Enfin des vérités sur Tchernobyl

Publié en avril 2021

C’est un livre hors du commun (1). Sur Tchernobyl, cette catastrophe nucléaire dont on « fêtera » le 26 avril le 35ème anniversaire. On le sait, tout oppose les grandes structures officielles, dont l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), beaucoup de médecins biélorusses ou ukrainiens, et plusieurs estimations discutées. Tchernobyl a-t-il tué 54 personnes, ou 200 000, voire 1 million comme le prétend l’Académie des sciences de New York (2)  ?

L’Américaine Kate Brown, historienne et professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT) a fait ce qu’aucun Occidental n’avait fait avant elle : une immersion de longue durée dans les zones dévastées par la radioactivité. À partir de 2004, aidée sur place par une assistante russe et une assistante ukrainienne, elle a exploré 27 fonds d’archives, à Kiev, Minsk, Moscou, Vienne, Paris, Washington, Florence, Amsterdam. Mais Brown n’est pas qu’un rat de bibliothèque : elle se met en scène, avec prudence mais empathie. Sa méthode de travail combine l’étude des textes, l’histoire orale, l’observation personnelle. Le résultat est saisissant. On voit. On écoute. On partage.

Quand Tchernobyl explose, l’Union soviétique n’est pas loin d’imploser. Le drame va permettre à Gorbatchev de lancer sa fameuse glasnost, improbable tentative de sauver le système par la liberté. En attendant, le KGB veille et pendant les trois premières années après 1986, tout est surveillé, cadenassé. On le saura plus tard, des pilotes encore soviétiques ont dès le 27 avril, au lendemain du cataclysme, dispersé de l’iodure d’argent dans les nuages pour faire pleuvoir la radioactivité sur la Biélorussie, sacrifiée au profit des grandes villes russes, dont Moscou. De même, ils larguent du ciment 600 pour assécher l’atmosphère sur un rayon de 80 km autour de l’usine. Cela commence bien.

Brown raconte merveilleusement nombre d’histoires demeurées inconnues. Beaucoup décrivent une bureaucratie écrasante dont l’intérêt est de nier pendant des années la gravité de l’explosion, et ses conséquences sur la santé des habitants. Une poignée de héros, menacés, traînés en justice, emprisonnés, disent la vérité. Parmi eux le physicien Vassili Nesterenko et le médecin Youri Bandajevski. Le premier finira par créer la fondation Belrad. Le second, condamné à huit ans de camp, vivra en exil en France, avant de retourner là-bas soigner des malades que tant d’autres jugent imaginaires. Quand Brown lui rend visite en 2015, il est si désargenté qu’il n’a pas de voiture, et utilise le bus.

On ne peut résumer pareil ouvrage, qui ouvre sur des gouffres. La pensée trébuche devant tant de questions. Parmi elles, le rôle des organismes internationaux liés à l’ONU, surtout l’AIEA déjà cité, mais aussi le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (acronyme anglais UNSCEAR). Leur rôle aura été détestable, qui aboutit à nier les effets de Tchernobyl, jusqu’au grotesque. Mais pourquoi ?

Laissons de côté le mensonge et la manipulation, qui auront eu leur importance. Mettons à part ce sentiment de supériorité de tant de spécialistes occidentaux, méprisant le savoir et les résultats locaux. Et insistons sur la Life Span Study, étude réalisée à partir de 1950 sur les survivants de Nagasaki et Hiroshima, qui sera le grand modèle, trompeur. Car au Japon, il s’était agi d’une exposition suraiguë au rayonnement, mais ultrarapide. Tchernobyl est d’une tout autre nature : les cinq millions de personnes touchées ont été exposées à des doses bien plus faibles, mais pendant de longues années, au travers de l’alimentation, de l’eau, des feux de bois, de la respiration même. Les modèles concoctés à l’Ouest ne pouvaient intégrer une pareille nouveauté.

Ce n’est pas seulement un livre passionnant. C’est une œuvre, qui met à leur place les éléments d’un puzzle jusqu’ici disloqué. Volontairement ? Oui, sans aucun doute, volontairement. Entre les morts et les malades, les victimes se comptent en centaines de milliers.

(1) Tchernobyl par la preuve, par Kate Brown. Actes Sud. Hélas bien cher : 25 euros.

(1) nyas.org/annals/chernobyl/

Les oubliés de la laine de mouton

En ouvrant tant d’archives empoussiérées, Kate Brown a mis au jour quantité d’histoires qui montrent le réel de la catastrophe. Parmi elles, l’abominable aventure de l’usine à laine de Tchernihiv, dans le nord de l’Ukraine, à 80km de Tchernobyl.

Brown s’y rend en juillet 20106, et découvre un lieu sinistre, qui n’a pas beaucoup changé depuis sa construction en 1937. En 1986, un millier d’ouvrières y triaient et lavaient la laine des moutons qu’on leur envoyait. Chaque printemps, au moment de la tonte, 21 000 tonnes de laine arrivaient de toute l’Ukraine.

Brow interroge, enquête, bute sur des mensonges ordinaires. Elle tient en mains un document : quelques années après l’explosion, 298 femmes et hommes de l’usine ont envoyé une pétition pour réclamer le statut de liquidateurs. Rappelons que les liquidateurs sont ceux qui ont été envoyés vers la centrale en feu quelques minutes après l’explosion, souvent à mains nues.

De ce texte, plus personne ne semble se souvenir. Jusqu’à ce que Brown sorte la liste des signataires. Dans l’atelier, tout le monde s’arrête de travailler. Il n’y a plus que dix survivantes. La laine, bien entendu, était radioactive et provoquait chez les ouvrières saignements de nez, maux de gorge, nausées, fatigue. Brown : « Les ouvriers de la laine ignoraient qu’attraper les ballots les plus radioactifs revenait à étreindre une machine à rayons X en plein fonctionnement ».

À l’été 2016 toujours, Brown se hasarde dans une forêt de Polésie (Ukraine), en compagnie d’adolescents qui y récoltent des myrtilles. Lesquelles passent en Pologne avant d’atteindre le marché européen, dont à coup sûr la France. Une jeune femme les achète après avoir passé les petits fruits au dosimètre, pour en évaluer la contamination. Elle lâche : « Toutes les baies qui poussent en Polésie sont radioactives ». Et Brown de commenter : « Les gamins aux lèvres tachées de jus de myrtille sont en réalité des travailleurs du nucléaire ». On ne cesse de l’oublier : le nucléaire ne disparaît pas, ou si lentement que c’est la même chose. Il se contente de voyager d’un hôte à l’autre.

L’apparent mystère des faibles doses

Pourquoi un tel négationnisme sur Tchernobyl ? Comment des chercheurs de qualité en arrivent à ce point à oublier le réel ? Sans épuiser un sujet qui se dérobe, Brown note cette évidence : pour beaucoup d’experts « la bombe n’a pas été une erreur. Nombreux sont ceux qui ont cru, et croient toujours, en la grande promesse de la fission nucléaire : assurer la sécurité nationale, sous la forme de la dissuasion, et la prospérité, sous la forme d’une source d’énergie renouvelable ».

La plupart des spécialistes – en France, ceux du CEA ou l’IRSN – continuent à contester le rôle considérable des faibles doses d’exposition au nucléaire. Derrière cette question en apparence opaque se joue le sort de la toxicologie, cette science qui étudient les effets néfastes d’une source polluante.

Car une révolution est en cours, qu’on ne peut qu’évoquer. Le génial Paracelse, né en 1493, estimait en son temps que c’est la dose qui fait le poison. Pendant plus de 400 ans, cette vision se rapprocha dangereusement du dogme, avant que d’être contredite par des faits scientifiques.

Les perturbateurs endocriniens, pour ne prendre qu’un exemple, produisent des effets non linéaires. En clair, ils sont plus délétères à de très petites doses qu’à de grosses. Ce qui est vrai dans le vaste domaine de la chimie de synthèse l’est aussi dans celui du nucléaire. Le débat, qui reste aux mains du lobby nucléaire, est essentiel. Car la reconnaissance de la dangerosité des faibles doses radioactives est susceptible de remettre en cause toutes les normes. On comprend les résistances.

Le climat, la sécheresse et la FNSEA

Publié en avril 2021

Y a vraiment plus de saison. Une étude montre que le dérèglement va dangereusement faire baisser les récoltes. Mais où est passée la FNSEA ?

Lectrice attentive, lecteur concentré, tu auras peut-être remarqué qu’il a fait chaud avant que cela ne se gâte. Tous ces derniers jours de mars, on s’est beaucoup baignés, jusque dans le sud de la Bretagne. C’est bien ? Ben faut quand même voir de plus près. Il n’y a plus aucun doute que, comme le disait ma grand-mère, que je voyais comme une vieille folle, y a plus de saisons.

Un étude originale confirme l’affaire à sa façon. Son auteure principale, Teresa Bras, est chercheuse à l’université Nova de Lisbonne. L’un des signataires, Jonas Jägermeyr, travaille à l’Institut Goddard d’études spatiales de la Nasa. Et leur travail vient d’être publié par la revue Environmental Research (Letters). On apprend sans surprise dans « Severity of drought and heatwave crop losses tripled over the last five decades in Europe » (https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/abf004/meta) que les désastres naturels peuvent menacer les récoltes même au cœur de l’Europe, et chez nous, donc.

Mais les chiffres les plus percutants concernent les sécheresses et les vagues de chaleur, de plus en plus prononcées, de plus en plus rapprochées. Entre 1961 et 2018, les premières ont réduit la récolte de céréales de 9% en moyenne, et les secondes de 7,3%. Et ce n’est que le début d’un feu d’artifice prolongé, car ces pertes de production ont triplé en l’espace de cinquante ans. La tendance lourde a toutes chances de se maintenir et d’aggraver les choses à mesure que le dérèglement climatique deviendra plus vif encore.

Parmi les leçons à tirer, on se permettra de rappeler que les producteurs de betteraves industrielles ont obtenu l’été passé les retour des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles. Pour mieux produire ce que les consommateurs ne veulent plus. Les défenseurs de ces cultures – ceux de L’Association de recherche technique betteravière -, souvent accusés de partialité, parlent d’une baisse de la production de betteraves comprise entre 10 et 12 % en l’absence de néonicotinoïdes.

Un chiffre voisin de celui que provoque déjà le dérèglement climatique. Dont ils ne parlent pas. Dont la FNSEA, ce « syndicat » étrange qui accompagne de près la mort de ses membres ne parle pas. Ça fait penser.

Le Monde Diplomatique est-il transhumaniste ?

Avouons-le tout de suite : je n’aime pas Le Monde Diplomatique. Ce mensuel créé en 1954 à l’ombre du Monde quotidien aura soutenu vaillamment tous les stalinismes possibles, de l’Union soviétique à Cuba, passant par la Chine maoïste. Il demeure la référence d’une bonne part de la gauche qu’on appelle radicale. Et il ne déteste pas, lorsque l’occasion se présente, à accuser les penseurs écologistes de se fourvoyer. Au mieux.

Dans le numéro de février, le Diplo a publié un article d’un certain Leigh Phillips. Cet Américain y attaque les décroissants – dont je ne suis pas – par la disqualification, les présentant comme des adeptes de Thomas Malthus, cet économiste qui annonçait de fatales catastrophes démographiques. Vieux truc. Phillips ne cite personne, ce qui est encore la meilleure façon de ne pas être démenti.

Le tout est indigent. Il rapproche ainsi le trou dans la couche d’ozone et le dérèglement climatique, dans des raccourcis qui sentent fort le climatoscepticisme nouvelle manière. Pour lui, qui se présente comme un progressiste à la mode du Diplo, seule la croissance économique pourrait permettre d’ensuite redistribuer de l’énergie et des services sociaux aux pays du Sud. Pas un mot sur les autres qu’humains, pas un mot sur les destructions écologiques majeures causées par notre façon de concevoir la vie, et de la mener.

Reconnaissons que des lecteurs du Diplo ont réagi et que la direction du journal – dont acte – leur a accordé une page de réponses dans son numéro de mars. Mais le texte de Phillips cache à autre chose (1). Il note ainsi gaillardement : « Grâce au progrès technologique et à des choix politiques, nous pouvons, si nous le souhaitons, évoluer. Et, lorsque nous nous heurtons à des limites naturelles, nous sommes capables d’innover pour les dépasser ». C’est absurde et même criminel, mais Phillips ne s’arrête pas en si bon chemin, ajoutant pour les sourds et mal-entendants : « Il est possible d’imaginer que nous nous téléportions un jour, car l’idée ne viole aucune loi physique ».

Se téléporter ? Cette idée si pertinente ne tombe pas du ciel. Phillips appartient en effet au Breakthrough Institute (thebreakthrough.org), un machin transhumaniste qui promet de régler toutes les questions de la crise écologique globale par un surcroît de technologie. À l’aide des OGM, d’une agriculture encore plus industrialisée, du nucléaire bien sûr et de la géo-ingénierie. Dès 2010, l’institut a publié un gros rapport avec l’American Institute Enterprise (2) sous le titre « Post-Partisan Power ». L’American Institute Enterprise (3) n’est pas loin d’être le pire. Néo-conservateur, libéral, proche des milieux militaires, accueillant en son sein un grand nombre de grands patrons, ce think-tank n’a jamais eu qu’un but : accélérer encore.

La direction du Diplo se serait-elle fait avoir ? Cette hypothèse optimiste, nullement confirmée dans le numéro de mars, appelle un commentaire : pour un journal qui ne cesse de donner des leçons à l’univers, ce serait comique. L’hypothèse plus vraisemblable est que cette vision rejoint pour l’essentiel celle du journal. Le progrès technologique viendra à bout de tous les soucis. Quelle que soit la vérité, il n’est pas interdit de s’interroger.

Dans le même numéro de février, on peut lire dès la première page un long papier titré « Qui veut la mort d’EDF ?». 100% idéologisé, il oppose les prédateurs d’un côté, de l’autre le service public. On peut souhaiter un service public de l’énergie – c’est mon cas – sans oublier, comme le fait pesamment l’article, le rôle-clé d’EDF dans la création de l’empire nucléaire. Et de ses directions, toutes liées à la noblesse d’État des polytechniciens, ingénieurs des Mines ou des Ponts. Sans oublier non plus le désastre d’une entreprise qui a promis la Lune et finalement creusé un trou de près de 50 milliards d’euros. Faut-il incriminer le poids important, dans la haute hiérarchie du Diplo, d’anciens staliniens, jadis grands admirateurs de l’atome ? Le progressisme, maladie sénile d’une gauche en perdition.

(1) terrestres.org/2021/02/18/la-decroissance-le-socialisme-sans-la-croissance/

(2) s3.us-east-2.amazonaws.com/uploads.thebreakthrough.org/legacy/blog/Post-Partisan%20Power.pdf

(3) wikipedia.org/wiki/American_Enterprise_Institute#Membres

Le clan Bayer-Monsanto à l’assaut du Mexique

On cherchera longtemps, chez nos ministres, pareil courage. Penser au retour des néonicotinoïdes. Qui est Víctor Manuel Toledo Manzur ? Un biologiste très célèbre au Mexique. Il a reçu de nombreux prix, écrit beaucoup d’articles scientifiques et fondé dès 1992 la revue Etnoecologíca (1), pionnière dans l’étude des relations entre peuples autochtones et nature.

En mai 2019, il accepte d’entrer au gouvernement comme secrétaire d’État à l’Environnement. Andrés Manuel López Obrador, dit AMLO, est président depuis décembre 2018, d’une gauche qui rappelle, mutatis mutandis, le parti socialiste français des années 80. Mais Toledo a un problème, et c’est qu’il est sincère. Il veut changer le pays, ce qui le conduira droit à la démission en août 2020.

Dans une tribune extraordinaire publiée par le quotidien La Jornada (2) fin février 2021, il décrit la puissance des lobbyistes du glyphosate, poison qui s’étend désormais sur 192 millions d’hectares, un peu moins que quatre France.

Or, dit-il, Bayer-Monsanto, géant du secteur, « possède une armée de scientifiques, techniciens, communicants, agents commerciaux, lobbyistes, espions, promoteurs ». Or, AMLO, en bonne part poussé par des gens comme Toledo, a décrété en décembre dernier l’interdiction du glyphosate d’ici 2024 et celle du maïs transgénique. Appliquée, cette décision signifierait la fin de l’importation de millions de tonnes de maïs transgénique venu des États-Unis, et un tremblement de terre planétaire.

AMLO tiendra-t-il ? Toledo évoque de l’intérieur l’action délétère de trois membres du cabinet présidentiel : Alfonso Romo, Víctor Villalobos, Julio Scherer. Il les accuse d’avoir mené des « acciones fraudulentas » – des actions frauduleuses – pour saboter la décision d’AMLO. Le Mexique, pays berceau du maïs originel, est en guerre, comme l’écrit Toledo. Lequel a subi un cambriolage au cours duquel des documents ont été volés et du glyphosate versé dans son jardin. Suivi d’une campagne de presse téléguidée sur sa vie privée. Il regarderait des films porno.

  1. http://etnoecologia.uv.mx/Etnoecologica/numeros.htm
  2. jornada.com.mx/2021/02/23/opinion/017a1pol

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Vive la fonte de la banquise !

Où l’on voit que le chemin le plus court est aussi le pire de tous. D’abord, ce que tout le monde sait : la banquise qui recouvre l’océan Arctique fond de plus en plus vite. Et dans les eaux russes du Grand Nord, cela semble pire qu’ailleurs. L’institut météo de Moscou Rosguidromet (1) note dans un rapport tout récent que la surface de glace, en comparaison des années 80, est de cinq à sept fois moindre. 2020 a été une année diaboliquement chaude et au total, le dérèglement touche bien davantage, en moyenne, la Russie que d’autres pays. Depuis 1976, la température aurait augmenté de 0, 51 degré par décennie.

D’autres que ceux de l’équipe Poutine en tireraient la conclusion qu’il faut décréter l’état d’urgence. Mais tout au contraire, miam. Miam, car si la banquise fond de plus en plus, les perspectives commerciales deviennent chaque jour plus exaltantes. Dans un entretien avec l’agence de presse russe (en anglais) Interfax (2), Vladimir Panov lâche sans gêne : « The Suez precedent has shown how fragile any route between Europe and Asia is ». Eh oui, le blocage du canal de Suez par un container a montré combien la route maritime la plus fréquentée entre l’Asie et l’Europe était fragile. Et Panov de vanter l’excellence de la Northern Sea Route, cette route du Nord qui s’ouvre chaque année davantage grâce au dérèglement climatique. Un détail : Panov est un pion important de l’une des grandes puissances financières russes : le champion du nucléaire Rosatom. En charge du « développement de l’Arctique.

  1. rcinet.ca/regard-sur-arctique/tag/rosguidromet/
  2. https://interfax.com/newsroom/top-stories/71429/

Comment on décapite les sangliers

Publié en avril 2021

Six minutes d’un film d’horreur. Dans une forêt de l’Aube, de valeureux chasseurs butent jusqu’à 100 sangliers en une journée. En les attirant avec du maïs avant de les attendre, planqués dans des miradors où ils ne risquent qu’une chose : coincer leur bedaine dans la barrière de bois. C’est très sympa. Ici, on égorge, ici on décapite.

Ouh là ! Ça va être dur de pas se moquer. Ou de dégueuler un bon coup. Le petit film (https://youtu.be/DCMugz2E2ow) que Charlie vous propose est diffusé par le naturaliste Pierre Rigaux, auteur de livres sur les loups, les…lapins ou encore la chasse. Que voit-on ? Simplement ce qu’est devenue la chasse en France. D’un côté ses défenseurs, qui parlent tradition, ruralité, sociabilité et nécessaire régulation des espèces. De l’autre des gros pères qui prennent leur pied en flinguant sans risque des animaux que l’on balance sous leur nez, dans une nature rendue totalement artificielle.

La scène se passe dans la forêt proche de Loges-Margueron (Aube), à une trentaine de kilomètres au sud de Troyes. Sur des milliers d’hectares se mélangent forêt domaniale – l’État, via l’Office national de forêts -, communale et privée. Enchevêtrement garanti. Une association de chasseurs gère une sorte de ferme dédiée à leur grand art, et accueillent, chaque jour de chasse, des dizaines de tireurs patentés, qui peuvent payer jusqu’à 500 euros la journée.

La veille d’une de ces grandes journées, des 4X4 bourrés jusqu’à la gueule de grains de maïs viennent gentiment les déposer le long des pistes forestières, ce qui attire aussitôt quantité de sangliers. À leur départ, vu leur nombre, il ne reste plus dans le sous-bois que des feuilles mortes, tout le reste ayant été arraché, mangé ou piétiné. Le lendemain, les gros pères se rassemblent, à qui l’on donne une consigne bien craignos : « Surtout, ne tirez pas sur les laies suitées ! ». Ces laies-là sont des mères qui ont des petits. C’est sympa ? Ben non, car c’est juste pour pouvoir les buter plus tard, quand ils auront grandi.

Attention ! Ce n’est pas enclos et ce n’est pas non plus un élevage. En théorie, les animaux peuvent aller ailleurs, mais comme on les nourrit, ils restent bien entendu dans les environs. Et on a pris soin de disposer un seul et fort long grillage sur un côté, de manière que les animaux qui s’y cognent soient obligés de repartir dans l’autre direction, là où les tueurs les attendent, installés sur des miradors.

La scène qui suit est délirante. Les miradors sont installés le long d’une piste, et l’on voit un des chasseurs tirer dans la direction d’un mirador voisin. Certes en visant plus bas les sangliers qui se débinent, mais apparemment en violant les règles de sécurité qui imposent de ne pas avoir un fusil tourné en direction d’un autre chasseur. Ensuite, retour guilleret à la ferme. Les 4X4 ramènent les cadavres – compter entre 40 et 100 sangliers par journée –, qui sont décapités, dépecés, éviscérés. Il n’y a d’ailleurs pas que des sangliers, mais aussi des cerfs ou des chevreuils. C’est le fun, au milieu du sang et des entrailles.

Les restes de barbaque, les têtes, les ordures diverses, jusqu’aux plastiques sont jetés dans une fosse ouverte à cet effet. Quand c’est plein, rien de plus simple que d’en ouvrir une autre. De quoi s’agit-il en fait ? D’une forme de « production » de sangliers prêts à être hachés par des chasseurs trop feignasses pour courir réellement les bois. Et c’est pas qu’un peu cinglé, car le sanglier fera bientôt les poubelles à Marseille, Lyon ou Paris. Sans rire, il est désormais au bord de nombreuses villes, et rien ne semble l’arrêter, surtout pas les chasseurs. Les chiffres sont incertains, discutés, contradictoires, mais on pense que les sangliers n’étaient encore que quelques milliers en France en 1960. Peut-être quelques dizaines de milliers. Une véritable explosion démographique a eu lieu à partir du début des années 70. Alors, les chasseurs tuaient environ 30 000 sangliers par an. On en est, pour la dernière saison, à 809 992. Combien sont-ils ? Un million, ou deux, ou peut-être même quatre millions, comme l’affirme la cheffe de la FNSEA Christiane Lambert (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/08/30/97001-20180830FILWWW00091-trop-de-sangliers-pour-la-fnsea.php).

Le drôle, c’est que les paysans industriels qu’elle représente sont les victimes directes de ce délire, car leurs monocultures sont souvent pillées par les sangliers. Les heurts deviennent fréquents entre paysans, éventuellement chasseurs, et chasseurs possiblement paysans. Lambert : « Nous avons trop de dégâts liés aux sangliers dans nos prairies, nos cultures, nos champs, nos vergers, nos vignes, partout…Il y a de l’élevage de sanglier, du lâcher de sanglier, de l’agrainage (répandre du grain pour le gibier, ndlr) pour les maintenir à certains endroits ». Chaque année, et de plus en plus, les fédérations de chasse paient par dizaines de millions d’euros – on approche de 80 millions – les dégâts faits aux cultures par la faune, dont le sanglier.

Les causes de la prolifération sont difficiles à démêler. La déprise agricole – le départ de tant de paysans – et l’ensauvagement de millions d’hectares jouent leur rôle. Ainsi que le dérèglement climatique, qui à ce stade fait pousser plus vite les forêts et multiplient des ressources alimentaires comme les racines, les tiges, les fruits, les céréales et les graminées. L’essor de l’agriculture intensive et des plantations de maïs ajoutent au grand bordel. Et bien entendu, les chasseurs ont leur part, très grande pour ne pas dire immense. Ils ont voulu jouer au bon Dieu, et traiter le vivant comme si c’était une propriété personnelle, et le réel leur crache à la gueule. Pour l’heure et pour longtemps, la situation est hors de contrôle.

L’armée et la grande arnaque nucléaire

Publié en avril 2021

Les journalistes sont vraiment des feignasses. Entre janvier et décembre 2013, 182 documents – 2000 pages – sont déclassifiés par le ministère de la Défense. Tous ces gens, et j’en connais, qui suivent les activités de l’armée pour leurs journaux respectifs, avaient le devoir élémentaire de lire. L’ont-ils fait ? Par chance pour nous, un chercheur, Sébastien Philippe, et le journaliste qui sauve l’honneur, Tomas Statius, ont tout dépiauté. Ce qui donne un éblouissante travail, « Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie » (PUF, 15 euros) (1).

Bon, on peut résumer vite, mais il est bien mieux de lire. La France a réalisé en Polynésie 193 essais nucléaires entre 1966 – De Gaulle – et 1996 – Chirac. Soit environ 800 fois Hiroshima. Jusqu’en 1974 – Chirac est alors Premier ministre -, les essais sont aériens, c’est-à-dire qu’ils partent balancer leurs radionucléides dans le monde entier. À partir de 1975, on enterre les explosions, détruisant au passage la structure des lagons.

Le livre rapporte des faits, en partie reconnus par l’armée, mais en reprenant tout depuis le début, et en refaisant patiemment tous les comptes. Sans grande surprise, la sous-évaluation de la contamination est omniprésente. Exemple avec les îles Gambier, habitées bien sûr, qui sont à 400 km de plusieurs tirs aériens. L’armée n’a prévenu personne – elle finira par construire un blockhaus -, et le nuage se moque de toute façon des précautions. Le son de l’explosion se propage à la vitesse de 340 mètres par seconde sur l’océan. En vingt minutes, il atteint les Gambier.

D’abord une boule de feu, puis une masse incandescente de plusieurs milliers de degrés, qui disperse d’innombrables poussières radioactives. Après le seul essai Aldébaran – le 2 juillet 1966 – 61 millions de becquerels se déposeront au mètre carré. Les cancers suivront. Il est plaisant de lire ce que nos responsables écrivaient sur le sujet en temps réel. Par exemple, un médecin militaire adresse une lettre dès le jour de l’explosion au grand ponte du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) Francis Perrin. Pour lui – bonne, mauvaise foi, mélange des deux ? -, le tir a libéré des doses radioactives « très inférieures » à ce qui est admissible.

L’essai – connu – le plus insensé date du 17 juillet 1974 et va contaminer lourdement Tahiti. L’équipe du livre est parvenue à modéliser le trajet du nuage de Centaure – nom de code -, qui n’est pas parvenu à la hauteur souhaitée. Et qui, poussé par les vents, a foncé droit sur la grande île de la Polynésie « française ». 110 000 personnes ont été exposés, dont la plupart ont reçu plus que la dose de radioactivité ouvrant droit à indemnisation. À condition de développer l’une des 23 maladies faisant partie d’une liste officielle. L’armée, qui a su très vite que les retombées de Centaure atteindraient Tahiti, a préféré ne rien dire.

On permettra un commentaire. Le livre fait certes œuvre utile, mais dans le même temps, angoisse. Car passé un intérêt de façade dans quelques journaux, tout retombera, comme autant de poussières, d’une certaine manière radioactives elles-même. L’opinion semble indifférente. Nul ne parle des immonde essais nucléaires français dans le Sahara, bien après l’indépendance algérienne. Nul ne parle des irradiés de Brest, ces prolos cancéreux d’avoir travaillé au plus près des bombes nucléaires des sous-marins d’attaque. Nul ne parle de la base secrète française B2-Namous – et de ses innombrables déchets -, que la France éternelle a conservée en Algérie bien après 1962. Nul ne parle bien sûr de l’atoll Bikini des îles Marshall, où les Américains ont également fait exploser leurs bombes H. Nul ne parle des Anglais en Australie. Des Russes à Semipalatinsk (Kazakstan).

Les journalistes feignasses ont donc bien raison d’être les porte-serviettes de l’armée, qui peut dormir sur ses deux oreilles. Sait-on quoi que ce soit sur ce qu’elle entreprend en notre nom ? Croyez-vous qu’ils ne s’exercent pas, en ce moment même, sur des armes toutes nouvelles ?

(1) Il faut y ajouter le collectif Interprt, lancé dans une toute nouvelle discipline qui promet : l’architecture forensique.

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Les campagnols foutent le grand bordel

Ah bougres ! Les campagnes du cœur de la France – Massif central – sont à feu et à sang à cause d’une bestiole très jolie et ultrachiante, le campagnol. Souvent, on l’appelle le rat-taupier pour l’excellente raison qu’il vit beaucoup sous terre. Et n’oublions pas qu’il est – qu’ils sont elle et lui – des copulateurs hors-pair. Toutes les quelques années, ils peuvent passer d’un individu à l’hectare à 1200.

Pour le paysan, cata garantie. Ceux de Haute-Loire ou du Cantal voient en ce moment leurs prairies retournées au point que l’herbe ne parvient plus à s’y réinstaller. On pourrait remettre des haies ou entasser des pierriers où les prédateurs comme la fouine pourraient s’installer, avant de massacrer du campagnol. On pourrait surtout arrêter de flinguer des renards.

Cet animal somptueux peut être chassé et piégé toute l’année, entre autres parce qu’il dérange les chasseurs. Il boulotte un peu trop à leur goût ces faisans d’élevage relâchés la veille de leurs grandes battues bidonnées. Donc, on le traque. C’est extrêmement con, car un renard mange chaque année des milliers de micromammifères, en particulier des campagnols. Il y est si adroit qu’on a nommé l’un de ses comportements de chasse, le mulotage. Le voir sauter sur place, queue au vent, est une splendeur.

Et justement. Un collectif de dizaines d’associations du Doubs (renard-doubs.fr) a rédigé un argumentaire parfait qui rétablit quelques vérité de base. S’appuyant sur des estimations officielles – franchement, c’est à n’y pas croire -, le collectif écrit qu’un seul renard, par ses prélèvements de campagnols, pourrait rapporter à la collectivité jusqu’à 2300 euros par an. Un seul renard !

Un autre calcul fait rigoler avant de faire réfléchir. Un campagnol mange son propre poids d’herbe chaque jour. L’action énergique d’un renard permet de « sauver » 3,5 tonnes d’herbe par an, soit une tonne de foin. Or, en 2018, dans l’Est de la France, la tonne de foin se vendait autour de 180 euros. Avis sans frais à ceux qui gueulent contre le campagnol.

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Marcher pour le climat, vraiment ?

Le 28 mars, dimanche passé, pas loin de 400 organisations, dont beaucoup chères à mon cœur, ont organisé une nouvelle fois des marches pour le climat. Selon leur appel, il faudrait interpeller les députés de manière qu’ils améliorent la loi en discussion. Il faudrait donc une « vraie » loi sur le climat, car les mesures prises ne seraient pas « à la hauteur ».

Toutes ces excellentes personnes – et nombre le sont vraiment – participent du vaste déni planétaire qui sévit depuis le tout début du dérèglement voici quarante ans. Ils oublient en route cette évidence : la trajectoire officielle nous conduit au pire.

En janvier dernier, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, clamait dans l’indifférence générale : « Nous nous acheminons vers une augmentation catastrophique de la température de 3 à 5 degrés au cours du XXIe siècle ». Et pourquoi ? Parce que la funeste COP21 de 2015 – les embrassades Fabius-Royal des Accords de Paris – a relancé la machine à illusions, qui consiste à croire qu’on peut s’attaquer au monstre sans rien toucher à notre façon de vivre. Ce n’est pas seulement un conte de fées, c’est aussi un crime contre l’avenir.

Or nos 400 organisations se contentent de se montrer naïves et même niaises, façon si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main. Dans la réalité, il est un marqueur décisif : la bagnole. Relancer cette industrie par la voiture électrique, outre les problèmes moraux que cette merde pose, revient à dire qu’on repart pour cinquante ans. Comme avant. Je tends l’oreille du côté des 400, et rien ne vient. Jamais.