Fa-bu-leux. Il n’y a que les anciens comme moi qui peuvent se souvenir du rôle qu’a pu jouer Rocard en France, entre disons 1969 et 1994. 1969 est la date d’une élection présidentielle au cours de laquelle s’affrontèrent, dans un deuxième tour baroque, Georges Pompidou et Alain Poher. Un tel événement s’est-il vraiment produit ? Je ne saurais le jurer. Tête de Pompidou, qui n’avait pas bougé un orteil de la guerre, et qui ne supportait donc pas que l’on fasse l’éloge de la résistance antifasciste. Tête de Poher, qui finirait sa vie président du Sénat, s’endormant au milieu des réunions les plus importantes de ce petit club de vieux.
Rocard avait 38 ans, et représentait au premier tour le Parti socialiste unifié (PSU), qu’il allait donner en pâture aux crocodiles sociaux-démocrates en 1975, pour se faire une place dans le marigot. Des flopées de gens – pas moi, oh pas moi ! – crurent dans ce personnage de l’après-68, le voyant comme une synthèse miraculeuse de l’imagination, de la volonté et du courage en politique. Pauvres d’eux, tout de même. Pendant vingt années, au PS, Rocard endura tous les coups tordus, toutes les vacheries du clan miterrandien, sans compter l’infini mépris dans lequel le tenait le grand maître lui-même. En 1988, tactique en diable, Mitterrand le nomma à Matignon pour mieux affirmer l’insignifiance du malheureux. Laquelle apparut, il faut bien l’avouer.
Cet homme, qui avait rêvassé de devenir président, se retrouva à la tête d’un parti socialiste moribond, avant de subir une déculottée aux élections européennes de 1994 – un peu plus de 14 % des voix seulement – qui le fit sortir du champ, définitivement. C’est ce gentil petit télégraphiste-là qui porte désormais certains messages de notre président chéri actuel, Nicolas le Premier. Rocard est en effet, ou a été, ambassadeur de France chargé des négociations internationales sur l’Arctique et l’Antarctique, président d’une « conférence d’experts sur l’institution d’une taxe carbone », et grand ordonnateur, avec son désormais copain Alain Juppé, de cet magnifique emprunt national que nul autre pays ne nous envie.
Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de ce qui précède. Rocard est un comique authentique. Dans un entretien encore tout chaud donné à l’AFP, il distribue bons et mauvais points à propos de la crise écologique. De ce que ce grand homme miniature perçoit de la crise écologique (ici). Top fun ! L’AFP, agence de référence s’il en est, présente Mickey comme un homme qui « travaille de longue date sur la question du réchauffement climatique, de la mise en place – lorsqu’il était à Matignon – de la Mission de l’effet de serre à ses travaux récents sur la taxe carbone ». Et le plus extravagant est que c’est vrai. Cela fait longtemps qu’il travaille, comme savent le faire les politiciens, sur le dérèglement climatique. Disons vingt ans.
Et c’est là que les hoquets de rire arrivent, en tout cas chez moi. Car ce même Rocard, malgré vingt années de dur labeur sur l’effet de serre, a néanmoins déclaré sur France-Info en août 2009 un propos qui démontre qu’il confond rigoureusement tout. Dans le galimatias ci-dessous, à l’insu de son plein gré je n’en doute pas, il mélange deux phénomènes totalement différents l’un de l’autre. À savoir, d’un côté, l’effet de serre. Et de l’autre, la couche protectrice de l’ozone stratosphérique qui entoure, de moins en moins, la Terre. Mais lisez : « Le principe, c’est que la terre est protégée de radiations excessives du soleil par l’effet de serre, c’est à dire une espèce de protection nuageuse, enfin protection gazeuse qui dans l’atmosphère est relativement opaque aux rayons du soleil. Et quand nous émettons du gaz carbonique ou du méthane ou du protoxyde d’azote, un truc qu’il y a dans les engrais agricoles, on attaque ces gaz, on diminue la protection de l’effet de serre et la planète se transforme lentement en poële à frire. Le résultat serait que les arrière-petits-enfants de nos arrière-petits-enfants pourront plus vivre. La vie s’éteindra à sept huit générations, c’est complètement terrifiant. »
Dans l’entretien de janvier 2010 qui est le point d’origine de ce papier, Rocard raconte n’importe quoi, comme à sa plaisante habitude. Il dit ainsi que la « fougue médiatique » aurait été trop forte pour annuler un sommet dont l’échec était prévisible depuis six mois. Excellent. Un, bien entendu, on n’a pas entendu Rocard nous prévenir que nous courions à l’échec. Deux, faire de la « fougue médiatique » une force menant le monde me semble un remarquable travail d’imagination. Trois, de loin la chose la plus importante, Rocard est désespérément largué.
Il enfile les perles comme d’autres font des ronds de fumée. C’est réellement extraordinaire de lire un type qui eût pu être président – Chirac l’a bien été, Sarkozy l’est – démontrer à ce point l’inconsistance de sa pensée. « Pitié: l’ONU n’y est pour rien », dit-il à propos des responsabilités dans l’échec de Copenhague. Pourquoi ? On ne le saura pas. En revanche, et concernant la suite des événements sur le front climatique, Rocard nous livre le fond de sa pensée, précisément sans fond : « Ce n’est pas une affaire de sursaut, c’est une affaire de conscience ». Je rassure ceux qui chercheraient en vain, il n’y a rien à comprendre. Tant mieux, d’ailleurs.
Pour le reste, quoi ? Eh bien, Rocard en est convaincu : il faut se dépêcher, car la roue tourne. Nous voilà bien, tout éblouis par la profondeur de champ, tourneboulés par la pertinence de notre penseur de chevet. Qu’on me permette de citer les derniers mots de ce papier d’anthologie pure : « Or, estime-t-il, la question centrale est celle de la chaîne alimentaire. Un scientifique canadien a publié un papier intitulé : Dans 30 ans plus de poisson ? C’est peut-être là le plus grand danger: la disparition générale du poisson serait une catastrophe planétaire ».
Je crois devoir parler d’apothéose. D’abord pour la raison que Rocky-la-science ne se souvient même pas du nom du scientifique dont il parle. Tout de même. Si l’on s’appuie sur un article pour adresser un message à l’humanité, il me semble qu’il serait préférable de citer son auteur. Mais je vous rassure : Mickey n’a pas lu cet article, et en sera resté au titre. Qui est une question, laquelle ne veut rien dire. On croirait un cri d’alarme lancé vers 1965, ou mieux en 1969, quand Rocard se lançait dans la course à l’échalote des présidentielles. Des alertes de ce type, le monde en a connu des centaines depuis cette époque, dont s’est contrefoutu Rocard lorsqu’il était aux manettes et pouvait, éventuellement, limiter la puissance de la pêche industrielle.
Voilà que les décennies ont passé, que Rocky est vieux, et que tout a changé. Tout. Parler de la fin du poisson – sous-entendu, dans nos assiettes – est une ringardise de plus. Ce qui se passe, et que saurait Mickey s’il lisait autre chose que les œuvres complètes du président Sarkozy, c’est que les écosystèmes marins sont désormais atteints dans leurs équilibres essentiels. Autrement dit, la seule chose qui aurait, à ce stade, le moindre sens, serait de réclamer la fin immédiate de toutes les subventions publiques à la pêche industrielle. Et un moratoire d’au moins dix ans sur cette économie de pillage, de manière à voir ce qui peut encore être sauvé.
Mais Rocard parle comme n’osaient pas parler les écologistes inspirés d’il y a quarante ans. Pour la raison simple qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été et ne sera jamais un écologiste. Comme la totalité de la classe politique française, gauche et droite confondues. Je rabâche ? Je rabâche.

