Chapeaux ronds et gros sabots cloutés

Publié par Charlie Hebdo le 5 février 2013

Dessous les Bonnets rouges, des gros patrons. On le savait, mais on ignorait leur amour pour la Russie de Poutine et les hommes providentiels. L’Institut de Locarn prépare des lendemains enchanteurs.

Bien retenir ce nom : Alain Glon. On va voir défiler les Bonnets rouges, Poutine, la fin du smic et d’autres douceurs, patience. Glon, donc.  La légende publicitaire rapporte une histoire  jolie tout plein : en 1947, à Hémonstoir (Côtes d’Armor), le bon papa André découvre qu’on peut fabriquer un aliment pour animaux d’élevage en mélangeant du son et des céréales. Début d’un triomphe qui aura transformé la Bretagne en une porcherie puante, et fait de Glon-Sanders le leader français de la « nutrition animale », avec 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Depuis un an, Alain le fils, qui avait pris la suite d’André, a lâché la boîte, devenue un département du géant Sofiprotéol, lui-même dirigé par le patron de la FNSEA, Xavier Beulin. Compliqué ? Faut pas être jaloux, tout le monde peut pas être riche.

Retraité de l’industrie – il a 72 ans -, Glon n’a jamais autant bossé, car il est le président de l’Institut de Locarn, un machin prodigieusement inquiétant qui regroupe des patrons certifiés bretons. Des petits, mais surtout des gros. Coopagri, un grand de l’agriculture industrielle – 2,3 milliards de chiffre d’affaires en 2012 – en est, de même que EDF, France Telecom, Stef, groupe agroalimentaire de 14 500 employés, etc. Une nébuleuse, dont le comité des Trente, complète la panoplie, qui ne porte pas les couleurs de la République.

Que veulent ces si braves gens ? Officiellement, parler sans langue de bois, comme les courageux entrepreneurs qu’ils sont tous. Mais la France de Dieudonné, de la manif anti-Hollande sur fond de svastika et des Bonnets rouges est malade, tout comme l’Institut de Locarn. Fin août 2010, Glon tient l’université d’été de son truc et balance tout à trac : « Notre problème, c’est la France ». Une France qui serait la victime du bloc oligarchique « ENA-Polytechnique-Saint-Cyr ». En 2012, Glon appelle à soutenir le Parti breton, créé en 2002 par l’ancien RPR Gérard Ollieric. Et puis tout s’enchaîne jusqu’à l’écotaxe et la si étrange mobilisation dite des Bonnets rouges.

Glon et ses petits copains ont joué un rôle central dans toute cette affaire, qui aura vu débarquer en Bretagne cinq équipes de journalistes de la télévision russe officielle Prorussia. Cinq ! Et à l’arrivée, un film en français qui vaut le coup d’œil (1). Pourquoi tant d’amour ? Une explication est proposée par l’éditrice Françoise Morvan dans un reportage de Charlotte Perry pour Mermet (Là bas si j’y suis, 22 janvier 2014). Selon elle, réseaux d’influence et services de propagande sont à l’œuvre : « L’Europe soutient l’Ukraine et la Russie soutient la Bretagne ».

Des liens existent en tout cas entre le régime Poutine et l’institut de Locarn. Dès le 12 décembre 2008, ce dernier organise un colloque consacré à la Russie. Invité unique : un ancien colonel du KGB, Igor Prelin, qui a été le professeur de Poutine. L’invitation précise que « c’est le moment d’envisager de nouveaux projets pour notre Bretagne ». Depuis, les liens n’ont fait que prospérer, par exemple avec Gazprom – le géant gazier -, et le 9 décembre dernier, nouvelle « Rencontre de Locarn », au titre alléchant : « La Russie ré-émergente et l’Eurasie, quelles possibilités économiques pour la Bretagne ? ». Les Grands chefs de l’Institut y ont vanté les mérites de Moscou et assuré que « l’Ukraine n’est pas un pays, et a fortiori pas un État ».

Ce serait folklorique si Glon n’était si représentatif de l’état d’esprit de nombreux industriels bretons. Ce serait distrayant s’il ne rêvait visiblement d’un homme fort comme Poutine à la tête de la France. Trois citations de Glon, pour la route. La première : « Il n’y a plus de compatibilité possible entre nous et les élus ». La deuxième : « L’agro-business breton n’a pas de futur avec la France ». La troisième, à propos d’un smic régional breton : « J’irai plus loin. Il faut rendre la liberté au travail, pour autant qu’employeurs et employés se mettent d’accord au cas par cas, entreprise par entreprise ». Le knout pour tous, comme en Russie.

(1) http://www.prorussia.tv/Journal-hebdomadaire-2-decembre-2013-Special-BonnetsRouges_v645.html

Contre l’agroécologie à la sauce Le Foll

Enfin ! Enfin ! Je vous ai déjà raconté (ici) la farce sinistre inventée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et ses services. Par un hold-up sur les mots, nos productivistes de toujours tentent de faire avaler ce qu’ils osent nommer l’agroécologie. Qui deviendrait dans leurs mains un simple avatar de l’agriculture industrielle, avec les mêmes acteurs bien sûr, dont la FNSEA au premier rang. Je vous signale d’ailleurs que Xavier Beulin – patron à la fois de la FNSEA et du géant industriel Sofiprotéol – prépare pour le 21 février un grand raout appelé États généraux de l’agriculture (ici). Quatre, peut-être cinq ministres iront comme de juste se prosterner.

Dans ce climat écœurant, il est donc heureux de voir, comme vous lirez ci-dessous, que des associations chères à mon cœur et un syndicat paysan itou commencent à relever la tête. Il était temps. Mais il n’est pas trop tard pour se battre sous notre bannière. Car c’est de cela qu’il s’agit : d’un combat. Et notre drapeau est le plus beau.

Collectif agroécologie


Les organisations signataires de ce communiqué* ont décidé de se constituer en « collectif pour une agroécolgie paysanne ». Ce texte de position est un premier pas. Après l’agriculture biologique, le commerce équitable, l’éco-construction, le projet de société dont est porteur l’agroécologie est lui aussi en train d’ être détourné. Notre collectif ne croit pas que la fuite en avant technicienne puisse répondre aux problématiques environnementales et politiques. Il entend défendre les valeurs et promouvoir les initiatives portées par les paysans, les citoyens, et tout acteur du mouvement social
et dénoncer les fausses solutions. Le présent communiqué marque l’amorce d’un travail de rapprochement, de convergence et d’organisation collective. Le collectif est ouvert à toutes les organisations qui se retrouvent dans cette démarche.

– Pour une agroécologie paysanne –
Nous, mouvements sociaux organisés, associatifs, syndicaux et professionnels, affirmons qu’une agroécologie paysanne existe aujourd’hui en France. Nous sommes obligés de la qualifier d’ « agroécologie paysanne » pour la distinguer de la campagne de communication du Ministère de l’Agriculture qui brandit le drapeau de l’agroécologie dans le seul but de mieux camoufler la fuite en avant de l’agriculture industrielle vers la marchandisation du vivant et la bioéconomie.
En effet, les méthaniseurs industriels qui détournent la production alimentaire au profit de la poursuite du gaspillage énergétique, les semis directs avec l’herbicide Round Up® et les technologies génétiques destinées à breveter les semences sont des supercheries qui sont scandaleusement inscrites sous le vocable agroécologie par ce ministère. Par ailleurs, celui-ci, tout en élaborant la loi d’orientation agricole et en se réclamant de l’agroécologie , est en train de valider une loi sur les propriétés intellectuelles qui élargit, par les brevets sur les marqueurs biochimiques, moléculaires ou génétiques, le pouvoir des transnationales sur tous les domaines du vivant, et interdit les semences paysannes et reproductibles !
L’agroécologie paysanne est avant tout un corpus de pratiques vivantes et de mouvements sociaux avec un objectif politique commun : une agriculture sociale et écologique ancrée dans les territoires.
Elle s’inclut dans un mouvement de transformation sociétale global qui touche tous les secteurs d’activité (énergie, transformation, commerce, transport, habitat, éducation, santé, etc). Nous critiquons l’idéologie productiviste, le modèle agro-industriel et même le concept de développement agricole. Le terme de développement est assimilé à la notion de croissance économique illimitée. Cette notion est antinomique avec le vivant dont le développement n’est pas fait que de croissance, mais est contenu par des équilibres dynamiques complexes à tous les niveaux d’organisation.
Appliqué à l’agriculture, le développement est un mirage entretenu par les intrants pétrochimiques et les subventions. Le projet du ministère français perpétue un modèle agricole industriel où le travail humain est taxé, l’emploi est détruit et les intérêts du capital préservés. L’énergie fossile est subventionnée, les impacts négatifs sont à la charge de la collectivité et les bénéfices sont privatisés. Actuellement, nous avons en France 5 millions de chômeurs, dont des paysans sans terre, et 500 000 agriculteurs.

C’est une situation aberrante dans un contexte de réchauffement climatique qui nécessite une réduction de la consommation des énergies fossiles et une augmentation significative de la population agricole. Or depuis les années 80, il n’y a plus d’augmentation du rendement des cultures mais seulement une augmentation de la consommation des énergies fossiles qui remplacent le travail humain par la mécanisation, l’utilisation croissante des intrants chimiques et l’agrandissement des surfaces des exploitations. Seule aujourd’hui une réinstallation paysanne massive est capable de relever les défis
écologiques, alimentaires et sociaux auxquels nous sommes toutes et tous confrontés.
L’effondrement du modèle agro-industriel breton nous invite à regarder la réalité en face : plutôt que de se mettre la tête dans le sable en attendant le retour d’une croissance inaccessible, face à la crise et à la précarité administrée, nous sommes aujourd’hui arrivés à l’heure des choix fondamentaux. La généralisation d’une agriculture écologique n’est pas hors de portée mais constitue un véritable choix politique allant plus loin que de simples évolutions techniques. L’agroécologie renverse la hiérarchie des savoirs, en remettant en cause un académisme qui oppose savoir-faire et connaissance théorique. Les savoirs scientifiques et techniques ne peuvent être dissociés des savoirs et des pratiques populaires ; ils en sont même l’émanation. Les premiers savoirs agronomiques ont été les savoirs et savoir-faire paysans qui n’ont cessé de s’adapter à leur environnement et aux sociétés. Les pratiques qui se revendiquent de l’agroécologie sont vivantes et au coeur des processus créatifs, culturels et sociaux. En s’opposant à la privatisation du vivant, en revendiquant la réalisation concrète des droits collectifs d’usage des communs, elles combattent un modèle économique dominant fondé sur la primauté du droit de propriété.

L’agroécologie paysanne est avant tout un outil de transformation sociale. Cette conception est partagée avec d’autres organisations paysannes et de la société civile dans le monde et notamment la Via Campesina, dans un projet de société nécessairement basé sur la paysannerie. Nous avançons avec une main tendue vers toutes les personnes qui par leur travail salarié, indépendant ou domestique participent à l’économie réelle. L’objectif est de replacer l’humain et la nature au centre des préoccupations sociétales, de sortir de la dictature de l’argent et de la finance.
Nous continuerons à nous retrouver pour construire les bases de nos actions, pour faire poids contre les tentatives d’encadrer, par le travestissement des mots ou la contrainte réglementaire, les initiatives populaires à finalités sociales et écologiques.

*Organisations membres du collectif :

Logos collectif agroecologie

Le ridicule Plan cancer du bon M.Hollande

J’ai honte de nos gouvernants. Ce n’est pas la première fois. Et d’un certain point de vue, cela m’étonne un peu, car je n’attends rigoureusement rien d’eux. Ma rupture avec la gauche ne saurait être plus complète, mais je m’empresse de dire une fois encore que la gauche est une histoire, une invention de deux siècles, et qui n’a pris au reste son sens actuel qu’au moment de l’affaire Dreyfus, il y a un peu plus de cent ans.

Entre Nord et Bouches-du-Rhône

Les formes politiques sont une chose et les valeurs humaines leur préexistent et leur survivent. Moi, je défends ces dernières et conteste radicalement les premières en leur nom. J’espère que c’est suffisamment clair. Je suis du côté de la liberté et de l’égalité, mais de l’égalité pour tous. Je suis pour la fraternité, mais dans une acception qui englobe tous les êtres vivants de cette planète, dont nous sommes certes. Mais les gauches réelles n’ont-elles pas toujours méprisé, au fond, les peuples lointains et les bêtes, et les plantes ?

Fin du préambule. Hollande. Un homme pleinement dépourvu du moindre intérêt pour la nature. Totalement immergé dans une sous-culture politicienne où ne compte, au fond, que le rapport de forces entre courants et territoires. Je rappelle qu’il a été onze ans – 11 ! – secrétaire national d’un mouvement d’une rare médiocrité, le parti socialiste. De 1997 à 2008, le quotidien de cet homme a consisté à arbitrer entre pathétiques factions défendant chacune son bout de gras dans l’appareil. Oui, lecteurs de Planète sans visa, regardez la vie en face, telle qu’elle fut : quand brûlait la planète, lorsque ses équilibres essentiels s’effondraient, M. Hollande ménageait un M.Guérini, dans les Bouches-du-Rhône, ou un M.Percheron, dans le Nord. Et préparait le fameux congrès de Reims – 2008 – au cours duquel les valeureux de son mouvement ont truandé, qui du côté de Martine Aubry, qui du côté de Ségolène Royal, la première gagnant d’une poignée de voix grâce au bourrage des urnes.

Dicky Tricky dans ses œuvres

Fin du deuxième préambule, en vous priant de m’excuser, mais ces phrases m’ont permis de contenir la fureur que je ressens depuis hier, quand Hollande a rendu public son Plan cancer. Vous avez sans doute vu, dans les grandes lignes (ici), ce qu’il contient. 1,5 milliard d’euros pour officiellement réduire les inégalités sociales reliées à cette si terrible maladie. Ce serait burlesque, mais c’est seulement pitoyable. Hollande ressort des chiffres vieux de décennies, qui montrent que des millions de personnes sont exposées à des produits cancérogènes dans le cadre du travail. Mais ces êtres, monsieur le grand Socialiste, sont pour l’essentiel des prolos, dont vous n’avez que foutre. Ce qui n’a pas été fait hier pour eux – s’attaquer au patronat, s’attaquer à la chimie industrielle – ne le sera pas demain. Et l’on rapportera dans dix ans la même chose qu’il y a vingt ans : a moins 10 % des travailleurs morflent du produit cancérigène dès le matin, au boulot.

Le pire n’est pas encore là, oh non ! Commençons par un point d’histoire : en 1971, un certain Tricky Dicky faisait déjà un grand show télévisé, prétendant vaincre le crabe. Tricky Dicky, c’est Richard le Tricheur, c’est-à-dire Nixon, ci-devant président des États-Unis. Il y a quarante-trois ans, donc, Dicky annonce une « guerre totale contre le cancer », qu’il compare explicitement à la mobilisation qui a conduit à la « conquête » de la Lune, à l’été 1969. Des milliards de dollars sont mobilisés, car il s’agit, en toute simplicité, d’éradiquer le cancer avant le bicentenaire de la Déclaration d’indépendance américaine, en 1976. Il faut donc se dépêcher, n’est-ce pas, car Nixon, qui croit encore être au pouvoir pour profiter du triomphe, ne s’est donné que cinq ans. Cinq ans. Bouffon. Qui aura profité des crédits publics ? Les labos, l’industrie, les médecins bien en Cour.

Plus 111 % chez la femme

Chez nous, pareil. Notre roi fainéant Chirac, en 2003, avait lui aussi lancé son petit plan anti-cancer maison. 500 millions d’euros sur cinq ans. À l’arrivée, en 2008, les Verts de l’époque réclament la création d’une commission d’enquête parlementaire, qui ne verra jamais le jour. Il eût été passionnant, pourtant, de comprendre pourquoi ce fric n’avait servi à rien d’autre qu’à nourrir une fois de plus labos et industrie. Car le fiasco est total : selon les chiffres officiels de l’Institut national de veille sanitaire (InVs), le nombre de cancers a augmenté de 107,6 % chez l’homme et de 111,4 % chez la femme entre 1980 et 2012.

La question que tout esprit modérément ouvert devrait poser est bien sûr : pourquoi ? Pourquoi une telle explosion ? Je ne conteste nullement le rôle de l’augmentation de la durée de la vie. Ni d’ailleurs celui du dépistage précoce. Je ne le conteste pas, mais les charlatans qui prennent les décisions, eux, nient effrontément l’une des causes à coup sûr essentielles : la contamination générale de tous les milieux de la vie. Je ne vous ferai pas un cours complet sur le sujet – patience, cela viendra -, mais enfin, il existe des centaines d’études concordantes, qui pointent dans la même direction. L’omniprésence de molécules toxiques dans l’eau, l’air extérieur comme intérieur, les aliments, les sols, les peintures, les vêtements, les cosmétiques, les jouets, dans des milliers de produits de la vie quotidienne est devenue l’une des plus graves questions de notre époque.

Soyons précis : il y a beaucoup d’incertitudes. Et elles dureront. Mais il y en avait pour la clope en 1920. Mais il y en avait pour l’amiante en 1930. Et dans le même temps quantité de signaux sans ambiguïté disaient déjà l’extrême danger. Seules de sordides manœuvres de retardement, lancées par des cabinets spécialisés à la botte de l’industrie, ont fait perdre des dizaines d’années à la société. Et tué du même coup des millions de pauvres couillons comme nous sommes tous.

Il faudrait

La même chose recommence sous notre nez. Lutter réellement contre ce qu’il faut nommer une épidémie de cancers imposerait de mettre en question la liberté d’empoisonner qui est laissée à l’industrie chimique. Ce qui conduirait par entraînement à une refondation morale de la société tout entière. On comprend donc pourquoi Hollande est à ce point couché devant les lobbies de toujours. Mais cela ne console pas. Mais cela n’empêche pas d’insulter dans son for intérieur ce ridicule président de notre pauvre République. En son for intérieur, car l’injure publique – et c’est d’ailleurs normal – mène droit au tribunal. À vous lire.

Comment simplifier les coups de bâton

Publié par Charlie Hebdo le 29 janvier 2014

Les socialos veulent abattre au nom de la simplification des normes des pans entiers de la protection par la loi. Dans le viseur, les (vrais) écolos et le code du travail. Vivement la gauche !

Ami lecteur, peut-être auras-tu entendu parler de la grande entreprise nationale connue sous le nom de simplification. Elle a été confiée au député Thierry Mandon, qui suivra la réalisation de 200 mesures, dont la disparition de certaines régions. Mais ça, c’est l’écume. Reste la vague, et par précaution, sache qu’une calculette te sera utile pour lire la suite. Nous prendrons aujourd’hui le cas du porc, qui est un animal très chieur. Or la Bretagne en « fabrique » 14 millions par an, soit 57 % du total national sur 5 % du territoire. Oui, ça pue.

Sachant que les pollutions provoquées par un seul animal équivalent à celles de trois humains, sachant que le caca des cochons produit chaque jour au moins 133 millions de milliards de bactéries E.coli (1), et que pour le moment on balance tout dans les champs et donc dans les rivières, sauras-tu aider François Hollande à libérer l’entreprise entravée ?

Jean-Marc Ayrault, qu’on prenait pour une simple andouille, est en fait un grand travailleur. Pendant que l’on festoyait d’huîtres et de champagne, le Premier ministre faisait passer en loudecé (JO du 28 décembre 2013) un décret qui permet d’ouvrir une porcherie de 2 000 têtes  sans enquête publique ni étude d’impact. La veille au soir, il ne fallait pas dépasser 450 porcs.

Voilà un exemple de grand progrès explicitement présenté comme une réussite exemplaire de « simplification » des procédures. Mais avant d’entrer dans le détail, signalons de suite que le projet n’est pas né des dernières emmerdes de Hollande avec son scooter. Première sortie en public de ces messieurs avec le rapport Boulard-Lambert. Dès décembre 2012, Hollande demande à Jean-Claude Boulard, maire socialo du Mans, et à Alain Lambert, ancien ministre divers droite du budget, un beau texte sur « l’inflation normative ».

À première vue, il s’agit d’enfoncer une porte ouverte, car il y a vraiment trop de normes inutiles, confuses, contradictoires. Comme on en parle depuis Balzac et peut-être même Homère, personne ne prête attention à ce qui est, d’évidence, un plan. Le rapport Boulard-Lambert laisse entrevoir sa vérité profonde en racontant « l’histoire édifiante du scarabée pique-prune, de l’hélianthème faux alyson et de l’escargot de Quimper ». Pour ne rappeler que le premier, la présence du scarabée a retardé un chantier d’autoroute pendant dix ans. Nos deux compères s’en prennent directement à « l’intégrisme normatif » des associations écolos, soutenus par les Dreal, c’est-à-dire l’administration d’État. Aux chiottes l’État !

Depuis cette date, pas une semaine ne passe sans une déclaration martiale. Le 2 janvier, loi sur la « simplification et la sécurisation des entreprises », qui crée des « zones d’intérêt économique et écologique » sous l’autorité des préfets. Il s’agit de réduire et si possible interdire tout recours contre une installation industrielle en confiant au passage à l’entreprise le soin de faire le plan d’aménagement. Avis sans frais à ceux de Notre-Dame-des-Landes ou de la Ferme des 1000 vaches.

Et puis Mandon. Personne n’a trop fait gaffe, mais dans sa conférence de presse du 14 janvier, Hollande a commencé par citer Ayrault, puis très vite derrière Thierry Mandon, jusqu’ici obscur député de l’Essonne. Ce dernier est chargé de piloter des ateliers de simplification en compagnie d’un certain Guillaume Poitrinal, patron bon teint. Ce n’est pas insulter Poitrinal que de rappeler sa belle carrière entrepreneuriale chez Morgan Stanley, une banque d’affaires américaine poursuivie en justice pour son comportement dans la crise des subprimes.

Rien à voir ? Évidemment ! Mais pour se rassurer complètement, on conseillera le visionnage d’un petit film où l’on voit les deux amis sur le plateau de BFM Business (2). Comme la journaliste, enthousiasmée par ses invités, demande à Poitrinal s’il compte s’en prendre au code du travail, celui-ci répond avec une prudence très méditée : « On cherche tous les points de complexité ».

L’association patronale Entreprise et Progrès – 120 membres, dont l’Oréal -, les a déjà trouvés. Elle organisait le 18 novembre passé un petit-déjeuner de presse sur le sujet. Commentaire du président, Denis Terrien, piqué à l’hebdo Challenges : « Le code du travail, c’est 4 000 articles illisibles et impraticables ». On croirait du Thierry Mandon dans le texte.

(1) Les chiffres sont officiels : http://www.bretagne-environnement.org/Eau/Les-pollutions-et-menaces/Origines-des-pollutions/Les-pollutions-agricoles

(2) http://www.bfmtv.com/video/bfmbusiness/grand-journal/thierry-mandon-guillaume-poitrinal-grand-journal-09-01-3-4-169292/

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Un traité qui arrange bien François Hollande

Cet excellent M.Hollande est au moins raccord avec l’Amérique. Et comme il doit rencontrer Barack Obama à la Maison-Blanche le 11 février, cela tombe bien. Car il se négocie en ce moment, dans une opacité complète, la zone de libre-échange transatlantique (transatlantic Free Trade Area, TAFTA), désormais connue sous le nom de Traité transatlantique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la philosophie de la « simplification » rejoint étrangement celle du traité.

De quoi s’agit-il ? D’un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Europe qui, s’il était signé, comprendrait dans un premier temps 46 % du PIB mondial. Dans un article du Monde Diplomatique (http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803) qu’il faut lire et faire lire, l’Américaine Lori Wallach, combattante historique depuis les lointaines négociations du Gatt, détaille le menu, qui craint comme jamais.

Il ne s’agit pas d’un simple cri, mais d’une déconstruction argumentée de cette immense opération politico-commerciale. Si ces gens gagnent, des transnationales pourront traîner en justice des États qui ne respecteraient pas les normes définies par elles-mêmes. Aussi stupéfiant que cela paraisse, des lobbies à l’américaine, sans aucun complexe, mènent le bal, dans un secret imposé par eux. Wallach cite parmi d’autres la Chambre américaine de commerce et BusinessEurope, d’une puissance inconnue de ce côté de l’Atlantique.

Que cherchent-ils ? Abaisser ou détruire des normes essentielles dans la sécurité alimentaire, l’écologie, le droit du travail. Que promettent-ils ? De la croissance, un peu plus de croissance, de télés, de bagnoles, de cancers. Hollande est pour. La croissance. Mais vouloir l’une, c’est avoir les autres. Il est pour.

Poutine au paradis de la neige artificielle (sur les JO de Sotchi)

Publié par Charlie Hebdo du 22 janvier 2014

Les Jeux Olympiques de Sotchi commencent le 6 février, dans une ambiance délirante, faite de canons à neige et de flicages tous azimuts. Question : les Tchétchènes mangent-ils dans la main de Poutine ?

Applaudissements debout. Le 6 février prochain commencent les Jeux olympiques d’hiver 2014, à Sotchi (Russie). La cérémonie est splendide de bout en bout, Vladimir Poutine et notre grand camarade Joseph Staline saluent la foule à leurs pieds d’un langoureux baiser pleine bouche, à la russe. La vodka et la tête des traîtres à la patrie volent dans l’air refroidi des cimes. La neige fabriquée à coup de canons s’approche tout près des pistes.

La magie Sotchi dure depuis qu’on a découvert à la fin du IXe siècle des sources d’eaux thermales à Matsesta, village tout proche. Sotchi est une station balnéaire, fleurie dès le printemps d’hibiscus et de lauriers roses. Le tsar Nicolas II, avant ses ennuis de 1917, y descendait volontiers en famille. Staline y avait ses habitudes dès 1930, puis Khrouchtchev, puis Poutine soi-même. Maurice Thorez, défunt chef stalinien français, y barbotait avec madame Jeannette, et une plage sur la mer Noire porte toujours son nom, preuve qu’il est utile d’être une serpillière.

Mais ne nous égarons pas. Sotchi. Pourquoi Poutine a-t-il décidé d’organiser un événement mondial en ce point-là de la carte ? À priori, il n’y a pas pire. Un, les archives climatiques donnent une moyenne de 6 degrés au mois de février, ce qui n’est guère favorable aux frimas. Et de fait, les stations dédiées au ski, à 600 mètres d’altitude seulement,  sont et seront alimentées par une neige artificielle. Compter environ 1 m3 d’eau pour obtenir 2 m3 de neige.

Deux, le Caucase, ce gigantesque bobinard partagé entre Russie, Géorgie, Arménie, Turquie, Azerbaïdjan. Si par hasard tu prends ta bagnole depuis Sotchi et que tu longes la mer Noire, tu comprendras mieux. D’abord, il faut entrer en Abkhazie, une crotte de mouche de 240 000 habitants, peut-être bien russe, peut-être bien géorgienne, dont l’indépendance fantoche de 1992 est reconnue par cinq pays, dont la Russie, Nauru et Tuvalu. On ne rit pas.

Si tu arrives à sortir de là, bienvenue en Géorgie. Ce pays compte en son sein une autre entité, l’Ossétie du Sud, qu’elle considère lui appartenir, tandis que la Russie la juge indépendante depuis 2008. Vu ? Mais il y a aussi une Ossétie du Nord, semblant d’État faisant partie de la fédération de Russie. Avec comme charmants  voisins la République de Kabardino-Balkarie, la République de Karatchaevo-Tcherkessie, le Daguestan, l’Ingouchie, sans oublier la Tchétchénie, rattachés eux aussi à la Russie. On laisse tomber le kraï de Stavropol.

Revenons à nos moutons dérangés : pourquoi ce lieu cinglé ? On en restera à une hypothèse, qui tient le coup : Poutine aura voulu montrer qu’il en a de bien grosses. Depuis le début de sa carrière d’ancien kaguébiste (flic du KGB), il n’a cessé d’instrumentaliser les indépendantistes du Caucase, Tchétchènes en tête. On se souvient que, dès le début du massacre des Tchétchènes, en 1999, il avait promis de « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Outre les innombrables morts sur place – le bilan russe officiel parle de 160 000 tués -, il a multiplié des opérations tordues. Par exemple, l’empoisonnement par le gaz et le flingue de 170 personnes en 2002, au Théâtre de Moscou. Par exemple la très étrange attaque contre l’école de Beslan, en 2004, au cours de laquelle 344 civils, dont 186 mioches, ont été butés par les forces spéciales du régime.

Sotchi pourrait bien être une très grande opération de propagande, davantage destinée à l’opinion intérieure qu’à TF1 et ses clones du monde entier. Et en tout cas, comme par enchantement, les vilains et ténébreux islamistes ont réapparu. En juillet dernier, on a pu voir une vidéo de l’islamiste tchétchène Dokou Oumarov, proclamé ennemi public numéro 1 – façon Emmanuel Goldstein, personnage de 1984 -, qui menaçait de tout casser à Sotchi, où se trouvent « les ossements de nombreux musulmans enterrés le long de la mer Noire ».

C’est dans ce cadre, fictionnel ou non, qu’ont eu lieu les 29 et 30 décembre 2013 les attentats de Volgograd, l’ancien Stalingrad, avec des dizaines de morts à la clé. S’il s’agit d’un montage, on comprend pourquoi : Poutine a le plus grand intérêt à montrer sa force dans une région où les « terroristes » frappent sans répit depuis la disparition de l’Union soviétique en 1991. Il a du reste déclaré que les JO de Sotchi sont « le plus grand événement de l’histoire postsoviétique », ce qui prend tout son sens sur fond de contestation croissante de son pouvoir.

Le spectacle des JO, entre le 6 et le 23 février, a  été soigneusement mitonné par les maîtres-queux du FSB, qui a pris la suite du KGB. Témoin, s’il en était besoin, l’incroyable système de surveillance des communications mis au point par Poutine. Le quotidien britannique The Guardian (1) publiait en octobre une belle enquête de deux journalistes russes, Irina Borogan et Andrei Soldatov. Prenant les risques que l’on imagine, les deux kamikazes révélaient l’usage à Sotchi d’une technologie dite SORM (pour System for Operative Investigative Activities), sans cesse améliorée depuis 1990.

Tous les échanges, qu’ils passent par le Net ou le téléphone, seront moulinés, éventuellement enregistrés par le FSB, grâce à un système peut-être plus complet que celui de la NSA, ce Prism dévoilé par Edward Snowden. Tel est en tout cas l’avis d’un connaisseur, le Canadien Ron Deibert, le directeur de Citizen Lab (http://citizenlab.org), pour qui le système installé à Sotchi est « un Prism boosté aux stéroïdes ».

On s’en fout ? Pardi, on s’en fout bien. Loin de toute idée de boycott, mais gêné quand même aux entournures, Hollande a décidé de ne pas se rendre à Sotchi pour la cérémonie d’ouverture. Mais Valérie Fourneyron, cette ministre des Sports que personne ne connaît,  en sera, elle. En bon soldat de l’olympisme-sous-le-knout, elle assure que les JO sont l’occasion « d’obtenir des avancées politiques. Cela s’est produit en Chine et, on l’a encore vu en Russie ces dernières semaines avec des libérations d’opposants au régime ». Poutine en fait déjà dans sa culotte.

(1) http://www.theguardian.com/world/2013/oct/06/russia-monitor-communications-sochi-winter-olympics

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50 milliards d’euros pour buter la panthère de Perse

Les comptes sont délirants. Bien qu’aucun chiffre vérifiable ne soit disponible, les JO d’hiver de Sotchi seront sûrement les plus coûteux – de loin – de l’Histoire. Le régime Poutine reconnaît, pour les seules dépenses d’infrastructures directement liées aux compétitions, 5 milliards d’euros d’investissements. Et au total, une facture de 50 milliards d’euros – les Jeux d’été de Pékin ont coûté 32 milliards -, qui sera peut-être pulvérisée.

Peut-être, car au passage, Poutine et ses potes auraient déjà siphonné 23 milliards d’euros selon l’opposant Boris Nemtsov. Des centaines de kilomètres de routes et de chemins de fer, des stations de ski ex nihilo, 77 ponts et bien entendu le village olympique sont au programme final. Le désastre écologique est aux dimensions du projet. Des forêts entières ont été détruites, des centaines de millions de tonnes de déchets balancés au ravin ou enfouis à la va-vite dans l’une des dizaines de décharges illégales de la région.

Des espèces emblématiques de la région, comme la panthère de Perse, risquent de disparaître, mais les JO ont été proclamés « verts » par Poutine en personne, et la panthère, mascotte officielle, figurera quand même sur les sacs et les colifichets, ce qui est bien l’essentiel.

Les écologistes locaux sont au premier rang de la contestation. Et les plus lourdement frappés. Evegueni Vitichko, par exemple, vient de se prendre trois ans de camp au moment où il s’apprêtait à rendre public un rapport. De son côté, l’ONG Human Rights Watch accuse les principaux sponsors de regarder ailleurs. Parmi eux, Atos, Coca-Cola, Dow Chemical, General Electric, McDonald’s, Omega, Panasonic, Procter et Gamble, Samsung et Visa. Comme c’est étonnant.