Sous-marin, souterrain, souverain (sur l’armée)

Quelle plaisante démocratie que la nôtre ! Avant de vous parler de la fabuleuse histoire du sous-marin sourd et aveugle, je me dois de mettre en perspective quelques données. Cela sera meilleur, du moins je l’espère. Patience, donc. Notre armée a une histoire que (presque) personne ne connaît vraiment, mais qui laisse songeur. Avant la Seconde Guerre mondiale, la structure dite de La Cagoule l’avait infiltrée au point que Léon Blum, quand il fut président du Conseil en 1936, disait craindre un putsch fasciste, comme en Espagne au même moment. Une partie notable de ses officiers se couchèrent avec délectation devant la racaille nazie. De Gaulle fait exception. Beaucoup de badernes, ainsi, détestaient l’Angleterre et lui préféraient le petit caporal Adolf Hitler.

Après guerre, cette noble institution a mené en notre nom des guerres coloniales atroces, du Vietnam à l’Algérie, en passant par Madagascar en 1947, torture de masse incluse. Elle a donné naissance à un groupe armé fasciste arrivé aux portes du pouvoir – l’OAS, qui tenta d’assassiner De Gaulle -, s’est ensuite rabibochée avec les factieux sur fond de trouille en mai 68, au point d’accorder une amnistie on ne peut plus généreuse à des tueurs. Au début des années 70, elle a traqué les Comités de soldats gauchistes, créés à la suite de la Révolution des oeillets au Portugal, qui lui faisaient tant peur. Elle a coulé, comme on le sait, le Rainbow Warrior de Greenpeace, en 1985, tuant au passage le photographe Fernando Pereira.

Et cela n’est que la pointe émergée d’un iceberg que nous ne verrons pas de sitôt. Quels ont été les liens avec les Américains sur fond de guerre froide ? Quel sort a été fait aux structures secrètes nées autour de l’Otan, quand De Gaulle décida de sortir de cette organisation atlantiste ? La liste est longue. Deux considérations me paraissent essentielles. Un, les militaires ne sont pas la nation. Très majoritairement, ils votent pour la droite ou l’extrême-droite, comme l’attestent de nombreuses études. Deux, aucune autorité politique n’est en mesure de les surveiller. Ils se cooptent, ils se rétrogradent, ils font des risettes au ministre de passage. Ne jamais oublier : un(e) ministre de la Défense n’est rien. Voyez le cas Hervé Morin, éleveur de chevaux, traître à la cause Bayrou, et qui n’avait jamais entendu parler d’armes nucléaires avant que d’être propulsé par Sarkozy 14 rue Saint-Dominique, au siège du ministère.

Et maintenant, l’affaire. Le 6 février dernier, l’agence de presse AFP annonce une nouvelle fracassante : « Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) le Triomphant a heurté un objet immergé ».  Un porte-parole de la Marine précise qu’il s’agit probablement d’un container perdu en mer, entre deux eaux. Selon lui, un sous-marin nucléaire serait comme aveugle. Rassurant. Le fait est, en tout cas, que Le Triomphant – tu parles d’un nom ! – est bel et bien rentré ce jour-là à sa base de L’Île Longue (Brest), tout amoché à l’avant. Voici le bref communiqué publié à ce moment par notre glorieuse Marine : « Pendant son retour de patrouille, le SNLE Le Triomphant a heurté, en plongée, un objet immergé (probablement un conteneur). Le dôme sonar, situé à l’avant, a été endommagé. Cet incident n’a provoqué aucun blessé dans l’équipage et n’a mis en cause la sécurité nucléaire à aucun moment. La permanence de la mission de dissuasion nucléaire reste assurée. Le sous-marin est rentré par ses propres moyens à L’Ile Longue, escorté, comme il est d’usage dans les phases de départ et de retour, par une frégate ».

Parfait. Nos armes nucléaires stratégiques seraient à la merci d’un container rempli par exemple de jouets en plastique made in China. Parfait. Sauf que le 16 janvier, dix jours plus tard, le quotidien britannique The Sun mange le morceau (ici). Unthinkable ! comme l’annonce le titre. Incroyable ! S’appuyant sur des sources militaires, le quotidien révèle que le 3 ou 4 février, «notre » Triomphant et le HMS Vanguard, sous-marin nucléaire anglais, se sont violemment heurtés alors qu’ils étaient tous deux en plongée dans l’Atlantique.

la Triomphant – hourra pour nos couleurs –  a pu rentrer seul au port, mais le HMS Vanguard a dû été raccompagné par des remorqueurs jusqu’à sa base écossaise de Faslane. Deux joyaux technologiques, dotés des sonars les plus puissants qui se puissent concevoir, ne sont pas parvenus à se voir. Hum. Hum, car n’oublions pas que Le Triomphant transporte 16 missiles pouvant emporter 96 ogives nucléaires. Et le Vanguard un peu moins, mais tout de même.

Avons-nous échappé à une terrible catastrophe écologique ? L’hypothèse n’est pas folle.Les sources anglaises affirment que la pollution par le plutonium des armes aurait pu être massive en cas d’atteinte aux ogives. Les 250 hommes d’équipage – pensons-y – auraient pu périr d’une bien pénible manière et des tapis de bombes nucléaires auraient pu attendre au fond de l’Atlantique que l’océan ne les désagrège et relâche dans les eaux ses innombrables et mortels radionucléides. Je ne suis expert en rien, et ne peux ajouter quoi que ce soit sur l’éventuelle explosion des missiles à la suite de la collision. Les « experts » jurent que c’est impossible. Mais qui sont les experts ? Et qui les paie ?

Revenons-en à notre Marine. Elle est belle, hein ? Il est absolument certain que Le Triomphant a aussitôt su ce qui s’était produit. Mais nos autorités ont donc préféré le mensonge le plus grossier qui fût à leur disposition. C’est instructif. Et c’est loin d’être une première (ici). L’armée fait ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Et aucun responsable politique ne fait même semblant de s’en inquiéter. Si vous voulez ricaner, allez voir ces deux vidéos où l’on voit Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, en 2007, se gaufrer en beauté sur le nombre de sous-marins nucléaires d’attaque de la France (ici et ici).

Alors ? Alors pensez avec moi que les militaires utilisent chaque jour des ports habités par des centaines de milliers de personnes pour faire entrer et sortir leurs joujoux nucléaires. Pour ne prendre que le cas de Cherbourg et Toulon, les arsenaux où l’on travaille sur les réacteurs nucléaires sont au cœur  des agglomérations. Quelles sont les conditions de sécurité ? Quels sont les plans d’évacuation – absurdes, par définition, compte-tenu de la proximité entre la ville et l’atome – des populations civiles ? Vous compléterez les questions tout à loisir.

Je pense que nous tomberons d’accord sur un point. Quelle plaisante démocratie que la nôtre !

Coup de gueule sur la crise climatique (contre tous ses négateurs)

Tout ce que je vais écrire là est amical, soyez-en sûrs. J’ai eu des échanges privés avec Hacène – lecteur régulier – sur le sujet du climat, qui m’opposent frontalement à lui, et je ne le considère pourtant pas comme un homme infréquentable. J’en serais resté là sans certains commentaires de mon dernier papier sur Allègre, qui m’ont conduit à réagir. J’espère ne vexer personne, mais dans le cas contraire, je crains de n’y rien pouvoir.

Je dois ajouter que ce rendez-vous ne deviendra pas un club de discussion sur la crise climatique. Libre à chacun de penser ce qu’il veut, de douter, de faire les pieds au mur. Mais ce blog est celui de la crise écologique, et je refuserai obstinément que s’y insinuent des mises en question du vaste dérèglement en cours. Il est bien d’autres lieux pour cela. Croyance ? s’interroge un commentaire à propos du climat. Il existe aujourd’hui en France des scientifiques qui n’ont pas digéré Darwin et demeurent lamarckiens. Il existe hélas des flopées de vrais croyants qui pensent que le monde a 6 000 ans au plus. Sur cette terre, on trouve tout ce qu’on veut, même ce qu’on ne veut pas.

Je ne suis pas scientifique, mais je regarde cette question du climat depuis près de 20 ans, avec sérieux. 20 ans, je le confirme. Et j’ai tout de même eu le temps de lire quantité de choses sur le sujet. Bien sûr, cela ne prouve strictement rien. Mais que l’on me fasse au moins le crédit que je n’écris pas n’importe quoi. Ce qui me frappe le plus, dans cette affaire, c’est la rapidité avec laquelle un consensus mondial s’est formé. À ma connaissance, c’est une première. Des milliers de scientifiques de presque tous les pays du monde sont tombés d’accord pour estimer qu’on assistait à un réchauffement planétaire du climat, qui prend souvent la forme d’un grand désordre, et que les activités industrielles de l’homme en étaient (presque) certainement responsables.

À côté de cela, une poignée – à l’échelle concernée – d’autres scientifiques se montrent sceptiques sur tel ou tel point. Peut-être ont-ils raison ici ou là. Le dérèglement n’est pas une vérité révélée, mais un événement jamais encore observé par les hommes au long de leur histoire. Il va de soi qu’au cours des vingt années passées, d’innombrables sottises ont pu être proférées et même écrites par des sommités. Et ce n’est pas fini !

La recherche, sur un sujet aussi extraordinaire que complexe, mène fatalement à des approximations, des erreurs, des impasses. Et alors ? Toute l’histoire des sciences est faite de ces sinuosités. Faut-il la jeter aux chiens ? En face de ces innombrables recherches, personne, je dis bien personne n’a été capable d’expliquer la détérioration stupéfiante du climat mondial. Oui, la banquise arctique fond de manière accélérée. Oui, des lacs de plusieurs kilomètres de long se forment au-dessus des glaciers du Groenland. Oui, le permafrost commence, dans certaines zones, à relâcher des gaz à effet de serre qu’il contient par milliards de tonnes. Oui, les océans peinent à jouer correctement leur rôle habituel de « puits de carbone », etc. J’écris etc, car je suis fatigué, figurez-vous. Le fait est que le cycle du carbone est bouleversé. Et comme il s’agit d’un composant de base de la vie, nul doute que les conséquences seront aux dimensions.

Quelles conséquences ? Mais nul ne le sait, pour sûr ! Il y a en effet tant d’incertitudes que la palette des opinions – des opinions – sur l’avenir de l’humanité est très largement ouverte. Et c’est ce moment dramatique de notre histoire commune que choisissent certains pour contester notamment les travaux du Giec, seul instrument à notre disposition dans le temps qui sera utile. Le Giec, je le rappelle, est le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, mis en place en 1988. Je laisse de côté les négateurs purs et simples, dont j’ai dit tout le bien – voyez le cas Allègre – que j’en pensais ici. Mais bien d’autres, comme Hacène, perdent – à mes yeux en tout cas – un temps furieux sans avancer d’un millimètre.

Pour cause ! Il leur faudrait expliquer ce qui a fondé le consensus du Giec. Or, sauf à imaginer un délire conspirationniste, ces femmes et ces hommes qui travaillent pour nous n’ont pas signé un pacte avec le diable. Ils appartiennent à des centaines de labos différents, ne sont pas payés par les mêmes sources, souvent ne se connaissent même pas. Alors quoi ? Un complot ? De qui, pourquoi, comment ? Donnez au moins une réponse satisfaisante, nom de Dieu !

Tous ces scientifiques n’ont pas le cul vissé sur leurs chaises, à faire tourner des modèles mathématiques. Beaucoup sont sur le terrain, au plus près des phénomènes. J’ai signalé il y a des mois un livre que (presque) personne n’a lu. Le livre d’un grand journaliste scientifique, Fred Pearce (Points de rupture, Calmann-Lévy). Pearce n’est pas dans mon genre. Il ne s’enflamme pas. Et, sur le climat, il a longtemps été sceptique, contrairement à moi. Mais son livre est tout simplement remarquable. Je paie pour de vrai une bouteille de champagne à qui en fera une critique argumentée, d’un point de vue sceptique. Parce que, merde, il ne faut pas pousser.

L’un des personnages les plus souvent mis en avant par les négateurs du climat s’appelle Marcel Leroux, un climatologue français mort en 2008. Requiescat in pace. Certes. Mais enfin, lisons ensemble les inepties, dignes d’Allègre – les deux hommes s’appréciaient – que Leroux a déclarées en 2002 (ici) à un journal de la région lyonnaise. Lisons, s’il vous plaît (ici) :

Entreprises Rhône-Alpes : Le monde scientifique semble unanime sur le fait que la planète se réchauffe et sur les conséquences à venir : fonte des pôles, montée du niveau des océans…

Marcel Leroux : C’est un mensonge, un psittacisme (répétition mécanique de phrases entendues, sans que le sujet les comprenne), du “climatiquement correct”. Et même s’il arrivait, ce réchauffement serait plutôt un bienfait : il s’accompagnerait d’un plus grand confort de vie dans les régions froides, d’une diminution des budgets de chauffage, d’une plus grande clémence du temps et d’une extension des terres cultivables. Ainsi, dans les années 1930 à 1960, une élévation régionale de la température a permis aux forêts canadiennes et scandinaves de s’étendre vers le nord. Et au Sahel d’accroître la pluviométrie, permettant aux populations d’empiéter sur un Sahara devenu plus fertile (…) L’idée du réchauffement de la planète, elle, a été relancée après la grande sécheresse de 1988 aux Etats-Unis. Des lobbies (écologistes en particulier) en ont profité pour nous replonger dans la psychose climatique. De même, plus personne ne parle du trou dans l’ozone : on sait que c’était un mensonge. L’affaire avait été montée par DuPont de Nemours qui avait besoin d’accuser les CFC pour mieux vendre ses substituts. Tout cela me fait penser aux prédicateurs américains qui rendent l’Homme responsable de tous les maux de la Terre. Il y a dans ce mouvement une vraie dimension psychologique et sociologique. Mais aucune réalité scientifique.

Je ne commente pas. Je ne veux pas insulter des morts. Tel était Leroux. Des lobbies auraient relancé une psychose. Rien ne serait vrai dans cette crise. Pas même le trou dans la couche d’ozone, qui a pourtant doublé le nombre de cancers de la peau au Chili en dix ans (ici). Non, je me dois d’être honnête avec vous. Je considère la bagarre contre le dérèglement climatique comme l’engagement premier, essentiel, des écologistes. Et je ne suis pas là pour convaincre ou défaire les sceptiques. Il existe bien d’autres journaux, bien d’autres sites sur le Net, bien d’autres blogs aussi pour jouer le jeu de l’irresponsabilité. Ne comptez pas sur moi.

Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs), bis repetita

Préambule qui n’a rien à voir ou presque : Henri Pézerat, mort le 16 février 2009, a été enterré hier par ses amis. À l’heure qu’il est – cela peut changer, je l’espère en tout cas -, aucun article de presse n’a rappelé son rôle proprement historique dans la bataille contre l’amiante. Nous verrons, mais j’y reviendrai. Et maintenant, sans transition, la suite.

Le texte qui suit n’est pas neuf, car il a été publié la première fois ici le 28 janvier 2008, il y a plus d’un an. Le relisant à la suite d’une recherche sur un autre sujet, je me suis dit qu’il méritait bien d’être remis en ligne ( un autre, complémentaire, ici). Souvenez-vous comme l’Espagne inspirait nos politiques de gauche, Ségolène Royal en tête, quand son économie de pacotille brillait encore de tous ses feux toxiques. Ou de droite, quand Aznar entendait détruire le fleuve qui a donné son nom à la péninsule ibérique – l’Ébre – et détourner ses eaux jusqu’aux plantations chimiques de tomates, loin au sud. Tout n’était donc que faux, tout n’était que carton-pâte. Mais il faudrait pourtant faire confiance à ceux qui prétendaient exactement l’inverse. Eh bien, si cela vous dit d’y croire encore, ne vous retournez pas pour voir si je suis là. Car j’ai déjà disparu.

Le 28 janvier 2008. Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : ici). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (ici) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (ici) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics.

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (ici). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Claude Allègre récidiviste (mais que fout la police ?)

C’est le hasard, car je tenais ce papier sous le coude depuis quatre ou cinq jours. Vous y verrez, j’y vois en tout cas un hommage à la mémoire de mon ami Henri Pézerat, qui sera enterré aujourd’hui vendredi. Allègre est l’antithèse boursouflée de suffisance de ce que fut Henri. Allègre, qui a travaillé comme Henri à l’université de Jussieu (Paris), n’hésitait pas à dire en 2005 dans L’Express : « Je le dis et je le répète : à faible dose, la poussière d’amiante n’est sans doute pas plus dangereuse que la poussière de silice qu’on respire sur la plage ». Une étude de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) vient précisément de reconnaître qu’ « une révision de la réglementation actuelle est justifiée ». Il faudra, selon l’Afsset, « tenir compte des dangers avérés et potentiels des fibres fines et des fibres courtes de ce minéral, alors que seules les fibres longues sont prises en considération pour évaluer la pollution d’un lieu (ici) ».

La suite concerne Allègre, une nouvelle fois. Nul doute qu’il s’agit, malgré tout, d’un cas intéressant. Un homme qui nie à la fois la dangerosité de l’amiante et la réalité du réchauffement climatique est intéressant. À fortiori quand il est complaisamment présenté comme un grand scientifique. Et davantage encore si l’on ajoute que cet homme a été ministre d’un gouvernement de gauche il y a une poignée d’années et ami proche, y compris sur le plan intellectuel, d’un certain Lionel Jospin. Jospin, le grand espoir du changement. Le digne successeur de François Mitterrand.

Pardon de me copier sans vergogne, mais j’ai déjà écrit sur Allègre. Je tiens notamment à ce (très) long parallèle entre Tazieff et Allègre, qui résume parfaitement ma pensée sur le sujet (ici). Mais il y a deux autres articles qu’il m’est difficile de ne pas recommander, car je les ai écrits aussi. Oui da, moi (ici et ici). Si je vous embête encore avec ce sensationnel personnage, qui lorgne désormais sur un poste ministériel chez Sarkozy, c’est parce qu’il vient d’écrire un article dans le journal Le Point (ici).

Encore une fois, c’est prodigieux. Allègre devrait avoir une médaille pour chaque invention qu’il imagine. Mais la fabrique nationale suffirait-elle ? Je ne peux ni ne veux tout souligner. Vous savez lire comme moi. Un petit commentaire ne vous sera pourtant pas épargné. Notez ces deux phrases, et regardez-les ensuite de près : « La température moyenne des océans n’augmente plus depuis 2003. L’année 2008 aura été dans l’hémisphère Nord parmi les plus froides depuis dix ans et tout indique que l’année 2009 sera identique ».

Que dire qui ne soit aussitôt une retentissante injure publique ? Je ne confronte pas même à la réalité des faits et des études raisonnablement établies. Je laisse ce travail à d’autres, s’ils en ont envie. Non, je pense à la logique interne de ces mots. Ainsi de l’usage du présent indicatif pour signaler une impossibilité manifeste. Comment voulez-vous savoir que la « température moyenne » des océans n’aurait plus bougé depuis 2003 ? Seul Allègre est en mesure de tels miracles.

Autre point remarquable : l’année 2008. Là encore, restons-en à la logique interne. L’hémisphère nord aurait connu une année « parmi les plus froides depuis dix ans » ? Si tel était le cas, que nous dirait-il ? Absolument rien. Le dérèglement climatique global s’accommoderait aisément d’un tel phénomène. Dans le même temps, Allègre ne dit rien de l’hémisphère sud, qui pourrait modifier en profondeur la donne. Autrement dit, son propos est dépourvu de sens. Mais le pompon est dans les derniers mots : « tout indique que l’année 2009 sera identique ». N’oublions pas que l’auteur est un scientifique. S’il dit tout, ce doit être tout. Donc, tout dirait que l’année météo, avant même de s’être déroulée, sera identique à la précédente.

On est là dans une extraordinaire démonstration. Allègre n’est plus, s’il l’a jamais été, dans la prévision. Mais dans la prédiction. Dans la divination. Demain, il ira à Delphes, consulter les oracles. Ou se fera tirer les cartes par madame Irma. L’esprit humain est grand, invincible, presque sans limites dans sa fantaisie. Cet homme a été ministre de la gauche sans que personne dans ce camp ne s’étonne de ses positions sur l’amiante et le climat, connues depuis près d’une quinzaine d’années. Cet homme sera peut-être, demain, ministre de la droite. Voilà qui me fait réfléchir à l’état de la pensée politique. Voilà qui me fait songer que nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

PS : Comment une seule et même terre peut-elle porter à la fois un Henri Pézerat et un Claude Allègre ? Voilà bien l’un des nombreux mystères que j’emporterai avec moi. Quand le moment sera venu. Je ne suis pas pressé, non pas.

Un homme juste est mort (Henri Pézerat)

Je vais essayer de cacher ma peine, qui est immense. Et je vais tenter de parler d’un vivant qui fut beau. Je ne prétendrai pas être un intime de l’homme qui vient de mourir, mais je le connaissais bien. Et j’aimais Henri Pézerat, cela ne fait aucun doute.

Henri vient d’y passer. J’en ai le frisson. Ce n’est pas un deuil, c’est la vraie grande douleur du manque. Je ne pourrai plus l’appeler au téléphone. Je ne pourrai plus passer le voir dans son appartement de Fontenay. Merde, ce n’est pas seulement insupportable, c’est incroyable. Quel âge avait Henri ? Je pense 77 ou 78 ans, j’ignore au juste. Il était fatigué. Non pas de vivre. Son esprit était fait pour durer des siècles. Hélas le corps ne suivait plus. Son cœur lâchait. Mais son esprit !

J’ai rencontré Henri en 1994. À cette époque, il était encore directeur de recherche au CNRS, à Jussieu (Paris). Il était toxicologue. Ce jour-là, grâce à lui, j’ai tout compris du drame absolu de l’amiante. Il ne faut pas commettre d’anachronisme. En cette année 1994, Henri bataillait seul. Seul en France, où des milliers de scientifiques travaillent pour l’armée ou l’industrie. Seul, il avait démonté le dossier de l’amiante, de l’exposition des prolos à cette fibre assassine. Il disait déjà les milliers de morts par an. Tout ce qu’il m’a dit ce jour fabuleux – pour moi – a ensuite été confirmé.

Mais il était seul. Contre les institutions, les ministères, les officiels, et même un peu et beaucoup les syndicats. Henri connaissait d’autant mieux l’amiante qu’il avait bataillé dans les années 70, dans cette fac de Jussieu devenue tombeau pour tant de salariés, contre le flocage des plafonds à l’amiante. À la différence de cet atroce personnage appelé Claude Allègre, il savait, il gueulait.

Non, il ne gueulait pas. Henri était finalement un homme discret, mais un combattant qui jamais ne lâchait prise. Moi qui l’ai tant poussé à raconter sa vie, j’ai fini par en connaître des bribes. Ce chercheur rarissime était proche du peuple. Il avait été un militant ardent du Parti Communiste, puis un opposant interne au stalinisme, et s’était finalement rabattu sur le syndicalisme. Mais Henri sera toujours resté, à mes yeux, un communiste à l’ancienne, un communiste d’avant la glaciation, un Juste. Il n’aimait pas que j’emploie ce mot pour parler de lui. Il n’aimait pas qu’on parle de lui. C’était un Juste.

Le combat pour l’interdiction de l’amiante, obtenue en 1997, lui doit à peu près tout. Certes, sans certains autres, cela aurait traîné un peu plus. Mais sans lui, nul ne sait si nous aurions obtenu cette fragile victoire. Il a été l’âme, le centre, le moteur de cette terrible bataille au couteau contre les salopards de ce monde malade. Je suis fier – et non pour moi, je l’assure -, je suis fier d’avoir obtenu que le journal Le Monde fasse une page entière sur le sujet, le 31 mai 1995, avec un dessin du visage de Henri en une. Je salue au passage, d’ailleurs, l’ami Jean-Paul Besset, sans qui cela aurait été impossible. Vous ne le savez pas, mais le journaliste que je suis a ramé des mois entiers, à cette époque, pour faire circuler de maigres informations sur ce qui était pourtant un drame national. Si je racontais tout dans le détail, et le nom des journaux qui m’ont alors ri au nez, je pense que vous seriez surpris. J’en suis sûr.

Henri ne s’est pas arrêté là. Il est devenu au fil des ans, surtout après son départ à la retraite, le spécialiste tous terrains de quantité de causes essentielles. Je lui ai souvent dit : « Henri, tu es un service public à toi tout seul ». Il riait, j’adorais cela. C’était vrai : un service public installé dans son appartement, d’où il envoyait études et analyses à tous ceux qui le sollicitaient. Des ouvrières, des ouvriers, des êtres méprisés, ignorés, sans pouvoir, lui passaient un coup de fil, ou lui envoyaient un fax, et alors tout commençait.

Je ne peux citer tous les exemples. Il y en a vraiment trop. Henri avait compris ce qu’aucun ponte ne saurait admettre. Que les liens entre la santé et la contamination chimique, environnementale en général, sont massifs et constants. En une douzaine d’années, Henri aura éclairé de son savoir des tragédies qui seraient restées obscures à jamais. Dans le désordre, je citerai l’école de Vincennes, sur le site des anciennes usines Kodak, les cancers d’enfants de Mortagne-au-Perche, le sous-marin Clemenceau, l’air de Gaillon, la maladie de Paul François, l’insoutenable affaire de l’atelier A de l’usine Adisseo de Commentry, le danger des fibres céramiques réfractaires, la qualité des eaux et la pollution par l’aluminium, et tant d’autres. Je me souviens de la tendresse singulière qu’il avait pour Josette, une ouvrière de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand. Une usine qui avait tué massivement, où les femmes surtout avaient lutté avec vaillance et un brin de désespoir.

Je maintiens : Henri était « un service public à lui tout seul ». Un homme si rare qu’il ne sera pas remplacé. J’écris cela alors que j’ai toujours pensé que nous tous étions aisément remplaçables. Mais sincèrement, je crois qu’il était une fantaisie de l’évolution, qui ne repasse pas nécessairement les plats. On ne trouve pas chaque jour un scientifique rigoureux qui aime le peuple et prend au sérieux la crise écologique. Oh ! je ne souhaite pas en rajouter. Nous n’étions pas d’accord sur tout, de loin. Mais c’était un homme unique.

Je pense à lui, bien sûr, espérant contre toute évidence qu’il saura le vide qu’il laisse dans nos âmes. Nous sommes en effet nombreux à le pleurer à chaudes larmes. Henri est de ces êtres qui permettent de croire encore à la beauté du monde. Qui démontrent que la liberté, l’égalité, la fraternité brillent de tous leurs feux au fond de quelques esprits. Qui interdisent de perdre pied. Henri, mon petit père Henri, je t’embrasse.