Le retour (gagnant) de Mickey Rocard

Fa-bu-leux. Il n’y a que les anciens comme moi qui peuvent se souvenir du rôle qu’a pu jouer Rocard en France, entre disons 1969 et 1994. 1969 est la date d’une élection présidentielle au cours de laquelle s’affrontèrent, dans un deuxième tour baroque, Georges Pompidou et Alain Poher. Un tel événement s’est-il vraiment produit ? Je ne saurais le jurer. Tête de Pompidou, qui n’avait pas bougé un orteil de la guerre, et qui ne supportait donc pas que l’on fasse l’éloge de la résistance antifasciste. Tête de Poher, qui finirait sa vie président du Sénat, s’endormant au milieu des réunions les plus importantes de ce petit club de vieux.

Rocard avait 38 ans, et représentait au premier tour le Parti socialiste unifié (PSU), qu’il allait donner en pâture aux crocodiles sociaux-démocrates en 1975, pour se faire une place dans le marigot. Des flopées de gens – pas moi, oh pas moi ! – crurent dans ce personnage de l’après-68, le voyant comme une synthèse miraculeuse de l’imagination, de la volonté et du courage en politique. Pauvres d’eux, tout de même. Pendant vingt années, au PS, Rocard endura tous les coups tordus, toutes les vacheries du clan miterrandien, sans compter l’infini mépris dans lequel le tenait le grand maître lui-même. En 1988, tactique en diable, Mitterrand le nomma à Matignon pour mieux affirmer l’insignifiance du malheureux. Laquelle apparut, il faut bien l’avouer.

Cet homme, qui avait rêvassé de devenir président, se retrouva à la tête d’un parti socialiste moribond, avant de subir une déculottée aux élections européennes de 1994 – un peu plus de 14 % des voix seulement – qui le fit sortir du champ, définitivement. C’est ce gentil petit télégraphiste-là qui porte désormais certains messages de notre président chéri actuel, Nicolas le Premier. Rocard est en effet, ou a été, ambassadeur de France chargé des négociations internationales sur l’Arctique et l’Antarctique, président d’une « conférence d’experts sur l’institution d’une taxe carbone », et grand ordonnateur, avec son désormais copain Alain Juppé, de cet magnifique emprunt national que nul autre pays ne nous envie.

Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de ce qui précède. Rocard est un comique authentique. Dans un entretien encore tout chaud donné à l’AFP, il distribue bons et mauvais points à propos de la crise écologique. De ce que ce grand homme miniature perçoit de la crise écologique (ici). Top fun ! L’AFP, agence de référence s’il en est, présente Mickey comme un homme qui « travaille de longue date sur la question du réchauffement climatique, de la mise en place – lorsqu’il était à Matignon – de la Mission de l’effet de serre à ses travaux récents sur la taxe carbone ». Et le plus extravagant est que c’est vrai. Cela fait longtemps qu’il travaille, comme savent le faire les politiciens, sur le dérèglement climatique. Disons vingt ans.

Et c’est là que les hoquets de rire arrivent, en tout cas chez moi. Car ce même Rocard, malgré vingt années de dur labeur sur l’effet de serre, a néanmoins déclaré sur France-Info en août 2009 un propos qui démontre qu’il confond rigoureusement tout. Dans le galimatias ci-dessous, à l’insu de son plein gré je n’en doute pas, il mélange deux phénomènes totalement différents l’un de l’autre. À savoir, d’un côté, l’effet de serre. Et de l’autre, la couche protectrice de l’ozone stratosphérique qui entoure, de moins en moins, la Terre. Mais lisez : « Le principe, c’est que la terre est protégée de radiations excessives du soleil par l’effet de serre, c’est à dire une espèce de protection nuageuse, enfin protection gazeuse qui dans l’atmosphère est relativement opaque aux rayons du soleil. Et quand nous émettons du gaz carbonique ou du méthane ou du protoxyde d’azote, un truc qu’il y a dans les engrais agricoles, on attaque ces gaz, on diminue la protection de l’effet de serre et la planète se transforme lentement en poële à frire. Le résultat serait que les arrière-petits-enfants de nos arrière-petits-enfants pourront plus vivre. La vie s’éteindra à sept huit générations, c’est complètement terrifiant. »

Dans l’entretien de janvier 2010 qui est le point d’origine de ce papier, Rocard raconte n’importe quoi, comme à sa plaisante habitude. Il dit ainsi que la « fougue médiatique » aurait été trop forte pour annuler un sommet dont l’échec était prévisible depuis six mois. Excellent. Un, bien entendu, on n’a pas entendu Rocard nous prévenir que nous courions à l’échec. Deux, faire de la « fougue médiatique » une force menant le monde me semble un remarquable travail d’imagination. Trois, de loin la chose la plus importante, Rocard est désespérément largué.

Il enfile les perles comme d’autres font des ronds de fumée. C’est réellement extraordinaire de lire un type qui eût pu être président – Chirac l’a bien été, Sarkozy l’est – démontrer à ce point l’inconsistance de sa pensée. « Pitié: l’ONU n’y est pour rien », dit-il à propos des responsabilités dans l’échec de Copenhague. Pourquoi ? On ne le saura pas. En revanche, et concernant la suite des événements sur le front climatique, Rocard nous livre le fond de sa pensée, précisément sans fond : « Ce n’est pas une affaire de sursaut, c’est une affaire de conscience ». Je rassure ceux qui chercheraient en vain, il n’y a rien à comprendre. Tant mieux, d’ailleurs.

Pour le reste, quoi ? Eh bien, Rocard en est convaincu : il faut se dépêcher, car la roue tourne. Nous voilà bien, tout éblouis par la profondeur de champ, tourneboulés par la pertinence de notre penseur de chevet. Qu’on me permette de citer les derniers mots de ce papier d’anthologie pure : « Or, estime-t-il, la question centrale est celle de la chaîne alimentaire. Un scientifique canadien a publié un papier intitulé : Dans 30 ans plus de poisson ? C’est peut-être là le plus grand danger: la disparition générale du poisson serait une catastrophe planétaire ».

Je crois devoir parler d’apothéose. D’abord pour la raison que Rocky-la-science ne se souvient même pas du nom du scientifique dont il parle. Tout de même. Si l’on s’appuie sur un article pour adresser un message à l’humanité, il me semble qu’il serait préférable de citer son auteur. Mais je vous rassure : Mickey n’a pas lu cet article, et en sera resté au titre. Qui est une question, laquelle ne veut rien dire. On croirait un cri d’alarme lancé vers 1965, ou mieux en 1969, quand Rocard se lançait dans la course à l’échalote des présidentielles. Des alertes de ce type, le monde en a connu des centaines depuis cette époque, dont s’est contrefoutu Rocard lorsqu’il était aux manettes et pouvait, éventuellement, limiter la puissance de la pêche industrielle.

Voilà que les décennies ont passé, que Rocky est vieux, et que tout a changé. Tout. Parler de la fin du poisson – sous-entendu, dans nos assiettes – est une ringardise de plus. Ce qui se passe, et que saurait Mickey s’il lisait autre chose que les œuvres complètes du président Sarkozy, c’est que les écosystèmes marins sont désormais atteints dans leurs équilibres essentiels. Autrement dit, la seule chose qui aurait, à ce stade, le moindre sens, serait de réclamer la fin immédiate de toutes les subventions publiques à la pêche industrielle. Et un moratoire d’au moins dix ans sur cette économie de pillage, de manière à voir ce qui peut encore être sauvé.

Mais Rocard parle comme n’osaient pas parler les écologistes inspirés d’il y a quarante ans. Pour la raison simple qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été et ne sera jamais un écologiste. Comme la totalité de la classe politique française, gauche et droite confondues. Je rabâche ? Je rabâche.

Le lobby de la viande fourbit sa revanche

Croyez-moi, en tout cas lisez-moi : il se prépare quelque chose dans les coulisses de notre monde. En la circonstance, à propos de la bidoche industrielle. Laurence Mermet – des bises ! – m’envoie copie du journal professionnel Réussir bovins viande, de janvier 2010 (ici, grâce à Hacène). Le journal sonne directement l’hallali contre « les attaques anti-viande ». Et précise : « Cette recrudescence des attaques a commencé avec le livre à charge du journaliste Fabrice Nicolino, Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde. Une offensive sans nuance, ne serait-ce que dans son titre péjoratif, qui a été perçue dans le monde de l’élevage comme une volonté particulièrement injuste de nuire ».

Même si c’est dur, pas question de rire. Ces gens-là font semblant de croire que je mets sur le même plan un éleveur broyé par la machine industrielle et la machine elle-même. Tout est du même tonneau. Le journal attaque Mc Cartney, le président du Giec Rajendra Pachauri, et il aurait attaqué le pape de Rome si celui-ci avait osé dire un mot sur la viande industriellement produite. Le titre de l’article n’est pas piqué des hannetons : « Réagir vite, fort et collectivement ». J’en tremble. Ces gens-là ne sont visiblement pas tranquilles, qui font le parallèle avec la crise de la vache folle, estimant que le mouvement en cours « pourrait être tout aussi dévastateur ». Mazette ! On ne se rend pas compte de sa puissance. Mais la leur est bien plus grande encore. Sans hésiter, la filière bovine promet une mobilisation tous azimuts des éleveurs, des bouchers, des abatteurs et bien entendu des…élus, qui vont être travaillés au corps pour contenir ce que le journal présente comme « une vague de fond ».

Vous imaginez bien que les innombrables relais politiques de l’élevage industriel ne vont pas tarder à donner de la voix. Il est déjà une étrange déclaration d’un certain Bernard Vallat, directeur général de l’OIE depuis 2000. Je vous présente, en commençant par l’OIE, ou Office international de la santé animale, comme son acronyme ne le dit pas. Il faut dire que l’OIE, créé en 1924 à Paris, s’est longtemps appelé Office international des épizooties (OIE). Ce que c’est ? Une grosse machine étatique et bureaucratique, qui rassemble des membres désignés par leurs gouvernements respectifs. L’OIE compte 167 membres, qui sont réunis une fois par an à Paris. Il s’agit d’une structure presque inconnue, mais dont le poids, à mesure que se répandent les épizooties, dont certaines menacent de se changer en pandémies, augmente d’année en année. Les considérations politiques y priment, et comment pourrait-il en être autrement dans un cénacle de cette sorte ?

Quant à Vallat, vétérinaire de son état, il est fonctionnaire de la France depuis près de quarante ans. Je serais ravi de savoir comment sa carrière internationale a été remplie avant 2000, date de sa nomination à la tête de l’OIE. En tout cas, il a visiblement bien œuvré dans des pays du Sud, notamment africains. Et il ne s’est pas occupé seulement du bétail, mais aussi de pesticides, ce qui me le rend d’emblée sympathique. Estiva – merci à elle – me signale une bien étrange information (ici). En deux mots, Vallat veut réunir des experts pour étudier les rapports entre élevage, écosystèmes et changement climatique.

Pourquoi pas ? Mais surtout pourquoi. Pourquoi maintenant. Il existe une source fiable en ce domaine, ce qui ne veut pas dire indiscutable : la FAO. Comme je l’ai écrit dans mon livre, et répété depuis, un rapport FAO de 2006 (ici) établit que l’élevage mondial est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre anthropiques, c’est-à-dire dues à l’homme. Chose éminemment curieuse, alors que la FAO dispose de centaines de traducteurs de qualité, ce rapport n’a été traduit en français qu’en 2009, et peut-être parce que des voix de plus en plus nombreuses s’étonnaient d’une telle distraction (le texte français).

Quoi qu’il en soit, ce texte de la FAO est une pièce maîtresse dans la critique résolue de l’élevage industriel. On doit donc se demander ce que vise au juste l’OIE en lançant une nouvelle expertise. Bien que l’envie me démange, je vais tâcher de ne pas faire de procès d’intention à Bernard Vallat. Nous allons donc attendre, mais en restant aussi vigilants qu’il sera possible. Quelque chose me tarabuste pourtant. Annonçant sa nouvelle étude, Bernard Vallat, fonctionnaire de l’État français, a déclaré : « On va devoir produire plus d’animaux pour nourrir la planète quoiqu’il arrive ». Je trouve cela très bien, de commencer de la sorte un travail aussi fondamental. Notons pour commencer l’usage du mot produire qui renvoie si justement à l’univers de l’usine et des engrenages. Notons également ce puissant impératif moral, forcément moral, qui pousse les philanthropes de notre temps à vouloir nourrir la planète. Avec de la viande, quand il n’y a déjà pas assez de céréales.

Enfin, admirons ensemble le quoi qu’il arrive. Autrement dit, il n’y a de toute façon rien à faire, car la messe est dite, et le vin servi, qui sera de toute façon bu. Est-ce une manière juste, est-ce une façon admissible de préparer le terrain à un travail authentique ? Ne s’agirait-il pas au bout du compte d’une sorte de conclusion a priori ? Voilà qu’il me vient des doutes. Voilà que je me demande si l’industrie de la viande n’est pas en train de préparer une riposte à la hauteur des enjeux colossaux de ce qui pourrait bien s’appeler demain la « crise de la viande ». Je ne me réjouis pas, malgré ce que dit et répète le lobby dans mon dos – j’ai des informateurs, voyez-vous -, de la peine d’éleveurs qui se demandent avec angoisse de quoi demain sera fait. Je me réjouis pas, mais la consommation de viande bovine aurait baissé de 4,6 % en octobre 2009 par rapport à 2008. Et de 5 % en novembre. Il serait ridicule de penser que mon livre en est le responsable, car une telle évolution se prépare dans les profondeurs de la société. Simplement, Bidoche aura permis de cristalliser le refus du grand massacre des animaux par l’industrie.

I am happy comme le chien Droopy (grâce à la bidoche)

Haut du formulaire

Vous connaissez tous le chien Droopy, créé par le génial cartooniste Tex Avery. Avec son inimitable tronche, impavide et triste à la fois, il répétait souvent quelques phrases fétiches. Au début : « Hello all you happy people…you know what? I’m the hero ». Et à la fin : « You know what? I’m happy ». Il était donc le héros de l’histoire, et il était aussi heureux.

    fond d'écran de Droopy

Allez savoir pourquoi, on ne le croyait jamais réellement. Et aux dernières nouvelles, cela n’a pas changé. Notons tout de même que Droopy avait quelquefois de fugitives compensations, comme l’on peut voir ci-dessus. C’est un peu dans cet état esprit que je vous livre un article paru dans le quotidien régional L’Union-L’Ardennais (ici). On y verra, vous y verrez peut-être que mon livre Bidoche commence à produire des effets dans la réalité. Ce que je souhaitais ardemment. Ceci expliquant cela,  « You know what? I’m happy ».

Les Amis de la Terre contre le lobbying des « viandards »

 

Afin de permettre aux jeunes de découvrir les saveurs de la viande, le Centre d’information des viandes a proposé un jeu concours dans les cantines scolaires. Au grand dam des Amis de la Terre.

 

« IL y a des circulaires qui interdisent le démarchage en milieu scolaire. J’ai l’impression qu’à Reims, on s’en contrefiche. Pour nous, le jeu concours intitulé « Les toqués de la viande » organisé dans de nombreuses cantines publiques rémoises par le Centre d’information des viandes n’est ni plus ni moins du lobbying commercial pour promouvoir la consommation de viande à travers des slogans dénués de toute portée sanitaire ou pédagogique. À Charleville-Mézières, ils l’ont compris et ont refusé l’organisation de ce concours dans les écoles. » Président des Amis de la Terre de la Marne, Denis Rousseaux n’est pas content et vient de l’écrire à la maire. Fils d’agriculteur du Rethélois et pas du tout végétarien, -il mange de la viande deux à trois fois par semaine-, le pédagogue tient aujourd’hui à tirer la sonnette d’alarme sur « la triste réalité écologique de la filière viande pour la planète. »
Très inspiré par Fabrice Nicolino auteur de « Bidoche », il pense, pour faire court, que manger moins de viande serait bon et pour la santé des gens (maladies cardio-vasculaires, diabète) et pour la planète.


Réquisitoire contre la viande
Et de dresser un vrai réquisitoire contre la viande : « L’élevage est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, plus que les transports. Il mobilise 70 % des terres arables (favorisant la déforestation) et 9 % de l’eau douce de la planète. Un repas avec de la viande et des produits laitiers équivaut en gaz à effet de serre à 4.758km en voiture contre 629km pour un repas sans viande et produits laitiers. L’élevage agro-industriel pollue les nappes phréatiques et met à mal les ressources en eau. L’alimentation du bétail le plus souvent à base de plantes génétiquement modifiées se retrouve dans les assiettes sans qu’aucun étiquetage n’en précise la nature. En Europe, 80 % des animaux d’élevage consomment des OGM contenus dans le soja importé du continent américain. »
D’accord pour reconnaître qu’il faut bien défendre les régions à vocation d’élevage qui élèvent des animaux à l’herbe, Denis Rousseaux précise que son association « ne raisonne pas au seul niveau du petit coin de France qui n’est d’ailleurs pas si vertueux quand on voit les dégâts des lisiers porcins sur la nature en Bretagne, mais au niveau du monde entier. »
Car si la consommation de viande baisse en France, ce n’est pas le cas dans le monde où on commence d’ailleurs à voir poindre une concurrence entre l’alimentation animale et l’alimentation humaine puisque 40 % des céréales produites sont déjà destinées à alimenter le bétail.

Enfin, à un moment où la Ville de Reims a manifesté sa volonté d’introduire, à son avis, encore trop timidement une part d’alimentation biologique dans les cantines, si demain la part de consommation de la viande augmente comme le souhaite implicitement le centre d’information des viandes, ce sera autant d’aliments bio en moins dans les assiettes des enfants.

Alain MOYAT

Trois mots à un imbécile authentique (sur le nucléaire encore)

Je reçois à l’instant un commentaire sur le nucléaire de quelqu’un qui semble s’appeler M. Fischer. Qui est-il ? Je l’ignore bien. Le net permet, sous le couvert de l’anonymat, de se livrer à n’importe quelle sottise. Celle-ci est insignifiante dans la hiérarchie de ce qu’on y trouve chaque jour, mais enfin, elle existe tout de même. Avant de répondre, je vais donc laisser la place à ce M.Fischer, qui connaît si bien le monde du nucléaire.

Commentaire de M.Fischer (si ce nom existe) :

M. Nicolino,
vous écrivez dans un français honorable, des approximations que vous présentez comme valeurs scientifiques, dites-vous, mais très grossières voire fausses. Par exemple, vous devriez lire un ouvrage de physique un peu sérieux (cela existe)sur le devenir du Pu 240. Sachez aussi que si la terre ne contenait plus d’éléments radioactifs(et on lui donne allègrement quelques 13 milliards d’années), elle serait beaucoup plus froide qu’elle n’est aujourd’hui, et vraisemblablement invivable pour l’Homme. De même, le couvercle de n’importe quel réacteur fut-il un RBMK de Tchernobyl, n’a jamais pesé 2000 t. Avez-vous songé à sa manipulation pour sa mise en place, son transfert, etc !!! Aérez un peu vos cellules grises en lisant des choses sérieuses, cela nous fera plaisir.

Ma réponse :

Je dois dire que, de longue date, les imbéciles me font rire. Comme on disait dans mon jeune temps : « toujours ça que les Boches n’auront pas ». Pauvres Allemands. Mais j’ai changé, sauf que je continue à rire. D’abord un mot en général. Ce monsieur, qu’il exprime ici son incapacité ou son insondable ignorance, ne prend même pas la peine d’écrire en quoi ma prose serait « grossière », voire « fausse ». C’est ainsi, et ce n’est pas autrement. On me conseille donc la lecture d’un livre de physique. Pour quoi ? Mystère. Un de plus. Quant à « l’argument » apparemment central, il consiste dans le fait que la Terre serait bien plus froide en l’absence d’éléments radioactifs.

On reconnaît souvent l’imbécile à ses inventions et à ses falsifications, volontaires ou non. Celui-là répond à une thèse qui n’a évidemment pas été défendue. De la sorte, croit l’imbécile, il est plus aisé de défaire celui qu’on attaque. Serait-ce pour la raison qu’on ne sait pas trouver mieux ? Je garde cela dans un coin de la tête, comme pure hypothèse. Voyez la question de l’effet de serre. Sans absorption naturelle d’une partie de la chaleur émise par le soleil, la terre serait évidemment inhabitable. Mais parce que les activités humaines dégagent un surcroît significatif de gaz à effet de serre, toute l’étonnante « machine » climatique se détraque. Exactement ce qui se passe avec les éléments radioactifs, qui deviennent un épouvantable problème dès lors que les hommes s’en servent et en dispersent. Monsieur Fischer, je sais bien que je suis ignorant. Mais quel mot faudra-t-il forger pour vous ?

Oui, quel ? Je ne prétends ni ne prétendrai jamais – ô joie ! – être expert en quoi que ce soit. Je n’ai cessé de l’écrire depuis deux ans, et le répète encore. Si vous aviez lu, ce qui semble au-dessus de vos forces, le texte que vous attaquez, vous seriez tombé sur ces mots du cher grand Paul Ricœur : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».

Il me reste deux points à souligner dans la courte missive que vous avez eu le cran de m’adresser. Le premier concerne le réacteur de Tchernobyl. La cause est entendue, je raconte des sornettes. Oui, mais en compagnie. J’ouvre le livre Les mystères de Tchernobyl (Autrement, 2006), coordonné par des journalistes, des universitaires, des scientifiques. Page 31, en réponse à une question de Galia Ackerman, un certain Georges Lochak déclare exactement ceci : « Il y a une semaine, mon ami Urutskoïev m’a justement confié qu’il ne savait pas quelle force avait propulsé le couvercle du réacteur appelé Elena – pesant près de 2 000 tonnes – et l’avait fait retomber sur le côté ».

M. Fischer, je ne vous demande pas si vous savez lire, je vais faire comme si, malgré mes doutes. Ce monsieur Lochak ne dit-il pas exactement ce que j’ai écrit moi-même ? Il me semble. Or Georges Lochak est non seulement un physicien, mais aussi un théoricien, et il a été l’élève de Louis de Broglie, dont il a écrit la biographie (Louis de Broglie, Flammarion, 1992). Il est aussi le co-auteur d’un ouvrage sur les applications de la mécanique quantique (L’Objet quantique, Flammarion, 1989). Et c’est ce gaillard-là qui vient donner raison à cet abruti de Nicolino ! N’est-ce pas plutôt distrayant ?

Quant au point concernant le plutonium 240, sachez que je regrette vivement que vous ne nous ayez pas donné une leçon complète. Je gage que nous aurions passé un bon moment. Voici très exactement ce qu’on trouve sur la page Wikipédia consacrée à la chaîne de désintégration. Je précise tout de même qu’un article publié en décembre 2005 dans la grande revue scientifique Nature établit que l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia vaut à peu de choses près, en rigueur, l’illustrissime encyclopédie Britannica. Ce qui suit, ainsi que le tableau, en provient intégralement :

Le plutonium 240 est produit en réacteur à partir du plutonium 239, par capture neutronique. La proportion de plutonium 240 dans les produits d’activation de l’uranium sera d’autant plus élevée qu’il aura subi une irradiation prolongée en réacteur. À long terme, la radioactivité du Pu 240 est dominée d’abord par l’uranium 236, et à échelle de temps géologique, par le thorium 232, quasiment stable (il est présent dans l’écorce terrestre en quantité quatre fois plus importante que l’uranium).

Élément chimique Rayonnement Demi-vie
Plutonium 240 240Pu Radioactivité ? 6 560 ans
Uranium 236 236U Radioactivité ? 23 millions d’années
Thorium 232 232Th Radioactivité ? 14,05×109 a
Radium 228 228Ra Radioactivité ? 5,75 ans
Actinium 228 228Ac Radioactivité ? 6,15 heures
Thorium 228 228Th Radioactivité ? 1,19 an
Radium 224 224Ra Radioactivité ? 3,63 jours
Radon 220 220Rn Radioactivité ? 55,6 s
Polonium 216 216Po Radioactivité ? 0,145 s
Plomb 212 212Pb Radioactivité ? 10,64 h
Bismuth 212 212Bi Radioactivité ? 60,55 min
Polonium 212 212Po Radioactivité ? 0,3 ?s
Plomb 208 208Pb Stable

Faut-il ajouter quelque chose ? Je ne sais. Le certain est que, si le nucléaire est défendu aujourd’hui par des gens comme ce M.Fischer, il me paraît clair que de grands espoirs nous sont permis. En attendant, ils ont la force, le pouvoir, des moyens illimités et une arrogance à leur mesure. Faute de mieux, et en attendant mieux, rions. Cette énergie libératrice et bon marché, sans grand danger connu, reste pour le moment à notre pleine et entière disposition. Profitons, je pressens que cela ne durera pas.

Une réponse à monsieur Francis Sorin (sur le nucléaire)

Ce texte est une réponse à celui qui précède, et ne se comprend guère sans sa lecture préalable.

Cher monsieur Sorin,

Il va de soi que nous sommes en désaccord radical, mais ce n’est pas une raison pour manquer de politesse. Vous avez jeté un regard sur un mien article, et vous en êtes apparemment sorti tourneboulé. Ma foi, je le comprends. Vous êtes un défenseur convaincu de l’industrie nucléaire, je suis son adversaire définitif. Vous avez bien lu : définitif. Après tout, vos amis ne mettent-ils pas en service et en mouvement des radionucléides dont la demi-durée de vie se compte en millions d’années ? Je ne prétends pas, moi, atteindre ces invraisemblables durées.

Monsieur Sorin, je suis bien certain que vous savez tout sur le plutonium 240 – je prends un exemple presque au hasard – et son rôle dans l’industrie que vous défendez avec vaillance. Mais tous les lecteurs de Planète sans visa ne sont peut-être pas dans ce cas. Aussi bien, me voilà obligé d’écrire que le plutonium 240 se désintègre en uranium 236, qui lui-même se désintègre en thorium 232. Or la demi-durée de vie de l’uranium 236 se compte en centaines de millions d’années et celle du thorium en un nombre considérable de milliards d’années. Ce qui explique d’ailleurs qu’il existe sur cette planète, dans des quantités significatives, du thorium originel, contemporain de la création même de la Terre.

Eh bien, je vais vous dire calmement comment je vois les thuriféraires du nucléaire. Calmement. Ils sont empreints d’une arrogance qui confine à la folie la plus extrême. Et croyez, monsieur Sorin, que je n’en fais pas une affaire personnelle. Et croyez de même que je retiens ma plume, car ce que je pense réellement de ceux qui ont créé ce monde neuf, puis l’ont imposé à toute l’humanité, n’est pas publiable. Vous évoquez dans votre courrier la durée grotesque – je vous prie de m’excuser – de 50 années pour justifier l’existence d’une industrie créant de la radioactivité pour des millions et des milliards d’années. Le drame de gens comme vous, c’est qu’ils reconstruisent un monde, une société, une histoire, à partir d’une misérable technique.

Car le nucléaire n’est qu’une misérable technique, rien de plus, mais qui a changé le destin de l’humanité, quoi qu’il arrive désormais. Vous ne semblez rien savoir ce que c’est une société d’humains. De ce qu’est son rythme. De ce qu’est sa mémoire. De que sont ses convulsions. Cinquante ans, dites-vous ? Mais un pays administré comme l’est la France – et combien sont dans ce cas ici bas ? – ne sait pas même où se trouvent les aiguilles au radium qui ont été dispersés dans les hôpitaux entre 1910 et 1950. Où sont-elles, monsieur Sorin ? Avez-vous eu des nouvelles ? Un pays comme la France a connu depuis un peu plus de deux siècles une révolution – 1789 -, d’innombrables émeutes et soulèvements, dont la Commune de Paris en 1871, de nombreuses guerres – entre autres, celles de Napoléon, celle de 1870, celle de 14, celle du Maroc, celle de 1939, celle d’Indochine, celle d’Algérie -, des changements de régime, plusieurs modifications radicales de son paysage, et j’en passe.

Et voilà que, s’appuyant sur un savoir technique censé obéir au projet humain et ne pas s’imposer à lui, voilà que des gens comme vous surgissent et prétendent qu’ils sont les plus forts, les plus beaux, les plus intelligents. Combien de temps faudra-t-il pour que les hommes oublient tout, TOUT, des localisations des cimetières nucléaires que votre industrie va léguer à notre pauvre descendance ? Je vous aide, et prévoyant plus que large, je nous donne 300 ans. Trois siècles en arrière, mais c’est encore Louis le Quatorzième, ses carrosses, son château de Versailles et les « baisades » dans les allées du Jardin. Comment oseriez-vous vous porter garant pour ce qui va se passer sur terre dans des millions d’années, quand tout souvenir de nous – vous, moi, le voisin de palier – aura été effacé ? Comment osez-vous, monsieur Sorin ?

Le nucléaire résume le pire de l’homme, en ce qu’il prétend vaincre le temps et les limites physiques. En ce qu’il entend défier l’éternité. Si votre industrie était moins ivre de sa surpuissance, elle serait bien obligée d’admettre cette évidence, car c’en est une, qu’une technologie d’une telle force recèle nécessairement des failles que l’esprit humain n’est pas en mesure de deviner. Je vous renvoie, monsieur Sorin, à un autre article que j’ai écrit sur Planète sans visa, en avril 2008. Il concerne les mystères qui entourent la catastrophe de Tchernobyl, et il ne s’agit pas de fantasmagorie, mais de physique (ici). En voici un extrait qui en donne le ton : « Par exemple, pourquoi les peintures intérieures de la centrale sont-elles restées intactes ? Pourquoi des traces de craie datant de la construction y sont-elles encore visibles, si la chaleur est montée si vite, et si haut ? Le tout – peintures comme craie – aurait dû disparaître sous la chaleur des flammes. Et puis, une explosion dans la salle des machines a-t-elle réellement eu lieu avant celle du réacteur ? Trois secondes avant, trente secondes ? Ce n’est pas la même chose. Enfin, quelle force inouïe a-t-elle pu soulever le couvercle du réacteur, lourd de 2 000 tonnes, jusqu’à le faire retomber sur le côté ? N’ayons pas peur de l’écrire : cela sent l’énigme ».

Le spécialiste français de la mécanique quantique, Georges Lochak, président par ailleurs de la Fondation Louis-de-Broglie, est-il lui aussi, et autant que moi, un antinucléaire ? Je suis sûr que vous me le direz. Vous me donnerez aussi des nouvelles du professeur Bandajevski, si cela ne vous dérange pas trop (ici). Et puis vous me direz tout le mal qu’il faut penser de Nesterenko, mort récemment (ici). Enfin, s’il vous reste un peu de temps, vous m’aiderez sans aucun doute à retrouver cette maudite aiguille perdue hélas dans une botte de foin (ici). Restera à régler la question de mon insondable ignorance. Eh ! Il me faut bien répondre à mon tour. Alors voilà.

Alors voilà. Je ne reçois pas vos textes. Parce que je n’en ai pas besoin. Jadis, j’ai envoyé aux pelotes d’autres institutions qui organisent la propagande en faveur du nucléaire et qui inondaient mon adresse professionnelle de journaliste d’hymnes patriotiques à la gloire de l’atome, sur papier évidemment glacé. L’eussé-je voulu, j’aurais pu faire le tour du monde aux frais de la Princesse, car vos amis sont riches, et bienveillants à ceux qui leur mangent dans la main. Mais je préfère mes petits menus à moi. Et je me vante de ne recevoir aucune publicité, aussi déguisée qu’elle soit, en faveur d’une industrie que je juge criminelle par essence. Ce qui ne m’empêche pas de me tenir au courant, figurez-vous.

Je viens d’aller vérifier dans ma bibliothèque, qui compte 75 livres sur le sujet. Cela paraît rond, cela peut sembler un truc, mais c’est plus simplement la vérité. Et parmi eux, des livres de scientifiques, mais oui, parfaitement. De scientifiques. Mais aussi de philosophes, certes. Connaissez-vous Paul Ricœur ? Cet homme, né en 1913 et mort en 2005, était un intellectuel, de mon goût. Je nous laisse tous réfléchir, vous comme moi et quiconque, à ces quelques phrases de lui, qui datent du 29 octobre 1991 : « Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».

Recevez, monsieur Sorin, mes salutations. Elles sont malgré tout sincères. Malgré tout.

Fabrice Nicolino