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Il nous faudrait une bonne guerre

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Les ancêtres Robert Schuman et Jean Monnet ont construit l’Europe pour en chasser la guerre. Mais ils ont oublié en route les peuples. Faute de mieux, des petites crevures nationalistes ne rêvent que de s’en prendre aux migrants. Avant d’éventrer le voisin de palier.

On hésite entre naphtaline, rogaton ou préhistoire. Les images dudit père de l’Europe Robert Schuman, le 9 mai 1950 (www.ina.fr/notice/voir/VDD09016192), font penser aux Actualités de la guerre sur le front russe. On croirait Pétain faisant « don de [sa] personne à la France ». Qu’annonce le vieux tromblon de sa voix chevrotante ? Que faute d’avoir construit l’Europe, nous avons eu la guerre. Mais que cela va changer grâce au splendide projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui verra le jour en juillet 1952.

Le mal est là, qui n’en partira plus : l’Europe, c’est l’économie, le flouze, les subventions et les budgets, les comptes d’apothicaire. On va pas être plus salauds que cela pour les fondateurs : ils croyaient sûrement éviter le retour des grands massacres. De ce point de vue, et quoi qu’on pense de ces deux vieux renards, la « réconciliation » entre l’Allemagne et la France, via de Gaulle et Adenauer, est un sommet.

Pour le reste, la chienlit organisée. On crée en 1957 la Communauté économique européenne (CEE) – six membres -, puis dans la foulée la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA). Suivent la suppression des droits de douane – 1968 -, l’adhésion des Britiches, du Danemark et de l’Irlande – 1973 – l’entrée de la Grèce – 1981 -, l’arrivée de l’Espagne et du Portugal -1986 -, le fameux traité de Maastricht, en 1992. On se souvient que ce dernier a bien failli être refusé en France, mais par la grâce de Mitterrand et de ses sbires, a finalement été accepté. On pouvait donc continuer cette apothéose bureaucratique, avec ses fonctionnaires surpayés et sa novlangue de derrière les fagots.

Les grandes dates s’enchaînent, comme les traités, comme les adhésions : on en était à 12, on se retrouve à 15, à 25, puis 27 et 28. Dans cette soi-disant Union européenne (UE), dans cet authentique bobinard, plus rien n’est contrôlable, plus rien n’est réformable. L’Albanie, la Serbie, la Turquie, la Macédoine, le Monténégro grelottent et s’usent les pognes à cogner à la porte. Mais Bruxelles n’a plus un rond.

Plus un rond ? La crise de 2008 a révélé l’extrême fragilité de la Grèce, et de l’Espagne, et de l’Italie. Il a fallu en catastrophe lancer un Mécanisme européen de stabilité (MES), capable de mobiliser au total l’extraordinaire montant de 750 milliards d’euros. Mais le spectre d’une explosion financière générale, revenu à grande allure depuis la fin de l’année 2015, fait d’autant plus flipper les petits gars de l’Union que tout est train de se barrer en morceaux. Pardon, en couilles.

On commence par le Royaume-Uni ? Toujours le cul entre le continent et les Amériques, Londres voudrait bien le beurre et l’argent du beurre. Le Premier ministre Cameron s’est engagé à organiser un référendum – au plus tard en 2017 – sur le maintien du pays dans l’Union. Un éventuel départ signifierait a British exit. Un Brexit. Une fin certaine du projet de 1957.

Plus haut, l’Écosse prépare un autre référendum, prévu en septembre, qui décidera de son éventuelle indépendance, accompagnée d’une possible adhésion à l’Europe. Mais les pontes autodésignés de l’UE ne veulent pas en entendre parler, de même qu’ils refuseraient, du moins pour l’instant, une Catalogne indépendante de l’Espagne, en projet. Ne surtout pas croire que ces poussées nationales et nationalistes seraient isolées. Sur le mode répugnant du populisme d’extrême-droite, une vingtaine de partis s’emploient chaque jour à disloquer la construction européenne rêvée par Monnet, De Gasperi, Spaak, Adenauer et Schuman. Qu’ils s’appellent Parti national slovaque, Ligue du Nord, Front national, Aube dorée, UKIP, FPÖ, les Vrais Finlandais, Jobbik ou encore Parti de la grande Roumanie, ils veulent tous retrouver les bonnes vieilles frontières d’antan. Et les guerres qui allaient si bien avec. Ce que veulent au fond ces joyeux lurons, c’est le champ de bataille, et l’étripage du voisin. On s’en rapproche.

Et d’autant que revoilà les Sarrazins, aubaine pour tous nos amis fascistes et apprentis. La déstabilisation en chaîne du Maghreb et du Machrek provoque des migrations si massives que la gentille Europe commence à fourbir ses fusils d’assaut. Au passage, un merci éternel à George W.Bush et Nicolas Sarkozy pour leur rôle si précieux de guest stars en Irak et en Lybie.

Que faire des réfugiés ? Faisons le compte. Après avoir ouvert son portail, l’Allemagne de Merkel le referme à la gueule des Syriens, et envisage de foutre en l’air Schengen, ce réseau européen qui veille aux frontières. L’Autriche, patrie d’un homme politique mort en 1945, termine une barrière métallique à la frontière slovène. Ce que voyant, la Slovénie dresse à son tour des barbelés à la frontière croate. Ce que voyant, la Croatie envisage de faire de même à la frontière serbe. Ce que voyant, la Macédoine clôture sa frontière avec la Grèce avec du fil de fer crochu, etc.

Est-ce bien tout ? Que non. La Hongrie de Viktor Orbán a terminé à l’automne sa barrière de 175 km à ses frontières sud – Serbie et Croatie – juste après avoir adressé un long questionnaire imprimé à 8 millions d’exemplaires envoyés dans chaque foyer. Parmi les douze questions, celle-ci : « Etes-vous d’accord avec le fait que les migrants menacent l’existence et l’emploi des Hongrois ? ». L’ombre des Croix Fléchées, parti hongrois nazi fondé en 1939, s’étend de jour en jour. Et de même à Varsovie, où le pouvoir ultracatho de Jaroslaw Kaczynski vient de réussir un putsch à froid sur les médias et le tribunal constitutionnel, annonçant d’autres mesures. Va-t-on vers le retour des octrois et des douanes sur chaque pont et à chaque croisement ?

L’Europe dérisoire de Juncker, perdue dans ses infinies contradictions, a décidé pour le moment de regarder dans l’autre direction. Que pourrait-elle faire, cette petite chérie ? Un excellent sous-fifre dont on ignore le nom vient quand même de souffler une idée à Merkel : appeler l’Otan à l’aide pour mieux empêcher les migrants de passer. Hollande, qui s’apprête en catimini à réintégrer l’Otan, applaudit sûrement. Rappelons que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est une vaste coalition militaire destinée à mener la guerre. L’Europe de papa Schuman est morte. Vive l’Europe des barbelés, vive la guerre qui vient !

Stéphane Le Foll et l’éternelle vérole des pesticides

Il y a neuf ans ces jours-ci, j’ai publié un livre avec mon ami François Veillerette (Pesticides, révélations sur un scandale français, chez Fayard). Il s’est étonnamment bien vendu, bien que je ne dispose d’aucun chiffre précis, arrêté. Entre 30 000 et 40 000 exemplaires, je crois. François comme moi sommes fiers de ce livre, qui nous a coûté pas mal de sueur. Je me souviens fort bien de notre rencontre avec celui qui allait devenir notre éditeur, Henri Trubert. Nous étions réunis un soir – d’hiver, me semble-t-il – dans son bureau : François bien sûr, Henri bien sûr, moi bien sûr, et Thierry Jaccaud, le rédacteur-en-chef de L’Écologiste, qui nous introduisait chez Fayard.

Je ne connaissais pas Henri, mais je lui ai parlé franchement. Faire un livre sur les pesticides ne nous convenait pas. Nous voulions le clash, l’accusation flamberge au vent, et même courir le risque d’un ou plusieurs procès. S’il ne sentait pas le projet – et ses risques -, eh bien, il n’avait qu’à le dire à ce stade, car notre détermination était totale. Il s’agissait pour nous de décrire un système en partie criminel. Nous citerions des noms, nous ne nous jouerions pas les gens bien élevés, car bien élevé, je ne l’étais pas. Je dis je, car je ne peux parler ici que de moi. Je ne suis réellement pas bien élevé.

En mars 2007, donc, le livre est sorti et il a fait du bruit et il a fait du bien. Encore aujourd’hui, je pense qu’il a marqué un territoire. Je doute qu’on puisse redescendre en-dessous et oublier, fût-ce une seconde, que les pesticides sont d’incroyables poisons chimiques de synthèse, imposés par des pouvoirs politiques aux ordres, faibles et stupides, inconscients. Et achetés ? Dans certains cas, j’en suis convaincu, bien que ne disposant pas des preuves qui valent devant un tribunal.

Six mois après la parution, le granguignolesque Grenelle de l’Environnement, décrété par un Sarkozy aussi manipulateur et limité qu’il a toujours été. J’ai fait la critique radicale de ce vilain show ici même, en temps réel – ce que je préfère, et de loin – et notamment parce qu’il a été le théâtre d’une farce atroce (ici). Les ONG présentes dans une commission s’étaient hâtées de triompher, car Borloo  venait d’annoncer la diminution de l’usage des pesticides de 50 % en dix ans. Avant que Sarkozy, dûment rappelé à l’ordre par la FNSEA, ne donne la bonne version de l’annonce : on diminuerait la consommation des pesticides de 50 % en dix ans, oui. Mais à la condition que cela soit possible. Et, ainsi qu’on a vu, cela n’a pas été possible.

J’ai critiqué à l’époque François Veillerette et son Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), devenu Générations Futures. Je précise qu’il reste un ami cher, ainsi que Nadine Lauverjat, qui le seconde, et que j’embrasse au passage. Seulement, quelque chose ne tourne pas rond. La bagarre contre les pesticides, en France, passe par Générations Futures (ici), et elle est sur le point de devenir ridicule. Pourquoi ? Mais parce que la France s’est dotée en 2009 d’un plan Écophyto1, armé d’un budget de 40 millions d’euros par an. Il s’agissait comme à vu, à la suite du Grenelle, de diminuer de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2018. Sans préciser d’ailleurs, preuve de la malhonnêteté intrinsèque du projet, s’il s’agissait d’un tonnage général, du poids de matière active, des pesticides jugés les plus inquiétants, etc.

Or donc, un flou dissimulant une embrouille. Les pesticides ne se sont jamais aussi bien portés chez nous. En 2013, augmentation de 9,2%. En 2014, de 9,4%. En 2015, on ne sait pas. Dans un monde un peu mieux fait, où l’on tiendrait l’argent public pour la prunelle de nos yeux à tous, les guignolos à la manœuvre auraient été chassés -restons poli – à coups de balai. Mais dans celui-ci, Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, a été autorisé à lancer le plan Écophyto2, avec 71 millions d’euros à claquer chaque année. Avec les mêmes acteurs, voyez-vous : les chambres d’agriculture, la FNSEA. La FNSEA ! Ces gens ne manquent pas d’un humour singulier, car qui est le patron de la FNSEA ? Xavier Beulin, gros céréalier de la Beauce, mais aussi P-DG de la holding agro-industrielle Avril (ils avaient honte de leur nom précédent, Sofiprotéol). Chiffre d’affaires d’Avril en 2014 : 6,5 milliards d’euros, dont une partie sous la forme de vente de …pesticides. Ah, ah, ah !

Le Foll. Si j’écrivais ce que je pense de cet homme, je passerais devant un tribunal, et j’y serais condamné. Ce serait justice, car on ne doit pas injurier quelqu’un, du moins publiquement. Que dire ? Cette créature de Hollande – il a été son factotum pendant onze années, quand notre bon président était Premier secrétaire du PS et en tirait les innombrables ficelles – est devenu salarié permanent du Parti socialiste dès 1991. Sans Hollande, il le serait resté. Avec lui, le voilà devenu ministre et porte-parole. On le voit à la télé. J’espère que cela lui plaît. Dans quatorze petits mois, tout sera en effet terminé.

Qui se souviendra de lui ? Moi. Le monsieur se donne des airs, et promeut en vaines paroles l’agro-écologie quand dans le même temps et par ses actes, il défend la Ferme des 1000 vaches et les pesticides. Les pesticides ? Eh oui ! Comme il a dealé – notez que le résultat politicien n’est pas fameux – avec la FNSEA de Beulin, il n’a plus rien à refuser à l’agro-industrie. Et d’ailleurs, il n’a pas hésité à envoyer une lettre aux députés. Lesquels discutaient ces jours-ci d’une éventuelle interdiction des pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles dans le cadre de la Loi Biodiversité. Dans cette lettre – quelle fourberie, quand même ! – il demandait aux élus de ne surtout pas voter cette interdiction. Laquelle a finalement été obtenue de justesse, avec prise d’effet en 2018.

Voilà en tout cas la situation, et elle est insupportable. Le Foll est un pur et simple bureaucrate du PS, qui fait où on lui dit de faire. Mais le charmant garçon, comme tant d’autres aussi valeureux que lui, aimerait en plus qu’on l’aime. Eh bien, pas ici. Ni aujourd’hui ni jamais. Comme on disait et comme on ne dit plus : il a choisi son camp. Et c’est celui des salopards. Dernière interrogation : l’association Générations Futures ne gagnerait-elle pas à se poser de nouvelles questions ? Quand un combat si ardent échoue d’une manière aussi totale, je crois que le moment est venu de la remise en cause. Comment faire reculer vraiment le poison des pesticides ? Comment ne pas demeurer l’alibi d’un système prompt à tout digérer au profit de son équilibre final ? Oui, que faire ?

Frédéric Wolff n’aime pas l’intelligence des compteurs électriques

Ci-dessous, un message de Frédéric Wolff, que je salue au passage

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Les collectifs contre les compteurs « communicants » s’organisent. Des communes rejettent cette technologie nuisible, coûteuse et déshumanisante, des individus refusent d’être pollués et fliqués. La propagande d’Etat n’endort plus grand monde, à part peut-être les techno-fanatiques.

Y aurait-il de l’eau dans le Gazpar et le Linky ? Le vent serait-il en train de tourner ?

Pour que le vent tourne effectivement, il conviendrait de ne pas en rester là.

Parce qu’enfin, les raisons invoquées pour décliner ces mouchards à domicile sont, à peu de choses près, les mêmes qui devraient nous conduire à bazarder nos smartphones, nos objets connectés et, plus largement, nos mille et une collaborations à la grande machine à détruire.

Alors Linky, smartphone, objets connectés et mode de vie, même combat ?

Toxiques, les compteurs « intelligents » ? Ils le sont, oui, 24 heures sur 24. Ils émettent des radiofréquences dans le circuit électrique des habitations dont les câbles – non blindés dans la grande majorité des cas – ne sont pas prévus pour cet usage. Les compteurs seront également une source de pollution électromagnétique, ainsi que les antennes qui seront installées pour transmettre les index au fournisseur d’électricité via le réseau de téléphonie mobile. Pour mémoire, ces ondes sont déclarées cancérigènes possibles par l’OMS et des centaines d’études ont prouvé leur nocivité (lire ou relire les rapports Bio-Initiative et l’appel de Fribourg, entre autres).

Nos chers portables seraient-ils toxiques, eux aussi ? A plus d’un titre, oui. Les ondes, inhérentes – faut-il le rappeler ? –  à leur fonctionnement, polluent leurs utilisateurs et pas seulement. Tout le vivant est affecté. Les électro-hypersensibles – partie émergée de l’iceberg – subissent une torture quotidienne qui, parait-il, est abolie dans les pays modernes. Pas pour tout le monde, assurément. Il en va de même pour le wifi et les téléphones fixes sans fil. Grâce à eux, on peut irradier tout un quartier et rendre le monde inhabitable, particulièrement pour les personnes, de plus en plus nombreuses, rendues malades à en mourir, parfois.

Mais la pollution de nos smartphones adorés ne s’arrête pas là. Les mines de coltan et autres métaux rares, qui servent à leur fabrication, polluent les terres, les nappes et les rivières ; les déchets de toutes nos quincailleries électroniques empoisonnent aux métaux lourds les sacrifié(e)s de nos petites commodités. Comment peut-on justifier ça ?

Intrusifs, les compteurs connectés ? Et pas qu’un peu. Même la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’en émeut : « Une analyse approfondie des courbes de consommation pourrait permettre de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie des occupants d’une habitation : heures de lever et de coucher, heures ou périodes d’absence, la présence d’invités dans le logement, les prises de douche, etc. » Les voleurs se frottent les mains. Merci qui ? Merci l’Etat et les industriels !

Et nos smartphones idolâtrés, nos réseaux sociaux adulés ? Pire que des indics : des mouchards renseignés par nous-mêmes ! Même la Stasi n’aurait pas osé imaginer ça dans ses rêves les plus fous. Y aurait-il une forme de flicage plus supportable qu’une autre ? Apparemment oui, pour les exaltés de la connexion numérique.

Déshumanisants, les compteurs électroniques ? Aussi ahurissant que cela puisse paraître, c’est l’objectif principal : se passer des releveurs pour récupérer les index en temps réel, pour couper l’électricité à distance en cas d’impayé, pour éteindre certains appareils et lisser les pics de consommation…

Et l’invasion des écrans dans nos vies, le remplacement des humains par les machines ? Un grand progrès pour l’humanité ? Et l’école numérique – en wifi ou en filaire -, une avancée vers la construction de l’humain sans humains, vers des classes sans professeur et des enfants rivés à leurs tablettes pendant les cours et à leurs smarphones durant la récréation ? Et les esclaves de Foxconn où se fabriquent nos cellulaires plébiscités ? Et les puces RFID, la planète intelligente nous réduisant à des données, des flux qu’il faut optimiser, contrôler, piloter. Qui, mieux qu’une machine peut assurer l’efficacité optimale du bétail que nous sommes ? Dans ce monde, l’erreur est humaine ou plutôt, l’erreur est l’humain.

Fragiles, les compteurs innovants ? Incendies, pannes, les préjudices de ce type s’accumulent, les câbles, fils et appareils électriques n’étant pas conçus pour transporter des radiofréquences. Comme ERDF dégage toute responsabilité, comme les assurances excluent des garanties les dommages causés par les champs électromagnétiques, la facture sera payée par les victimes elles-mêmes. C’est nouveau, c’est moderne : la double peine pour les sinistrés, l’impunité pour les coupables ! Quant au risque de piratage, sans doute que nos gouvernants comptent sur la déchéance de nationalité et les assignations à résidence pour dissuader les terroristes de procéder à des black-out – un jeu d’enfant, apparemment – sur notre territoire.

Et la numérisation du monde, l’internet des objets ? Quid en cas de panne électrique, de tempête solaire, de dysfonctionnement technique, de cyber-terrorisme… ? Jamais nos sociétés n’ont été aussi fragiles. Mais qu’importe. Droit devant, telle est la devise de nos capitaines de Titanic, pardon, du numérique.

Favorables aux économies d’énergie, les compteurs branchés ? A ce stade, l’imposture est à son comble. Il ne s’agit en aucun cas de réduire notre consommation électrique, mais de rationaliser la distribution d’électricité pour répondre à la croissance des gadgets connectés, des data centers, des voitures électriques, de la maison et de la ville « intelligentes »… Bienvenue dans « l’enfer vert », cher aux technocrates de l‘« écologie » rebelles et tais-toi.

Concernant les smartphones et particulièrement internet dont la consommation d’énergie explose et dépasse celle de l’aviation au niveau mondial, même logique de dilapidation, mêmes mensonges éhontés. Le numérique dématérialise tout : l’humain, le réel et l’énergie qu’il gaspille pour une finalité unique : accélérer la marchandisation, la « servicisation » et la croissance sans limite.

Le numérique, dont les smartphones et internet font partie, est un accélérateur de nuisances. Le « bon usage », la neutralité de la technologie relèvent de l’enfumage. Le bon et le mauvais côté sont indissociables et comment prétendre séparer le bon grain de l’ivraie dans un « système technicien » (Jacques Ellul) qui dicte sa loi ? D’ailleurs, de quoi parle-t-on quand on évoque le « bon » côté ? La logique de ces machines est de se substituer, à plus ou moins long terme, au monde réel et vivant, à l’imprévu, et in fine, aux humains.

En résumé : Pourquoi faut-il refuser Linky ? Pourquoi faut-il rejeter les smartphones et les objets connectés ? Pour les mêmes raisons. Alors, on va jusqu’au bout de la logique ? Chiche !

Retour sur la terre. La contestation s’étendra-t-elle ? Les contempteurs de Linky iront-ils plus loin que la signature d’une cyber-pétition et, pour les plus acharnés, qu’une lettre à leur maire ou qu’un refus du compteur chez eux ? Questionneront-ils leur mode de vie et ses conséquences ? Renonceront-ils à leur quincaille électronique « de destruction massive » ?

Personnellement, j’en doute, au risque de froisser quelques susceptibilités militantes. Pourquoi cela ?

Parce qu’il est plus facile de défiler contre une antenne près de chez soi ou du Linky dans sa maison que de renoncer à son mobile et à son hyper-connexion. Plus largement, parce que, et c’est bien pratique, le capitaliste, c’est l’autre : le banquier, le trader, « la classe de Davos », « les maîtres du monde », « les responsables de la crise », – « leur crise » -, pour reprendre la phraséologie de Susan George, présidente d’honneur d’Attac. Ainsi, il suffirait de mettre hors d’état de nuire ces « maîtres de l’univers » ; ainsi, nous pourrions concilier expansion industrielle, croissance verte et lutte contre le saccage du climat et de la vie sur terre ; ainsi, « nous continuerons à fabriquer des produits résolument complexes, non locaux et de grande dimension, des avions par exemple qu’il faut espérer propulsés à l’hydrogène et respectueux de l’environnement » (Susan George, toujours, cité par Pierre Thiesset). On croirait presque du Mélenchon dans le texte ou, au choix, des suppôts de l’écologie industrielle !

On se sent tout de suite beaucoup mieux, non ? Nous, les 99% de victimes, extérieures au monde industriel et technicien, nous aurions trouvé les boucs émissaires et la solution ultime, entre les mains des ingénieurs et des économistes. On dégage les 1% d’« affreux » et ça roule ! Décroissants, adeptes de la simplicité et de l’autonomie, passez votre chemin, notre mode de vie n’est pas négociable.

Parce que, de tous ces gadgets connectés en tous lieux et à toute heure, nous n’avons pas vraiment envie de nous priver. Dans notre cœur, la balance penche du côté des bénéfices, jamais de celui des coûts ou très rarement. Les nuisances occasionnées, plus ou moins, nous les connaissons, nous y collaborons. Mais surtout, ne pas se prendre la tête. Ne pas interroger notre conscience. Ne jamais poser la question en termes moraux. La morale, c’est réactionnaire, c’est accusatoire. Coûte que coûte, il faut être progressiste. Revendiquer toujours plus de droits, jamais de devoirs ni de limites. Tant pis pour les torturés des ondes, tant pis pour les empoisonnés de nos déchets électroniques, pour les esclaves de nos gadgets, pour les morts des guerres menées afin de contrôler les ressources rares, tant pis pour les derniers gorilles, pour les eaux et les terres saccagées par les ravages miniers, tant pis pour nos vies soumises à la tyrannie des machines…

Parce que, dans nos existences hors sol, déconnectées des saisons, des arbres, du monde réel, des autres de chair et parole, de nos besoins profonds, nous cherchons des ersatz de connexions via les écrans qui nous déconnectent toujours plus de la vie.

Tout cela pour dire quoi ? Que le combat est à mener dans nos vies, avant tout. Que nous n’aurons rien réglé si nous nous contentons de faire dans l’incantation – « Stop Linky » et, dans le genre pathétique s’il en est, « Pour une école numérique sans wifi », « Pas d’antenne près de chez nous, mais nous ne sommes pas contre les portables, hein ! » -, tout en continuant à collaborer ardemment à la machine à dévaster le monde par notre travail, notre consommation, notre style de vie et les technologies que nous chérissons.

Nous avons à reconsidérer nos besoins et à cesser de nous mentir. Nous sommes partie prenante du système capitaliste et technicien. Notre premier devoir devrait être de nous en extraire le plus possible. Il nous faut mener un effort sans précédent de lucidité. Il nous faut prendre conscience de nos dissonances et en tirer des conséquences, essayer au moins, ne pas nous tenir quittes. C’est une épreuve, sans doute. Elle peut donner lieu à bien des tempêtes à surmonter. Enfin, pas de quoi mettre non plus notre vie en péril, comme ont pu le faire les résistants en d’autres temps.

Je ne prétends pas avoir accompli les changements que j’appelle de mes vœux. Qui, d’ailleurs, pourrait revendiquer une telle prouesse ? J’en suis loin. Mais je ne me considère pas libéré de ce devoir : nommer et tenter l’épreuve du réel.

Sinon quoi ? Qu’y a-t-il à espérer sans cette étape, sans changements radicaux dans nos modes de vie ? De quel partage, de quelles solidarités pouvons-nous nous réclamer, quelles valeurs morales peuvent nourrir nos pensées et nos actes, si nous en restons à l’écume des choses ?

Quand 中国 s’empare d’un autre empire, Syngenta

Pas de panique, je ne connais pas le chinois. Pas encore. Mais il m’a paru plus saisissant d’appeler ici la Chine de son vrai petit nom local : ??. Autrement dit : Zh?ngguó . Autrement dit « Pays du milieu ». Notez que j’aurais pu choisir aussi ??, c’est-à-dire ti?nxià, Sous le ciel, mais cet idéogramme-là, qui désigne également la Chine, renvoie à des périodes bien plus anciennes de l’envoûtante – et si longue – histoire chinoise.

Revenons à ce Pays du milieu. J’ai toujours aimé les cartes géographiques et j’ai plus d’une fois regardé de près celles qui sont éditées dans chaque pays. Eh bien, comme par hasard, le pays qui imprime est aussi celui qui se place au centre. C’est vrai de la France. Ce l’était de la défunte Union soviétique, c’est vrai de même de la Chine. Le reste du monde entoure la nation sacrée.

La Chine d’aujourd’hui est un État totalitaire où le pouvoir est exercé par un parti communiste qui n’est rien d’autre qu’un syndicat d’affairistes, mais disposant des méthodes les plus avancées du stalinisme. Dans mon jeune temps fou, j’ai cru avec passion à la révolution sociale, mais sans jamais m’approcher des structures staliniennes françaises – l’insupportable PCF – ni de l’Union soviétique, ni de la Chine maoïste. Par une chance insolente, j’ai vomi d’emblée ces ignominies. Dès 14 ans. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais compris. L’essentiel, je crois.

Si la justice régnait, on le saurait. Si elle régnait, chaque humain saurait que la dictature chinoise a tué de toutes les manières possibles des dizaines de millions d’humains. Par la faim le plus souvent – une faim « politique » -, par le fouet et le knout, par le lynchage. Si la justice régnait, les pauvres imbéciles ayant soutenu cette incroyable monstruosité seraient relégués dans le silence éternel. Certains, qui sont morts, y sont par force, comme André Glucksmann, Jean-Paul Sartre ou Roland Barthes. D’autres continuent de parler, sans avoir apparemment plus honte que cela, comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Serge July, Philippe Sollers, Roland Castro. Ma foi, l’époque, encore plus que d’autres passées, se moque à gorge déployée de la vérité.

Pourquoi parler ce jour du ?? ? Mais parce qu’une entreprise publique chinoise, China National Chemical Corporation – ChemChina – vient de racheter le géant suisse de la chimie, Syngenta, pour quasiment 40 milliards d’euros. ChemChina était déjà un géant mondial, pesant 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Cette transaction en fait de très, très loin, le groupe le plus puissant de la chimie mondiale. Notamment dans le domaine des pesticides.

Ainsi donc, le pouvoir de tuer impunément des millions d’être vivants – dont des hommes – par l’usage des pesticides sera demain, plus encore qu’aujourd’hui, entre les mains d’une société d’État chinoise, d’une société dont le propriétaire est un État totalitaire. Qui ment matin, midi et soir. Qui truque ses chiffres à l’envi. Qui n’a aucun compte à rendre à sa société, pour cause. Le P-DG de ChemChina, Ren Jianxi, est un haut cadre du parti communiste, auquel il doit tout. Entre la santé publique et la sienne propre, que choisirait-il demain ? Je vous laisse deviner.

Encore un tout petit point de rien du tout. ChemChina a acheté il y a quelques années Adisséo, une usine spécialisée dans l’alimentation animale, jadis propriété de Rhône-Poulenc, société nationalisée en 1981. Adisséo a une usine à Commentry, dans l’Allier, où se joue un drame atroce dont la France officielle se contrefiche. Pardi ! ce ne sont que des ouvriers. Au total, depuis 1994, des dizaines de cas de cancers du rein – une affection assez rare – ont été recensés dans un atelier synthétisant de la vitamine A (ici). Il n’y a pas de mystère, grâce à mon cher Henri Pézerat, hélas mort en 2009 (ici) : l’usage de la molécule chimique C5 explique la contamination. Certes, ChemChina n’est pas responsable. Pas de ça. Mais combien d’Adisséo-Commentry se préparent-ils sous couvert du mensonge totalitaire ?

François Hollande, en Majesté de l’imbécillité

Mon livre Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture commence fort bien sa route, et je sais ce que je vous dois, lecteurs et amis de Planète sans visa. Puis-je insister ? Les premiers jours sont décisifs. Autrement dit, si – et j’insiste sur le si – vous avez envie de lire ce texte, le mieux serait maintenant. Voyez.

Grâce à Marie-Josée, qui m’envoie sans cesse de très pertinentes informations, j’ai pu lire l’entretien ci-dessous avec François Hollande, notre président, daté de février. C’est lamentable de la première à la dernière ligne. Nous sommes gouvernés par un imbécile. Écrivant cela, je sais bien que Hollande a sa part d’intelligence, comme quiconque. Mais comment définir quelqu’un qui ne voit rien ? Un aveugle ? Certes, mais pourquoi accabler les aveugles, qui « voient » souvent bien mieux que les autres ? Lui, notre président, préfère regarder ailleurs, ce qui le désigne comme un pauvre homme. Est-ce que je le plains ? Quand même pas. Il est surtout pitoyable. Extrait : « Jamais je n’accuserai l’agriculture d’être à l’origine du réchauffement de la planète ». Comme si une seule personne sensée accusait l’agriculture d’une responsabilité globale ! Ce truc, car c’est un bas truc politicien, lui permet de disqualifier un adversaire imaginaire de manière à mieux étouffer les critiques réels de l’industrialisation de l’agriculture. Bah !

Lundi 23 février 2015 | interview

François Hollande : « Il faut produire plus et produire mieux »

Dans une interview à Agra Presse, le président de la République affirme clairement qu’il est possible de concilier une agriculture compétitive et les impératifs écologiques. Il veut, pour cela notamment, lancer une « stratégie de recherche agricole » et assouplir les contraintes qui s’imposent aux exploitants. Il annonce que « les mesures concernant la pénibilité ne seront pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. »

L’année 2015 est marquée par l’impératif écologique lié au sommet de Paris sur le réchauffement climatique. Quelle mission supplémentaire demandez-vous à l’agriculture d’assumer sur la question environnementale ?

J’invite les agriculteurs à se saisir pleinement des enjeux de la conférence sur le climat. Qu’ils ne considèrent pas l’accord qui en sortira comme comportant des nouvelles contraintes mais comme offrant des opportunités supplémentaires pour promouvoir l’agriculture française. J’ai d’ailleurs veillé à ce que les spécificités du secteur agricole soient reconnues dans la plate-forme du Conseil européen pour la préparation de cette conférence. Notre agriculture, qui est déjà soucieuse de ses émissions de gaz à effet de serre, peut se mobiliser encore davantage pour stocker davantage de carbone dans les sols, conduire une sélection génétique pour produire des plantes plus résistantes à la sécheresse, traiter davantage les déchets agricoles avec la méthanisation.

« Nous avons besoin de réserves et d’équipements qui permettent d’approvisionner en eau nos territoires. »

Jamais je n’accuserai l’agriculture d’être à l’origine du réchauffement de la planète. Mais j’ajouterai toujours que l’agriculture peut contribuer à sa diminution. Il faut produire plus et produire mieux, c’est le sens de la stratégie d’agroécologie proposé par Stéphane Le Foll.

Les agriculteurs ne comprennent pas les procès qui leur sont faits, par exemple dans des cas emblématiques comme le barrage de Sivens ou la ferme des 1 000 vaches. Quelle est votre position sur ce type de dossier ?

Ma volonté est d’éviter des affrontements. Ces conflits ne servent ni la cause de l’agriculture ni la cause de l’écologie. Nous avons besoin de structures agricoles qui, notamment en matière d’élevage, accueillent des regroupements. Mais nous n’avons pas besoin d’usine d’élevage. Ce serait la pire des images pour l’agriculture française. Donc il doit y avoir un équilibre. Les agriculteurs y sont attachés et ils ne veulent pas se faire imposer un modèle industriel qui ne serait pas le leur.

Sur les barrages et l’approvisionnement en eau, la question n’intéresse pas uniquement les agriculteurs. Elle est posée à l’ensemble des territoires qui connaissent des risques de sécheresse. Nous avons besoin de réserves et d’équipements qui permettent d’approvisionner en eau nos territoires. Pas simplement l’espace rural. Encore faut-il que les projets soient à la bonne taille, sur les meilleurs lieux et qu’ils puissent avoir été concertés pour qu’ils ne soient pas contestés. Il est paradoxal d’attendre qu’un équipement soit presque en chantier pour le bloquer. Et que surviennent en plus des débordements de violence comme à Sivens. À la suite de ce drame, j’ai pris deux décisions. La première consiste à améliorer les conditions du débat public pour ce type d’investissements ; la deuxième vise à réduire les délais. On ne peut pas avoir des projets qui sont décidés à l’année N et qui s’exécutent à l’année N+10, dans la colère et la frustration.

Ne faudrait-il pas davantage de régulation des marchés pour permettre aux agriculteurs de mieux répondre aux exigences environnementales ?

D’abord, la France a obtenu en 2013 une renégociation de la Pac qui était, à bien des égards, inespérée. Autant en ce qui concerne sa place dans le budget européen que ses modalités d’application. Nous avons pu renforcer la régulation des marchés, augmenter le couplage des aides tout en introduisant le verdissement. Mais face à des cours de plus en plus volatiles et qui sont insupportables pour beaucoup de producteurs, nous devons, à crédits constants, réguler davantage. Les pouvoirs de la Commission européenne ont été renforcés, elle doit s’en saisir. J’ai donc écrit au président (de la Commission européenne) Jean-Claude Juncker pour que des mesures de gestion des marchés soient prises. L’Europe doit adopter rapidement une décision concernant le stockage privé pour la viande porcine pour redresser des cours particulièrement bas et pour compenser les effets de l’embargo russe. C’est la pérennité de nombreuses exploitations qui est en cause.

« J’ai écrit au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker pour que des mesures de gestion des marchés soient prises. »

À ce sujet, après l’accord de Minsk, s’il est respecté, peut-on espérer une prochaine levée de l’embargo russe ?

Depuis plusieurs semaines, j’ai engagé des démarches auprès des autorités russes pour une levée progressive de cet embargo. Si je m’engage autant pour la paix en Ukraine, c’est bien sûr pour que nous en terminions avec une guerre qui a déjà fait plus de 5 000 morts. Mais c’est aussi pour que nous retrouvions des relations amicales et commerciales avec la Russie. J’ai l’espoir que si l’accord de Minsk se confirme – mais nous avons beaucoup d’incertitudes dans cette période – nous puissions aller très vite vers une reprise de nos échanges.

Plusieurs pays très compétitifs comme les Etats Unis misent sur des systèmes assurantiels pour le revenu de leurs exploitants. La France ne devrait-elle pas faire un effort plus important dans cette direction ?

Oui. Face à la volatilité des prix, aux désordres climatiques, nous avons besoin de donner aux agriculteurs de la stabilité. Notamment par des mécanismes d’assurance. Mais je ne veux pas laisser les agriculteurs seuls face à des opérateurs privés au risque de les voir supporter encore des charges supplémentaires. Dès la campagne 2015-2016, un « contrat socle » leur sera proposé à un prix abordable grâce à la participation de l’Etat. C’est une solution nécessaire pour diffuser les systèmes assurantiels. L’objectif, c’est une mutualisation des risques. Les producteurs de grandes cultures ont été les pionniers dans ce domaine. Nous devons donc travailler à ce que cette garantie puisse être élargie sans que cela n’affaiblisse les exploitations qui y ont déjà eu recours. Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC. Une des conclusions de la Conférence de Paris sur le climat pourrait porter, justement, sur des systèmes assurantiels sur le plan mondial et régional.

Sur les questions environnementales, les agriculteurs ont le sentiment que la France sur-transpose de manière excessive les réglementations européennes. Ne pensez-vous pas que c’est effectivement le cas ?

« Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC.»

Elle l’a trop fait dans le passé. Elle a ajouté des contrôles aux contrôles et alourdi les charges des exploitants. Or les formalités administratives ont aussi un coût financier. D’où l’ouverture de trois chantiers par le gouvernement : le premier concerne l’environnement et la simplification des règles. Je pense notamment à la définition des cours d’eau mais aussi au régime des installations classées. Un alignement des dossiers d’étude d’impact sur ceux de nos principaux partenaires européens signifiera moins de papiers, des décisions plus rapides, des délais de recours raccourcis. Ainsi, pour les élevages de volailles, le seuil à partir duquel l’autorisation sera nécessaire passera de 30 000 à 40 000 dès juin prochain. Le second chantier a trait à la réglementation sur le travail. Les mesures concernant la pénibilité ne seront de fait pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. En ce qui concerne l’apprentissage des mineurs, des simplifications seront apportées dès le mois de mai.

« Les mesures concernant la pénibilité ne seront de fait pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. »

Le troisième chantier concerne les contrôles pour stabiliser les règles, privilégier les contrôles sur pièces par rapport aux contrôles sur place, favoriser la concertation entre administrations et réaliser sans armes les contrôles sur les exploitations.

…et en ce qui concerne les nitrates ?

Concernant les nitrates, j’ai demandé aux ministres de l’Écologie et de l’Agriculture de revoir les extensions de zones vulnérables par rapport à ce qui était prévu en juin. Précisons que ce n’est pas parce qu’un territoire est classé en zone vulnérable qu’il est impossible à une exploitation agricole de travailler. L’exemple m’est souvent donné de l’Allemagne dont l’intégralité du territoire est classée en zones vulnérables mais dont l’agriculture est tout de même compétitive.

Plutôt que de subir de nouvelles réglementations en matière d’environnement, les agriculteurs demandent surtout des alternatives technologiques et scientifiques. Ne devrait-on pas amplifier nos efforts de recherche en matière agricole ?

Oui. Nous avons l’obligation d’investir davantage dans la recherche. Je veux faire de l’innovation un principe fondamental pour notre agriculture. Nous mobiliserons nos centres de recherche qui sont reconnus sur le plan mondial, l’Inra, l’Irstea, le Cirad. Et nous ferons en sorte de mieux diffuser ces innovations. Les agriculteurs seront eux-mêmes associés à ces travaux et à leur application.

« Concernant les nitrates, j’ai demandé aux ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture de revoir les extensions de zones vulnérables par rapport à ce qui était prévu en juin. »

Dans cet esprit, je veux proposer une stratégie de recherche agricole qui mettra l’accent à la fois sur la compétitivité et sur l’environnement. Elle établira un lien entre les organismes de recherche, l’industrie française et les professionnels de l’agriculture. L’agriculture de demain, c’est l’agroécologie qui va mobiliser aussi bien l’agronomie que la robotique, le bio-contrôle, les biotechnologies et le numérique. C’est aussi favoriser des démarches plus collectives comme les groupements d’intérêt économique et écologique prévus par la loi pour l’avenir de l’agriculture. Savoir que l’agriculture est un domaine d’avenir sur le plan technologique, c’est aussi, pour les agriculteurs, une fierté et une reconnaissance pour ce qu’ils font déjà. Ils expérimentent, ils inventent, ils innovent. Jusqu’à présent, la politique agricole était une combinaison de soutiens aux produits, de compensation des handicaps, de régulation des marchés. Il y aura un nouveau volet dans la politique agricole : il portera sur la recherche et le développement des nouvelles technologies.

« Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC. »

L’an dernier vous aviez eu un discours très encourageant à l’égard des biotechnologies et des OGM en particulier. Depuis, il ne s’est pas passé grand-chose hormis une directive européenne qui permet à tout pays membre de l’UE de prohiber les OGM sur son sol.

La réalité, c’est que les consommateurs, qu’ils soient français ou européens, sont hostiles aux OGM qui existent aujourd’hui. Ils les considèrent, à tort ou à raison, comme n’apportant pas d’avantages réels mais comportant au contraire des risques pour l’environnement. C’est pour cela que ce sujet constitue l’une de nos lignes rouges dans la négociation commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis. Mais dans la lutte contre le réchauffement climatique, les biotechnologies peuvent nous permettre d’être plus sobres dans la consommation énergétique, de stocker davantage de carbone, de développer de nouvelles méthodes de production. C’est pourquoi notre pays doit poursuivre son effort de recherche publique sur les biotechnologies, ce qui suppose que les chercheurs français puissent faire leur travail en toute sérénité et conserver une expertise sur ces technologies, de manière à éviter leur mauvais usage, voire dénoncer ceux qui les instrumentalisent. L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole. Le Haut Conseil des Biotechnologies sera un lieu utile pour faire partager ces enjeux à l’ensemble des acteurs.

Les temps sont difficiles pour les agriculteurs. A la veille du Salon de l’agriculture, que pouvez-vous leur dire pour les encourager, si ce n’est les rassurer ?

« L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole. »

D’abord, je suis conscient que pour beaucoup de ceux qui vont participer au Salon, en exposant leurs animaux et en mettant en valeur leurs produits, c’est une période très difficile qu’ils traversent. Je pense aux éleveurs, aux producteurs de fruits et légumes, et même aux céréaliers qui ont connu des baisses de cours tout à fait défavorables à leurs exploitations. Et, pour autant, ils tiennent bon. Ces agriculteurs attendent aussi des actes des pouvoirs publics. D’abord, le pacte de responsabilité s’appliquera cette année à l’agriculture française. Ensuite, 2015 sera largement consacrée à la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune qui va augmenter les compensations dans les zones difficiles.

« Les distributeurs ne peuvent pas demander en permanence des rabais à leurs fournisseurs pour abaisser encore les prix. »

Enfin, pour les éleveurs, la France déploiera tous ses efforts pour lever des restrictions là où elles existent, supprimer les embargos qui n’ont pas de fondement sanitaire.

Pour les agriculteurs qui sont les plus fragiles, des solutions immédiates seront apportées pour alléger leurs charges et leur permettre de passer ce cap.

Mais je ne voudrais pas que cette conjoncture préoccupante nous fasse oublier que la filière agroalimentaire française est performante, dynamique, qu’elle continue à créer de l’emploi, qu’elle est excédentaire sur le plan commercial. Nous allons démontrer encore une fois notre exceptionnel rayonnement en matière agricole lors de l’exposition universelle de Milan.

Les distributeurs devraient-ils être plus souples à l’égard de leurs fournisseurs agricoles et agroalimentaires ?

Les distributeurs bénéficient du CICE (1), ils ont eu les aides du pacte de responsabilité, il ne faudrait pas qu’ils essaient de les toucher deux fois : une fois parce qu’ils sont employeurs et une autre fois parce qu’ils sont acheteurs. Ils ne peuvent pas demander en permanence des rabais à leurs fournisseurs pour abaisser encore les prix. J’ai demandé au gouvernement de veiller à ces compléments de marge et de favoriser des relations contractuelles plus équilibrées entre la distribution et l’agriculture.

(1) Crédit d’impôt Compétitivité emploi

François Hollande appelle les agriculteurs à s’engager dans l’agroécologie

DANS un échange écrit entre la FNSEA et la présidence de la république et diffusé via Actuagri, François Hollande appelle les agriculteurs à s’engager sur la voie de l’agroécologie « pour une agriculture compétitive » et « moins gourmande » en énergie et en pesticides. « On n’avancera pas si l’on ne réconcilie pas l’économie et l’écologie », affirme le président de la République selon des propos rapportés par l’AFP ; « l’enjeu, c’est de tirer parti de la science et des technologies pour valoriser les ressources rares et pour recourir à des produits moins nocifs ; c’est la définition même de l’agroécologie », explique le président de la République. « Les agriculteurs ont déjà fait de grands efforts en matière de respect de l’environnement » mais « je souhaite que se diffusent les bonnes pratiques pour une agriculture compétitive tout en étant moins gourmande en énergies et en produits phytosanitaires », ajoute François Hollande.

HERVÉ PLAGNOL