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Tous ensemble

Je ne sais combien de personnes auront défilé ce jeudi. Pas assez. Mais sans doute davantage que ce qu’espérait ce gouvernement de brigands et de margoulins. Moi, pour des raisons diverses et variées, je n’ai pu participer au défilé parisien. Mais je vous jure que je serai du prochain. Et j’espère bien que nous finirons par être des millions. Ce n’est pas si compliqué, la politique et l’économie. Qu’ils aillent se faire foutre, tous. Ceux de droite, ceux de « gauche » comme Strauss-Kahn. Qu’ils aillent se faire foutre. Ce monde qui sent la poudre des explosions, il a été bâti par des armées de prolétaires à gapette et  gamelles cachées dans des sacs en toile pendus à l’épaule. Je le sais, je l’ai vu. Mon père.

Ces merdeux, ces pommeux qui osent intervenir sur une question aussi essentielle que le droit à stopper la machine, je les vomis en bloc.  Bon Dieu ! que me soit un moment donnée la liberté de dire ce que je pense vraiment. Et qu’on me traîne ensuite en prison, car c’est là que certains mots et gestes conduisent tôt ou tard. Faites ce que vous voulez. Moi, j’y serai.

Forger l’acier rouge avec mes mains d’or (sur la retraite)

Au printemps 2003, alors que commençait la mobilisation contre le plan gouvernemental sur les retraites, je me suis tellement engueulé avec l’équipe du journal Politis, où j’assurais une page Écologie hebdomadaire depuis 1994, que j’en suis parti. Une engueulade terrible, je vous l’assure. Je n’étais pas d’accord avec le soutien, mécanique à mes yeux, désastreux à bien des égards, que ce journal apportait à un mouvement que je déplorais dans ses formes. Je le jugeais corporatiste, égoïste eu égard à la crise générale de la vie sur terre. Je dois dire que je n’ai pas changé d’avis. Mais tel n’est pas le sujet.

Aujourd’hui, il y aura des manifestations partout en France, notamment contre le recul de l’âge légal du départ en retraite. On parle de 62 ou 63 ans. Je ne peux ni ne veux entrer dans le détail, mais cette fois, je soutiens de toute mon âme le refus de cette réforme. Ce projet marque évidemment un moment de guerre sociale d’une intensité rarement atteinte depuis l’après-guerre. Les ouvriers, qui vivent déjà tant d’années de moins que ces bouffons de Xavier Bertrand ou Éric Woerth, paieront la note, leur note. La lamentable équipe qui a conduit la France où elle est, tente désormais de tout détruire pour complaire aux si fameuses Agences de notation. Car tout est là : Sarkozy est mort de peur à l’idée que la note de la France pourrait passer du triple A – la garantie maximale sur les emprunts de l’État – à AA+ par exemple.

Comme ces gens qui n’ont jamais travaillé n’imaginent pas une seconde s’attaquer à leurs seuls mandants véritables – les riches -, ils s’en prennent évidemment aux pauvres, plus nombreux, et méprisables en outre. D’où ce projet qui vise à obliger les prolos à cotiser, pour certains d’entre eux, 46 ou 47 ans avant que de toucher leurs picaillons. Sachant qu’ils vivent nettement moins vieux que les cadres supérieurs – la moyenne officielle de sept ans d’espérance de vie en moins pour les ouvriers n’est-elle pas folle ? -, cela signifie une chose et une seule. Globalement, ils travailleront pour payer la retraite de ceux qui les ont dirigés tout au long de leur vie. Et ils n’auront droit qu’à des miettes d’une retraite au rabais radical.

Mon père était un prolo de la banlieue parisienne, et il est mort à 49 ans, laissant cinq gosses derrière lui. Moi-même, j’ai commencé à travailler à 17 ans, comme apprenti-chaudronnier. J’écris cela non pour me plaindre – ce temps était superbe -, mais pour dire que je vois de quoi il s’agit. Ces gens qui nous gouvernent sont des salauds.

Socialisme et peau de lapin (sur DSK, bis repetita)

On va me traiter de feignant, ça ne saurait tarder. C’est le second texte que je publie ici pour la deuxième fois, à la suite. Celui-ci concerne Dominique Strauss-Kahn, DSK pour ses nombreux intimes. Je crois qu’il faut savoir dire les choses. Moi, ma voie est nette. Je ne vote pratiquement pas, pour des raisons de fond dont j’ai déjà souvent parlé. Mais DSK est un cas. Et moi qui déteste tant Sarkozy, je vous le dis dès maintenant : si le choix des élections de 2012 devait se limiter à voter DSK ou Sarkozy, je les enverrais tous deux se faire rhabiller chez plumeau. Je sais que la haine ne se porte plus. Je sais qu’il faut désormais se montrer présentable en toute circonstance. Mais moi, que voulez-vous ? je hais pour de bon DSK, l’homme du Fonds Monétaire International (FMI). Pas tant lui, du reste, que l’institution criminelle qu’il dirige, et qui saigne les peuples et les pauvres.

Je souhaite, de toute mon âme, qu’un tel homme, s’il osait se présenter, soit aplati comme il le mérite. DSK, mais c’est Millerand ! Mais c’est Noske ! Mais c’est l’ennemi de toujours ! Je viens de lire (ici) ce que cet imbécile pense de la question des retraites dans Le Figaro. Dieu du ciel ! Il a notamment déclaré : «On vit 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans». Voilà ce qu’un homme de sa taille fait d’une question aussi essentielle que celle du droit historique à la retraite. On vit 100 ans ? Bien sûr, c’est faux. Puis, dans quel état réel sont ceux qui passent les 80 ans ? Combien d’Alzheimer ? Combien de Parkinson ? Combien de maladies neurodégénératives, de cancers, de hanches pourries, de dos pliés ? Combien, monsieur le richissime ?

Je n’ai ni le temps ni l’envie de détailler son parcours scolaire, qui me semble plus ridicule que bien d’autres. Pour aller vite, et comme des milliers de son genre, il aura obtenu un doctorat en économie, qui le fera aussi aveugle sur la marche des événements que n’importe lequel de ses clones. Il faut croire qu’il aura déployé d’autres talents pour devenir ce qu’il est. Avez-vous entendu dire une seule fois que DSK se serait montré plus futé, plus conscient, plus prescient ? Vous souvenez-vous avec quelle morgue il traitait ceux de la taxe Tobin, qui entendaient il y dix ans et plus imposer le capital ?

En attendant, voici ce texte qui date des tout débuts de Planète sans visa. Il a paru le 29 septembre 2007. Toutes ses dents.

On ne descendra pas beaucoup plus bas. Et c’est déjà cela. La nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds Monétaire International (FMI) restera, quoi qu’il advienne, le sommet inversé de la fin d’une époque, celle de la gauche. Ce mot ancien, ce mot de cimetière, ce mort-vivant éclaire comme le font les étoiles disparues.

L’affaire est certes entendue depuis des lustres, mais je dois avouer qu’une telle clarté de cristal éblouit les yeux. D’abord, quelques mots sur ce monsieur DSK. Il est avant tout l’ami de l’industrie, nationale ou transnationale. Avocat d’affaires, il a conduit un grand nombre de deals – ces gens aiment l’anglais – pour de très puissantes entreprises. J’oublie, car ne n’est que détail, sa mise en examen mouvementée dans l’affaire de la mutuelle des étudiants, la MNEF.

Sachez, ou rappelez-vous, que DSK a présidé entre 1993 et 1997 un lobby appelé le Cercle de l’Industrie, regroupant une sorte de gotha des (grandes) affaires. Dans le but exclusif de favoriser ses clients auprès de la Commission européenne, à Bruxelles. Mais quel beau métier, vraiment ! En 1994, car l’appétit vient en mangeant, DSK devient un lobbyiste appointé du nucléaire. Il signe un contrat avec EDF, et puis s’en va faire son travail occulte chez ses amis du SPD allemand, qu’il travaille au corps. Sa mission consiste à convaincre Siemens de rejoindre Framatome et EDF dans le vaste chantier de l’EPR, le nouveau réacteur nucléaire français. C’est beau, la gauche.

Après avoir ainsi copiné, DSK n’hésite pas une seconde quand le devoir l’appelle au gouvernement de la France, en 1997. Taper sur le ventre de Vivendi, Renault et Areva durant tant d’années, puis devenir ministre de l’Économie et retrouver les mêmes en face de soi, avec pouvoir d’État en sus, cela s’appelle la classe. La classe internationale.

DSK a-t-il la moindre idée réelle de ce qu’est la pauvreté ? Non, bien sûr. Quand il était le maire de Sarcelles, sa voiture avec chauffeur le ramenait chaque soir dans son bel appartement parisien. Connaît-il la misère ? Bien sûr que non. Du Sud, il ne connaît que son riad de Marrakech. Une superbe maison traditionnelle, dans un quartier de superbes maisons traditionnelles où il peut recevoir dignement ses superbes clients traditionnels.

Non, DSK ne sait rien du monde réel, et je crains qu’il ne veuille guère en entendre parler. Il vient en tout cas d’être nommé patron du FMI, institution majeure de la destruction du monde et de la dévastation écologique. Tout va bien. Ses amis socialistes, de Pierre Moscovici à Jean-Christophe Cambadelis – défense de rire – applaudissent. Le FMI. Les plans d’ajustement structurel. Les pressions sur les grouvernements mafieux, pour qu’ils serrent davantage la gorge de leurs peuples. La faillite organisée de l’Argentine, en décembre 2001. La fin programmée des forêts, des agricultures, des paysans. Le FMI.

Je me rassure comme je peux. Je n’ai rien, RIEN à voir avec ces gens-là, ces socialistes en peau de lapin. Les mêmes qui beuglaient Nach Berlin en septembre 1914, après avoir promis d’empêcher la guerre. Les mêmes qui lâchèrent la République espagnole aux abois, en 1936. Les mêmes qui menèrent l’ignoble guerre algérienne, au son du canon et de la gégène. Je me rassure. RIEN. RIEN.

Borloo et Gossement en pleine valse (sans hésitation)

C’est donc la fin d’une séquence, qui aura commencé en réalité voici trois ans, et qui restera sous le nom de Grenelle de l’Environnement. Il n’est pas inutile de rappeler comment les choses se sont déroulées au départ. Au départ, il y a Franck Laval. Vous ne le connaissez pas ? Dommage. Moi, j’ai la chance d’avoir rencontré cet écologiste il y a quelques années. Je vous le dis d’emblée, beaucoup de choses me séparent de lui. Il est un (très) proche de Cohn-Bendit, et n’a donc rien de l’excessif perpétuel que je suis. Il serait même libéral – à sa manière – que je n’en serais pas autrement étonné.

Je devrais donc en bonne logique l’exécrer, mais il a une fibre. La fibre, même. Il est un homme de mouvement, en mouvement, qui cherche sincèrement des voies de sortie. Puis, il ne dédaigne pas à ce point l’avis radical sur la crise écologique. Tenez ! il me prend au téléphone. Plus sérieusement, il abrite le siège français de Sea Shepherd, la vigoureuse association de Paul Watson, ce pirate qui n’hésite pas à éperonner les chalutiers japonais qui se livrent à de honteuses (sur)pêches en haute mer.

Bref, Franck Laval a eu l’idée, au printemps 2007, de suggérer aux deux principales équipes de la campagne des présidentielles – Royal et Sarkozy – de reprendre en l’adaptant l’idée du Grenelle de 1968. Jeunes, ne tremblez pas ! C’est vieux, mais instructif. Je rappelle que le mouvement historique – 9 à 10 millions de grévistes pendant des semaines – du joli mois de mai s’est achevé autour d’une table. Ronde. Comprenant l’État, les patrons et les syndicats ouvriers. Fut-ce une bonne initiative? Certains le croient. D’autres le réfutent absolument. Le fait est que l’on fracassa ainsi le rêve.

Franck Laval, quarante années plus tard, a donc suggéré de réunir tous les acteurs français concernés par les problèmes écologiques, ce qui fait du monde. L’État et ses services. Les industriels. Les professionnels et les syndicats qui les représentent, comme la FNSEA chez les paysans. Les associations de protection de la nature enfin. Du monde. Des deux contactés – Royal et Sarkozy – c’est le deuxième qui a réagi le premier et s’est emparé de l’étendard. Bien joué, sacré Sarko ! Évidemment, ÉVIDEMMENT, il ne pouvait s’agir que d’un coup de pub. Du pur ripolinage. Une manière de prétendre s’intéresser à un domaine, l’écologie, dont il ne savait ni ne sait toujours rien. Ce que Sarkozy savait au printemps 2007 du sujet, vous pouvez le retrouver dans un petit film authentique (ici). Attention, c’est du lourd (de rigolade).

Le Grenelle a été de bout en bout un moment du faux. Des compères, dont tous n’étaient quand même pas complices, ont imaginé un storytelling, cet art de raconter des histoires. La France entrait dans une prodigieuse révolution écologique, et l’on verrait ce que l’on verrait. D’un côté, les associations écologistes officielles, qui gagnaient enfin de la respectabilité, une légitimité qu’on leur avait toujours contestée, et un espace public et politique neuf. Pas si mal. De l’autre, un histrion de la politique qui ne marche qu’aux sondages du jour, obsédé par lui-même, et qui pensait déjà, en tacticien fieffé qu’il est – il est par chance un désastreux stratège – aux élections de 2012. Vous ne le croyez pas ? Libre à vous. J’affirme que Sarkozy, en enfermant Greenpeace, le WWF, Hulot, FNE dans une discussion médiatique, préparait dans sa tête le premier tour de 2012. Ou comment fixer un électorat « écolo » susceptible de se rabattre sur lui au second tour.

Il fallait, pour cette tambouille, un chef cuistot, et ce fut Borloo. Tout le monde a oublié l’époque ancienne où « l’ami Jean-Louis »,  avocat d’affaires, copinait à fond avec Tapie. L’époque où les deux achetaient pour le franc symbolique des boîtes jugées pourries, qu’ils revendaient après menues réparations. On les appelait, allez savoir pourquoi, « les pilleurs d’épaves ». L’esprit bateleur, il n’y a rien de mieux, je vous l’assure. On tutoie tout le monde, on boit des coups, on s’épanche entre deux portes du ministère, on se tape dans le dos. Borloo est un bateleur, il n’y a pas de sot métier. Je ne reprendrai qu’un exemple, mais il y en a quantité d’autres : la maison magique. Alors ministre de la cohésion sociale, Borloo annonce le 25 octobre 2005 la construction de 20 000 à 30 000 « maisons à 100 000 euros » par an. Télés, radios, journaux, fanfare.

Deux ans plus tard, on ne parle plus que de 800 maisons par an, pour 120 000 euros chaque. Ni télés, ni radios, ni journaux, ni fanfares. En avril 2009, un article du Parisien (ici) montre ce qui se passe à Nogent, où des gogos floués se voient proposer des « maisons à 100 000 euros » qui valent en réalité 200 000 euros. Bah ! où est la différence, hein ? Tout Borloo est là. Et je vous gage que lorsque le bilan réel du Grenelle sera tiré – dans dix ans, dans quinze ? -, chacun pourra constater, de même, que le très peu qui aura traversé la mitraille des amendements parlementaires de la semaine passée aura été réduit à de lilliputiennes mesures. Mais qui s’en soucie ? Borloo sait comment marche le système. Et ce qu’il visait avec cette mise en scène est connu : Matignon. Le poste de Premier ministre. Il est probable qu’un deal – entre hommes, quoi – a été conclu entre Sarkozy et Borloo. Quel deal ? Tu fais émerger un vote écolo de droite, et je te nomme Premier ministre à la suite de Fillon. Genre.

Attention, ce n’est pas terminé. Le Grenelle étant achevé, reste à mettre en orbite la candidature Borloo aux présidentielles. Certes, bien des rouages peuvent se gripper d’ici là, mais à la date d’aujourd’hui, il est certain que Sarkozy cherche à propulser Borloo. Qui représenterait donc, en 2012, un soi-disant pôle écolo qui mordrait à la fois sur les Verts et Bayrou. Avant que d’aider Sarkozy à vaincre une seconde fois. Le reste n’existe pas. Le reste n’est que vaste embrouille, jeu de bonneteau, prestidigitation de seconde zone. Mais ça marche. Oh oui ! ça marche. Il me reste à évoquer le cas tragicomique de monsieur Arnaud Gossement, déjà évoqué, déjà étrillé.

Ce jeune monsieur est avocat. Point barre. Pas de sot métier, je l’ai dit. Avocat. Comme le fut Borloo, d’ailleurs, mais tel n’est pas mon propos. Cet homme n’a aucune légitimité pour parler au nom de l’écologie, mais France Nature Environnement (FNE), qui tire ses subsides de la sébile qu’elle tend aux services de l’État, l’a gardé comme porte-parole jusqu’au début de 2010. Ses faits d’arme dans le combat écologiste ? Zéro plus zéro égale la tête à toto. Il n’y a rien à dire, car il n’y a rien à voir. Moyennant quoi, le monsieur n’aura cessé de passer à la télé et sur les radios. Comme Borloo ? Un peu.

Et voilà que, la semaine passée, les députés envoient aux pelotes les miséreuses promesses du Grenelle concernant les pesticides. Commentaire indigné de mon ami François Veillerette, président du Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures (MDRGF) : « Le gouvernement vient de se couvrir de honte en cédant aux lobbies agrochimiques des dispositions qui vont permettre le maintien sur le marché de pesticides dangereux ». J’ajoute pour ceux qui ne le savent pas que le MDRGF est l’association majeure concernant les pesticides. Elle mène depuis de longues années un travail en tout point remarquable, et elle au reste permis que le sujet soit sur la table du Grenelle plutôt qu’être abandonné comme a pu l’être le nucléaire, ou même la cruciale question de l’eau.

Quand le MDRGF dit que le gouvernement s’est couché, c’est argumenté, sérieux, surtout après près de trois ans de discussions auxquelles l’association a pris part. Car n’oublions pas qu’elle a fait partie dès le départ – à mon grand dam – de la farce du Grenelle. Bref. François se fâche. Et tous les écologistes sincères devraient alors le rejoindre dans son coup de gueule. Mais voilà que surgit des coulisses Arnaud Gossement, ci-devant porte-parole de FNE. Et que dit-il ? Je vous le donne en mille : « Il n’y a pas de recul. On ne pourra pas refuser un retrait au motif que ça coûterait trop cher. La jurisprudence européenne montre qu’on ne peut mettre en balance les intérêts économiques et la santé ».

¡ Puta madre ! comme je disais – je me suis amendé – dans ma lointaine jeunesse. Comment un gommeux de l’espèce de Gossement ose ainsi voler au secours du gouvernement et contredire avec une telle grossièreté un personnage aussi indiscutable que François Veillerette ? Oui, comment diable ? Ce type ne sait à peu près rien des pesticides, mais il s’autorise pourtant à intervenir dans un débat de fond. Aux côtés de Borloo et de son maître. Oh, cela donne le tournis, non ? On pourra ratiociner à l’infini, mais je crois que nous entrons ici sur le territoire des renvois d’ascenseur à répétition. Question : Gossement veut-il être député ? Sous-ministre ? Ministre ? Davantage ? Qui sait ? Un tel connaisseur des règles d’or n’est pas près de s’arrêter. On en reparlera.

Il duce ha sempre ragione ! (sur l’autorité, 1)

Je commence ici une série de divagations concernant la question centrale de l’autorité. Qui, bien qu’étant centrale dans tout projet humain, n’est pourtant jamais posée. Et qui, du même coup, n’est pas près d’être réglée. Cela vous semble lointain ? Regardez en ce cas l’histoire dérisoire, mais essentielle, concernant un certain Christophe Hondelatte, un homme de télé dont je vous ai déjà entretenu dans le passé (ici). Il est mêlé, ces jours-ci, à une autre affaire sinistre. Ce pauvre monsieur a imaginé une émission – il n’était pas seul, certes – où de pauvres couillons croient envoyer des décharges électriques à des gens qui ne parviennent pas à répondre à des questions (ici).

Ce n’est pas très neuf. Le tout est en effet tiré d’un livre – il est chez moi, il est remarquable – de Stanley Milgram, La soumission à l’autorité (Calmann-Lévy). Ce psychologue et sociologue américain a mené vers 1960 des expériences inouïes. Sous couvert de la blouse blanche de l’université – l’autorité légitime -, il a demandé à des cobayes humains ordinaires de mener l’expérience que l’on retrouve dans l’émission proposée par Hondelatte. De mémoire, seuls 10 % environ des participants refusent net, sans hésitation et tout de suite l’idée d’envoyer de l’électricité dans un corps humain. Les deux tiers, environ, administrent des doses théoriquement mortelles.

Donc, l’autorité. La soumission à l’autorité. L’aveuglement face à elle. La prosternation devant elle, dès qu’elle présente une face séduisante, parfois et même souvent à l’insu de soi. Regardons d’un peu plus près le cas Mussolini. Benito (Amilcare Andrea) Mussolini est né en 1883, dans la région italienne de l’Émilie-Romagne. Une région rouge. Une région de révoltes paysannes et de soulèvements ouvriers. De braccianti – des journaliers agricoles -, de muratori – des maçons – et de metalmeccanici, des métallos. L’Émilie-Romagne de Bologne, Modène, Ferrare et Parme, aura vu naître Mussolini et Pasolini.

Bon, et puis ? Et puis Benito fut jusqu’à l’âge de 31 ans un extrémiste, mais de gauche. Un agitateur infatigable, expulsé je ne sais combien de fois de Suisse, créateur ou animateur de journaux aussi violents que Lotta di classe, écrivant des textes incendiaires sous le pseudonyme de Il vero eretico – le véritable hérétique -, fleuretant avec l’anarchie sous sa forme syndicaliste révolutionnaire, finissant plus souvent qu’à son tour en prison. Je passe. Cet homme-là est encore de ce côté-ci des barricades en septembre 1914, tandis qu’éclate la Première Guerre mondiale. Il la refuse absolument, avant de l’accepter absolument.

Alors, il devient un autre. Mais est-il un autre ? Il accepte l’argent des patrons, organise des milices chargées de cogner sur les cortèges ouvriers ou pacifistes, devient même un agent – c’est attesté – des services secrets britanniques pendant un an, après le déclenchement de la révolution russe. La suite vous est, dans les grandes lignes, connue. La marche sur Rome – 1922 -, le pouvoir, le fascisme, la gloire, la chute. Le titre de ce papier signifie en français : « Le Chef a toujours raison ». Et il aura été prononcé des millions de fois par des foules en délire. Qui y croyaient. Et qui ajoutaient à l’envi des cris de guerre comme : « Credere, Obbedire, Combattere ! ». La traduction n’est pas bien nécessaire, ce qui n’est pas le cas de « Boia chi molla ». Cette dernière expression veut dire, littéralement, que celui qui abandonne et lâche pied est le plus vil des assassins. En fait, ce slogan fasciste a toujours été compris ainsi : « Celui qui recule est une merde ». J’y ajoute une dernière saillie des amis de Mussolini, « Me ne frego », qui veut dire à peu près : « Je m’en tape ».

Et tel est bien ce qui aura réuni ces braves imbéciles et ces immondes salauds. Ils s’en foutaient. Ils s’en cognaient. Peu leur souciait que le monde s’effondrât. Ce qui comptait, hommes et femmes fascistes confondus, c’était, et qu’on me pardonne l’expression, la bandaison. Bander comme triquer sont des mots violents, je le sais bien, mais ils désignent une réalité qui ne l’est pas moins. Une réalité qui n’est pas seulement masculine. Qui a vu des images de femmes allemandes sur le parcours – en voiture décapotable – du petit caporal Adolf Hitler me comprendra certainement. Le fascisme comme l’hitlérisme auront été des manières détournées, avantageuses pour l’État et le programme des chefs, de baiser. Sur le visage des femmes dont je parlais à l’instant, je le précise pour ceux qui n’ont pas accès à ces images, on voit des visages en transe sexuelle, la langue passant sur les lèvres. Je n’invente pas. Je dis.

Je ne doute pas que cette tension a été présente, de même, dans l’ignoble aventure du stalinisme et la dévotion au chef qui a dominé pendant des décennies, tant en Union soviétique que chez nous. Personne n’a intérêt à se souvenir qu’en décembre 1949, pour le 70ème anniversaire du tyran de Moscou, des milliers de cadeaux, souvent baroques, ont été rassemblés par le parti communiste dans toutes les régions de France, avant d’être envoyés par trains spéciaux au Kremlin. Personne. Je vous pose la question qui tue, et qui justifie ce déjà long papier : comment des millions de gens ont-ils soutenu chez nous un homme qui martyrisait son peuple au nom de l’égalité universelle ? Comment comprendre que des militants communistes attachés, pensaient-ils du moins, à la liberté et à la fraternité, se couchaient devant l’antithèse complète de leur engagement ?

J’ai davantage de questions que de réponses, je m’empresse de vous le dire. Et je résume. Dans l’Allemagne nazie, dans l’Italie fasciste, dans l’Union soviétique stalinienne, des foules géantes ont bel et bien adoré, adoré, la figure autoritaire, tutélaire mais cruelle, du chef. Sans ce mouvement de l’âme, qui surgit, à l’évidence, des profondeurs de la psychologie de masse et individuelle, ces abominations n’auraient jamais existé. Je pense que nous sommes d’accord. Je l’espère.

De tels phénomènes se retrouvent-ils en démocratie ? Eh bien, je le crois. Il va de soi que les conséquences en sont différentes. Il est évident que je ne mettrai jamais sur le même plan Léon Blum, président du Conseil français en juin 1936, et Adolf Hitler, chancelier allemand au même moment. Vous aurez remarqué que j’ai volontairement choisi deux personnalités totalement opposées, pour que les choses soient claires. Et pourtant ! Et pourtant, François Mitterrand. Avant que de vous récrier, retenez que je ne confonds pas tout, buvez un verre d’eau si le besoin s’en fait sentir, et revenez donc vers moi. François Mitterrand.

Nous sommes, tiens donc, en 1936. Mitterrand, après avoir milité aux Volontaires nationaux, mouvement protofasciste des Croix-de-feu, et manifesté contre « l’invasion métèque » en février 1935, continue son combat d’extrême-droite, en défilant – nous sommes en janvier 1936 – contre le professeur de droit Gaston Jèze, dont le tort est de conseiller le roi – nègre – d’Éthiopie. Ensuite, Mitterrand aura un si fort penchant pour Vichy que le maréchal Pétain en personne le décorera de la Francisque, l’équivalent, chez cette vieille crapule, de la Légion d’honneur. Chemin faisant, Mitterrand aura noué des liens indéfectibles avec d’authentiques ordures, comme le secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, et des membres de la Cagoule, groupe armé clandestin, fasciste, décidé à abattre la Gueuse, c’est-à-dire la République.

Il fut  aussi résistant ? Oui, sans l’ombre d’un doute. Certains y voient une rupture, d’autres une évolution, et quelques-uns un vulgaire opportunisme. Ne tranchons pas. Après la guerre, il apporte un précieux témoignage en faveur d’un ancien chef cagoulard, Eugène Schueller, fondateur du groupe L’Oréal. Ce même groupe industriel fera de Mitterrand un éphémère  président-directeur général des Éditions du Rond-Point. J’ai laissé de côté bien d’autres histoires du même acabit. Mitterrand et le défunt Robert Hersant. Mitterrand et la guerre d’Algérie, quand ce preux ministre de la Justice – vous aviez oublié, hein ? – faisait guillotiner des indépendantistes, dont l’ouvrier Fernand Iveton. Ou quand, ministre de l’Intérieur – oui, il commanda aussi aux flics -, il s’écriait : « Je n’admets pas de négociations avec les ennemis de la Patrie. La seule négociation, c’est la guerre ». Mitterrand et le procès fait au général putschiste de l’OAS, Raoul Salan, où il déposa à décharge. Mitterrand et les repas dans sa maison landaise, jusque dans les années 70 au moins, avec Bousquet, l’homme de la déportation des Juifs en France, l’homme de la rafle du Vel’ d’hiv. Mitterrand et la réhabilitation de plein droit de huit généraux OAS en 1982, tandis que les mutins de 1917 – ceux qui refusèrent la boucherie – étaient encore au ban de la nation.

C’est cet homme-là, arrivé au pouvoir en 1981, à 65 ans, que l’on considéra donc comme le champion de la gauche. Celui qui mettrait fin aux inégalités. Celui qui règlerait la question des banlieues, et qui donnerait évidemment le droit de vote aux immigrés. Celui qui aimait tant les arbres qu’il mènerait forcément une politique proche de celle prônée dès 1974 par René Dumont. Et cætera, et cætera.

Je n’entends pas régler ici une question aussi complexe. Au mieux, je place un caillou le long d’une route qui jamais ne sera terminée. Ce que j’ai voulu dire et vous dire, c’est que la liberté est un violent combat contre soi-même, qui s’achève bien souvent par une vilaine défaite. Mais elle est et restera la plus belle, l’une des plus belles demeures où puisse habiter notre esprit. Je n’y fais pour ma part que des incursions, mais alors, comment l’exprimer ? J’ai le sentiment d’être enfin arrivé.