Un copinage qui n’en est pas un (Hacène photographe)

Je ne connais Hacène qu’au travers d’échanges ici, sur Planète sans visa. Il me faut ajouter que j’ai eu à lui donner mon adresse électronique, et que, de temps en temps, il m’adresse quelques remarques, soulignant à l’occasion des fautes de frappe ou d’orthographe dans mes textes. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’éprouve une très vive sympathie pour cet homme, malgré ce que je qualifierais de grave désaccord entre nous.

Un désaccord sur la crise climatique. Je la tiens, moi, pour le pire événement qui soit arrivé aux civilisations humaines, et de très loin. Hacène pense différemment, et même si je ne saurais exprimer son point de vue, il est clair qu’il fait partie du club des sceptiques. Lesquels pensent, au mieux, que le phénomène du réchauffement a été mal compris et mal analysé. Au mieux. Je dois avouer que je me suis fâché avec des gens pour bien moins que cela. Mais Hacène est un type d’une grande honnêteté, même si, à mes yeux, il se plante totalement.

Ce n’était qu’un préambule. Hacène est photographe – aussi – et m’a envoyé un calendrier de l’année 2010 sur lequel figurent des clichés de carrelets. Des clichés de lui. Les carrelets sont des filets carrés  que l’on tend sur une armature rigide. Ensuite, avec un treuil, on les descend bien droits jusqu’à la mer. Question : mais d’où peuvent bien descendre ces carrelets ? Eh bien, de cabanons, de petites cabanes en bois montées sur pilotis. Des passerelles, des escaliers permettent de rejoindre la plate-forme du haut de laquelle, face au large, on laissera tomber le filet. Lequel se remplira en quelques minutes de poissons, surtout si l’on a appâté au milieu du carrelet, avant d’être remonté pour la plus grande joie du pêcheur.

Ces capanni da pesca, comme on les appelle en Italie, m’ont toujours transporté de bonheur simple. Je ne sais pourquoi ils me font penser à Mark Twain, et aux aventures de Tom Sawyer et Huckleberry Finn. Rien à voir, que je sache, mais une atmosphère, mais cette rupture avec l’ordre habituel des choses et des êtres. Quand on est seul dans une de ces cabanes, face à l’immensité de la mer, on n’est plus très loin de ressembler aux pêcheurs-cueilleurs de notre longue histoire. Or, trahissons donc ce secret, j’ai l’âme d’un pêcheur-cueilleur.

Et le calendrier de Hacène ? C’est un beau cadeau. Il a su capter la couleur. La perspective. La menace des cieux en colère. Le vent. Le clapot au pied des pilotis de bois. Moi, j’ai une préférence pour le mois de septembre 2010. On y sent la cabane prête à partir avec soi, sans esprit de retour. Le monde et la mer sont bleus. Mais pas de ce bleu mièvre et passe-partout qu’on ingurgite de force quand on vous propose un ciel. Non, un bleu profond, un bleu mystère, un bleu divers. L’océan et le ciel ne se fondent pas, ils se défient. C’est à qui sera le plus beau. Moi, je ne sais pas. J’hésite. Les deux, peut-être ?

Le calendrier de Hacène, Carrelets de Charente-Maritime, est édité par les éditions Pilgrim, au prix de 12 euros. Sur le net : www.editions-pilgrim.com

Avons-nous besoin des redwoods (les séquoias qu’on abat) ?

Photo: J. Michael Fay, conservationistPhoto: Redwood trunkGraphic: Map of redwoods in California

C’est le moment d’oublier l’extraordinaire laideur du monde. Je vous le dis : laissez tomber le fardeau, qui sera toujours trop lourd pour nos pauvres épaules. La beauté n’a pas encore déserté tous les postes admirables qu’elle occupait jadis. La résistance au désastre continue, souvent par des actes élémentaires. Marcher, par exemple. Et même s’il y a marcher et marcher, il faut bien dire que Mike Fay, dont on voit la photo ci-dessus, est un marcheur.

Mais quel ! Naturaliste, botaniste, conservationniste, Fay aura passé sa vie sur les chemins les plus improbables de la planète. En Amérique centrale, en Tunisie, au Congo, au Gabon, partout où la véritable nature continue d’affronter son énigmatique destin. En septembre 1999 (ici), suivi de près par le très grand photographe Nick Nichols, il se lance dans une traversée à pied, d’ouest en est, du centre de l’Afrique. Une épopée de quinze mois, inoubliable pour qui a eu la chance de voir certains clichés de Nichols.

Fay est donc un aventurier, un être rigoureusement à part, de la trempe d’Ed Abbey, pour ceux qui connaissent ce grand écrivain du désert et de la solitude. En 2008, Fay décide – à 52 ans, si je ne me trompe -, de se lancer dans une énième gambade. Cette fois, il s’agit de longer la côte américaine sur plus de 1 000 km, entre le nord de la Californie et le sud de l’Oregon (voir la carte ci-dessus), au pays des séquoias. Que puis-je vous dire de ces arbres-cathédrales ? Le plus grand étend ses branches les plus hautes  110 mètres au-dessus du sol (la photo du milieu). Les plus vieux dépassent les 1500 ans, et sont donc nés quand nulle tronçonneuse ne menaçait leur éternité.

Le photographe Nick Nichols, ami proche depuis des lustres, a suivi à nouveau Fay dans son incroyable périple. Ils auront tout vu. Les coupes hideuses. Les forêts secondaires qui se sont installées après certaines. Mais aussi quelques territoires épargnés. Quelques lieux où souffle encore l’esprit des origines. Quelques arpents où le séquoia meurt mais ne se rend pas. Où il mène sa vie d’arbre jusqu’au moment où le désordre prend le dessus. Est-ce la mort ? Point. La vie, bien sûr, la continuation de la vie, qui change peu à peu le tronc affaissé en terreau, en abri, en garde-manger pour quantité d’autres êtres, qui en ont tant besoin.

J’ai lu le récit du voyage de Fay dans l’édition américaine de National Geographic (ici). Les mots me manquent. Ils me manquent réellement. Nous sommes dans la démesure. Dans l’extrême de la grandeur. Ces arbres ne sont pas des arbres, mais des signes, mais des éclaireurs d’un monde englouti que nous ne savons plus voir. Sur la photo ci-contre, on voit un homme qui monte sur les flancs de cette baleine végétale. Dans National Geographic, il y a un dépliant qui montre un séquoia dans sa complète splendeur. Je ne sais plus combien de photos différentes ont dû être assemblées par Nichols pour parvenir à nous présenter son chef-d’œuvre. La réponse est : beaucoup.

La si longue balade de Fay pourrait n’être qu’une immersion avant l’assèchement final. Un ultime coup de projecteur sur la merveille. Mais Fay est un battant. Un homme qui ne renonce jamais. Et il a raison. Dans le reportage, il explique que l’industrie du bois est à la croisée des chemins. « La Californie, dit-il, a révolutionné le monde avec la puce électronique de la Silicon Valley.  Elle peut faire de même avec sa politique forestière ». Derrière, autour, avec, dessous, dessus, devant ces arbres grandioses, il y a bien entendu les animaux, dont le saumon, qui a besoin d’eux. Dont la chouette tachetée, qui y trouve ses meilleurs habitats. Dont nous ? Telle est bien la question. Dont nous ?

Avons-nous besoin des séquoias ? Nos pontes, nos chefs, nos imbéciles assoiffés de rubans, de rosettes et de breloques, sûrement pas. Mais nous, les simples humains ? Mais nous, qui nous contentons de vivre, n’avons-nous pas un besoin désespéré d’arbres et de beauté, de racines et de branches ? Du souffle du vent ? Du cri du loup ? Des griffes de l’ours ? Ce n’est pas de la rhétorique, je vous demande de me croire sur parole. Je pense ce que j’écris. Nous avons besoin. Ce n’est peut-être pas encore désespéré.

Le pic de Hubbert dès 2020 (quand le pétrole nous quitte)

Je vous présente rapidement le pic dit de Hubbert. À la fin des années 40 du siècle écoulé, Marion King Hubbert, géophysicien, émet une hypothèse sur la manière dont les matières premières sont exploitées par les sociétés humaines. Selon lui, cet usage peut se représenter sous la forme d’une cloche. Toute production monte jusqu’à un certain point, avant de redescendre fatalement lorsque plus de la moitié des réserves disponibles sur terre ont été utilisées.

En 1956, Hubbert fait une présentation publique de sa thèse devant l’American Petroleum Institute, appliquant son idée au pétrole-roi, sur lequel reposent nos sociétés industrielles. Hubbert prédit en cette année 1956 que le pic maximum de l’utilisation du pétrole aux États-Unis sera atteint en 1970. Après, pense-t-il, la production ne cessera de décliner, plus ou moins vite. Il a raison, le déclin commence en 1971.

Mais il y a bien des manières d’avoir raison tout en ayant tort. Car bien entendu, la parole du géophysicien, inaudible au beau milieu des Trente Glorieuses, est vite laissée de côté. Et l’on continue comme avant, sans se soucier le moins du monde du lendemain. Seuls quelques braves maintiennent, au fil des décennies, une réflexion sur ce que l’on appelle désormais le Peak Oil, le pic du pétrole. La question n’est plus : ce pic existe-t-il ? Non, la question est peu à peu devenue : quand se produira-t-il ?

Dans ce domaine stratégique, bien des estimations restent basées sur des chiffres fournis sans contrôle par les États producteurs. Je vous ennuierai en vous parlant de toutes les bizarreries comptables qui entourent la décisive question des réserves pétrolières mondiales. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Arabie Saoudite, assise sur une poudrière sociale, politique, ethnique même, peut-elle raisonnablement dire la vérité sur l’état de ses ressources, qui commande son statut géopolitique ?

Bref. Vous me comprenez. Sans jeu de mots, un baril de pétrole est aussi une bouteille à l’encre. Or un rapport (en anglais, hélas) vient de remettre les pendules à l’heure d’une façon pour le moins inquiétante. Publié par l’UKERC (United Kingdom Energy Research Centre), organisme britannique public autant que sérieux, il estime que le Peak Oil mondial pourrait être atteint avant 2020 (ici). Mieux, pire, il met en garde le gouvernement de Londres, totalement incapable, pour l’heure en tout cas, de seulement considérer le problème. Inutile, je crois, d’évoquer le degré de préparation de notre propre pouvoir politique.

Est-ce fou ? Oui, je le pense. Car 2020, c’est dans dix ans, et seuls des choix faits immédiatement auraient quelque chance d’avoir un effet à cette date. Rappelons que, pour l’heure, le pétrole représente le tiers de l’énergie consommée dans le monde. Bien entendu, même si ce rapport dit vrai, il restera du pétrole à extraire bien après 2020. Mais son coût de production, mais son prix à la consommation seront toujours plus volatils, avec une tendance certaine à l’augmentation, qui ne cessera plus jamais. Il est donc certain, je dis bien certain, que l’heure de l’énergie bon marché est derrière nous.

Cette situation nouvelle recèle bien des menaces. Parmi lesquelles le risque croissant d’exploiter certains des gigantesques gisements de sable bitumineux, qui contiennent assez de pétrole pour être rentables à partir d’un certain niveau de prix du pétrole lui-même. L’essentiel de ces sables se concentrent en Alberta (Canada) et au Venezuela. Outre la destruction directe des écosystèmes locaux, l’extraction de sables enverrait dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre, dont du méthane. Pour le climat, ce serait donc une (très) mauvaise nouvelle de plus.

On sait ce qu’il faudrait faire, dans les grandes lignes du moins. Investir tout de suite dans un habitat réduisant massivement les besoins de chauffage. Par exemple la maison passive. Rien à voir, on s’en doute, avec les pantomimes du Grenelle de l’Environnement. Je parle là d’une mobilisation nationale comparable aux temps extrêmes de la guerre, qui poserait au passage la question clé du rôle de l’automobile individuelle dans les sociétés de l’avenir.

Apercevez-vous quelque chose à l’horizon ? Notre Premier ministre en titre, amateur de conduite sportive, ne rêve que de courir les 24 Heures du Mans (vrai). Il ne faut pas espérer bien plus. Et notre président-bouffon ne songe qu’à placer son fils à la tête d’un établissement public gérant des centaines de millions d’euros et chargé de l’aménagement d’un immense quartier d’affaires. Un quartier où l’on construit, où l’on construira demain comme l’on faisait il y a vingt ans. C’est à pleurer.

Shanghaï, l’Expo universelle et le Pavillon français (Delon compris)

Je crains de ne pas beaucoup vous épater. Il y a le monde et sa réalité, la marche vraie des événements, le déploiement des machines, la mobilisation des capitaux et l’expansion des casinos, les voyages en jets privés, les fêtes au champagne et à la coke du côté de Miami ou Nice ou Paris ou Moscou, la destruction systématique des écosystèmes de la planète. Il y a donc cela, dont vous avez probablement entendu parler. Et puis le décorum.

J’aime beaucoup ce mot de décorum. Prenez l’un de ses sens, assez dépréciatif certes : le décorum est bien souvent le théâtre des apparences, dans les coulisses duquel se trament les vraies intrigues. Autre signification proche, tout autant digne d’intérêt : le flan. Le décorum n’est bien souvent que du flan pur et simple, une sorte de cérémonial auquel se livrent par force, ès qualités, des personnalités officielles. Bien que détestant Céline pour la raison que cet homme était fou de racisme, je vous citerai tout de même un court extrait de Mort à crédit. À l’époque où il publie ce livre, en 1936, Céline est encore célébré par la gauche, et n’a bien entendu pas écrit ses futurs pamphlets gorgés d’antisémitisme.

Cet extrait, le voici : « Tout ça c’est des chinoiseries! Que des formalités banales! C’est pour l’extérieur! Pour la forme! Faut pas vous frapper! Ils vont vous relâcher tout de suite! C’est un décorum! ». Je trouve cela marrant, d’autant plus qu’il réunit le mot décorum et celui de chinoiseries. Or, je vais vous parler de Chine, et de Shanghaï surtout. Encore un mot. Le décorum écologique, en France, aura rassemblé à l’automne 2007 de nombreuses dupes plus ou moins volontaires de Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er, dit Sarkozy. Je veux parler, évidemment, du Grenelle de l’Environnement, auquel tant de gens, notamment tant d’écologistes officiels, ont intérêt à croire.

Et maintenant, Shanghaï. J’ai souvent parlé de cette ville, dès les débuts de Planète sans visa (ici). La mégapole représente le concentré planétaire de ce que la société industrielle produit et surtout détruit. Cette ville de 19 millions d’habitants offre à ses riches ce que nous connaissons ici, tandis que ses innombrables miséreux campent aux frontières lointaines, entre bidonvilles et cités perdues dans les brumes toxiques du chauffage au charbon. Et elle s’enfonce inexorablement dans le sol, à mesure que l’on surexploite la nappe phréatique polluée qui lui sert d’alimentation en eau domestique et industrielle.

Cauchemar ? Je ne vous le fais pas dire. C’est pourtant ici que commencera le 1er mai – j’imagine que les drapeaux rouges seront de sortie – la grande Exposition universelle que Shanghaï prépare avec frénésie. Coût direct : trois milliards d’euros. Un montant qu’il faut sans doute multiplier par dix pour intégrer tous les frais indirects. Entre 70 et 100 millions de visiteurs sont attendus. Et comme de coutume, de nombreux pays disposeront d’un pavillon national, vitrine de leur technologie, appât destiné à la signature de nombreux contrats d’équipement (ici).

Je vous rappelle, à toutes fins utiles, que la France sublime de Notre Seigneur a lancé en octobre 2007 une « révolution écologique » complète, qui fait de notre nation un champion mondial. Toutes les gazettes le confirment, cela doit donc être vrai. Il n’empêche que, parallèlement, nos nobles représentants auront tout fait pour que Shanghaï accueille cette Exposition. Laquelle se tiendra au centre de la ville, sur une surface égale à deux fois celle de Monaco. Monaco n’est pas très grand, mais tout de même. Pour parvenir au résultat voulu par les bureaucrates devenus businessmen, on a viré un nombre considérable de gens. Je n’ai pas le chiffre exact, mais il faut compter en dizaines de milliers de personnes. Dehors les gueux ! Dehors les prolos ! Le thème charmant retenu pour l’Expo – on en mangerait – est : « Meilleure ville, meilleure vie ».

L’objectif est noble, mais sera peut-être difficile à atteindre. En 2010, au moment de la grande Expo, la Chine sera probablement le plus grand marché automobile du monde. Ce pays, qui ne comptait pratiquement aucune autoroute il y a vingt ans, en a construit environ 55 000 km. En 2015, demain, le cap des 100 000 km aura été franchi. On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi l’État français investit en notre nom des dizaines de millions d’euros pour bâtir le Pavillon de la France, qui pourrait ne pas être démonté après le rendez-vous de mai, et devenir une affiche commerciale permanente pour notre grande industrie. Laquelle est très active là-bas, ce qui ne surprendra personne.

Lafarge, Sanofi Aventis, LVMH, EDF, Dassault Systèmes ont donné leur obole pour la construction de notre Pavillon, et en espèrent, comme de juste, un rapide retour sur investissements. Le bâtiment exprimera-t-il, selon vous, la « révolution écologique » dont nous sommes chaque jour les témoins ébahis ? Se contentera-t-il, plus prosaïquement, d’en mettre plein la vue à des décideurs chinois à Rayban, qui ne pensent qu’aux sacs Vuitton et aux Limousine longues comme des trains ? Je ne vous laisse pas même le temps de réfléchir, car je suis une peau de vache.

L’architecte du Pavillon, Jacques Ferrier, présente comme suit la « ville sensuelle » censée être représentée par le bâtiment français : « Nous mettons en sce?ne l’e?quilibre entre “technicite?” et “sensualite?”, entre “cre?ation” et “permanence”, entre “innovation” et “qualite?”, entre “action” et “pense?e” entre “ville” et “territoire”. Cet e?quilibre est a? la base du “message simple et dense” qui va donner une identité remarquable et me?morable a? la France dans le cadre de l’exposition universelle de 2010. Cette ide?e d’e?quilibre cre?atif et dynamique efface l’opposition ste?rile entre “la France traditionnelle et moderne” e?voque?e dans le programme ».

Je suis bien certain que vous adorez cette novlangue qui ferait pâlir d’envie George Orwell s’il était encore parmi nous. Moi, je donne d’emblée 20/20 à ce monsieur Ferrier. Impeccable. Superbe. Inoubliable. J’ajoute que parmi les trouvailles architecturales, nous aurons droit pour le même prix à un jardin. Un jardin ? L’occasion d’enfin clamer notre amour torride pour les relations écosystémiques entre espèces ? D’entonner en chœur une ode aux papillons, insectes et rouges-gorges ? Pas tout à fait. Celui de Ferrier sera vertical – ah, l’art ! l’art ! – et taillé scrupuleusement à la française. Évidemment. Je rappelle qu’un jardin à la française « porte à son apogée l’art de corriger la nature pour y imposer la symétrie ». Mais quel beau message, hein ?

Ultime cadeau : le parrain du Pavillon français sera…Alain Delon. On ne rit pas. Sur le site du bâtiment en construction (ici), la photo du comédien date d’environ trente ans. Il est loisible d’y voir, mais je peux me tromper, le triomphe du faux.

Faire la guerre à la Lune (une nouveauté)

Peut-être sommes-nous toqués. Quelque chose se sera peut-être détraqué au cours de notre aventure collective. Ou bien, autre hypothèse, cela a toujours existé en nous, sans pouvoir parvenir aux fins extrêmes que nous observons tous les jours. Le fait est que nous déconnons avec une inventivité qui réussit encore à me surprendre. Le dernier exemple en date, qu’il ne faut surtout pas sous-estimer, est la funeste opération menée sur la Lune par la Nasa, cet organisme américain en charge des activités spatiales.

Cela s’est passé le 9 octobre. Premier temps : Centaur, obus propulsé par la sonde LCROSS (Lunar Crater Observation and Sensing Satellite), s’écrase quelque part sur le pôle sud de la Lune. Ce quelque part porte le nom de Cabeus, cratère de 100 kilomètres de diamètre et d’une profondeur variant entre 2,5 et 4 kilomètres. Centaur a dû, selon les prévisions, produire un éclair géant et entraîner la formation d’un panache de débris montant à 10 km au-dessus de la Lune.

Deuxième temps : LCROSS enregistre les effets pendant quelques minutes, pour que nos savants soient comblés d’images, puis s’écrase à son tour. L’objectif de ce qui ressemble étrangement à une opération militaire était, officiellement au moins, d’analyser les nuages de poussière soulevés par l’explosion au sol, dans le but d’y rechercher des traces d’eau (ici). Coût direct : 79 millions de dollars. Par bonheur, Obama est, comme chacun sait, prix Nobel de la paix.

 Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer la chose, qui m’évoque le pas d’un dinosaure sur notre si vieille et si belle terre. Celle qui suit montre les alentours du cratère visé, Cabeus, en couleur.

 Le grand cratère Cabeus est la nouvelle cible choisie pour le crash programmé de la sonde LCROSS.Et je me demande bien entendu si cela valait la peine. Et je me réponds, seul dans mon semblant d’espace personnel que, non, cela ne valait pas la peine. Ou plutôt qu’une force morale aurait dû nous arrêter avant cet acte désormais irréversible. Anthony Colaprete, responsable de ce bombardement extraterrestre, a déclaré sans apparemment comprendre le sens de ses paroles : « Tout s’est vraiment bien passé (…) et je peux annoncer que nous avons eu un impact, que nous l’avons observé, que nous avons vu le cratère et que nous avons obtenu de bonnes mesures, notamment spectroscopiques (…) Nous avons les données dont nous avons besoin pour répondre à la question ».

La question, que nous avions oubliée, est celle-ci : y a-t-il de l’eau, sous forme de traces, sur la Lune ? Si oui, bien. Si non, bien. Ces traces d’eau, en toute hypothèse, seront là dans mille ans. Mais les petits chefs actuels de la Nasa, non. Ils se précipitent donc, juste avant de mourir, et tous les spectateurs immédiatement derrière. Car eux aussi vont mourir, et il serait si bête de se priver d’un tel spectacle. Non ?

79 millions de dollars auraient été autrement utiles à comprendre pourquoi 1 milliard 500 millions d’hommes, au moins, n’ont pas accès à l’eau potable, alors que quelques mesures suffiraient à grandement améliorer les choses. Mais ce serait tellement moins drôle. Tellement moins fun. Bombarder la Lune signifie on ne peut plus clairement que les artilleurs tienen cojones. Qu’ils en ont. Et qu’ils sont aussi prêts à bombarder Mars, Saturne et Jupiter. Car ils n’ont pas peur. Car ils ne craignent rien.

Ces excellents scientifiques, j’en fais le pari, seraient prêts à zigouiller, de même, le premier extraterrestre qui pointerait son nez à proximité d’un autre Centaur. Je ne voudrais pas dire du mal des centaures, mais dans la mythologie grecque, ces créatures mi-hommes mi-chevaux sont des êtres assez lamentables. Des violeurs, des ivrognes, des imbéciles. La Nasa a bien choisi le nom de sa bombinette galactique. Ce n’est qu’un début, les obus continuent.