La Cop26 comme si j’y étais

Je ne lis pas une ligne, ou alors par hasard, sur cette maudite vingt-sixième édition de la COP, ou Conférence des Parties à la CCNUCC, qui signifie Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le seul vocabulaire employé est d’une langue inconnue, qui ne parle qu’à quelques centaines de gens embedded, comme on dit des journalistes embarqués par quelque institution, militaire au départ, pour raconter le terrain. Je défie quiconque ne fait pas partie de cette si vilaine tribu d’y comprendre quoi que ce soit.

Bien sûr, cela ne servira à rien. Je l’ai écrit tant de fois depuis trente ans – trente ans ! – que les doigts en tremblent un peu. Je ne vais pas tout reprendre, soyez rassurés. Contentons d’un point, évident et crucial : l’aliénation par la possession d’objets matériels. Elle est flagrante et peut se résumer ainsi : vers 1965 – j’avais dix ans -, une famille (très) pauvre comme la mienne n’avait à peu près rien. Une machine à laver Zanussi, qui bien que brave, tombait en panne sans que nous eussions de quoi la faire réparer. Une table branlante, quelques chaises dépareillées, des sommiers qui rendaient l’âme. Dans notre immeuble HLM de Seine-Saint-Denis, nous étions certainement au bas de l’échelle sociale, qui pourtant ne menait pas très haut.

Et alors ? Nous ne connaissions pas la faim, juste la gêne d’acheter sa bouffe à crédit, ni le froid, et la Sécu était là pour les coups durs. Loyer, dont j’ai retrouvé un bordereau : 11 000 anciens francs par mois. 110 francs, donc, car les nouveaux francs avaient fait disparaître les vieux. Soit le pouvoir d’achat, d’après les tableaux de conversion de l’INSEE de 150 euros en 2020. Nous vivions. Comme des pauvres.

55 ans plus tard, la mégamachine – appelons cela par commodité le capitalisme – a transformé chacun d’entre nous en machine secondaire, dans laquelle il faut enfourner en permanence, faute de quoi tout s’arrête, tout. Ce système fou, qui repose sur l’usage de plus en plus hystérique d’objets jetables, n’a certes pas créé l’individualisme ambiant, qui est l’une des sources principales du désastre en cours. Le phénomène est ancien, et fort complexe. Mais d’un autre côté, la prolifération d’objets matériels individualisés – pensons à la bagnole – a profondément accéléré la dislocation des vieilles relations, des anciens manières de coopérer, de s’entraider. L’objet finit par modifier la psyché.

Le téléphone portable est pour le moment l’acmé de cette transe collective. J’ai toujours pensé et maintiendrai que c’est une merde, qui a ajouté à notre incapacité à affronter le réel ensemble. Et je vous en prie, épargnez-vous les commentaires sur son utilité, car je connais. Et je maintiens mon propos. Or aucune force politique, même “écologiste”, même mélenchoniste, ne s’est seulement posé la question de ce déferlement perpétuel. Je vous le dis : quand va-t-on poser les bonnes questions ? Sans mise en cause radicale de ce qui fonctionne comme le réacteur nucléaire du dérèglement climatique, nous resterons dans l’incantation.

Vous savez tous, dans les grandes lignes, le cauchemar écologique qu’est la numérisation totale du monde. Mais osez donc cette question : pourquoi aucune force politique ne pose la question des objets ? Et pendant que j’y suis, notez avec moi qu’aucun mouvement français ne remet en question l’arrivée de la bagnole électrique. Aucun, j’ai vérifié. Pourquoi ? Probablement parce que nos représentants ont trop peur d’affronter une opinion qu’ils jugent impossible à convaincre. Et sûrement parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils pensent que c’est un “progrès”. Progressisme quand tu nous tiens.

Malgré les surpuissantes campagne de désinformation commerciale, plusieurs faits certains demeurent. D’abord, si l’on considère la cycle de vie global de la bagnole électrique, il n’y a pas de différence significative avec la bagnole thermique. En termes d’émissions de gaz à effet de serre. Lisez donc le formidable Guillaume Pitron (La guerre des métaux rares, L’Enfer numérique, LLL), qui nous prédit un electricgate d’ici quelques années. L’industrie automobile, qui était dans une panne historique, liée notamment à la saturation des marchés, repart pour 50 ans. Sur fonds publics alléluia !

Ensuite, et chacun le sait tout en s’en moquant éperdument, les éléments qui composent les bagnoles électriques imposent l’existence de mines en Chine, en Afrique, en Bolivie, au Mexique, où des milliers d’esclaves, dont des gosses, cracheront leurs poumons pour que nous puissions consommer leur extrême malheur. Et je ne parle pas des désastres écologiques que sont ces dizaines, ces centaines de mines dans les pays du Sud, à côté desquelles nos histoires de pollution sont des bluettes.

Bref. Je commencerai à croire que quelque chose change lorsqu’une vaste coalition aura prononcé les mots décisifs : À BAS LA BAGNOLE ÉLECTRIQUE ! Tout le reste n’est que propos de branlotin.

Vite, un cadeau

Il y a dix ans, en 2011, j’ai écrit tout seul un vaste ensemble d’une quarantaine d’articles sur le nucléaire. Avec plein de dessins – qui ne sont pas de moi – et une couverture avec un dos cartonné. Je l’ai rouvert, mais je ne l’ai pas relu. Je sais juste que j’en reste encore fier. Attention ! Je ne crois pas être du genre de coq qui se place en haut du tas de fumier pour dominer son petit monde. La fierté, ce n’est pas le rejet de l’autre, c’est le sentiment du devoir accompli. Il y a dans ces textes, car je m’en souviens un peu, quantité d’infos qui ne circulent pas. Y compris sur la faillite financière du monstre. Il y a dix ans. Ou sur les conditions effarantes de la constitution d’un empire français de l’atome.

Comme je dispose d’un PDF de ce machin-truc-chouette, je me suis dit que cela pourrait plaire à quelques-uns d’entre vous d’y jeter un oeil. ¡ A galopar ! Hasta enterrarlos en el mar.

Le Loup a atteint l’océan Atlantique

Vous avez peut-être vu ? Un loup a été trouvé mort le long d’une route. Où ? Près de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), où j’étais en colo quand j’avais dix ans. On n’avait plus vu de loup dans la région si proche du grand océan depuis au moins un siècle.

On ne sait pas de quoi l’animal est mort, et j’espère, contre certaine évidence, que l’homme n’y est pour rien. Mais en attendant les résultats d’analyses, je me dois de saluer une fois de plus l’exploit physique qui pousse des loups revenus d’Italie il y a trente ans à réoccuper leur Empire de jadis. Il faut tâcher d’imaginer le travail ! On envoie quelques éclaireurs depuis les Apennins, arête centrale de l’Italie, qui forment une à une des meutes dans l’arc alpin. Et puis, par un phénomène naturel de dispersion – celui-là même qui les a conduits en France -, ils repartent à l’assaut de leurs territoires historiques, franchissent le Rhône, l’autoroute dite du soleil, la ligne TGV, et foncent vers les Cévennes, le Gévaudan, le Jura, les Vosges, la Marne, la Vendée, la Loire-Atlantique, etc.

Combien sont-ils ? Autour de 600, ce qui est tout à la fois prodigieux et si peu. On sait qu’ils furent des milliers. D’évidence, ils posent des problèmes de cohabitation, et seuls de doux rêveurs sont capables de le nier. L’homme, dans le meilleur des cas, ne peut que tolérer la présence du grand prédateur, concurrent direct pendant des dizaines de siècles qui ont fatalement imprimé leur marque dans la psyché humaine.

Et c’est là toute l’affaire : tolérer cet autre indésirable et potentiellement menaçant. La chute vertigineuse de la biodiversité impose des changements dans l’âme humaine, les changements les plus complexes, les plus incertains, les plus douloureux. Peut-on changer l’âme ? J’avoue que je n’en sais rien, l’espérant de toutes mes forces. Mais je sais aussi qu’il n’est pas d’autre voie que celle du partage de l’espace entre eux et nous. Je ne pense pas seulement aux loups, de loin, mais à tout ce qui vit, plantes et arbres compris. Et quand je parle d’espace, c’est surtout à un espace intérieur que je pense. Nous devons entendre et montrer que cette terre ridiculement petite est à tous. Faute de quoi, et vous le savez, l’homme se retrouvera in fine avec lui-même seulement, et se mordra, et s’égorgera. L’altérité essentielle est l’un des fondements vrais d’une politique de civilisation de la sauvagerie humaine.

Ce programme paraît hors d’atteinte, je le vois bien. La route est si étroite, les précipices si nombreux, le goût du sang si constant qu’on aurait le droit de refermer la porte sur des problèmes d’une telle dimension. Mais tel est notre rôle, à nous qui défendrons le vivant jusqu’à périr. Il faut. On peut nommer cela un devoir. On doit tenir ce dernier pour l’impératif catégorique de Kant. Inconditionnel.

Franchement, les abeilles seulement ?

Vous le savez, ou non. La récolte de miel 2020, en France, est la pire depuis des décennies. 7000 à 9000 tonnes ont pu être récupérées. Deux fois moins que l’année d’avant, et le tiers seulement de ce qu’on obtenait il y a trente ans. Il existe donc des causes profondes à ces désastres à répétition, même si la météo exécrable du printemps et de l’été a pu jouer son rôle. Je ne vous apprends strictement rien : les pesticides sont les grands coupables. Et parmi eux, ces néonicotinoïdes réintroduits l’automne passé par une coalition unissant Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et amoureux fou de l’industrie agricole d’une part, et Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, si je puis dire ce qui n’est pas.

On attend d’un jour à l’autre un arrêté prétendant protéger les abeilles contre les pulvérisations de poisons chimiques. Comme les associations et groupements d’apiculteurs n’ont seulement pas été consultés, on sait le résultat : la FNSEA, dans la main de laquelle Denormandie – et Pompili, oui – mangent, a gagné. J’en suis profondément triste, mais je ne vous lâche pas sans vous signaler cet article très bien fait qui mérite lecture : cliquer ici.

Il renvoie à un article scientifique signé par deux entomologistes et, fait plus rare, un journaliste, Stéphane Foucart, du journal Le Monde (c’est ici). Que dit -il ? Il en appelle à la responsabilité des entomologistes, ces spécialistes des insectes. Qui est grande, qui est immense, car ils disposent de clés permettant d’établir une vérité globale sur l’effondrement des pollinisateurs, essentiels à la vie, à l’évolution des plantes sauvages, mais aussi à l’alimentation des humains. Or beaucoup de spécialistes se laissent embobiner par les communicants de l’industrie des pesticides, qui produisent, comme tant d’autres avant eux « la fabrique de l’ignorance ». Il faut qu’ils se hissent au niveau d’une responsabilité historique.

L’article met en avant le plus grand phénomène de cette sinistre histoire. Les abeilles domestiques, sur lesquelles on concentre son attention, ne sont pas seules, de loin. Est-ce à cause de leur intérêt économique direct et visible que l’on ne parle que d’elles ? En tout cas, le sort des abeilles sauvages et de ces innombrables pollinisateurs qui ne sont pas des abeilles, est finalement plus funeste encore. Car ceux-là ne sont pas câlinés de main d’apiculteurs, éventuellement soignés et nourris. Or il s’agit de la clef de voûte.

Un sursaut ? Sait-on jamais. Mais pas demain. Dès ce matin du 28 octobre 2021, ce serait bien.

Et la Cop 26, au fait ?

Nous sommes le 25 octobre 2021, et la COP 26 devrait commencer le 1er novembre en Écosse. Si l’on en est à la COP 26, c’est qu’il y en a eu 25. J’en ai suivi plus d’une à distance, et à chaque fois, j’ai dû rappeler l’évidence que nul n’entendait renoncer au moteur atomique de la crise climatique : l’orgie de pétrole, de gaz, de charbon, et la prolifération démente d’objets matériels qui sont au centre de la vie de milliards d’humains. Faites la liste vous-même, mais j’y inclus pour ma part le téléphone portable, et d’une manière générale, tout ce qui concourt à la numérisation accélérée du monde.

Que dire qui garde du sens ? Je lis un rapport du Fonds Monétaire international, ce FMI honni qui joue un si grand rôle dans la destruction des écosystèmes. Avant de détailler, rappelons que tant de commentateurs bavards, sur les gazettes, dans les radios, les télés, tiennent le FMI pour un oracle. Je pense à des gens comme Dominique Seux, sur France-Inter, et tant d’autres en tant d’autres lieux. Or ils ne parlent pas de ce rapport, qu’on peut trouver en anglais, j’en suis désolé.

L’affaire est simple. Analysant 191 pays, le FMI estime que les subventions accordées aux combustibles fossiles représentent environ 10 millions d’euros par minute au plan mondial. Soit chaque année quelque chose comme 5100 milliards d’euros. Finaud, le FMI note que ces sommes gigantesques “are adding fuel to the fire”. C’est-à-dire qu’elles ajoutent du combustible au feu climatique en cours. Pardi ! 5100 milliards d’euros, cela fait, tenez-vous bien, 6,8% du PIB mondial. Aujourd’hui. Car demain, en 2025, ce sera 7,4 % de la richesse planétaire. Autrement exprimé, tandis que des armées de gogos vont en Écosse pleurnicher devant la COP 26, les affaires continuent. Pour dire le vrai, elles flambent.