Hugo Chávez est un salaud

Parler de ce bonhomme-là ici ? Cela ne va pas de soi. Le président du Venezuela se désintéresse totalement de la crise écologique. Son projet infâme de gazoduc à travers l’Amazonie a été stoppé par…le Brésilien Lula, adepte du soja transgénique et des biocarburants. Vive les gauches, hein ? Ce qui compte réellement, pour Chávez, ce sont les cojones. Celles qui apparaissent sous la culotte vert olive. Celles qu’on sortira si nécessaire pour montrer qu’on en a. Des cojones. Des couilles, bien sûr. Je crois que peu de lecteurs français imaginent à quel point le machisme traverse aujourd’hui encore toutes les sociétés latino-américaines, et leurs « élites » politiques.

Mais de cela, en la circonstance, je me fiche bien. Ce qui compte ce jour, c’est le fervent soutien que Hugo Chávez vient d’apporter à la petite frappe fascistoïde qui préside au destin de l’Iran, vous aurez reconnu Mahmoud Ahmadinejad. La situation à Téhéran ne saurait être plus claire : le tyran a perdu les élections, et de très loin. Le scénario de la fraude est même connu dans le détail grâce à un fonctionnaire d’un rare courage, qui a tout raconté. Mais Chávez considère pour sa part comme une « extraordinaria jornada democrática » la farce de Téhéran. Et Ahmadinejad comme « un amigo, un hermano de Venezuela », mais aussi un « valiente luchador en la defensa de la revolución islámica y contra el capitalismo (ici) ». Je ne pense pas que vous ayez besoin de traduction. De toute façon, on trouve la même chose en français : « Le Venezuela exprime son ferme rejet de la campagne de discrédit, féroce et infondée, déclenchée à l’étranger contre les institutions de la République islamique d’Iran, avec l’objectif de troubler le climat politique de ce pays frère (ici) ».

Si j’évoque Chávez, c’est pour la même raison que je parle de telle ou telle aventure politique. Nous sommes aveugles. Sourds. Imbéciles. Embarqués dans de pauvres croyances qui doivent à toute force disparaître, de manière que nous puissions bâtir sur de vraies fondations. Nombre de personnes critiques apprécient le président vénézuélien. En particulier dans cette frange altermondialiste qui ne sait pas faire le deuil de la culture stalinienne, laquelle inclut l’adoration du chef et de l’autorité en général. Sans remonter à Mathusalem, on aura vu, depuis cinquante ans, la plupart des gauches radicales françaises se vautrer dans le vil soutien à Castro, puis au Nicaragua de Daniel Ortega – lui aussi vient de tricher aux dernières élections locales – , enfin dans une filandreuse « solidarité » avec Chávez. Un journal comme Le Monde Diplomatique est le symbole le plus puissant de ce tropisme insupportable à mes yeux.

L’affaire Chávez-Ahmadinejad, car il faut l’appeler ainsi, a un arrière-plan terrible. Je ne suis pas de ceux qui crient à l’antisémitisme à tout instant. Je sais la politique coloniale d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Mais je sais aussi que l’antisémitisme existe, et qu’il est une merde de l’esprit humain. Or il ne fait pas de doute pour moi – j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici ou là, pas nécessairement sur ce blog -,  que  Chávez est antisémite. Je rappelle qu’il doit une bonne part de son abominable formation politique à un négationniste argentin appelé Norberto Ceresole.

Un négationniste de la Shoah, comme l’est Ahmadinejad. Est-ce un hasard ? Bien entendu, je ne peux administrer de preuve, mais je crois à un accord fondamental entre les deux hommes, sur fond d’antisémitisme. Attention ! Ceresole, mort en 2003, était une authentique canaille, liée à la pire racaille fasciste d’Argentine. Il était l’ami des militaires, ces tortionnaires qui tuèrent par milliers leurs opposants à la fin des années 70. Néanmoins,le 21 mai 2006, au cours de sa fameuse émission télévisée Aló Presidente, Chávez osait encore parler de Ceresole comme d’« un grand ami ». Ajoutant : « il était un intellectuel respectable ».

Pour en revenir à nos oignons hexagonaux, et pour reprendre la métaphore sur les fondations, si nécessaires à notre ouvrage commun, je dirai volontiers que nul ne peut construire longtemps sur du sable. Il est temps d’appeler Chávez un salaud.

Besset, Bové, Jadot (et Guy Mollet)

Encore une polémique ? Je ne crois pas. Je pense plutôt que ce qui suit est l’amorce d’un débat. Que j’aie raison ou tort ne change rien à ma bonne foi. Je suis plus convaincu que jamais qu’il faut ouvrir toutes les écoutilles. Le vent du large doit passer !

Nous ne pouvons être tous d’accord, même ici. Je connais pour ma part, personnellement, trois des nouveaux députés écologistes. D’abord Yannick Jadot, ancien de Greenpeace. Ensuite José Bové, et depuis bien plus longtemps qu’il ne passe dans le poste. Enfin Jean-Paul Besset, mon cher vieil ami de vingt ans, pour qui j’ai de l’affection.

Aucun d’entre eux ne mérite le bûcher. José, malgré les critiques que je lui ai souvent faites, a joué un rôle important en France depuis 35 ans. Je n’oublie pas un instant qu’il s’installa sur le plateau du Larzac quand tant d’autres passaient leur chemin. Yannick me semble très attiré par la carrière politique, mais après tout, ce n’est pas un crime. Quant à Jean-Paul, je sais son honnêteté insigne, sa sincérité, sa valeur.

Mais alors, d’où vient mon opposition à ce que je considère comme une distribution de calmants et d’hypnotiques ? D’où vient que leur élection me gêne tant ? Voyez-vous, c’est presque simple : ces gens sont dans le cadre. Oui, malgré leurs discours – et à cause d’eux -, ils agissent exactement comme si la vraie crise, celle qui mord la nuque, répand la famine et broie les cerveaux n’était pas à nos portes. Ils sont les véhicules de l’illusion. On eût appelé cela sans détour, dans mon jeune temps, du « crétinisme parlementaire ». C’est-à-dire une certaine façon de poser – et de penser résoudre – nos problèmes.

Tout est question d’appréciation. Si nous disposons de temps, comme certains d’entre vous semblent le penser, eh bien, pourquoi pas Bruxelles et Strasbourg ? Pourquoi pas des manifestes qui n’engagent que leurs rares lecteurs ? Pourquoi pas un prochain rendez-vous dans cinq ans, qui préparera au mieux le rendez-vous de 2020 qui lui-même, etc. Les écologistes officiels, pardonnez-moi si vous le pouvez, se comportent comme les radicaux-socialistes de la Troisième République. Ou encore comme les mollettistes de l’ancien parti socialiste, appelé SFIO. Mollettiste vient de Mollet, Guy, chef du parti qui braillait toujours des discours gauchisants pour mieux couvrir d’infectes pratiques, comme en Algérie par exemple.

Je ne dis pas que les écologistes officiels sont comme lui. J’affirme qu’ils utilisent des méthodes très ressemblantes. Un Cochet fera claquer des dents sur la crise du pétrole pour, la minute suivante, se demander gravement s’il faut aller assister au discours de Sarkozy devant le Congrès à Versailles. Et les exemples sont si nombreux que je pourrais en distribuer à chacun d’entre vous. Baste ! Le moment est venu de changer. C’est bête, n’est-ce pas ? Sans doute, mais changer signifie rompre. Innover. Inventer de nouvelles pratiques et de nouvelles représentations. Now ! comme on dit dans les séries américaines pour marquer qu’on ne plaisante plus. Now !

Le temps passé dans des cirques électoraux qui n’ont rien changé d’important et ne changeront rien d’important est un temps perdu à jamais. Ceux qui jouent encore perdent à coup certain. Il n’est aucune autre urgence que de trouver la manière de signifier notre refus radical de ce monde et de ses objectifs. Je vous rassure, je ne prétends pas avoir trouvé. Mais je cherche, Par Dieu ! Je cherche. Je ne dis pas que Jadot, Bové ou Besset sont des traîtres à la cause ou des imbéciles. Je dis, parce que je le crois, qu’ils se trompent lourdement. Très lourdement. Mutatis mutandis, ils nous jouent la sérénade de l’automne 1938, après les soi-disant accords de Munich. Ils pensent qu’on peut éviter la guerre. Mais elle est déjà là. Seulement, nous n’avons pas – pas encore -, les yeux pour la voir. Croyez-moi, j’aimerais beaucoup me tromper sur toute la ligne. J’en serais heureux pour la raison que je préfère regarder pousser les arbres et chanter le rouge-queue noir. Vrai, le temps étant compté pour chacun, je préférerais le passer en bonne compagnie, dans toutes les positions souhaitables et avantageuses. Mais je ne puis.

Mañana por la mañana (confirmation péruvienne)

La victoire se précise. A-t-il dû avoir peur, ce bon monsieur Alan García ! Je vous ai parlé ces derniers jours de la révolte des Indiens de l’Amazonie péruvienne, qui refusaient, ces imbéciles, de voir la grande forêt tomber aux mains des transnationales. Peut-être une vingtaine de policiers sont-ils morts au cours des émeutes de Bagua, à 1 000 km au nord de Lima. Le président péruvien jouait encore, ces tout derniers jours, les hommes inflexibles. Son chef de cabinet Yehude Simon menaçait les Indiens des pires représailles, ajoutant comme le mauvais comédien qu’il est : « Hay una deuda muy grande e inmensa con los policías mártires, tengo que reunirme con los familiares para decirles primero que el Estado no los va a olvidar y la patria tiene un agradecimiento fundamental con ellos ». En gros, que l’État n’oubliera pas les policiers martyrs et que la patrie leur doit un immense remerciement. Tu parles !

García s’est tout simplement écrasé,  et les deux décrets qui ouvraient la voie à l’exploitation tous azimuts du pays indien et de la forêt seront annulés, purement et simplement. Ridicule, un peu plus ridicule qu’à l’ordinaire, García a dit souhaiter  « un espacio de reconciliación, pacificación y espera (ici) ». On le croit, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. En attendant, esperando, les Indiens nous administrent la preuve qu’il faut parfois savoir ne pas reculer. Ils ne le sauront jamais, mais je les embrasse.

Complément made in France (sur Bové et Cohn-Bendit)

L’article précédent sur la Chine manque singulièrement de ce petit ajout sur la France. En plus du reste, nous sommes d’évidence plongés dans une confusion mentale ébouriffante. Si ébouriffante même que rien de sérieux ne sera gagné – je vous donne là ma conviction profonde – tant qu’elle perdurera.

Je ne vais pas être long, car vous savez tout comme moi la forme de la pantomime en cours. La liste Europe-Écologie a réussi une percée aux dernières élections européennes. Je n’y reviens pas. Ou plutôt, je reviens une seconde sur l’alliance extraordinaire conclue pour l’occasion entre Cohn-Bendit et Bové. Le premier avait appelé à voter oui au traité européen, en 2005, qui ouvrait un peu plus la voie à la destruction du monde par la production et la vente de marchandises. Ce qui est d’une logique parfaite, car Cohn-Bendit est le défenseur du « libéralisme économique », dont on admire les résultats à chaque seconde qui passe.

Mais la chose rigolote – si, rions malgré tout -, c’est qu’en 2007, José Bové entraînait dans son aventure personnelle des élections présidentielles quelques centaines de militants sincères, qui pensaient alors poursuivre le combat engagé en 2005 contre le traité européen. Bové était en effet de tous les meetings en compagnie de Buffet, Mélenchon, Besancenot et consorts. Poing levé, comme il se doit. À cette date affreusement lointaine, il considérait cette Europe-là comme le symbole du malheur social et écologique. Puis, en 2007, cohérent comme ce ne devrait pas être permis, il annonçait venu « le temps de l’insurrection électorale contre le libéralisme économique ». Rien que cela.

Et puis donc, cette alliance. Aucune explication. Aucun clarification. C’était ainsi. Ce sera comme cela. À prendre ou à laisser. Je vois dans ces sinuosités sans fin l’un des fondements principaux de la crise des esprits. Et, partant, de notre incapacité à seulement penser la crise écologique. Quant à s’interroger sur les liens entre consommation ici et désastres continus en Chine, évidemment, cela reste hors de portée. Je sais bien que c’est désagréable à lire. Mais la situation est désagréable. Il me semble bien.

Leçon de géographie chinoise (et de morale)

Un journaliste peut-il devenir un épidémiologiste ? Peut-il se transformer en un lanceur d’alerte scientifique de premier rang ? La réponse est oui. Et le nom du gagnant est Deng Fei. Ce Chinois vient de publier dans une revue de Hong-Kong, Fenghuang Zhoukan, une série de données tristement passionnantes. Dans un premier temps, il a épluché systématiquement la presse officielle de son pays. Je n’ose imaginer l’ennui.

Mais il est vrai que les journaux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, et que des moments de vérité y surgissent fatalement. Que cherchait-il ? Des liens possibles entre dégradation des conditions écologiques locales et apparition de cas de cancers (ici, lire le petit article nommé Cancer Villages in China). Réussite complète, si j’ose écrire, dans un rayon de 50 km autour de Pékin. Mais chemin faisant, Deng Fei décide de mener son enquête à l’échelle de la Chine entière. C’est ce travail-là qui circule, relayé par un internaute qui en a fait une carte aux normes internationales de l’inévitable Google.

On a beau savoir, c’est stupéfiant. Je ne vous donne ci-dessous qu’un aperçu, mais sachez que certains cas ont été décrits en français ici. Chacun mériterait une enquête internationale, qui ne viendra jamais, on s’en doute. Prenez l’exemple du village de Guanshan Qiao, dans la province du Jiangxi. Depuis des lustres, six fours à chaux fonctionnant au charbon envoient jour et nuit des particules de cendres sur les potagers, dont la production s’est effondrée. Même lorsqu’il pleut, le dessus des feuilles est couvert d’une pellicule blanche. Les cancers ont explosé.

Dans le village de Yinggehai, 118 habitants sont morts d’une manière étrange en dix ans. La proximité d’une gigantesque décharge pourrait bien être l’explication.

Dans le village de Shangba, les canards qui plongent dans l’eau rougeâtre des mares meurent en quelques heures. Des activités minières sans contrôle, et surtout leurs énormes déchets pollués,  ont changé le lieu en un dépotoir. Les habitants souffrent de maladies de peau et du foie, du cancer aussi, bien entendu.

Dans le village de  Huangmengying, une centaine de personnes sont mortes de cancer entre 1990 et 2004, soit près de la moitié de tous les décès. La rivière locale est un égout. Certains habitants achètent de l’eau (un peu plus) potable.

Vous imaginez bien que la liste est sans fin. J’ai sur ma table, au moment où je vous parle, un livre d’une immense valeur, Le rapport Campbell. Publié par un éditeur québécois, Ariane, il est passé inaperçu au moment de sa sortie française en 2008. Quel dommage ! Car T. Colin Campbell est probablement l’un des meilleurs nutritionnistes vivants, et dans ce livre, il nous offre le cadeau d’une vie de recherche. Campbell a mené en Chine, dans les années 70 et 80, la plus vaste étude nutritionnelle jamais conduite. Avec le concours de l’université Cornell et de l’Académie chinoise de médecine préventive.

Concernant le cancer, le travail de Campbell et de ses amis est inouï. D’abord par le constat : dans certains cantons, on observe jusqu’à 100 fois plus de cancers que dans d’autres, alors qu’aux États-Unis, les différences d’un État à l’autre varient entre deux et trois fois, au plus. Un tel résultat ne saurait être expliqué en quelques lignes. Disons que la piste du cholestérol sanguin est première. Il est chez les Chinois l’un des précurseurs des maladies dites « occidentales », comme le cancer. Quand son taux passait en moyenne, dans l’immense échantillon chinois, de 170 mg/dl à 90mg/dl, les cancers du foie, du poumon, du cerveau, de l’estomac, de l’œsophage, du sein, du rectum, du côlon, la leucémie infantile, la leucémie adulte baissaient. Or, le taux moyen de cholestérol trouvé au cours de l’étude chinoise était de 127 mg/dl, soit 100 de moins que la moyenne américaine !

Pour comprendre l’importance de ces chiffres, il faut rappeler que longtemps, l’Amérique officielle a proclamé que des problèmes de santé apparaissaient chez l’homme en dessous de 150 mg/dl de cholestérol sanguin. À ce compte-là, 85 % de la population chinoise aurait dû être malade ! Bien entendu, les découvertes de Campbell ne se limitent pas au cholestérol. D’une façon générale, les protéines animales augmentent la présence de cholestérol dans le sang, tandis que celles d’origine végétale la diminuent. D’une manière certaine, les cantons chinois les plus pauvres, consommant beaucoup de végétaux, de fibres alimentaires et peu de gras, comptaient beaucoup moins de maladies cardio-vasculaires, de diabète et de cancers. Mais bien davantage, évidemment, de tuberculoses, de maladies parasitaires, de rhumatismes et de pneumonies.

Pourquoi vous parler de Campbell ? Mais simplement pour faire comprendre ce que veut dire le « développement » foudroyant de la Chine. Ce « développement » aura fait de ce pays l’atelier du monde, capable de sortir pour une bouchée de pain n’importe quel produit que nous achetons ici avec le plaisir de le payer moins cher. En consommant chinois, y compris l’une de ces clés USB dont je me sers, il est indiscutable que nous participons au grand massacre là-bas. Un dernier mot : combien de génuflexions en souvenir de l’esclavage ? Combien de prosternations et d’excuses ? Combien ? Les hommes d’il y a trois siècles avaient pourtant bien peu de moyens et de valeurs à leur disposition pour combattre l’infamie.

Mais nous, qui savons tout ? Mais nous, qui sommes gorgés d’informations sur tout ? Mais nous, qui ne parlons jamais – ou si peu – de ce qui se passe au-delà des marches de notre empire de pacotille ? Ne mériterions-nous pas une leçon ? Une véritable grande leçon de morale humaine ?