Hollande, sa Conférence, son foutage de gueule

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 25 septembre 2013

Même pas drôle. Le gouvernement a organisé la semaine passée une Conférence environnementale avec des écolos au pied. Au programme : rien. À l’arrivée : que dalle.

Conférence environnementale. Commencée vendredi, terminée samedi, oubliée dimanche. C’est plus chiant qu’on ne croit à écrire, mais le raout convoqué la semaine passée par Hollande n’aura été que petite politicaillerie. La planète crame pour de vrai, et nos zozos socialos la jouent Quatrième République, donnant un peu à tout le monde. Quelques miettes ici, trois rogatons là. Dernière trouvaille en date : une invention technocratique présentée comme une taxe sur l’énergie, qui pourrait rapporter des merveilles à la saint-glinglin, à moins qu’elle ne disparaisse dans le trou noir du budget de l’État. Ça s’est vu ? Pardi ! c’est la règle.

Commençons par le cadre : ce vendredi 27 septembre, le GIEC devrait rendre public son cinquième rapport sur l’état du climat planétaire. Des fuites annoncent ce qu’on savait déjà : les semblants de digue n’ont pas tenu, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, de même que le niveau des mers et les extrêmes climatiques. On va droit au bordel géant, avec des centaines de millions de réfugiés chassés de chez eux par la montée des eaux ou des températures. Le petit père Pachauri, prix Nobel de la paix et président du GIEC : « Il est minuit moins cinq ».
Pas pour Hollande. Pour notre bon président, ce sera toujours l’heure de lire L’Équipe, dont on sait que c’est une priorité matinale. À côté du classement de la Ligue 2, rien ne vaut. Tout le microcosme « vert » sait qu’il ignore tout, absolument tout, des questions de base posées par la crise écologique. Et que, par-dessus tout, il s’en tape. Ayrault de même. Les Verts idem, qui sont mieux accrochés à leurs banquettes que la patelle à son bout de granit.

La vérité, approximative, est ailleurs que dans les salons. Pour être sûr de bien tenir sa Conférence de pépères, Hollande a fait lourder les rares qui auraient pu gêner les images pour TF1. Le « Rassemblement pour la planète » a ainsi été exclu sans explication, alors qu’il réunit tous les bons connaisseurs des liens évidents entre santé et environnement.

Exeunt l’association « Générations futures », qui est derrière toutes les mobilisations contre les pesticides, ainsi que le « Réseau Environnement Santé » (http://reseau-environnement-sante.fr), en pointe sur tous les sujets. À la place, on a invité huit associations, dont quatre appartiennent à France Nature Environnement (FNE), des gens bien élevés dont 70 % des recettes viennent de l’État et des collectivités locales. Pas de « Générations futures », mais un siège pour les surfeurs si gentillets de Surfrider.

Toute la Conférence aura été du même tonneau. Pendant qu’on faisait semblant de parler agriculture et eau, les vraies décisions étaient prises ailleurs. Le 14 septembre, à Rennes, Ayrault annonçait que les porcheries de moins de 2 000 bêtes n’auraient plus besoin d’enquête publique, ni d’étude d’impact. Avec une simple déclaration, on peut désormais conchier tous les environs. Pour ne pas faire de jaloux, le sous-ministre à l’Agriculture Guillaume Garot rendait visite le 19 septembre au « restaurant » KFC de Paris-Alésia. KFC, rappelons-le, c’est Kentucky Fried Chicken, une chaîne de fast-food qui a une ribambelle de casseroles au cul. Et alors ? Garot était sur place pour contresigner un partenariat.

Même cohérence à propos de la biodiversité. Tandis qu’une table ronde blablatait sur le sujet à la Conférence environnementale, on chantait sur le terrain une autre chanson. Le 15 septembre, le ministère de l’Écologie autorisait les chasseurs à buter des loups dans le Var et les Alpes-Maritimes au cours de leurs simples battues au gibier. Or le Loup est protégé par une convention internationale, et ce feu vert aux tueurs ramène en fait, et tranquillement, au XIXème siècle. Pareil ou presque dans les Pyrénées, où les défenseurs de l’ours en sont réduits à lancer un appel à la surveillance des braconniers (contact : vigie@ferus.org), qui gueulent de plus en plus forts, assurés qu’il sont de l’impunité.

La place manque et manquera toujours pour le reste. Sarkozy avait inventé le Grenelle de l’Environnement. Hollande a sa Conférence. Rien de neuf sous l’implacable soleil. Vert.

Je ne devrais pas vous le dire…

…mais j’essaie d’oublier toutes les misères du monde. C’est difficile, je n’y parviens pas à chaque moment, de loin. Mais quand je nage dans les eaux de l’Atlantique, chaque matin et chaque soir, c’est comme si tout pouvait recommencer vraiment. La vague déferle, le ciel est empli de roses surprises, l’oiseau posé sur l’océan suit le courant et le vent. Il n’y a plus que l’immensité du son et de l’espace.

Oui, je suis dans l’Ouest, et je vous souhaite à vous aussi le meilleur.

Le monde a choisi la cécité (sur le climat)

Pour moi, une journée de deuil, et je ne m’épancherai pas. La crise climatique s’aggrave, elle est peut-être hors de contrôle (ici), nul ne sort dans les rues pour hurler. Cinquième rapport du Giec. Le désastre est déjà là. France-Inter consacre trois minutes à ce drame absolu dans son journal de 13 heures, et puis passe aux choses sérieuses. Madame Duflot surjoue une indignation à propos des Roms qui, si elle était vraie, l’aurait conduite à annoncer sa démission. Voulez-vous que je vous dise ? Sa loi sur le logement, elle peut se la mettre quelque part. Ça vous choque ? Tant pis. Il est bon de temps à autre de vider son sac. L’heure est de toute façon aux ruptures franches, délaissant les susceptibilités. Et quand je parle d’Inter et de Duflot, il s’agit bien entendu des deux premiers exemples auxquels j’ai pensé. Il en est des centaines.

La dernière fois qu’on a osé parler dans ce pays, ce fut à propos de la torture de masse en Algérie. La dernière fois qu’il a fallu risquer sa vie, ce fut contre le fascisme. La dernière fois que l’on a volontairement omis une vérité essentielle, ce fut sur le stalinisme. C’est à cette aune qu’il faut juger l’indifférence de notre époque au vaste dérèglement en cours du climat. Sauf que la stabilité du climat était la condition première de l’existence des sociétés humaines. Sauf que la menace sur tout et sur tous n’a jamais été aussi grande, de fort loin.

Noël Mamère, cocu volontaire et définitif (sur les Verts)

J’ai lu, comme certains d’entre vous, l’entretien accordé par le député-maire de Bègles, Noël Mamère, au journal Le Monde (ici). Il quitte Europe Écologie-Les Verts, mouvement auquel il a appartenu 15 ans. En dénonçant ce qu’il nomme La Firme, groupe supposément soudé par l’intérêt politicien autour de Cécile Duflot, ministre en titre du Logement. Mon premier mouvement, je dois le confesser, est de pure et simple moquerie.

Car tout de même ! Je me dois de rappeler que Mamère a commencé sa carrière politique en 1988, comme suppléant aux élections législatives du fils Mitterrand, Gilbert. Après avoir beaucoup grenouillé avec les socialistes, il fonde avec Brice Lalonde,en 1990, le mouvement Génération Écologie. Un groupe politique inventé par l’Élysée de François Mitterrand pour contrecarrer l’influence croissante des Verts de cette époque. Ce n’est nullement un secret : Mamère lui-même l’a raconté dans l’un de ses livres.

Avec Brice Lalonde, Borloo et Tapie 

Est-ce anecdotique ? Je ne crois pas. Génération Écologie a été une invention politicienne de bout en bout, qui a compté dans ses rangs cet excellent Jean-Louis Borloo. Lequel Borloo copinait de près, depuis le début des années 80 avec un certain Bernard Tapie. Le grand bonheur des deux hommes, pendant près d’une décennie, fut de racheter les entreprises faillies pour le franc symbolique, directement à la barre des tribunaux de commerce. Je m’égare ? Mais pas du tout !

Je vous parle d’un monde auquel vous n’aurez jamais accès. On s’y tape sur le ventre. On rit de la dernière pitrerie de tel ou tel, qui a baisé machin en beauté. On se moque de tel autre, qui n’a décidément rien compris au film des événements. On est entre initiés, pas ? Mitterrand, Mamère, Lalonde, Borloo, Tapie. Tiens, Tapie. En 1994, Mamère devient député européen sur la liste Énergie Radicale conduite par Tapie, téléguidé par un Mitterrand agonisant pour empêcher Michel Rocard de s’emparer du parti socialiste. Je n’y insiste pas : la manœuvre réussit à la perfection. Et dans la suite, Mamère entre chez les Verts.

Bon, je ne peux ni ne souhaite tout raconter. Mamère fait carrière, représente les Verts à l’élection présidentielle de 2002, juste après avoir annoncé son « irrévocable décision » de ne pas accepter le job. Bref. Il se comporte comme un politicien absolument ordinaire. Qu’il est. J’ajoute pour faire bon poids deux éléments. Le premier : chez les Verts, il s’est toujours entouré de porte-flingues qui, je pense, pourront se reconnaître. J’ai connu l’un dans une autre vie, et le cynisme avait emporté chez lui toutes les digues il y a déjà trois bonnes décennies. Quant au second, qui a taillé sa route, je ne saurai rapporter ici toutes les horreurs pures et simples entendues sur son compte. Et notez bien que je ne fréquente aucun de ces personnages. Aucun ! je le jure bien.

Petit-déjeuner à la brasserie de République

Le seul contact direct que j’ai eu avec Mamère doit se situer vers 2003. Pour une raison que j’ai oubliée, il avait souhaité prendre un petit-déjeuner avec moi dans une brasserie de la place de la République, à Paris. Je suis sorti de ce rendez-vous abasourdi par le bas niveau de connaissances et de réflexion de Mamère, à qui j’avais eu l’idiotie de dire que la crise écologique était une crise de la vie. Je le revois mâchouiller cette phrase, et la répéter comme s’il avait eu une quelconque révélation. Et puis plus rien. Jamais plus rien. Je n’ai plus jamais eu la moindre nouvelle, sans que cela m’ait enlevé, je crois, la moindre chose.

On croira après cela que j’en veux à ce grand garçon, et ce n’est pas vrai. Le pire que je puisse dire de son – désormais – ancien mouvement, c’est qu’à mon sens, Mamère était un de ses membres les moins dégénérés. L’un des plus sincères. L’un des plus sympathiques. Cela ressemble à un grand écart, mais c’est comme ça. Seulement, il se barre comme un nigaud, qui sera aspiré par le vide, sauf s’il se rallie à Mélenchon – peu probable – ou au parti socialiste, éventuellement après un  détour. Il est simplement lamentable que Mamère sorte de son mouvement sans seulement oser citer le nom du grand ordonnateur de toute ligne politique, à savoir Jean-Vincent Placé. Par peur ? Moi, j’ai réalisé ce printemps un long entretien avec Jean-Paul Besset (JPB) et Daniel Cohn-Bendit (DCB) , paru dans Charlie Hebdo (ici), qui n’aura intéressé personne, alors qu’il est d’une rare clarté. En voici un bout :

——-Extrait

Charlie : Vous étiez donc refaits. Mais par qui, dites-moi ?

DCB : Par  le bureau exécutif des Verts. L’appareil.

Charlie : Mais encore ? En dehors de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot, on ne connaît personne.

DCB : Ce n’est pas parce que personne ne les connaît qu’ils n’existent pas. Ils ont la mainmise sur les Verts. Disons que Placé et quelques autres avaient la mainmise sur l’appareil national, mais aussi régional, par l’intermédiaire des bureaux exécutifs régionaux.

JPB : Qui ? Le bureau exécutif, avec à sa tête Cécile Duflot, dont le bras droit s’appelle aujourd’hui encore Jean-Vincent Placé. Au total, cela doit représenter moins de cinquante personnes.

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.  Il s’agit d’une affaire de gestion des élus et des postes. Ces gens-là, qui ont construit un univers clos, ne vivent plus que de la politique politicienne depuis des années. Comme ils sont toujours là, à la différence des simples militants, ils finissent par l’emporter. L’objectif final n’existe pas. Il faut conquérir toujours plus de parts de marché, ou en tout cas ne pas en perdre. Un type comme Dany n’a pas sa place là-dedans, car cela lui arrive de lire un livre, de s’occuper de son fils, d’aller au stade voir un match de foot (rires).  Placé y va aussi, au stade, mais dans la tribune des VIP. Pour s’y faire voir, pour nouer des contacts, pour activer des liens. L’écologie n’est pas davantage leur problème. La grande affaire, c’est de gérer la boutique, de négocier des places, d’avoir du pouvoir.

——-Fin de l’extrait————————–

La chute des maisons Besset, Cohn-Bendit, Durand et Mamère

Reprenons. Mamère omet de désigner le vrai chef du parti, dont chacun sait qu’il ne s’intéresse aucunement à l’écologie. Pourquoi ? Outre la peur déjà évoquée, il n’est pas impossible que quelques cadavres communs se trouvent dans les placards. En tout cas, c’est un désastre total. Les deux « inventeurs » d’Europe Écologie, Besset et Durand, sont sur la touche. Besset finit son mandat de député européen, et ne rempilera pas. Durand est viré comme un domestique de son poste de secrétaire national. Mamère est out, comme l’est Cohn-Bendit. La route est dégagée comme jamais pour Placé et sa camarilla. On ne peut nier l’évidence : c’est bien joué. Et les autres, tous les autres, se seront comportés comme les couillons qu’ils sont.

L’histoire du mouvement Vert, désolante depuis les origines, est à faire. Si je croyais davantage à cette politique-là, je l’aurais écrite. Mais n’y croyant pas même une seconde, je ne m’y collerai pas. M. Placé peut dormir sur ses deux oreilles. Je puis simplement dire, pour l’avoir observé en son temps, que le pouvoir démesuré d’un Placé et de son clan n’est jamais que répétition. Il y a vingt-cinq ans, lorsque Dominique Voynet affrontait Antoine Waechter en un combat dérisoire, la pièce était de même contour. Un groupe pour le moins étrange cornaquait Waechter et lui assurait de confortables victoires électorales au cours d’Assemblées générales du mouvement, soigneusement préparées. Des départements entiers – le Var, les Hauts-de-Seine – acquittaient rubis sur l’ongle des centaines de cartes d’adhérents fantômes, qui changeaient la donne. Et personne ne s’en souciait pourtant. Les amis d’Antoine Waechter s’appelaient entre eux La Famille, mot qui a la sympathique résonance que l’on sait, à peine mois sympathique que La Firme des proches de Duflot, évoquée par Mamère.

Au service de la bureaucratie

Certes, il y a eu de nombreux changements de personnes. Certains sont morts, d’autres ont abandonné la politique ou gagné d’autres rives. Mais fondamentalement, la pourriture morale a perduré. Une bureaucratie impayable – indifférente à la crise écologique, ô combien ! obsédée par les nombreux postes mis à disposition et la combinazione, ô combien ! – a fait son trou, profitant de statuts et règlements rendus volontairement abscons pour mieux contrôler l’appareil. Tous les chefs verts, de Bennahmias à Cochet, de Voynet à Blandin, de Hascoët à Buchmann, de Lipietz à Dessessard, et plus tard, de Contassot à De Rugy, de Coronado à Joly ont eu à connaître de ces mœurs, sans jamais oser moufter de peur de perdre pied, et de bientôt disparaître.

Je sais, pour en avoir discuté, de loin en loin, avec certains des acteurs de cette tragicomédie, combien la conscience de cette mascarade est partagée. Mais vu qu’aucun ne bouge ni ne bougera. Mais vu qu’aucun n’a fait ni ne fera l’histoire de cette longue descente aux enfers, j’en arrive à penser que M. Placé et Mme Duflot auraient grand tort de se gêner. Faut-il conclure que je n’attends rien d’un mouvement de cette sorte, dévoré de l’intérieur par des feux qui n’ont rien à voir avec l’écologie et la morale élémentaire ? C’est si évident que c’en est inutile. Planète sans visa se situe aux antipodes mêmes de cette démission de tous pour le service de quelques-uns.

« Vive l’abolition de la chasse ! »

Ces deux articles ont paru dans Charlie Hebdo le 18 septembre 2013. Le premier est un entretien que j’ai mené avec Gérard Charollois ; le second un court récapitulatif de l’été. Au passage, les chasseurs du Var et des Alpes Maritimes ont désormais le droit de tirer des loups au cours de leurs habituelles battues au gibier. Deux loups ont été abattus en deux jours. Le loup est redevenu un gibier. Nous sommes retournés à la belle époque de l’éradication, entre 1870 et 1925. Le progrès, aucun doute.

Un mot sur Gérard Charollois, grand héros du mouvement antichasse. Ce type est réellement un cas. Aveugle, il est juge à Périgueux, où il préside la Chambre de la famille du tribunal de grande instance. Amoureux de la vie, de la nature, des animaux, il a été le vice-président du glorieux Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), du temps de Théodore Monod. Il vient de publier une nouvelle édition de Pour en finir avec la chasse (éditions Imho) et il prépare une manif. Le 21 septembre, à 14 heures, place d’Iéna. Une partie de l’équipe de Charlie sera là, dont Cabu et Luce Lapin.

Vous organisez donc une manif contre la chasse, ce qu’on n’avait pas vu en France depuis des lustres. Mais pourquoi ?

(Il rigole) Pourquoi ? Mais parce que l’opposition à la chasse est en France majoritaire, et qu’il est grand temps de la rendre visible. L’association que je préside, la Convention Vie et Nature (CVN, www.ecologie-radicale.org) a commandé à la Sofres, en janvier 2011 un sondage. La question posée était celle-ci : « Êtes-vous plutôt favorable à ce que l’animal sauvage bénéficie, comme l’animal domestique, de la protection légale contre les actes de cruauté et les mauvais traitements ? ». 87 % ont répondu oui, et 7 % non. C’est écrasant ! C’est formidable ! Et pourtant, rien ne bouge.

Justement. J’allais vous dire : rien ne change. Vous avez l’explication ?

L’évidence, c’est qu’il y a divorce entre l’opinion publique et la classe politique. Cette dernière se sent obligée de s’agenouiller devant les fédérations de chasse, et tous les deux ou trois ans, les députés votent une nouvelle loi chasse pour faire plaisir au lobby. Franchement ! Certes, nous n’avons pas la puissance matérielle, la puissance financière des chasseurs. Eux, quand ils organisent une manifestation importante, ils louent des cars et font monter les leurs par dizaines de milliers. J’en sais quelque chose, car le 25 février 1989, au cours d’une grande manifestation du parti de l’extrême-chasse CPNT dans les rues de Périgueux, où je travaille, j’ai été pendu en effigie. Seulement, moi, je suis fier d’avoir essuyé leurs injures.

> Pour la manifestation que nous organisons le 21 septembre, nous n’avons pas un sou. CVN ne touche pas un euro de l’État, et je sais des sympathisants qui viendront à leurs frais de province, alors qu’ils sont aux minimums sociaux. C’est à ce prix, élevé, que nous entendons donner enfin une visibilité à ceux qui, en France, refusent et condamnent la chasse.

Sérieusement, vous la voyez venir, la fin de la chasse ?

Tout a une fin. Les combats de gladiateurs, les bûchers, le bagne, l’esclavage appartiennent au passé. Beaucoup, qui sont victimes du syndrome de la faiblesse, croient que la chasse est forte. C’est une illusion ! Je me suis battu des années – au passage, je salue la vaillance d’Allain Bougrain-Dubourg – contre la chasse à la tourterelle dans le Médoc. Tout le monde craignait une jacquerie, avec des incidents graves à la clé, en cas d’action de l’État. Il aura suffi de la dissolution du « comité tourterelles » des braconniers et d’une action judiciaire enfin concrète pour faire disparaître le problème.

>Tout l’édifice repose sur deux pieds vermoulus. Un, les fédérations de chasse sont les héritières directes de structures corporatistes créées par Pétain le 28 juin 1941, les sociétés départementales de chasseurs. Deux, les décideurs entretiennent la vision bucolique et passéiste d’une France qui n’existe pas.

La chasse est peut-être moribonde, mais elle bouge encore…

Les chasseurs étaient 2 millions 400 000 en 1975, ils ne sont plus qu’1 million 200 000, et encore ! car on compte les cartes distribuées et certains peuvent en avoir une départementale et une nationale. Le monde de la chasse se comporte comme une Bastille assiégée, comme si elle était à l’abri d’une ligne Maginot imprenable. Alors que l’Europe se dirige doucement vers l’abolition, la France s’obstine. Or il n’est plus possible que moins de 2 % de la population s’octroie des droits pareils sur la faune sauvage et le territoire national tout entier. C’est un déni de démocratie. Et n’oublions pas la question éthique : a-t-on le droit de tuer un être sensible pour se distraire ? Ma réponse est : NON.

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L’été des vautours anthropophages
C’est le bordel. Les paysans ont foutu le camp, des millions d’hectares retournent à la friche, le loup revient, les chasseurs sont de moins en moins nombreux. Et comme ils ont, par des pratiques comme l’agrainage, multiplié sangliers et cochangliers – croisements avec les porcs domestiques – les voilà dépassés. Ils n’arrivent même plus à tenir leurs plans de chasse départementaux. Les pauvres.

C’est dans ce contexte déprimé que l’été a passé. Mal, du moins pour les animaux. Les chasseurs les plus foldingues inventent chaque jour de nouveaux scénarios destinés à justifier leurs tueries contre le Loup, revenu d’Italie il y a vingt ans, ou l’ours, réintroduit dans les Pyrénées centrales à partir de 1996.

Mais les délires les plus inventifs concernent le Vautour. Il y en a quelques centaines en France, et c’est déjà trop. Des Alpes aux Pyrénées, passant par le Massif central, la presse régionale, chauffée par les fédérations de chasse, rapporte des faits-divers fantastiques. Ici, une randonneuse achevée par des vautours dans un ravin des Pyrénées-Atlantiques. Là des génisses en pleine forme attaquées par des escadrilles de vautours en folie. Genre : « Une génisse en pension au lieu-dit Fondorsol a été attaquée par une cinquantaine de vautours. Ces derniers ont réussi à (…) se jeter sur l’animal âgé de deux ans. Des vététistes passant à proximité n’ont rien pu faire ».

C’est le retour des chouettes clouées sur la porte des granges. En réalité, les vautours sont des nécrophages, et leur conformation physique les empêcherait de devenir des prédateurs, même s’ils en avaient envie. Variante à propos des blaireaux, accusés désormais de bouffer le maïs des gentils cultivateurs. Dans La République des Pyrénées du 29 août dernier, un « lieutenant en louveterie » s’est reconverti dans la chasse au blaireau : « Je viens d’en avoir trois, il a fallu creuser à plus de quatre mètres et ils m’ont esquinté deux chiens ».

Même les cerfs s’y mettent. En Haute-Saône, un chasseur émérite a été éperonné le 8 septembre par un cerf psychopathe. Commentaire éclairé de L’Est Républicain : « Le chasseur présentait une plaie de quelque 10 cm à la gorge, “à quelques millimètres de la carotide”, commente encore sous le choc, Serge Garnier ». Salauds de bêtes.