant fait aucune étude exhaustive, je crois bien qu’il s’agit d’une première dans l’histoire de la République. Cette dernière a connu bien des reculades et des reniements, mais je ne vois pas – vous me trouverez peut-être des exemples – ce qui pourrait être comparé à ce gigantesque revirement de nos élites, sur fond de fric et d’énergie. Faut-il que notre monde soit malade !

Moi qui ne me fais aucune illusion sur le système parlementaire, je vois dans les événements en cours la confirmation, à mes yeux du moins, que la forme de démocratie dans laquelle nous vivons a totalement épuisé sa force. Elle ne survit que par inertie, faute d’une mobilisation capable de renverser la table une bonne fois pour toutes. Ne me faites pas dire que je suis contre la démocratie. Tout au contraire. C’est parce que je suis démocrate que je crois venu le temps de l’affrontement avec ce que, dans ma jeunesse, on appelait le « crétinisme parlementaire ». Ce n’est pas la voie la plus facile, mais je n’en vois aucune autre.

L’Égypte, le Nil et nos menues imbécillités

Au fait, comment va la « révolution » égyptienne ? Bien entendu, l’histoire ne s’arrête pas le 11 avril 2011, et de fatales surprises nous attendent. Lesquelles ? Ce sont des surprises. Reste, pour l’heure, que la plupart des commentaires sur les événements récents magnifient ce qui demeure une révolution de palais menée par l’armée, elle-même retenue par mille liens au pouvoir politique américain. Les États-Unis ne pouvaient pas « perdre » l’Égypte au profit d’autres intérêts que les leurs. Même si le chaudron bouillonne encore, et pour longtemps, le pouvoir d’État, qui se confond au Caire avec la puissance militaire, est entre de bonnes mains.

Mais ce n’est pas de cela que je voulais vous parler. Il existe, pour s’en tenir à la langue française, des milliers d’articles récents consacrés à la chute du tyran Moubarak. Combien auront seulement évoqué le véritable drame biblique de l’Égypte, sa plaie, sa si terrible maladie ? Je veux bien entendu parler du Nil, qui est peut-être le fleuve le plus long de notre petite planète. Peut-être, car sa taille réelle est contestée. On parle tantôt de 6 500 km, tantôt de 6 700. Et du coup, il devance – ou pas – l’Amazone.

Il a deux branches principales, dont l’une part du lac Victoria, qu’on appelle Nil blanc. Et l’autre des hauts-plateaux d’Éthiopie, que l’on nomme Nil bleu. Au total, il traverse le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte. Mais il longe également, par les lacs Victoria et Albert, le Kenya et la République démocratique du Congo, c’est-à-dire l’ancien Zaïre. Et il serait absurde d’ignorer l’Érythrée, qui contribue aux flots du Nil  grâce à la splendide rivière Tekezé, l’un de ses affluents.

Dans ces conditions, à qui appartiennent les eaux du Nil ? En 1929, un traité inique, signé et garanti par l’immense puissance coloniale de l’époque – la Grande-Bretagne – a tranché : l’eau irait à l’Égypte et au Soudan, qui ne formaient alors qu’une entité sous stricte influence britannique. Les nègres n’avaient qu’à se contenter du tam-tam. En 1959, l’Égypte signe avec le Soudan nouvellement indépendant un deuxième traité de partage des eaux du Nil, qui reprend et même aggrave les termes de celui de 1929. Sur les 80 milliards de mètres cubes du débit annuel moyen du Nil, 55 sont alors octroyés à l’Égypte, et 18,5 milliards au Soudan. Tous les pays de l’amont se partagent le reste. Trois gouttes.

Aussi incroyable que cela paraisse, nous en sommes toujours là. Entre-temps, l’Égypte s’est dotée du barrage d’Assouan, profitant de l’aide « désintéressée » de l’Union soviétique. En deux mots, cet ouvrage de 3,6 km de long est une monstruosité. Il produit certes de l’électricité, et il a contraint le fleuve à plus de « régularité » en soutenant artificiellement son cours en période d’étiage. Il a également permis l’irrigation de zones bien trop sèches pour porter des récoltes. Mais aussi, mais surtout, quel désastre ! Le lac de retenue – le Nasser – laisse s’évaporer au-dessus du désert 10 milliards de mètres cubes d’une eau refusée aux pays des sources. Quant au mur de béton, il retient désormais limons et sédiments, qui s’accumulent – jusqu’à quand ? -, privant d’engrais naturel les paysans de l’aval.

Ces paysans ont bien dû trouver d’autres solutions : des engrais de synthèse et, tant qu’on y est – cela va évidemment de pair -, des pesticides. Le coton irrigué adore les pesticides. Ce n’est hélas pas tout. Assouan est en train de détruire irrémédiablement le fabuleux delta du Nil, qui assure pourtant près de 45 % de la production agricole du pays. L’eau douce n’arrive plus sous la forme de crues fonctionnant comme de formidables chasses d’eau. Et les sédiments étant, par ailleurs, bloqués plus haut, le combat éternel entre la mer et le trait de côte entretenu par les apports de terre et de limon, bascule. Le delta recule, et les remontées d’eau salée stérilisent des surfaces croissantes. Le delta est en train de périr.

Revenons au Nil. L’Égypte compte environ 83 millions d’habitants, dont près de 95 % vivent au bord du Nil. Leur nombre et leurs besoins vont croissant. Mais les autres pays veulent aussi puiser dans cette manne. La seule Éthiopie, totalement écartée au moment du partage, compte elle 88 millions d’habitants. Je ne crois pas que l’on vous parle bien souvent des bruits de botte qui résonnent là-bas, et qui se multiplient d’ailleurs. Pour l’Égypte, toute atteinte à ses droits usurpés sur l’eau est un casus belli. Pour les autres nations, à l’exception du Soudan, qui a pour le moment d’autres soucis, le statu quo est intenable. And so what ?

Je rappelle le sous-titre de Planète sans visa : une autre façon de voir la même chose. J’essaie de m’y tenir. Quant à ces imbécillités – les nôtres – évoquées dans le titre, elles renvoient à ce que vous voulez, car elles sont innombrables. L’intervention actuelle de nos armées à Abidjan. L’intervention actuelle en Libye. L’intervention actuelle en Afghanistan. Dans ces trois cas, une manière ancienne autant qu’aveugle de voir le monde et d’y agir. Notez qu’on peut et qu’on doit ajouter à la liste notre dérisoire conception de la politique. La préparation de l’élection présidentielle de l’an prochain. Nicolas Hulot. DSK. Hollande. Mélenchon. Besancenot. Borloo. Sarkozy, etc.

Mutatis mutandis, nous sommes plongés de force dans un avatar de La drôle de guerre. Celle qui dura de septembre 1939 à mai 1940. Nos responsables de l’époque, bardés de leurs certitudes, affirmaient que l’armée française, bien à l’abri dans les fortins de la ligne Maginot, ne pouvaient être vaincue par cette armée allemande que quelques défaitistes surestimaient. Ils n’avaient pas compris que 1939 n’était pas 1914. Ils refusaient l’idée du mouvement, de la vélocité, et traitaient le char blindé comme un simple intrus. Ils ont été balayés.

Ceux qui ne parlent pas du Nil seront balayés.

Quand on ne comprend pas tout (sur les gaz de schistes)

AVISSE ! UN GRAND RASSEMBLEMENT INTERNATIONAL CONSACRÉ À L’ÉNERGIE SE PRÉPARE POUR CET ÉTÉ 2011 SUR LE LARZAC. FAITES CIRCULER L’INFORMATION ! NOUS ALLONS AVOIR BESOIN DE BRAS, DE JAMBES ET DE TÊTES, PAR MILLIERS. AVISSE ! AVISSE À TOUS !

Surtout, garder la tête froide. Dans l’affaire sinistre des gaz et pétroles de schistes, les annonces fleurissent comme les cerisiers du printemps. C’est la fête, on se pousse du coude pour être sur la photo. En résumé, cela semble simple : c’est fini. Les députés socialistes préparent un projet de loi d’abrogation des permis. Une centaine de députés de différentes tendances sont déjà réunis dans un groupe de ferme opposition à cette nouvelle aventure industrielle. Mieux ou pis, doublant dans l’avant-dernière ligne droite les socialos, les députés UMP ont déposé leur propre projet, qu’il faudra bien entendu analyser à la loupe binoculaire. Dans l’état actuel des choses, emmenés par leur président Christian Jacob, ils réclament eux aussi l’interdiction pure et simple de l’exploration et donc, à fortiori, de l’exploitation des gaz et pétroles de schistes.

Ajoutons au pandémonium un autre projet de loi, déposé par l’inénarrable Jean-Louis Borloo, qui avait signé en mars 2010, alors qu’il était ministre de l’Écologie et de l’Énergie, certains des premiers permis. À l’insu de son plein gré. Un mot de commentaire sur ce roi bouffon déjà moqué ici il y a quelques jours. Il est assez grave, il est assez désespérant pour l’idée démocratique, que les journalistes politiques de notre pays, ignares il est vrai, et indifférents ô combien à ce qui touche à l’écologie, n’aient pas questionné Borloo sur ce qui est, d’évidence, une forfaiture.

Qui s’en soucie ? Personne apparemment. Il signe des actes lourds de conséquences pour le pays entier, puis demande leur abrogation un an plus tard, sans rien expliquer des mécanismes qui nous ont menés là. Qui décide de quoi ? Cette question me hante, et j’espère que vous êtes dans le même cas que moi. Qui a décidé jadis de nous faire vivre sous la menace de 58 réacteurs nucléaires ? Qui s’apprêtait à changer les plus belles régions de France en un eldorado de l’industrie lourde ? Moi, je le sais : un corps oligarchique, celui des Mines. Mais qui l’apprendra ailleurs ?

Passons aux leçons de l’événement, même s’il est trop tôt pour se montrer affirmatif. Je suis infiniment heureux, d’ores et déjà. Car nous avons, d’évidence, remporté une victoire éclatante. Elle ne marque nullement la fin d’un combat qui ne fait que commencer, mais elle va, à coup certain, donner de l’énergie à tous les combattants. Ainsi donc, preuve est faite que l’on peut affronter des forces puissantes, et les vaincre, au moins provisoirement. Nous avons tant besoin de bonnes nouvelles ! Simplement, il faut reconnaître que nous ne savons pas ce qui a conduit à ce spectaculaire recul. Il va de soi que la mobilisation immédiate et massive a joué un rôle-clé. Il va de soi également, et j’écris cela à dessein, pour les grincheux, que José Bové nous a beaucoup aidés. Bien des choses sérieuses me séparent de cet homme, mais bien davantage m’en rapprochent. Tout au long de cette première étape, que nous avons franchie ensemble, depuis la fin de l’été passé, José a constamment joué le jeu.

Et c’est de cela que je veux me souvenir aujourd’hui. Il fallait que ce mouvement soit incarné, et cet homme pouvait le faire. Il l’a fait. Je ne chipoterai donc pas mes remerciements. Derrière, juste derrière, des centaines d’activistes hors parti, suivis par des milliers d’enthousiastes, ont formé un mouvement sans vraie hiérarchie, bordélique, mais très efficace. Il n’est pas temps d’en faire le bilan, d’autant plus que la coordination que nous avons bâtie reste formidablement vivante. Elle va continuer de nous surprendre, j’en suis convaincu.

Que s’est-il passé pour que le système politique établi bascule si vite ? Je dois dire que je l’ignore. Je crois, sans préjuger du reste, qu’un emballement s’est produit au point de départ. Il a été clair, d’emblée, que le refus transcendait les frontières classiques. Et qu’il entraînerait, en cas de poursuite de la folie industrialiste sur le terrain, des troubles considérables. De nombreux notables, qui de droite qui de gauche, préparant leurs chères cantonales, ont été contraints, bien souvent, de prendre position. Elle ne pouvait qu’être contraire aux souhaits de l’industrie. À l’échelon supérieur, des conseils généraux, quelquefois de droite – l’Aveyron – et des Conseils régionaux ont embrayé, légitimant le combat au couteau qui se préparait. On peut, je le crois, parler d’une onde de choc qui a fini par ébranler les états-majors nationaux. Le cas de Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, est intéressant. Élu de la Seine-et-Marne, où l’opposition au pétrole de schistes est vive, il a évidemment pu jauger l’impact électoral prévisible de cette affaire, à un peu plus d’un an de législatives difficiles. À la marge, notons qu’il est chiraquien, et que chatouiller le nez de Sarkozy, très proche du dossier, n’a pas dû lui déplaire exagérément.

Tout cela explique-t-il la situation ? Non, il faut l’avouer. Des pièces essentielles du puzzle manquent. Et le mystère reste grand. Question : pourquoi les industriels, Total et GDF-Suez en tête, ont-ils été incapables de former un vrai lobby actif ? Pourquoi, alors que cela paraît si simple, les députés n’ont-ils pas été inondés d’invitations et de dépliants en couleur ? Je ne sais pas la réponse. Autant il est facile d’admettre qu’ils ont été bousculés dans un premier temps par notre vivacité, autant il est incompréhensible qu’ils n’aient pas réagi depuis. Autre questionnement : le rôle du corps des Mines, véritable inspirateur des permis d’exploration. Sa discrétion apparente m’étonne bien moins. Les Mineurs n’aiment pas la lumière. Leur biotope se trouve dans les bureaux lointains des administrations centrales. Ils ont l’habitude, de longue date, de diriger les affaires énergétiques de la France. Sans rendre le moindre compte à la société, ni d’ailleurs aux politiques.

En la circonstance,  je pressens qu’ils ont été stupéfiés par la marche des événements. Obtenir le contreseing d’un ministre comme Borloo, c’est enfantin. Défendre de manière contradictoire un projet qui s’attaque à des repères essentiels, comme le paysage, l’eau ou le climat, c’en est une autre. Je fais le pari que le corps des Mines a été proprement déstabilisé. La démocratie, ce n’est pas encore exactement comme l’oligarchie. Un peu de patience, messieurs les ingénieurs.

Une conclusion ? Je n’en vois qu’une. Après cette guerre-éclair, il serait désastreux pour tous de s’arrêter sur un tel chemin. D’autant que nos adversaires n’ont évidemment pas dit leur dernier mot. Nos « bonnes » transnationales iront chercher des gaz et pétroles de schistes ailleurs. Sarkozy ne laissera pas tomber Paul Desmarais ainsi. Le corps des Mines va se ressaisir. Tout cela a les meilleures chances de se produire. Mais au-delà, il me semble que la situation a rarement été meilleure pour une appropriation par la société de la question décisive de l’énergie. Les débats volés du passé, dont celui sur le programme électronucléaire, doivent rester derrière nous, et à jamais. Sur fond de cataclysme japonais – cette horreur continue à me ronger chaque jour -, il devient possible de relier tous les fils volontairement dispersés. Celui des gaz et des pétroles de schistes. Celui du nucléaire. Celui des énergies renouvelables.

Nous devons, car nous pouvons cette fois, exprimer les vrais besoins énergétiques de la société française. Loin des manœuvres étatiques. Loin des lobbies industriels, dont le seul programme est l’expansion sans fin. Mais avec les peuples du Sud. Les Chinois, les Indiens, les Africains, les Latinos, les nord-américains, tous nos voisins européens. Cela tombe bien : il se prépare un rassemblement mondial sur toutes ces questions, début août 2011, sur le plateau du Larzac. Vous n’avez tout simplement pas le droit de ne pas en être. Certains d’entre vous réclament régulièrement de l’action. Du concret. En voilà !

PS ajouté le 9 avril : Dans un commentaire, Jean-Pierre Jacob fait remarquer que j’ai oublié de parler de Gasland. Comme il a raison ! C’est évident ! Ce film a été à la fois éclairant, éclaireur, fédérateur. VIVE JOSH FOX !