Archives de catégorie : Politique

Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Tiens, je vous remets pour le même prix un article de Planète sans visa, qui n’a, après tout, qu’un an. Il renvoie à un article qui en a deux.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.


site canada goose pas cher fiable site canada goose pas cher fiable

Pesticide mon amour (oh oui, encore)

Vous avez vu ? Vous avez lu ? L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) vient de publier un rapport sur les pesticides (ici). Restez avec moi jusqu’au bout de ce papier, je crois que cela mérite un quart d’heure. Je n’ai cessé de dénoncer ici même, et depuis septembre 2007, les lamentables palinodies du Grenelle de l’Environnement. Il suffit d’aller voir ce que j’ai alors écrit, quand tous les écologistes officiels criaient au triomphe et à la « révolution écologique » made in Borloo and Kosciusko-Morizet. Alors, j’étais seul. Non pas dans l’opinion vivante, je ne sais que trop – triple hourra ! – que vous existez, mais chez les journalistes, sûrement. Il serait cruel de relire aujourd’hui la prose de certains, et cela n’aurait, au reste, aucun intérêt, car les choses sont ainsi de toute éternité.

Il n’empêche que je suis tout de même soufflé par ce rapport parlementaire. En mars 2007, j’ai publié avec mon ami François Veillerette un livre qui est devenu ce qu’on appelle un best-seller (Révélations sur un scandale français, Fayard). Il contient, je le dis sans forfanterie, nombre d’informations jamais publiées. Il démontre l’extrême dangerosité des pesticides, à partir de centaines d’études publiées dans les meilleures revues scientifiques de la planète. Il rapporte l’histoire de la diffusion de ces produits en France. Il raconte comment l’industrie a pu copiner de très, très près avec l’administration française chargée des autorisations et des contrôles. Il examine en détail des affaires comme celles du Gaucho, du Régent, du chlordécone. Il cite des noms, beaucoup de noms, et d’une manière telle que nous aurions pu, François et moi, nous retrouver devant les tribunaux de la République.

Pas une fois, mais dix, mais cent fois. Or rien. Rien du tout. Aucun démenti, aucune contestation sur aucun point. Aucune réponse de l’industrie ou, tiens, de la surpuissante Direction générale de l’alimentation (DGAL) – sévèrement étrillée – et de ses dirigeants successifs. Au passage, je signale que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), née début 2002, est dirigée par madame Catherine Geslain-Lanéelle, qui fut la patronne de la DGAL en pleine tourmente du pesticide Gaucho, accusé de massacrer les abeilles. Ceux qui disposent d’un accès au livre pourront s’y reporter, ils ne seront pas déçus du voyage. Venons-en au rapport de l’Opecst. Il n’aurait pas été incongru d’être entendus parmi d’autres, François et moi. Car nous connaissons tous les deux, et globalement à la différence de tant de spécialistes, la question des pesticides. Mais nous avons été oubliés, comme c’est bête.

Les deux auteurs du rapport s’appellent Claude Gatignol, député UMP de la Manche, et Jean-Claude Étienne, sénateur UMP de la Marne. Ah quels cocos ! Le premier, Gatignol, a été militaire professionnel – garde-à-vous ! – et vétérinaire. Ce qui l’a nécessairement mis au contact de l’industrie de l’agriculture, pesticides compris, pendant des décennies. Est-ce un crime ? Nullement. Mais nous avons encore le droit de savoir deux ou trois bricoles, non ? Gatignol est par ailleurs un amoureux, un fervent de l’industrie nucléaire. Sa circonscription parlementaire comprend notamment la Hague, et il a milité sans aucune cesse pour que Flamanville – toujours sa circonscription – accueille le premier prototype du type EPR.

Ajoutons qu’une plainte a été déposée contre lui en 2005, au motif qu’il aurait détourné 10 000 euros du Fonds de développement économique de l’après-chantier de La Hague (FDEACH). Malgré le non-lieu de 2007 – Gatignol est donc blanchi -, le président UMP du conseil général de la Manche, Jean-François Legrand, a décidé de se mettre en congé de parti. Pour protester contre la bienveillance de l’UMP à l’endroit de Gatignol. Allez comprendre. Ultime détail : à l’automne 2008, Mediapart révélait que Gatignol acceptait des invitations à des chasses payées par l’assureur Groupama. Du lobbying ? M’enfin, voyons, cet homme est député de la République, non ?

L’autre rapporteur, Jean-Claude Étienne, est donc sénateur de la Marne. Il est lui un constant défenseur des biotechnologies et des biocarburants, cette ignominie morale. Voici ce que je lis sur son site personnel (ici) : « Lorsqu’il était premier Vice-président du Conseil régional (1996) et Président de la Commission Enseignement Supérieur, Recherche Scientifique, Vie sociale et culturelle, le Professeur Etienne a été à l’origine de nombreux programmes scientifiques appliqués au développement de l’économie ; rechercher de nouveaux débouchés alimentaires et surtout industriels permettant le maintien à très haut niveau de productivité des entreprises agricoles de la région ». Le gras est dans le texte d’origine, évidemment. J’ajoute, ce qui classe ce type au plus bas dans ma hiérarchie personnelle, qu’il recherche des débouchés « surtout industriels » à l’agriculture. Un professeur de médecine – sa profession première -, dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques.

La suite. Le 21 octobre 2009, à 23 heures, parlant probablement devant trois vieillards ressemblant aux Assis de Rimbaud  – Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… -, il déclame :  « Aujourd’hui, on le sent avec les perspectives qui se dessinent, le monde industriel n’est plus étranger au monde de l’agriculture. Il arrive même à ceux-ci d’entrer en résonnance : on parle parfois d’agro-industrie ! Voilà que la nouvelle industrie, intimement liée à la problématique de l’agriculture, apparaît (…) Regardez la nouvelle industrie ! La chimie, par exemple, est une chimie verte. Adieu la chimie du charbon et de l’acier ! Adieu, probablement, les tours de cracking distillant du pétrole : c’est la production agricole qui sera « enfournée » dans ces nouvelles tours. On voit ainsi bouger la nature de l’industrie, qui revient vers la production agricole. La syncrétie entre les mondes agricole et industriel se trouve ainsi créée, régénérant la ruralité ». J’ai laissé les fautes de syntaxe et d’orthographe, dont je ne me sens pas responsable. Pour le reste :  tant d’inepties et d’horreur en si peu de phrases !

Ce sont ces deux hommes, croisés de l’industrie, militants de l’atome et des biocarburants, qui viennent donc de rendre public un rapport sur les pesticides qui va à l’encontre de tout ce qui se publie de sérieux sur le sujet depuis vingt ans. Ils auront même oublié en route l’expertise de l’Inra de 2005, qui pour la première fois mettait lourdement en cause ces poisons hélas certains. Mais nos deux hommes sont ailleurs, en compagnie qui sait, et notent sans état d’âme qu’ils « souhaitent rappeler les bénéfices de l’usage des pesticides et invitent les pouvoirs publics à anticiper les conséquences d’une diminution trop brutale de l’utilisation des pesticides en France ».

Encore faut-il entrer dans le détail de ce texte qui ouvre sur une forme d’aveu. Lisons ensemble une petite partie de l’introduction du rapport. Voici ce qu’ils écrivent dès la page 9, à l’entrée dans un texte de 195 pages : «  Les pesticides ont constitué un progrès considérable dans la maîtrise des ressources alimentaires. Ils ont grandement contribué à l’amélioration de la santé publique en permettant, d’une part, d’éradiquer ou de limiter la propagation de maladies parasitaires très meurtrières (lutte contre les insectes, vecteurs de ces maladies) et en garantissant, d’autre part, une production alimentaire de qualité ». C’est tout simplement extraordinaire. Avant que de développer leur « travail », ils savent. Les pesticides, c’est bon. Après une telle pétition de principe, que peut-on espérer de ce qui suit ? Exact : rien.

La suite n’est là que pour montrer tout le sérieux de l’entreprise. Et nous voici déjà rendus en page 189, pour la conclusion, dont je vous propose les premiers mots : « La mise sur le marché, au milieu du XXe siècle, de produits phytopharmaceutiques a permis aux agriculteurs de disposer de moyens efficaces et rentables pour lutter contre les diverses pressions parasitaires que subissent les cultures. L’augmentation significative des rendements des terres agricoles en résultant, bénéficie également au consommateur de produits frais ou transformés, qui se voit proposer une nourriture abondante et peu chère ». Relisons, chers lecteurs de Planète sans visa. L’introduction et la conclusion ne sont-elles pas proprement identiques ? Ite missa est. Je dirais même plus : Cum tacent, consentiunt. Ce qui veut dire : celui qui se tait consent.

PS : Pour écrire Révélations sur un scandale français, j’ai demandé et obtenu un entretien avec Jean-Charles Bocquet, directeur à Paris de l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP). Derrière ce gentil sigle se dissimule – mal – 98 % du chiffre d’affaires des pesticides en France. Ce charmant monsieur Bocquet m’a reçu le 30 août 2006, et après une petite heure d’entretien, il s’est levé, et m’a dit en souriant : « Vous m’excusez ? Je dois aller faire du lobbying au Sénat ».

Plan de retraite et déroute de la pensée

Franchement, franchement ! La question des retraites, au-delà des gesticulations, au-delà des postures confortables, au-delà des discours calibrés, démontre à quel point se trouve réduite la pensée critique. Nous sommes proches du vide, du zéro absolu, cela ne fait pas l’ombre d’un doute à mes yeux. Je n’entre pas ici dans le débat technique, économique, politique au sens commun. Ce que je souhaite en quelques phrases, c’est montrer à quel point nos élites sont fourvoyées dans le paradigme si souvent évoqué ici, celui de « progrès ». Malgré l’avalanche d’informations radicalement neuves sur l’état écologique de la planète, les monopolistes de la parole publique radotent tant et plus.

Avant d’aller plus loin, impossible de ne pas saluer la digne mémoire de Michel Debré, que le dessinateur Cabu immortalisa, au début des années 70, avec un entonnoir sur la tête, preuve supposée de sa dinguerie. Jeunes qui lisez ces lignes, oui, il y eut jadis des années 70. Je les ai connues. Debré était l’un des plus proches compagnons du général de Gaulle, et quand celui-ci revint au pouvoir en 1958, Debré se retrouva aussitôt ministre. Et il le fut jusqu’en 1973, après avoir été, excusez du peu, Premier ministre de la France entre 1959 et 1962. Cet homme, père de l’actuel président du Conseil Constitutionnel, aura donc été l’un des tout premiers personnages de notre république pendant quinze ans. Or, et c’est là que je veux en venir, Debré était un nataliste forcené. Dans un discours à l’Assemblée, le 12 juillet 1963, il réclame une France de 100 millions d’habitants, rien de moins ! Et il ajoute un aboiement contre ceux qui osent parler de contraception ou d’avortement, « des idées fausses ou des propagandes insidieuses qui sont contraires à l’intérêt national le plus évident ». Seul le chiffre compte. Seul le nombre d’habitants importe, « non seulement en tant que facteur de puissance et de prestige mais en tant que facteur d’expansion économique et de progrès social ».

100 millions, vous imaginez ? Moi non. Nous sommes 64 millions, et l’espace me manque déjà. Baste. Je passe sans transition au démographe Hervé Le Bras. J’ai eu l’occasion de le confronter à l’écologue François Ramade en février 1999 (Politis n°535) sur la grave question de la population mondiale. Lui – Le Bras – pensait et pense encore que les catastrophistes se sont toujours trompés et qu’ils continueront. Il m’avait alors dit, et je crois qu’il ne renierait pas ce point aujourd’hui : « L’une des variables essentielles, c’est le progrès technique. Au fond, nous sommes dans une ambiance très XIXème siècle, entre ceux qui croient au progrès et ceux qui n’y croient pas, ou plus ». En 1999, il disait que la perspective de 8 milliards d’humains en 2025 ne posait pas de problème. Je gage que les 10 milliards annoncés pour 2050 le laissent pareillement de marbre.

Pourquoi réunir arbitrairement feu Debré et son entonnoir, d’un côté, et l’ancien membre du parti communiste et distingué démographe Hervé Le Bras de l’autre ? Parce qu’ils symbolisent bien, à mes yeux, l’arc désuet d’une certaine pensée française. D’un consensus si évident – pour eux – qu’il n’y a plus lieu d’en visiter les contours et les soubassements. Nous sommes pourtant en face d’une pure et simple idéologie, mais qui ne se donne pas pour telle. Comme ses tenants dominent encore la scène – on peut ajouter au tableau la social-démocratie et toutes les droites -, ils n’ont plus à ferrailler, ils n’ont plus rien à démontrer. Or, leur sac à malices est vide, désespérément.

Pour Debré, bien sûr, comique de rigueur. La France contre le reste du monde. La grandeur. Le drapeau. Le clairon. Avait-il entendu parler de dérive des continents, cette géniale découverte d’Alfred Wegener ? C’est à se demander. Savait-il quoi que ce soit sur l’eau, la mer, le sol, la forêt, la systématique ? D’évidence, non. Croyait-il qu’on pouvait exiger 100 millions de Français, puis 200, puis 500 ? Probablement, car l’idée de limite lui était foncièrement étrangère. Mais il a pourtant dirigé la France, et ses successeurs sont en vérité, dès que l’on gratte un peu, des clones de son ignorance. Quant à Le Bras, qui est un homme sympathique, il consent à l’aveu essentiel : lui, il croit au progrès. Malgré les aléas, la marche des sociétés humaines est ascendante, et des solutions ont toujours été trouvées. Circulez donc, amis de la vérité et de la complexité. Le progrès. En matière de retraites et de pensions, les deux attitudes se rejoignent sans difficulté. Les hommes qui débattent aujourd’hui, tant du côté syndical – ou patronal – que du côté gouvernemental posent la question comme si rien ne s’était passé dans les décennies écoulées.

Englués dans leurs pauvres représentations de la réalité, ils tracent des courbes, ils suivent des lignes. Envers et malgré tout, l’avenir doit rester linéaire. Les uns pensent que l’augmentation de la productivité du travail finira bien par régler un jour le problème, surtout si l’on répartit un peu mieux les profits. Les autres assurent avec autant de conviction que Debré en 1963 que l’espérance de vie va continuer à croître – jusqu’à 10 000 ans ? -, empêchant de servir des retraites décentes à des vieux de plus en plus vieux et de plus en plus nombreux. L’ensemble est désastreux. On pourrait, on devrait profiter d’un débat qui porte – exceptionnellement – sur une durée plus longue que celle du mandat présidentiel, pour enfin évoquer des questions générales. Mais on préfère mener en catimini une discussion de boutiquiers ou de maquignons, à l’échelle d’un canton du monde.

La première évidence, c’est que nous ne sommes pas seuls. La misère, l’atroce misère frappe à nos portes, qui annonce des réveils toujours plus douloureux. Les discutailleurs actuels nous refont, à leur manière, le coup du nuage de Tchernobyl, qui s’était officiellement arrêté aux frontières françaises. La question des retraites, qui nous mène au moins jusqu’en 2030 ou 2040, pourrait ainsi se concevoir à l’échelle nationale, hors du monde et de ses tragiques réalités. Comme si la crise écologique, comme si la crise climatique ne devaient pas s’imposer à tous. C’est pitoyable. L’exemple le plus pathétique est sans doute cette scie que l’on entend partout, si caractéristique du cadre paradigmatique évoqué plus haut. Un, l’espérance de vie augmente. Deux, elle va continuer à augmenter. Trois, c’est une formidable nouvelle.

Claude Aubert a écrit il y a quatre ans un livre mesuré, modéré, rempli de chiffres et de questions passionnantes sur le sujet (Espérance de vie, la fin des illusions, Terre Vivante, 17 euros). Ce qu’il dit n’est que bon sens, appuyé sur des études, des constats, des consensus même. Il ne fait pas de doute, pour lui, que l’obésité et la sédentarité, le tabagisme et bien entendu les pollutions sont en train de clore un court chapitre de l’histoire des hommes. Ceux qui nous succéderont, en toute hypothèse, vivront moins longtemps que nous, et plus mal. Croire que l’espérance de vie pourrait continuer à augmenter alors que l’incidence des cancers explose est ce que j’appellerais un paradoxe. Croire que notre santé est de mieux en mieux préservée, alors que des milliers de nouvelles molécules de la chimie de synthèse ont été mis au contact des milieux naturels au cours des soixante dernières années, c’est très simplement une idiotie. Jugés à cette aune, la totalité des discours sur les retraites sont de pures et simples idioties. Des conneries, quoi. Il me semble bien, en tout cas.

Claude Allègre et les glaciers du Tibet

Je vais me vanter, c’est indiscutable. Je suis l’un des premiers à avoir attaqué publiquement Claude Allègre à propos du dérèglement climatique en cours. En fait, je suis peut-être le premier. Ne lisant pas tout, de loin, quelqu’un peut m’avoir devancé. Mais en ce cas, je l’ignore. Moi, dans le journal Politis en date du 4 décembre 1997, j’ai consacré ma chronique hebdomadaire à cet illustre personnage. Et pas d’anachronisme, s’il vous plaît ! À cette date, le mandarin trône encore. Il est ministre de l’Éducation de Lionel Jospin, lui-même Premier ministre, et tous les commentateurs lui lèchent les pieds, pour demeurer poli.

Oui, cette fin 1997, alors que la conférence de Kyoto sur le climat va avoir lieu, Allègre est d’autant plus intouchable qu’il est intouché. Dans mon papier, je l’accuse d’être atteint de ce que j’appelle le syndrome Charpak – Georges -, du nom de ce physicien devenu amoureux fou de l’atome. Et j’ajoute aussitôt : « Tout comme le Nobel de physique, Allègre use et abuse de son statut – indiscutable – de grand scientifique pour trancher de tout, y compris dans des domaines où il n’est nullement compétent (…) Jusqu’à ces derniers mois, Allègre disposait chaque semaine dans Le Point d’une chronique scientifique. Celle du 8 mai 1995 – deux ans à peine – mérite comme on dit le détour. Que déclame-t-elle ? Que l’effet de serre serait tout simplement une fausse alerte. Mieux : une véritable mystification entretenue par des lobbies scientifiques en mal de crédits et de mystérieux…groupes industriels. Comme on aimerait savoir lesquels ! Hélas, hélas, les élucubrations de monsieur Claude ne sont pas une plaisanterie ».

Je ne trouve pas cela sans intérêt. Car ce texte montre bien la logique interne du discours de notre génie national. Il conteste a priori. Ce n’est que bien plus tard qu’il cherchera à justifier, à documenter son obsession « climato-sceptique ». Et il n’est pas le seul dans ce cas, oh non ! On commence par croire, on tente ensuite de prouver. Quelle jolie démarche scientifique, non ? On se lance de la sorte, porté en triomphe par une caste de journalistes obséquieux autant qu’incultes et l’on finit par le graphique Håkan Grudd. Allègre, dans son dernier livre – je ne nomme pas ce machin – a publié un document issu des travaux de Grudd, paléo-climatologue suédois. Fort bien. Mais comme le démontre dans un article implacable, impeccable, le journaliste français Sylvestre Huet (ici), Allègre a falsifié la publication de Grudd. Pour prouver ce qu’il affirme. Vous lirez si vous avez envie.

Par ailleurs, mais en complément, je souhaite vous parler d’un article puissant paru dans le numéro d’avril 2010 de la revue américaine National Geographic (ici). Évoquer ce magazine en langue anglaise n’est pas du snobisme : simplement, j’ai eu la chance de lire une partie du dossier de couverture, dont le titre est Water, our thirsty World (Eau, notre monde assoiffé). Ce grand journal, sans le proclamer, prend parti dans la grande controverse autour du climat, et de la plus belle manière, c’est-à-dire par les faits. Pour mémoire, je rappelle qu’Allègre et ses nombreux amis se sont jetés comme la pauvreté sur le monde dessus une erreur bien réelle figurant dans un rapport du Giec, ce grand organisme chargé par les Nations Unies de surveiller l’évolution du climat.

Pour Allègre et ses si nombreux amis – bis repetita -, le Giec est désormais le grand Satan, mû par d’obscurs ou trop limpides intérêts, et qui raconterait sans cesse des balivernes. Donc une erreur, reconnue comme telle, au milieu de milliers d’informations solides et recoupées, qui concerne les glaciers de l’Himalaya. Oui, hélas, le Giec s’est appuyé sur un semblant d’étude, concluant avec légèreté que les glaciers de cette région décisive pour l’avenir commun auraient complètement fondu d’ici 2035 (ici). Pour Allègre et ses innombrables amis – ter repetita -, cette faute vénielle est et demeure une aubaine. Par chance, National Geographic.

Dans le numéro consacré à l’eau, on trouve un reportage exceptionnel écrit par Brook Larmer. Larmer est allé au Tibet, dans sa partie chinoise comme dans sa partie indienne, et il en ramène des informations de très haute qualité. On me dira que cela ne vaut pas un travail scientifique. Je répondrai que cela vaut 100 000 Allègre. Le massif de l’Himalaya est la source des plus grands fleuves de l’Asie. Le Yangzi Jiang (Yangtsé), le Fleuve jaune, le Mékong, le Gange, entre autres. Or, raconte Larmer, qui a parlé aux villageois et aux scientifiques, les glaciers de ces hautes montagnes, qui alimentent le cours de ces fleuves et permettent in fine d’abreuver autour de deux milliards d’êtres humains, fondent à une allure démentielle. Que se passera-t-il quand l’eau manquera dans les plaines surpeuplées, chaque année un peu plus ?

Certes, ce reportage n’est qu’un reportage, mais il dit le vrai, malgré cette funeste erreur de détail dans l’un des grands rapports du Giec sur le climat. Écoutez plutôt la voix de Jia Son, qui montre au journaliste ce qu’est en train devenir, sous ses yeux impuissants, le glacier du mont Kawa Karpo, montagne sacrée des Tibétains : « si nos glaciers sacrés ne peuvent survivre, dit-il, comment le pourrons-nous ? ». Sur les 680 glaciers, côté chinois, 95 % perdraient davantage de glace qu’ils n’en créent. Le glaciologue Yao Tandong, chercheur à l’institut chinois de recherches sur le plateau tibétain, prévient sans ambages : « Le recul à grande échelle des glaciers est inévitable. Et elle nous mènera à une catastrophe écologique ».

J’ajoute : humaine, sociale, politique, globale en somme. Il n’existe pas encore de mot humain capable de décrire ce qui va probablement, très probablement se passer. Mais certains préfèrent continuer à croire Allègre et sa petite troupe si bien informée. Eh bien, la ligne frontière entre eux et moi – entre eux et je l’espère la plupart d’entre vous -, cette ligne devient un fossé, que je ne franchirai évidemment jamais. Car c’est un gouffre, pour l’âme comme pour l’esprit.

Des fleurs pour Chantal Jouanno

Je me suis salement moqué de Chantal Jouanno le 22 janvier 2009 (ici). Je signalais notamment un film vidéo réalisé au moment de la campagne des présidentielles, où elle était follement ridicule. Elle le reste, je viens de le regarder à nouveau. Et, de nouveau, j’ai rigolé aux dépens de la secrétaire d’État à l’Écologie.

Mais je dois reconnaître aujourd’hui qu’elle a changé. La championne de karaté, propulsée hors des tatamis par Sa Seigneurie Sarkozy en personne, donne ce jeudi 25 mars 2010 un entretien au quotidien Libération. Elle se lâche. Elle y parle avec une sincérité que je n’attendais pas. Concernant la défunte taxe carbone, elle tire à boulets rouges contre le patronat, disant par exemple : « C’est clair, c’est le Medef qui a planté la taxe carbone. Au nom de la compétitivité. Est-ce que le Medef s’est ému des 2 milliards de bonus distribués aux banquiers ? ».

Faut-il le souligner ? Ce n’est pas dans la ligne. Borloo, l’increvable bonimenteur, a préféré hier accuser les socialistes d’avoir miné son beau projet. Non, elle n’est pas dans la ligne officielle, et j’ai envie de croire qu’elle n’est pas en mission commandée. J’ai envie de croire qu’elle parle d’elle-même, sans y avoir été incitée par Sarkozy pour tenter de calmer l’incendie. Ai-je tort ?

J’espère que non. Chantal Jouanno a des mots convaincants. Elle dit : « Si on attend que l’Europe prenne une décision, la taxe carbone sera reportée sine die. Cela pose un problème ontologique à la gauche comme à la droite. Nos élus et une partie de la société n’ont pas compris l’importance de l’écologie. On a vingt ans pour changer les mentalités ». Et elle ajoute : « Il faut essayer quelque chose. Il me reste la parole. Je me ferai peut-être exploser mais ce n’est pas grave. Je vais juste parler vrai. Je préfère aller au bout. Je ne suis pas là pour faire de la provoc, mais porter la parole que l’écologie n’est l’otage d’aucun clan ».

Pas de panique à bord ! je ne viens pas de brutalement tomber amoureux, et mon regard ne me semble pas, pour l’heure en tout cas, alangui. Je sais qui est cette dame. Je sais sa proximité avec Sarkozy. Autant dire que des années-lumière me séparent et me sépareront toujours d’elle. Il reste qu’à la différence d’une Kosciusko-Morizet, politicienne jusqu’au bout des ongles, passant de l’Écologie à l’Économie numérique avant d’aller peut-être à la Santé, il semble que Chantal Jouanno a pris conscience de quelque chose qui la transcende.

Un grand mot ? Oh oui ! Exagéré ? Peut-être bien, l’avenir le dira. Mais je dois rappeler, malgré mes emportements aussi nombreux qu’extrêmes, que je mise sur l’homme, et la femme. Si je ne croyais pas à la possibilité que des êtres dissemblables – et lointains les uns des autres – se mettent en mouvement, je ne parlerais plus de crise écologique. Je ne parlerais plus du tout, en réalité. Or je pense que le cours des esprits et des âmes est le seul espoir authentique qu’il nous reste. Que m’importe à la fin d’où l’on part, pourvu qu’on se soit mis en marche dans la bonne direction. Le reste viendra par surcroît, s’il advient.

Madame Jouanno, je me répète, ne pensera jamais comme moi. Moi surtout, je ne la rejoindrai jamais sur le terrain qui restera, en toute hypothèse, le sien. Et peut-être suis-je, de toute façon, en train de bâtir un château de cartes et de sable dans l’Espagne la plus profonde qui se puisse concevoir. Il demeure que la crise écologique devra sous peu mobiliser des millions de personnes dans ce vieux pays couturé qu’est la France. J’ai le pressentiment que madame Jouanno en sera. Et c’est pourquoi, à rebours de ce que je suis pour l’essentiel, je lui offre ce jeudi matin un frais bouquet de fleurs des champs. Without any pesticide application.