Publié par Charlie Hebdo le 5 février 2013
Dessous les Bonnets rouges, des gros patrons. On le savait, mais on ignorait leur amour pour la Russie de Poutine et les hommes providentiels. L’Institut de Locarn prépare des lendemains enchanteurs.
Bien retenir ce nom : Alain Glon. On va voir défiler les Bonnets rouges, Poutine, la fin du smic et d’autres douceurs, patience. Glon, donc. La légende publicitaire rapporte une histoire jolie tout plein : en 1947, à Hémonstoir (Côtes d’Armor), le bon papa André découvre qu’on peut fabriquer un aliment pour animaux d’élevage en mélangeant du son et des céréales. Début d’un triomphe qui aura transformé la Bretagne en une porcherie puante, et fait de Glon-Sanders le leader français de la « nutrition animale », avec 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Depuis un an, Alain le fils, qui avait pris la suite d’André, a lâché la boîte, devenue un département du géant Sofiprotéol, lui-même dirigé par le patron de la FNSEA, Xavier Beulin. Compliqué ? Faut pas être jaloux, tout le monde peut pas être riche.
Retraité de l’industrie – il a 72 ans -, Glon n’a jamais autant bossé, car il est le président de l’Institut de Locarn, un machin prodigieusement inquiétant qui regroupe des patrons certifiés bretons. Des petits, mais surtout des gros. Coopagri, un grand de l’agriculture industrielle – 2,3 milliards de chiffre d’affaires en 2012 – en est, de même que EDF, France Telecom, Stef, groupe agroalimentaire de 14 500 employés, etc. Une nébuleuse, dont le comité des Trente, complète la panoplie, qui ne porte pas les couleurs de la République.
Que veulent ces si braves gens ? Officiellement, parler sans langue de bois, comme les courageux entrepreneurs qu’ils sont tous. Mais la France de Dieudonné, de la manif anti-Hollande sur fond de svastika et des Bonnets rouges est malade, tout comme l’Institut de Locarn. Fin août 2010, Glon tient l’université d’été de son truc et balance tout à trac : « Notre problème, c’est la France ». Une France qui serait la victime du bloc oligarchique « ENA-Polytechnique-Saint-Cyr ». En 2012, Glon appelle à soutenir le Parti breton, créé en 2002 par l’ancien RPR Gérard Ollieric. Et puis tout s’enchaîne jusqu’à l’écotaxe et la si étrange mobilisation dite des Bonnets rouges.
Glon et ses petits copains ont joué un rôle central dans toute cette affaire, qui aura vu débarquer en Bretagne cinq équipes de journalistes de la télévision russe officielle Prorussia. Cinq ! Et à l’arrivée, un film en français qui vaut le coup d’œil (1). Pourquoi tant d’amour ? Une explication est proposée par l’éditrice Françoise Morvan dans un reportage de Charlotte Perry pour Mermet (Là bas si j’y suis, 22 janvier 2014). Selon elle, réseaux d’influence et services de propagande sont à l’œuvre : « L’Europe soutient l’Ukraine et la Russie soutient la Bretagne ».
Des liens existent en tout cas entre le régime Poutine et l’institut de Locarn. Dès le 12 décembre 2008, ce dernier organise un colloque consacré à la Russie. Invité unique : un ancien colonel du KGB, Igor Prelin, qui a été le professeur de Poutine. L’invitation précise que « c’est le moment d’envisager de nouveaux projets pour notre Bretagne ». Depuis, les liens n’ont fait que prospérer, par exemple avec Gazprom – le géant gazier -, et le 9 décembre dernier, nouvelle « Rencontre de Locarn », au titre alléchant : « La Russie ré-émergente et l’Eurasie, quelles possibilités économiques pour la Bretagne ? ». Les Grands chefs de l’Institut y ont vanté les mérites de Moscou et assuré que « l’Ukraine n’est pas un pays, et a fortiori pas un État ».
Ce serait folklorique si Glon n’était si représentatif de l’état d’esprit de nombreux industriels bretons. Ce serait distrayant s’il ne rêvait visiblement d’un homme fort comme Poutine à la tête de la France. Trois citations de Glon, pour la route. La première : « Il n’y a plus de compatibilité possible entre nous et les élus ». La deuxième : « L’agro-business breton n’a pas de futur avec la France ». La troisième, à propos d’un smic régional breton : « J’irai plus loin. Il faut rendre la liberté au travail, pour autant qu’employeurs et employés se mettent d’accord au cas par cas, entreprise par entreprise ». Le knout pour tous, comme en Russie.
(1) http://www.prorussia.tv/Journal-hebdomadaire-2-decembre-2013-Special-BonnetsRouges_v645.html