Un fox-trot au sujet de la viande artificielle

Faut-il vous présenter cette petite merveille jouée jadis par l’orchestre de Ray Ventura ? Allez, pour le plaisir, avant de jouer le rôle qui est le mien, ces quelques paroles :

Tout va très bien, madame la Marquise
Tout va très bien, tout va très bien
Pourtant il faut, il faut que l’on vous dise
On déplore un tout petit rien
Un incident, une bêtise,
La mort de votre jument grise
Mais à part ça, Madame la Marquise
Tout va très bien, tout va très bien !

Rigolo. Pour ceux qui ignoreraient où va ce fox-trot, sachez qu’il va loin, jusqu’au pire. Lisez plutôt :

Eh! bien voilà, madame la Marquise
Apprenant qu’il était ruiné
A peine fut-il rev’nu de sa surprise
Qu’Msieu l’Marquis s’est suicidé
Et c’est en ramassant la pell’
Qu’il renversa tout’s les chandell’s
Mettant le feu à tout l’château
Qui s’consuma de bas en haut
Le vent soufflant sur l’incendie,
Le propagea sur l’écurie
Et c’est ainsi qu’en un moment
On vit périr votre jument
Mais à part ça, madame la Marquise
Tout va très bien, tout va très bien !

Notre monde va lui aussi très bien, et de mieux en mieux. Christian Berdot – merci ! – m’envoie un article du quotidien britannique The Guardian (lire ici, en anglais), dont voici le titre, à peu près traduit :  Viande artificielle : de quoi alimenter le débat à l’horizon 2050. Le professeur John Beddington, « conseiller scientifique en chef » du gouvernement britannique, vient de mener une étude, à la tête d’un groupe de chercheurs, publiée par la Royal Society. Je résume. Le monsieur n’est pas un gai compagnon. Selon lui, malgré les OGM et les nanotechnologies, l’avenir du monde est à la famine de masse. Autour de 2050, l’augmentation de la population et de ses besoins, la raréfaction de l’eau, le dérèglement climatique rendent cette perspective pratiquement certaine. Même si, ajoute ce bon scientiste, la productivité alimentaire pourrait augmenter de 70 % en seulement quarante ans. N’insistons pas sur ce scénario à mes yeux fantaisiste, car tel n’est pas le propos du jour.

D’ailleurs, pour Beddington et ses compères, cela ne suffirait pas à satisfaire la demande attendue en lait et en viande de 9 milliards d’humains. Heureusement, explique un de la bande à Beddington, le docteur Philip Thornton, il y a la viande artificielle. Que l’on fera naître, je n’invente rien, dans d’immenses cuves (vats). À quoi il faut ajouter les bienfaits garantis – par lui – des nanotechnologies, qui devraient révolutionner une fois de plus l’élevage industriel. Cette fois, nos Frankenstein à tête d’hommes insistent sur le rôle de véhicules individualisés de médocs que pourraient jouer les nanos. Le bestiau recevrait ses hormones, ses antibiotiques, ses insecticides dans des doses pesées au trébuchet du milliardième de gramme.

Voilà où en sont les supposées élites du Royaume-Uni, qui sont les mêmes que les nôtres. N’ayant rien compris, incapables sans doute de comprendre quoi que ce soit, dotées pourtant de tous les pouvoirs matériels et symboliques, elles prennent des décisions en notre nom. Qui nous engagent. Qui nous enfoncent mètre après mètre, de plus en plus profondément, au fond d’une impasse dont on ne distingue déjà plus l’entrée, plongée dans le noir. Ne me dites pas que l’on doit accepter cela. Ne me dites pas que cette infamie programmée ne justifie pas la révolte la plus radicale qui soit. Ne me dites rien. J’ai besoin de silence.

Un petit devoir de (fin de) vacances

Devoir de (fin de) vacances : penser la structure, et le temps long. Penser le pouvoir vrai, et l’organisation sans faille. Cela, d’un côté. Et de l’autre, rire de l’esbroufe, des moulinets médiatiques, négliger l’écume des jours inutiles, à répétition. D’un côté, le ministère de l’Écologie – le Medad, ou ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le Climat – et ses baronnies. De l’autre, ce malheureux Jean-Louis Borloo.

Tout bien considéré, peu de gens imaginent ce qu’est un ministre. Commençons par l’évident : c’est un politicien professionnel, dont le travail consiste à plaire à l’opinion et à son maître, le président. Surtout sous le règne de qui vous savez. Borloo se moque éperdument de l’écologie, vous pouvez m’en croire. Son plan de carrière était ailleurs, et je dois rappeler qu’après l’élection de Sarkozy en 2007, il avait obtenu un poste de très haut rang, celui de ministre de l’Économie. Très près de ce qu’on pourrait appeler, chez un Borloo du moins, un bâton de maréchal. Hélas, les législatives de juin 2007 ont envoyé le maire de Bordeaux, Alain Juppé, au tapis, qui avait hérité lui, dans le premier gouvernement Fillon, du poste de ministre de l’Écologie.

C’est contraint et forcé – on ne gagne pas à chaque fois – que Borloo s’est retrouvé à l’Écologie. Ensuite, ce bateleur de foire, cet animateur doué de ristournes géantes au Carrefour du coin, s’est emparé de la chose, en se demandant à chaque seconde si les caméras étaient placées au bon endroit. Je n’insiste pas sur la vaste arnaque du Grenelle de l’environnement, qui aura permis à Borloo – inutile de nier, car c’est un fait – d’apparaître comme un écologiste sincère auprès de notables fractions de l’opinion. Il faut dire qu’on n’a pas tous les jours la caution du WWF, de Greenpeace, de Hulot et  de France Nature Environnement.

Que trouve-t-on dans l’escarcelle d’un ministre comme Borloo, en dehors de la mise en scène du vide ? Rien. Et cela n’est pas propre à lui, du reste. Un ministre ne fait jamais que passer deux ou trois ans sur un territoire dont il ignore tout. Il y atterrit avec un cabinet de spécialistes – manucures, esthéticiens, coiffeurs, palabreurs, danseurs mondains, joueurs de pipeau -, lesquels n’ont qu’un seul rôle : obtenir qu’on parle en bien de leur patron. Même dans l’hypothèse fantaisiste où ce patron obtiendrait une réforme sérieuse et positive, on ne pourrait en observer les effets que plusieurs années après son départ vers d’autres rivages. Or seul compte le présent. Et le ciel bleu.

Au-delà, il faut comprendre ce qu’est un ministère. Tandis que le ministre et sa petite troupe babillent sous les spots, l’administration centrale décide, gère, tranche. Elle est la permanence et la structure. Elle sait qu’elle est la plus forte. Elle sait, bien entendu, qu’elle survivra à tous ces polichinelles qui se succèdent dans l’indifférence générale. Il se trouve, amis lecteurs, que j’ai écrit le 19 décembre 2007, ici même, un article auquel j’attache plus de prix qu’à d’autres. J’y décrivais la manière, la formidable manière dont le ministère de l’Écologie était réorganisé, passant définitivement sous la coupe exclusive de grands ingénieurs d’État étrangers à la cause de la vie sur terre (c’est ici). Quelques mois plus tard, Corinne Lepage me rejoignait sur ce point réellement décisif, soulignant le hold-up des ingénieurs des Ponts et Chaussées sur le ministère de l’Écologie (c’est ici).

C’est à cette aune qu’il faut juger nos pauvres petits ministres. Incapables qu’ils sont d’agir sur le réel, ils ont recours, comme depuis quelques centaines de milliers d’années, à des rituels magiques. Le Grenelle de l’environnement n’est rien d’autre, si l’on y réfléchit un peu. On ne me croira évidemment pas si j’écris que je trouve Borloo plutôt sympathique. C’est pourtant vrai. Mais à la différence de ceux, si nombreux chez les journalistes, qui se contentent de regarder le doigt, j’essaie d’apercevoir la lune.

Vite, vite, toujours plus vite (dubo, dubon, dumoinsbon)

Pas le temps. Je ne snobe personne, je n’ai simplement pas le temps. Je note à la volée deux nouvelles, dont l’une est franchement merveilleuse. Le 21 avril (lire ici), j’ai évoqué le sort alors funeste d’un peuple autochtone de l’Inde, les Dongria Kondh. Ces idiots sans télévision vivent dans des collines perdues de l’État d’Orissa. Une compagnie minière voulait détruire leur montagne sacrée pour en extraire de la bauxite. Elle vient apparemment de perdre la partie (lire ici). Je suis infiniment heureux, et abominablement triste, pensant à eux, mais aussi aux milliers de peuples dispersés sur notre si petite terre, et dont le territoire est détruit par la rapacité. La nôtre, si nous acceptons d’être honnêtes. Commentaire incroyable à mes yeux de Jairam Ramesh, ministre indien de l’environnement et des forêts, qui a justifié la décision de refuser l’ouverture de la mine par de « très sérieuses violations » des droits des populations locales et de la loi de protection des forêts.

Je ne connais pas ce Ramesh, mais je sens chez lui un talent inné d’humoriste, qu’il devrait mieux utiliser. C’est partout où il y a quelque chose à piller que l’on viole le droit des gens, dans l’indifférence la plus totale. Si ce bureaucrate indien semble avoir donné raison aux Dongria Kondh, c’est parce que l’affaire se passait devant les caméras. Point barre. L’autre nouvelle est affreuse, bien qu’attendue, bien que prévisible, bien qu’évidente sur le fond. Une étude publiée dans la revue américaine Annals of Internal Medicine (lire ici) montre que les couillons de pêcheurs qui ont aidé à nettoyer les plages espagnoles, après la marée noire du Prestige, en 2002, ont depuis un ADN modifié, ainsi que des problèmes pulmonaires.

Bon, il faudrait composer avec un monde pareil ? Laissons cela à d’autres, si promptement volontaires.

PS : J’avais écrit du bauxite au lieu de la bauxite. Merci à DD de m’avoir signalé mon erreur.

Brice Lalonde serviteur du faux (Rio 2012)

Ce qui suit est une reprise d’un article publié mercredi passé dans Charlie-Hebdo. J’écris dans ce journal, oui. Entre autres. Et ce n’est pas de la pub, car cela dure depuis une année environ, et vous êtes assez grands pour savoir ce que vous voulez. Si je publie de nouveau ce texte, c’est qu’il annonce, je l’espère du moins, une mobilisation exceptionnelle contre le Sommet de la terre prévu en 2012 à Rio, vingt ans après celui de 1992. Ce qui se prépare, ce qui se jouera, c’est la parole publique légitime autour de la crise écologique. Il y a  ceux comme Brice Lalonde, d’ores et déjà couchés devant le capitalisme vert, qui nous assure de nouveaux désastres. Et les autres, dont je suis. Puis-je vous demander de parler de tout cela autour de vous ? Je crois que se prépare un grand combat, une bagarre que nous ne pouvons pas perdre. Peut-on parler d’une priorité ? Il faut en faire LA priorité des prochains mois. Beaucoup ici se demandent quand et comment se lever ensemble. Voilà une occasion unique.

L’affaire semble crétine en diable, mais elle est si passionnante en vérité que l’on ne tardera pas à en reparler. Brice Lalonde, ci-devant écolo, sarkozyste de choc, vient d’être discrètement désigné par les Nations Unies pour organiser le Sommet de la terre 2012 de Rio, vingt ans après le premier. Et notre bon maître à tous n’est pas étranger à la combinazione.

Mais d’abord, un rappel rapide de la carrière d’un si gentil garçon. Écolo dans l’après-68, tendance PSU, Lalonde passe ensuite quinze ans à freiner l’émergence des Verts puis à tenter de les casser. Un beau travail d’expert. Ainsi, en 1984, il présente une liste aux Européennes contre les Verts, qui viennent de naître, en compagnie d’un ancien ministre de droite, le sublime Olivier Stirn. Comme il est élu de Normandie, ce dernier est également appelé « L’andouille de Vire ». Serait-ce une allusion ?

En 1989, Mitterrand appelle Lalonde au gouvernement pour faire semblant de s’occuper d’écologie, mais surtout pour concurrencer les Verts, qui viennent d’obtenir 10,59 % des voix aux Européennes. Commence une époque épique pour Lalonde, qui monte avec Jean-Louis Borloo – lui-même – une grande opération de diversion connue sous le nom de « Génération Écologie » ou GE. Aux régionales de 1992, GE fait à peu près jeu égal avec les Verts, ce qui arrache des sanglots de joie au vieux Mitterrand, qui déteste l’écologie.

Lalonde est déjà reparti ailleurs. La gauche ne plaît plus au monsieur, qui appelle à voter Chirac en 1995, puis s’acoquine dans la foulée avec l’ultralibéral Alain Madelin. Madelin, c’est du lourd. Le 13 mai 1986, 15 jours après Tchernobyl, il déclare, alors qu’il est ministre de l’Industrie : « Dans cette affaire du nucléaire, il faut jouer la transparence. Il n’y a eu aucun maillon faible dans la sécurité des Français ». Presque aussi beau que le coup du nuage arrêté à la frontière.

En 1995, à peine ministre des Finances, il réclame une réforme des retraites plus radicale que celle de Sarko aujourd’hui. En 1998, ayant conquis le Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, il refuse de condamner Million et Blanc, qui se sont allié à Le Pen pour gagner les régionales à Lyon et Montpellier. Bien entendu, il soutient avec vigueur Bush et son intervention en Irak. Un sans faute.

Et notre Lalonde ? Il ne jure plus que par l’industrie, très grosse de préférence, et se désintéresse peu à peu de la politique. Il laisse tomber Génération Écologie, petite entreprise en difficulté, et disparaît de la scène. Jusqu’à l’été 2007, quand commence la belle mise en scène du « Grenelle de l’Environnement ». Coup de fil de son vieux copain Borloo, devenu chef cuistot à l’Élysée. Le ministre de l’Écologie lui propose un poste taillé sur mesure, celui d’« ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». Lalonde remonte en selle et parcourt le monde en avion pour préparer le sommet climatique de Copenhague, en décembre 2009, dont Sarkozy attend beaucoup.

Mais cela foire, et en grand. Les petits bras blancs du président n’ayant pas suffi à sauver le monde, Lalonde se retrouve à la tête d’un poste inutile. Fini ? Mais non, les amis ! Les réseaux élyséens s’agitent en coulisses pour une nouvelle manœuvre auprès des Nations Unies, qui vient de réussir : Lalonde va donc préparer officiellement le grand Sommet de la terre de dans deux ans, qui occupera une bonne part de l’espace médiatique au printemps 2012.

Tout cela relève-t-il d’un heureux hasard ? Euh, non : Sarkozy entend utiliser Lalonde pour montrer au moment des présidentielles, épaulé par un Borloo aux anges, que la droite est non seulement écologiste, mais aussi planétaire. Le coup marchera-t-il ? Pour l’instant, on s’en fout. Mais il faut ajouter deux ou trois bricoles sur l’arrière-plan des festivités de Rio. L’édition 2012 devrait consacrer pour un bon bout de temps le triomphe du « capitalisme vert ».

Qu’est-ce que c’est ? De la peinture. Du ripolinage. Ce qu’on appelle en Amérique du greenwashing, c’est-à-dire l’art éternel d’entuber le beau monde. Un, on lance sur le marché l’expression « développement durable », dont la vraie traduction est business as usual. Deux, on occupe les places qui comptent. Trois, on applaudit. De 1972 à 1992, du premier sommet de la terre de Stockholm à celui de Rio première manière, le grand organisateur de ces rendez-vous « écolos » s’appelait Maurice Strong, fascinant personnage lié de tout temps à l’industrie pétrolière. Adjoint du même dès la fin des années 80 : le Suisse Stephan Schmidheiny, alors patron d’une transnationale de l’amiante, Eternit, qui a tué les prolos par milliers. Lalonde s’inscrit à la perfection dans la tradition. Rio 2012 ? Un grand moment du faux.

Juste un petit complément (sur Pierre Moscovici)

Vous ne connaissez pas Pierre Moscovici. Ou vous le connaissez, ce qui ne change rien.  Cet ancien ministre socialiste est toujours député du Doubs, et il est le vice-président du Cercle de l’Industrie, où se retrouvent Lafarge, Pechiney, Elf, L’Oréal, Bull, Schneider, Renault, Total, etc. Il ne fait pas de doute que dans le cas où la gauche l’emporterait en 2012, il sera à nouveau ministre. De l’Industrie, peut-être ? Une petite curiosité : le père de Pierre, Serge, a fait partie de cette poignée d’intellectuels de gauche qui s’intéressèrent à l’écologie voici quarante ans, dans le sillage d’Ivan Illich ou André Gorz. Pierre a donc entendu des choses lorsqu’il était enfant, du moins l’espère-t-on pour lui. Et pour son père.

Mosco, comme on l’appelle, était hier vendredi aux Journées d’été des Verts et d’Europe-Écologie, où il représentait les socialistes. Photos, embrassades, plans sur la comète de 2012, et le toutim habituel. Au passage, il a eu un mot pour l’industrie automobile, que voici : « En tant qu’élu du Doubs – où réside le berceau de Peugeot – je suis pour le soutien à l’industrie ». Les Verts et leurs petits ennemis d’Europe-Écologie vont donc utiliser toutes leurs forces, dans les deux prochaines années, à tenter de gagner les élections avec Moscovici et ses excellents amis. Après quoi, il faudra comme de juste soutenir l’industrie.

Où est la cohérence ? Dans l’incroyable incohérence de ces pseudo-écologistes qui vont répétant que la planète est en danger, mais s’apprêtent à mettre encore un peu d’essence sur les flammes ? J’ai sur un coin de ma table un livre signé Jean-Marc Jancovici – un proche de Nicolas Hulot – et Alain Grandjean. Son titre : « C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde ». Il a paru en janvier 2009, ce qui veut dire qu’il ne nous resterait que 18 mois. Pas assez pour atteindre les présidentielles. Crotte, encore raté.