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Cette bombe P qui a déjà éclaté

Certains d’entre vous connaissent Paul Ralph Ehrlich. Mais je m’adresse à tous, et je dois donc expliquer. Ehrlich est un grand spécialiste des papillons né en 1932. Américain. L’un de ses livres a été beaucoup commenté en France, mais probablement bien moins lu. Il s’agit de la Bombe P, un ouvrage paru aux États-Unis en 1968 et traduit chez nous en 1971. La bombe P, c’est la bombe Population. La bombe démographique, quoi.

On ne peut pas dire qu’Ehrlich y est allé avec le dos de la cuiller. Traçant des lignes et des courbes, il s’est lourdement trompé en expliquant que, dans les années 70 et 80, des centaines de millions d’humains périraient faute de moyens pour les nourrir. Habité par une vision apocalyptique de la situation des années 60, il prédisait donc le pire, qui ne s’est pas produit. Ajoutons que Paul R. Ehrlich n’avait rien de bien sympathique, qui comparait sans état d’âme la prolifération des humains à la multiplication des cellules cancéreuses dans un organisme. En bref, je crois pouvoir écrire que la Bombe P n’est pas une bible humaniste.

Les erreurs d’Ehrlich n’ont pas été perdues pour tout le monde. Des centaines de commentateurs, ennemis de la pensée écologiste, ont fait du professeur leur tête de Turc favorite, rappelant les sombres prévisions de Malthus, auteur du célèbre Essai sur le principe de population en 1798, démenties elles aussi par les faits. La paresse faisant le reste, il est de bon ton désormais de penser et de dire que la bombe démographique n’a pas explosé, et qu’elle n’explosera jamais. La fameuse « transition démographique » serait en route, qui alignerait peu à peu le monde entier sur le modèle familial occidental, basé sur deux enfants par couple.

Bien. Pourquoi cette longue introduction ? Parce que je souhaite vous dire trois mots d’un article lamentable qui a fait la une du supplément Le Monde 2 le 9 janvier dernier. La une, suivie d’un très copieux papier signé par Frédéric Joignot ( il est lisible pour l’heure ici). Je vous en mets par précaution de larges extraits à la suite de mon message, et vous permettrez donc que j’attaque la critique dès maintenant. Cet article est inepte, mais aura reçu l’onction d’un des plus grands journaux de la place. C’est ainsi.

Pour commencer, et c’est le moins grave, il est rusé comme tout. Certains journalistes connaissent fort bien la chanson de la disqualification. L’empreinte écologique ? Au lieu de s’en tenir à ceux qui ont tenté de créer et d’entretenir une nouvelle manière de jauger les activités humaines – l’association Global Footprint, en l’occurrence -, Joignot préfère citer abondamment l’OCDE, qui utilise cet indice. L’OCDE est une institution transationale autant qu’ultralibérale. Vous voyez le truc ? De même, il utilise le repoussoir qu’est Ted Turner, le créateur milliardaire de CNN – les riches ont peur des foules populeuses du Sud, pardi ! – et même « l’inquiétant directeur de la CIA de George W. Bush ».

C’est net : ceux des écologistes qui se posent des questions sur la population du monde ont de bien curieux compagnons. Le reste est pire. Car Joignot ignore rigoureusement tout de l’état des écosystèmes de la planète. Cela ne l’intéresse pas. Il n’évoque – simple exemple – l’état des sols que pour se féliciter des succès de la « révolution verte », qui aurait su les conserver. La réalité, en cette circonstance indiscutable, c’est que les sols empoisonnés en Inde et une poignée d’autres pays par cette fameuse « révolution » sont aujourd’hui dans un état pitoyable. La plupart ont à peu près tout perdu de leur fertilité naturelle. Mais qu’importe à Joignot ? Qu’importe qu’il n’y ait plus de poissons ? Qu’il y ait de moins en moins de forêts ? Que les fleuves et rivières ne puissent plus jouer le rôle qui a été le leur dans l’histoire géologique ? Que le dérèglement climatique ajoute désormais au pandémonium général ?

Qu’importe. Joignot est là pour défendre une pauvre et malheureuse thèse, discrètement scientiste. Selon lui, si tous ceux qui ont parlé avec gravité de démographie se sont trompés, c’est parce qu’ils ne croyaient pas assez dans le progrès. « Autrement dit, note-t-il, l’esprit aventureux et les progrès des techniques, le génie humain, ont désavoué Malthus ». On a le droit d’être scientiste, je n’en disconviens pas. Encore faut-il essayer, au moins pour la forme, de trouver des références. Mais Joignot a encore mieux : le bon vieil argument d’autorité. Lequel est servi dans cet article aux dimensions planétaires par un seul et même personnage : le démographe Hervé Le Bras. Pour l’avoir rencontré et même interrogé, je n’hésite pas à reconnaître qu’il est sympathique et semble très compétent.

Comme démographe. Or les dimensions de la crise écologique commandent d’abattre les frontières entre disciplines, et de rassembler de toute urgence le savoir humain dont nous allons avoir besoin. Le Bras se contente de radoter – il me disait exactement la même chose il y a près de dix ans – et d’affirmer ce que tout le monde sait désormais : l’augmentation de la croissance démographique a ralenti son rythme. Mais 70 millions d’humains supplémentaires peuplent la planète chaque année, et nous serons certainement autour de 9 milliards en 2050. Ce qui est bel et bien une folie de plus, dans une liste sans fin. D’où viendront les céréales ? Les protéines animales ? Quel sort sera fait aux dernières poches de biodiversité ? J’arrête là mes questions, qui n’intéressent en aucune manière Frédéric Joignot. Lui, il a pris parti. Lui, il est courageux. Lui, il sait penser contre l’époque. Lui, il ose ouvrir les vrais dossiers. Lui, il nous prépare des lendemains lugubres.

Au risque de me répéter, j’ajoute que l’écologie seule est un véritable humanisme. Les autres manières de concevoir notre avenir commun, parce qu’elles fragmentent la réalité, parce qu’elles en nient des pans entiers, sont autant de bombes à retardement. Je ne prétends pas qu’il suffit d’être écologiste pour régler les gravissimes problèmes de notre planète. Ni que cela rend plus intelligent. J’affirme seulement, haut et fort, que la prise en compte des limites de l’aventure humaine – l’écologie – est une condition nécessaire des combats qui nous attendent. Indispensable serait plus juste. Vitale serait encore mieux. Je ne comprends pas comment des articles aussi pauvres que celui de Joignot obtiennent une telle place de choix dans la presse sérieuse de 2009. Je ne le comprends pas. Et vous ?

Extraits de l’article de Fréderic Joignot dans Le Monde 2 du 9 janvier 2009

« Autrement dit, l’esprit aventureux et les progrès des techniques, le génie humain, ont désavoué Malthus ».

« Dès qu’on évoque la surpopulation, on ouvre la boîte de Pandore. Vieux démons, angoisse du futur, fantasmes collectifs – peur de l’invasion, du pullulement – jaillissent pour se mêler à des peurs très concrètes. En 1932 déjà, quand la population humaine a atteint 2 milliards, le philosophe Henri Bergson écrivait : « Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars. » En 1948, Albert Einstein mettait solennellement en garde l’Abbé Pierre contre les « trois explosions » menaçant notre « monde mortel » : la bombe atomique, la bombe information, la bombe démographique. En 1971, dans la lignée du Club de Rome, l’écologiste Paul R. Ehrlich, spécialiste des populations d’insectes, publiait le best-seller La Bombe P (Fayard). Il y dénonçait « la prolifération humaine », qu’il assimile à un « cancer » : « Trop de voitures, trop d’usines, trop de détergents, trop de pesticides, […] trop d’oxyde de carbone. La cause en est toujours la même : trop de monde sur la Terre. »»

« C’est patent, la question dite de la surpopulation remue des peurs irrationnelles. Prenons un autre exemple, moins politique. J’ai rencontré plusieurs Parisiennes de 30 ans, en couple ou célibataires, qui se disent bien décidées à ne pas avoir d’enfant. Sans prétendre ici donner une explication univoque – certaines veulent préserver leur « capacité de création », d’autres leur relation de couple, ou leur liberté, ou les trois –, force est de constater : la surpopulation est revenue à chaque fois dans nos entretiens, mêlée à des analyses inquiètes sur l’état de la planète. Tout comme dans le livre best-seller de Corinne Maier, No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant (Michalon, 2007), où une des raisons invoquées est : pourquoi ajouter un enfant à un monde surpeuplé ? ».

« « La démographie a toujours été associée à la fin du monde, à la disparition de l’Homme, au Jugement dernier, note le démographe Hervé Le Bras. Procédant par projections, on l’interprète comme des prédictions, toujours catastrophistes. Au début du siècle, en Europe, on s’inquiétait surtout de la dépopulation ! Les Français devaient procréer, il ne fallait pas laisser les Allemands être plus nombreux que nous. Les économistes associaient natalité et prospérité. Dans les années 1970, tout a changé avec les écologistes comme René Dumont, qui prédisaient l’épuisement rapide des ressources. Certains démographes annonçaient alors une population de 12 milliards en 2100. Aujourd’hui, nous revoyons tous ces chiffres à la baisse. » »

« Hervé Le Bras, directeur d’études à l’Institut national d’études démographiques (INED), raconte avec humour comment toutes les prédictions à long terme, bien étayées, sur le peuplement humain – le démographe américain Joel Cohen en a relevé 68 – se sont révélées fausses. Soit, mais aujourd’hui ? Qu’en est-il des prévisions à court terme – à l’horizon 2030, 2050 ? De fait, en moins de 200 ans, l’humanité est passée de 1 milliard d’habitants (au début du xixe siècle) à 6 milliards (en 1999). Entre 1987 et 1999, soit en treize ans, de 5 à 6 milliards. Aujourd’hui, beaucoup des prévisions pour 2050 tournent autour de 8,4 à 9,5 milliards de Terriens – soit 3 milliards d’hommes en plus. Cet accroissement exponentiel qui effrayait tant Malthus s’arrêtera-t-il un jour ? Aurons-nous assez de ressources pour nous nourrir ? Oui et oui. Voilà la grande nouvelle des études récentes. Aujourd’hui, démentant les alarmistes, les démographes décrivent tous, partout autour du monde, une forte baisse de la fécondité des femmes – donc, à terme, de l’accroissement de la population. Selon eux, comme d’après l’ONU, la  » bombe P  » n’explosera pas. Que s’est-il passé ? Simplement, sur les cinq continents, les femmes font moins d’enfants ».

«  » Aujourd’hui, précise Hervé Le Bras, le taux de croissance démographique mondial ralentit. 1,21 % par an en 2006, 0,37 % attendu en 2050. Pourquoi ? Le nombre d’enfants par femme baisse sur les cinq continents. Au Mexique, au Brésil, on tourne autour de 2,2 à 2,3 enfants par famille, 2,4 en Indonésie. En Afrique, si les femmes du Rwanda et d’Ouganda font encore 7 à 8 enfants, au Kenya par exemple, de 8 enfants par femme dans les années 1970, elles sont passées à 4 aujourd’hui. Les renversements de tendance se font très vite. » »

« Si la « bombe P » des malthusiens n’explosera pas, c’est que dans toutes les cultures, sur tous les continents, contredisant nombre d’idées sur l’islam, l’acceptation du modèle de la famille à deux enfants gagne rapidement. Aujourd’hui, si cette révolution des mœurs se poursuit, les démographes de l’ONU tablent sur une population humaine à 8,2 milliards en 2030, 9 milliards en 2050 – et une stabilisation à 10,5 milliards en 2100. La population humaine aura alors achevé sa « transition démographique » : le ralentissement de la fécondité prendra effet en dépit du vieillissement général ».
« Au-delà des angoisses et des peurs, la véritable grande question posée par le peuplement sera celle des ressources : les pays, les sols, la Terre pourront-ils nourrir – et supporter – une population de 9 ou 10 milliards d’habitants ? Ici, un détour s’impose. Dans les faits, parler de population « globale » comme d’un grand cheptel n’a pas grande signification. Comment comparer le mode de vie des habitants du Laos et de la Finlande, à population égale ? De l’Algérie, terre d’émigration, et du Canada, d’immigration ? Aujourd’hui la natalité des pays les moins développés progresse six fois plus vite que celle des pays développés – qui vieillissent et se stabilisent. En 2050, 86 % de la population mondiale habitera un pays pauvre ou émergent – la moitié en Chine et en Inde, dotés d’une politique antinataliste. Les répercussions d’un tel peuplement varieront fortement d’une région et d’un pays à l’autre, selon la fertilité des sols, l’eau, la qualité des terres. Mais surtout selon les politiques des gouvernements – économiques, agricoles, sociales. Le Prix Nobel d’économie 1998, l’Indien Amartya Sen, a bien montré combien la pauvreté et les famines découlent avant tout, non d’une population trop nombreuse, mais du manque de vitalité démocratique et de l’absence d’Etat social. L’Inde, par exemple, a connu des grandes famines jusqu’en 1947, date de son indépendance. Ensuite, le multipartisme, l’existence d’une opposition et d’une presse libre ont permis de prévenir et circonvenir les désastres. Qui plus est, l’Inde nourrit aujourd’hui une population de 1 milliard d’habitants parce qu’elle a réussi sa « révolution verte » – irrigation, conservation des sols, engrais, rendements – grâce à une politique d’Etat résolument tournée vers l’autosuffisance ».

Massacre à la française en Nouvelle-Calédonie

Imaginez, un instant seulement, que nous ne soyons pas les personnages d’une grandiose farce médiatique. Une seconde, le temps de lire ce qui suit. Les associations écologistes dûment agréées – France Nature Environnement, LPO, WWF, Greenpeace, Fondation Hulot – n’auraient pas vendu leur âme à monsieur Sarkozy en échange de risettes. Le Grenelle de l’Environnement, l’une des plus belles entourloupes que je connaisse, n’aurait pas eu lieu. Bref, rêvons un court moment.

Alors, une grande bataille commencerait aussitôt. Alors, une pétition de deux à trois millions de signatures au moins flamberait d’un bout à l’autre du pays. Des milliers d’activistes, au lieu de pratiquer du matin au soir le fundraising et autres fundmailing lists *, qui transforment les hommes en spectateurs de la destruction du monde, sauteraient d’une cage d’escalier à l’autre pour alerter sur une énorme, HÉNAURME – merci, cher vieux Jarry – saloperie française.

Je veux parler de la Nouvelle-Calédonie, qui est à nous, puisque c’est écrit dans les livres. La Nouvelle-Calédonie est ce que l’on appelle un « point chaud » ou hot spot de la biodiversité mondiale. Brûlant, même. La notion de hot spot n’est pas une guignolade de plus. Le biologiste Norman Myers l’a introduite dans l’univers scientifique en 1988 en croisant trois données : la richesse en espèces d’un territoire, sa surface, et les menaces que les hommes lui font subir. Et Myers a retenu dans son classement mondial dix-huit « points chauds ». Dix-huit pour la planète entière, dont la Nouvelle-Calédonie.

Étonnant, n’est-il ? Cette île du Pacifique ne fait après tout que 18 000 km2 environ, soit trois fois le département de la Corrèze. Ce n’est donc pas une immensité, je crois que nous serons d’accord. Et pourtant, cette île est « notre » archipel des Galápagos, une merveille si impressionnante que j’en frissonne un peu en écrivant son nom.

Pour bien comprendre, considérons ensemble l’histoire, géologique s’il vous plaît. Vestige de l’ancien continent appelé le Gondwana, dont elle s’est séparée il y a 70 millions d’années, la Nouvelle-Calédonie a embarqué au cours de sa lente dérive une sorte d’Arche de Noé de la flore de cette lointaine existence. Certains pensent qu’elle a pu être engloutie à certaines époques, d’autres qu’elle a toujours eu au moins une partie émergée, ce qui expliquerait qu’elle ait conservé de telles reliques du temps des dinosaures. Pendant un temps immensément long, la Nouvelle-Calédonie a vécu dans un isolement complet.

Presque complet. Certaines espèces de la faune et de la flore ont pu atteindre les côtes kanakes depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Mais pour l’essentiel, l’héritage provient du Gondwana. Des espèces, mais aussi des genres, et mêmes des familles – au sens taxonomique – n’habitent que la Nouvelle-Calédonie. Elles sont dites endémiques : on ne les trouve nulle part ailleurs sur terre. J’arrête là le cours, ou plutôt je l’abrège : parmi ces merveilles, l’Amborella, vieille d’au moins 130 millions d’années et considérée souvent comme la plus archaïque des plantes à fleurs sur terre.

Donc, une merveille comme on n’en retrouvera jamais, quoi qu’on fasse. Quoi que veuille notre immense Nicolas Sarkozy. Et elle est saccagée d’une manière innommable et scandaleuse. Par nous, les Français qui aimons tant donner des leçons à l’univers. Cela n’a pas commencé avec la droite, pensez, et cela ne s’arrêtera pas à son départ. Le nickel, cette malédiction, est en train de détruire ce que l’évolution a mis des millions d’années à imaginer, dans sa folie créatrice.

Le nickel. La Nouvelle-Calédonie contient environ 20 % des réserves mondiales. Un Eldorado pour transnationales. Un enfer pour la nature. Je viens de recevoir une étude passionnante de deux chercheurs, Bertrand Richer de Forges et Michel Pascal. Elle a paru dans Le Journal de la Société des Océanistes, mais ne sera mise en ligne qu’en 2011 (ici). D’ici là, je crains qu’il ne faille me faire confiance sur son contenu. Que révèlent ces deux vaillants chercheurs – je les salue, ils le méritent – sur le drame en cours ? D’abord, la stupide exploitation forestière a fait disparaître, en un siècle, les deux tiers de la couverture d’origine. Combien d’espèces à jamais disparues ? Des centaines, des milliers ?

Ensuite, l’exploitation minière, dont les sites mais aussi les prospections fragmentent et font disparaître des habitats entiers. La Nouvelle-Calédonie est en effet le paradis du micro-endémisme. Une espèce unique au monde peut exister sur seulement quelques km2. Une piste, un trou suffisent à la condamner à mort. La seule mine de Goro, au sud, a conduit à la destruction des habitats sur plusieurs dizaines de km2, et les zones potentiellement perturbées au sud d’une ligne Yaté-Mont Dore pourraient atteindre 600 km2. Le bilan général est pour l’heure impossible à faire, mais il est épouvantable. La France, notre pays, commet l’irréparable. Je vous livre quelques mots de la conclusion de Richer de Forges et Pascal, qui se passent de tout commentaire : « On est bien loin de la “ bonne gouvernance” prônée par le Grenelle de l’environnement. Il faut, en effet, beaucoup de cynisme pour qualifier ces exploitations minières de “développement durable” car il n’y a rien de moins durable que les espèces qui disparaissent de la planète ! ».

Je vous le dis, je vous en prie, si vous pouvez, criez. Hurlez. TOUT DE SUITE.

* il s’agit de méthodes marketing qui permettent de lever des fonds auprès des particuliers. Par démarchage, notamment électronique, par la grâce d’Internet. Avec variantes jusque sur les places publiques. Le résultat est connu : des milliers de gens paient pour regarder des salariés (et quelques bénévoles) d’ONG mimer la contestation du monde. Faut-il applaudir ce triomphe du spectacle et de la délégation ?

Ça se passe comme ça chez McDonald’s

Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez tout de lui. Lui. François Villon. Mon Dieu, ai-je le droit de l’écrire ? Il est pour moi un frère lointain. Un voyou. Un authentique truand du XVe siècle. Un incroyable et frénétique rebelle à l’ordre en place. Né en 1431, il blesse mortellement, au cours d’un duel, celui qui – peut-être – lui aurait disputé le cœur d’une belle. Je le reconnais, cela ne se fait pas.

Pour parler sans détour, Villon n’aura jamais fait que le con, tout au long de sa vie repérable. Il est probable qu’il s’acoquina avec les Coquillards, une bande connue de malfrats, mais les preuves réelles manquent. Le sûr, l’à-peu-près certain, c’est qu’après 1463, Villon disparaît définitivement. Qu’est-il devenu ? A-t-il vécu ? A-t-il été pendu quelque part ? Mystère. À trente-deux ans, rideau.

C’est à lui que j’ai pensé tout à l’heure, de façon acrobatique, j’en conviens. Je découvrais un entretien avec Steven Chu, le nouveau secrétaire d’État à l’énergie des États-Unis. Prix Nobel de physique 1997, Chu a dirigé le Laboratoire national Lawrence Berkeley, en Californie. On le sait très sensible à la question climatique. On le pense même écologiste. Certains, dois-je aussitôt ajouter.

Eh bien, pourquoi ce cher Villon ? L’un de ses poèmes les plus connus, La Ballade des pendus, commence de la sorte :

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.

Il y a un rapport, en tout cas pour moi. J’y lis la considération réelle d’un homme – il est alors en prison, si je ne me trompe – pour ceux qui viendront après lui. Et comme il sait ce que nous sommes, il ne demande que peu. Que le cœur de nos descendants ne soit pas trop endurci contre nos innombrables faiblesses. Qu’on nous pardonne un peu, un tout petit peu. Que l’on nous prenne en pitié, s’il le faut !

Chu, donc. L’essentiel de la presse mondiale, fût-elle (autoproclamée) sérieuse, prétend que la nomination de Steven Chu change la donne. Eh bien, ce n’est pas vrai. Chu est, à sa manière, qui diffère du commun, un scientiste. Un scientifique profondément convaincu que la technologie sauvera le monde de ses insupportables contradictions. Il ne sait ce qu’est une société. Il ignore ce qu’est la justice. Il est incapable de comprendre qu’un monde qui ne lève pas ses milliards de gueux pour changer le cours des choses n’a pas une chance devant lui. Bref, ce très brillant esprit est un imbécile. Mais chut ! il ne faut pas dire cela. Un Villon, je vous le jure, aurait sans douté écrit cette vérité plus entière : Chu est un connard. Il l’est.

Il l’est. Voici un extrait d’un entretien accordé au journaliste du Nouvel Observateur Claude Soula quelques jours avant d’être nommé par Obama. Lisez lentement. Moi, j’en souffre lentement, je vous le dis (ici) :

Le Nouvel Observateur – On dit que vous avez réorienté le Berkeley Lab sur l’environnement ?

Steven Chu – Depuis les années Carter, la recherche sur les énergies non fossiles était au point mort. Il fallait donc inciter nos meilleurs cerveaux à se pencher sur la question. Avec le projet Helios, nous travaillons sur les biocarburants de deuxième génération, les panneaux solaires avancés, les matériaux de construction écologiques, la capture et la séquestration du carbone… Cela représente plus du quart de notre budget annuel (650 millions de dollars).

N. O. – A vous entendre, l’environnement est « la question la plus importante que la science et la technologie aient jamais eu à résoudre »…

S. Chu – Il est bien sûr important de faire progresser la science médicale. Si nous n’arrivons pas, par exemple, à soigner tel cas de cancer du cerveau, certains malades mourront. Mais si on ne résout pas la question environnementale, c’est l’humanité entière qui souffrira. S’il y a, comme le prédit le rapport Stern, 50% de chances pour que la température augmente de 5 °C dans cent ans, des millions de gens mourront, des milliards deviendront des réfugiés climatiques, des espèces disparaîtront…

N. O. – Vous avez signé avec British Petroleum un contrat de recherche à 500 millions de dollars sur dix ans. Pour quel objectif ?

S. Chu – Nous travaillons sur les biocarburants dérivés de plantes, à la fois à travers ce partenariat et dans un nouveau centre de recherches financé par le ministère de l’Energie. Les biocarburants de première génération, comme l’éthanol de maïs, n’ont pas un bilan énergétique satisfaisant. Ils entrent en compétition avec les cultures alimentaires. Les biocarburants de demain seront fabriqués à partir de la cellulose de déchets végétaux ou de plantes dédiées, utilisant peu d’eau, pas de fertilisants, sans vocation alimentaire. Par exemple les pailles de riz, les résidus forestiers, ou certaines graminées tropicales comme le miscanthus. Produire ces biocarburants à un coût intéressant demande des percées scientifiques majeures, notamment en biologie synthétique.

N. O. – C’est-à-dire ?

S. Chu – II faut fabriquer de nouvelles formes de communauté microbienne, capables de déstructurer la cellulose des plantes et d’optimiser le processus de fermentation des sucres libérés. Nous étudions de près les micro-organismes qui prolifèrent à la surface des marais tropicaux ou colonisent l’estomac des termites.

Vous ferez le commentaire qui vous convient. Vous êtes assez grands, ma foi. Mais voici le mien, qui pourrait emplir un livre. Rassurez-vous, ce sera plus court. Cet excellent M. Chu note comme en passant que les biocarburants actuels « entrent en compétition avec les cultures alimentaires ». Et non pas pour clamer cette évidence humaine qu’on ne peut admettre leur déferlement. Qu’on ne peut admettre qu’Obama soutiendra de toutes les forces de l’Empire la culture de maïs destiné au réservoir des SUV et autres 4X4 de là-bas (ici). Oh non, M. Chu est bien trop intelligent pour laisser parler son cœur et son âme. Pensez donc.

M. Chu songe déjà aux biocarburants de deuxième génération, pour l’heure purement virtuels. Qui ne servent qu’à la propagande en faveur de ceux de la première génération. Ceux qui affament les vrais pauvres du monde. M. Chu, comme tous les gens de sa misérable caste, nous promet donc que, dès demain, on rasera gratis. On séquestrera le carbone, on capturera l’énergie du soleil au lasso, et l’on continuera à bouffer du McDo sans faire progresser l’artériosclérose.

Ô Frères humains qui après nous vivez.

PS 1 : Je dois ajouter que l’orthographe de la Ballade des pendus est fluctuante, ce qui n’étonnait personne à cette époque. J’en ai donné une version, il en est d’autres. J’ai par exemple écrit cœurs, alors que j’aurai pu mettre cuers. Mais alors, on n’aurait plus rien compris. Il me semble.

PS2 : Je viens de changer un mot dans le texte qui précède. Par une terrible erreur – de bonne foi -, j’ai attribué le mot de marlou à ce diable de Villon. Or marlou – remplacé depuis par truand – est un mot parfaitement déshonorant puisqu’il désigne un proxénète. Ce que Villon ne fut jamais, à ma connaissance en tout cas. Je dois avouer que j’avais oublié dans un premier temps le sens du mot marlou. Je pensais qu’il voulait dire louche et même pire. Mais certainement pas maquereau. J’ai ainsi calomnié Villon par un épouvantable lapsus scriptae. Qu’il veuille bien me pardonner.

Cette chose qui ressemble à la viande (sur le clonage)

C’est un truc de ouf, comme dit notre saine jeunesse. De fou, aucun doute. Pendant le désastre financier en cours, les travaux de démolition continuent exactement comme avant. Je ne dirais pas que je suis surpris, non, mais révulsé, un peu tout de même. Vous allez juger sur pièces.

Petit un, les Américains sont en avance. C’est une antienne, une vieille scie que tous les crétins du monde – ils sont nombreux – reprennent en choeur depuis des éternités. En avance sur quoi, par rapport à quoi, et pour quoi ? Cela n’a pas l’ombre d’une importance. En avance, cela suffit bien.

Petit deux, fort logiquement compte tenu de la place de l’Empire sur terre, ce qui est imaginé là-bas débarque tôt ou tard chez nous. Ce n’est pas tout à fait faux. Or la Food and Drug Administration (FDA), puissante agence fédérale, a donné dès janvier 2008 son feu vert à la commercialisation de la viande. Je ménage mes petits effets, pardonnez-moi. D’une certaine viande. Une viande clonée (ici, en anglais). Ah.

La FDA est une grande puissance publique, dont nous n’avons pas tout à fait l’équivalent. Elle est en quelque sorte la loi commune, et après avoir analysé des centaines d’études pendant des années, la FDA a donc annoncé au début de l’année que le lait et la viande des animaux clonés étaient aussi safe, aussi sains que ceux des bestiaux plus ordinaires. À ce stade de l’affaire, je n’ai déjà plus beaucoup besoin d’un éclairage. Car sincèrement, je vois comme si j’y étais la machine de guerre de l’agriculture industrielle américaine. Celle qui a vendu à l’Europe ruinée de 1945 le fabuleux triptyque tracteurs-engrais-pesticides. Celle qui a dévasté le monde avec la révolution verte et les OGM. Celle qui ne peut survivre que par la fuite en avant perpétuelle. Celle qui est toujours en avance d’un coup tordu sur ses concurrents.

À ce stade, je vous le dis, je n’attends plus qu’une chose. Que le premier bateau débarque la première carcasse à Brest ou Lorient, clonée à souhait. D’autant – comme c’est heureux ! – qu’aucun test n’existe qui permettrait de distinguer une viande-Frankenstein d’une bidoche habituelle. Donc, seule question qui vaille : quand ?

Eh bien, la réponse n’a rien d’évident. Car l’Europe, cette fois, est tentée par la résistance. À mon sens, sûrement pas pour les raisons qui seraient les miennes. Certainement pas pour la raison évidente qu’il est infâme, criminel, délirant même de créer de la viande de boucherie à partir d’animaux industriellement dupliqués. Je crois pour ma part, et si je me trompe, je m’en excuserai auprès des nos Excellences, que l’Europe n’est pas encore dans le coup. Commercialement, politiquement, socialement, psychologiquement. Qu’elle est en retard, en somme.

Que j’aie raison ou tort, le fait est que la Commission européenne est en train de mettre en place un dispositif. Un machin susceptible de justifier un éventuel refus d’une future importation de viande clonée américaine. Elle s’appuie pour cela sur un grand sondage mené dans toute l’Union européenne (ici) qui, par extraordinaire, donne peut-être et pour une fois de précieuses indications.

Je résume : 81 % pensent qu’on ne connaît pas les effets à long terme du clonage animal et 84 % estiment logiquement que les conséquences sanitaires d’une consommation par l’homme de cette viande restent incertaines. Plus marquant encore : 58 % des Européens interrogés condamnent la création d’animaux clonés à des fins alimentaires (lire ici). Pour eux, cette technique est et « sera toujours injustifiable ».

Racontée de la sorte, l’histoire semble d’une simplicité biblique. Les citoyens de notre vaste Union ne veulent pas entendre parler de cet immondice. L’Europe démocratique, qui est comme on sait à leur service exclusif, les protégera contre l’hydre marchande, et nous ne mangerons pas, ni jamais, de viande clonée.

J’aimerais beaucoup croire à ce conte de fées, mais je dois avouer comme un doute. La mécanique qui a changé l’agriculture  en industrie a fait des animaux, qui sont nos frères, des machines et des objets. Le mal comme le malheur sont dans les élevages concentrationnaires. Nous avons accepté sans réfléchir, il y a quarante ans, d’applaudir aux cages et clapiers de l’enfer. J’ai peur, mais réellement peur, que la viande clonée soit le prochain rendez-vous de notre déchéance.

Tazieff, Cousteau et Lorius au café du Commerce (génial !)

Rendons d’abord à César ce qui lui appartient, d’autant que la chose est sublime. Michel R.Tarrier est un naturaliste, excellent connaisseur du Maroc, et il est aussi un essayiste virulent. Je reçois, comme d’autres, certains de ses (vifs) messages par le net, dont le dernier m’a carrément soufflé.

Figurez-vous que Tarrier a dégotté un extrait vidéo d’une émission de la télévision française, datée du 4 septembre 1979. Pour les vieux tromblons dans mon genre, il me suffira de prononcer le nom de Joseph Pasteur, haute figure de ces années-là, pour me faire comprendre. Et pour les autres, il faudra regarder ce morceau d’une émission-phare des années 70, Les dossiers de l’écran (ici), qui ne dure jamais qu’un peu moins de six minutes.

Nous sommes dans l’anthologie, prière de mettre les patins avant d’entrer au salon. Sur l’écran, de gauche à droite, Claude Lorius, Haroun Tazieff, le commandant Cousteau, Joseph Pasteur. Paul-Émile Victor est caché. De quoi parle-t-on ce soir ? De l’Antarctique. Mais dans le morceau choisi, de…réchauffement climatique. Et c’est tout simplement génial.

Quelques mots de présentation. Lorius est alors un de nos grands glaciologues,  spécialiste incontesté des raids en Antarctique. Il a l’air jeune. Je le dis, car je l’ai interrogé il y a deux ans, et nul doute qu’entre-temps, il avait vieilli. Donc, Lorius. Faut-il présenter Tazieff ? D’abord ingénieur agronome, il deviendra volcanologue et sera pendant des décennies une vedette de la télé. Bon, j’en ai souvent fait ma tête de Turc, et si vous voulez savoir pourquoi et que vous avez une patience d’ange, lisez donc ceci. Quant à Cousteau, qu’ajouter ? Tout de même cela : sa formation est celle d’un officier de marine (canonnier, je le jure), point. Et il a également été espion à partir de 1938 au moins. Le reste, vous le savez comme moi : les films sous-marins, la Calypso, les appels au sursaut.

Venons-en au petit film. Pasteur pose une question, inquiet de l’activité volcanique. Pourrait-elle, avec des conséquences majeures, faire fondre les glaces alentour ? À cet instant grave, Tazieff le cabotin s’empare du micro. Un régal. Car il a décidé de faire flipper son monde, ce qu’il commande à volonté. D’un geste ample du bras – façon générosité sans frontières -, il lâche : « Ce ne sont pas les volcans, qui pourront le faire, c’est la pollution industrielle ». En particulier, le gaz carbonique. Ah, on savait cela en 1979 ?

Tazieff atteint vite au magnifique, qui se révèle burlesque. Se tournant vers Lorius, le seul scientifique de l’aréopage,  il précise, toujours à propos, du gaz carbonique  : « C’est Claude qui nous disait tout à l’heure qu’il s’agissait de plusieurs dizaines de milliards de m3 de…». À cet instant, moi, Fabrice Nicolino, qui suis bon public, j’éclate de rire. Car évidemment, Tazieff ne sait de quoi il parle. Et Lorius, légèrement pincé tout de même, le reprend : « Non, il s’agit de 20 milliards de tonnes de CO2 que l’homme rejette chaque année à la suite de ses activités ».

Permettez-vous ? Tazieff n’est au courant de rien. Il est surtout très satisfait d’être soudain le centre de l’attention, ce qui est toujours agréable. Il ne sait rien, mais d’une manière dérangeante et même stupéfiante, il va peu à peu décrire pour nous – en 1979 ! – le scénario même de la crise climatique dans laquelle nous sommes plongés en 2008. Car il ajoute aussitôt : « Ce gaz carbonique risque de changer l’atmosphère en une espèce de serre ». Vous avez bien lu.

Aussitôt, Cousteau grogne : « Ah, ça, c’est du baratin ! ». Regardez Tazieff à ce moment précis. Il a un rictus gêné, et soulève ses mains comme pour s’excuser de ce qu’il vient de commettre. Il est, il me paraît en tout cas manifeste qu’il ne croit guère ce qu’il avance. Mais il continue pourtant, ajoutant, après quelques divagations des uns et des autres : « Il pourrait y avoir un effet de serre général par réchauffement de 2 à 3 degrés de la température. D’où fusion d’une énorme quantité de glaces, tant au nord qu’au sud, et même des glaces de montagne. 2 ou 3 degrés suffisent pour faire monter les eaux, entraînant la noyade de toutes les côtes basses ». Adieu, ajoute-t-il, à New-York, Le Havre, Marseille.

Lorius, le seul vrai savant du lot, s’insurge, et rappelle l’étonnante stabilité des glaces de l’Antarctique, qui n’auraient pas bougé depuis des millions d’années. Et laisse entendre clairement qu’il ne croit pas au réchauffement. Tazieff repart au combat, sous les yeux effarés de Pasteur, qui redoute que les braves spectateurs de l’émission ne s’évanouissent de peur. Haroun met en cause directement l’industrie, « qui vient jeter le trouble sur les grands rythmes naturels ».

Cousteau, alors révulsé, lance: « On commence à me casser les oreilles, avec les histoires de CO2. Il y a des choses bien plus graves, comme les pluies de scories, qui changent la teinte de la glace ». Hélas, le tableau s’achève ici, je n’y peux rien. Quant à chercher la morale de l’histoire, je dois bien avouer ma peine. Mais je vais essayer, puisque je ne suis pas payé pour cela.

Première évidence : en 1979, la vision cohérente de la crise climatique existait. Dix ans avant l’alerte générale. Sauf qu’elle est ici énoncée par un homme qui niera ensuite, farouchement, le dérèglement climatique, et défendra jusqu’au grotesque l’industrie et ses produits les plus dangereux, comme les PCB. Tazieff, on feint de l’ignorer, a terminé sa vie dans un compagnonnage inouï avec les anti-écologistes les plus durs qui soient. En comparaison, Claude Allègre serait un frère d’armes. Pourquoi ces mots, dans cette bouche-là ? Mon hypothèse est que Tazieff les avait glanés de manière inopinée, quelques jours auparavant, et qu’il aura décidé de briller ce soir-là en faisant claquer des dents. Une telle possibilité est conforme à ce que fut cette bête de scène, gravement ignorante dans de nombreux domaines.

Reste cette question, à laquelle je suis incapable de répondre. Qui était, en 1979, à ce point clairvoyant ? Dans tous les cas, cela n’aura servi à rien. Ni à personne. Il est une autre leçon, qui concerne Lorius. Cet homme, sirotant un jour un whisky dans une base antarctique, et voyant éclater dans son verre les bulles d’air contenues dans un glaçon, a eu une illumination. Et si les glaces étaient de parfaites archives climatiques du passé le plus lointain ? Et si, en faisant de longs carottages des glaces de l’Antarctique, on retrouvait, piégées en profondeur, des bulles d’un air vieux de centaines de milliers d’années ? Je vous passe les détails, mais petite cause – le whisky -, grandes conséquences. Les carottages ont fini par révéler l’essentiel du drame climatique en cours. Et précipité l’alerte mondiale en 1988.

Or donc, Lorius, le grand sceptique de la télé, en 1979, est aussi celui – avec quelques autres tout de même – qui aura alerté l’humanité sur la réalité du réchauffement général. Cela fait réfléchir. L’un des plus grands glaciologues planétaires, il y a trente ans, nie pratiquement que l’Antarctique puisse fondre. Or il fond, en partie du moins.

Et Cousteau ? Eh bien, il se révèle ici un Allègre écologiste. Un homme qui abuse de son statut public pour tenir des propos de Café du Commerce qui ne reposent sur rien. Qu’on ne lui parle pas de C02 ! Qu’on lui parle plutôt de ces terribles scories ! Franchement, ce ton d’autorité pour énoncer de telles conneries…

Enfin, et j’en ai terminé, ce débat de basse qualité mais de grande intensité comique révèle surtout l’extrême confusion de l’esprit des humains. En y réfléchissant comme il faut, je crois que telle devrait en être la principale conclusion. Les hommes étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire ignorants, hâbleurs, arrogants, il ne faut surtout pas les doter d’outils qui dépassent leurs pauvres petites capacités. Il ne faudrait pas. Car c’est fait, vous le savez comme moi. On a confié le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du Cern à des clones de nos trois personnages de la télé. Et la bombe. Et les filets de 100 km de long. Et les nanotechnologies. Et les marchés financiers électroniques, etc. On a confié les clés de l’enfer à de simples couillons qui nous ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Bienvenue dans un monde meilleur.