L’Italie, la Grèce, l’Espagne jadis éternelles

Jamais je ne serai patriotard. Jamais je ne serai nationaliste, cette folie humaine ordinaire qui conduit si souvent à la guerre. Le 16 mai 1971, lors que j’avais encore 15 ans, je manifestais dans Paris pour le centième anniversaire de la Commune de Paris. Et je criais, et je crierai toujours : « Les frontières, on s’en fout ».

Je déteste en bloc – et pire encore – la droite fasciste ou simili qui se développe tant en Europe. Mais aujourd’hui, je pense surtout à nos sœurs du Sud : l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Cette dernière, c’est Athènes bien sûr, cette formidable Antiquité qui nous a tant inspirés. L’Italie, au-delà des imbéciles et criminelles conquêtes des légions romaines, nous a légué la langue latine dont nous venons tous, tant de poètes, tant de visions. Et l’Espagne d’Al Andalus, malgré tant d’horreurs accumulées, a rêvé pendant des siècles la cohabitation paisible entre juifs, chrétiens et musulmans. Je n’oublie pas Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos, Miguel de Cervantes, Lope de Vega, Luis de Góngora y Argote et plus près de nous Federico García Lorca ou Juan Goytisolo Gay.

Quelque chose se passe sous les yeux des crétins nationalistes de là-bas. Le pays qu’ils prétendent chérir plus que tout disparaît à grande vitesse sous la forme qu’ils ont eu pendant des millénaires. Et ils s’en contrefoutent. Ceux de Vox – nostalgique de la canaille Franco – en Espagne; ceux de Fratelli d’Italia, du côté de Giorgia Meloni; ceux d’Aube dorée en Grèce. Tous excitent la haine de l’étranger et tous sont climatosceptiques. Comme ils sont grands.

L’Italie devient un pays tropical. Début juillet, l’édition française du National Geographic se penchait sur un phénomène inouï : « Les collines ondulantes de la Sicile qui abritaient autrefois des plantations d’agrumes et d’oliviers, font depuis bien longtemps partie intégrante du paysage agricole italien. »

Un nombre croissant de paysans de la péninsule – au sud en tout cas – se tournent vers la papaye, la mangue, l’avocat, la…banane. Déjà, la production d’huile d’olive baisse, mais aussi celle du raisin ou du blé. Si l’on ne trouve pas rapidement des variétés de ce dernier plus résistantes au dérèglement climatique en cours, on pourrait – on pourrait – voir à terme disparaître peu à peu le blé de l’Italie. Le blé. La pasta – les pâtes -, la pizza.

Nouvel extrait : « Face à la raréfaction des précipitations et l’augmentation constante des températures, de plus en plus de plantes se dégradent, voire meurent, et laissent ainsi apparaître une couche de terre brute, érodée par le vent et emportée par les pluies occasionnelles. Au fil du temps, ces sols deviennent de moins en moins fertiles, un processus connu sous le nom de désertification. »

Environ 70% de la surface de la Sicile est en train de devenir un désert. Christian Mulder, professeur à l’université de Catane : « C’est comme si 70 % de notre corps était recouvert de brûlures au troisième degré : un tel état serait fatal pour un être humain ».

Le désert. En Espagne, l’agriculture industrielle tape chaque jour un peu plus dans des nappes qui ne peuvent se renouveler à l’échelle de la vie humaine. Et l’Andalousie, cœur nucléaire de ce modèle condamné, fournit fruits et légumes à toute l’Europe. À bas prix, car ce sont les esclaves roumaines, polonaises, marocaines, équatoriennes qui triment sous les serres, enveloppés de nuages de pesticides. Selon l’ONU, 74% de l’Espagne est frappée par des formes diverses de désertification.

Quant à la Grèce, sachez que 159 000 hectares, notamment de forêts, ont brûlé en 2013. En cette toute fin d’été, le bilan est supérieur de 50%. L’Attique, que se disputèrent Poseidon et Athena, l’Attique qui abrite Athènes, devient un désert. La Grèce flambe et sombre, tandis que les touristes envahissent le moindre lieu. La Grèce, bon dieu !

Je sais que parler – écrire – ne sert à rien, ou à si peu. Faut-il arrêter de radoter ? J’avoue que j’y pense. Oh oui ! Mais il est vrai que je ne sais rien faire d’autre. En tout cas, ces bouffons nationalistes – chez nous, de Le Pen à Zemmour, ils ne manquent pas – ne peuvent cacher à mes yeux ce qu’ils sont. Ils n’aiment pas leur pays, non. Ils aiment hurler, détester, bastonner.

3 réflexions sur « L’Italie, la Grèce, l’Espagne jadis éternelles »

  1. Oh, non ! N’arrêtez pas. Je vous lis avec grand intérêt, guettant chacune de vos parutions. Je me sens souvent d’accord avec vous. Vous avez, en tout cas, un grand talent pour exprimer l’indignation que je ressens également…

  2. Et oui : sert à rien. Mais merci. Pronostic gratuit : c’est foutu. Mais, aussi, qu’est-ce qu’on voudrait ? Que ça
    – Homo Sapiens – dure 1 milliard d’années ? Faut bien que ça s’arrête d’une façon ou d’une autre. Le chiant, c’est qu’il y a de la souffrance. . Et merde. HS? HS.

    1. Cher Patrick,

      Vos mots me heurtent. De plus en plus de gens, je le vois, répètent désormais que tout est foutu, sans avoir jamais entrepris le moindre combat authentique. Je ne prétends nullement que vous êtes dans ce cas, mais enfin, il est clair que cette façon de voir et de dire mène droit à l’acceptation de tous les malheurs. En juin 1940, quand les Allemands défilaient sur les Champs-Élysées, les résistants étaient une infime poignée. Et 40 millions de Français ou peu s’en faut acclamaient Pétain. Le combat semblait désespéré. Il l’était, d’ailleurs. Mais fallait-il le mener ? Les premiers ignoraient-ils qu’ils allaient aux pires souffrances ? Fallait-il ? Dites-moi, Patrick, fallait-il ?

      Fabrice Nicolino

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