Le coquelicot, fleur anarchiste

Ce texte a paru il y a quelques jours sur Reporterre

On vous a fait le coup cent fois, et rien ne dit que ce soit la bonne. Mais nous le croyons, nous qui avons lancé le mouvement des coquelicots le 12 septembre 2018. Nous croyons tout simplement que nous allons gagner. Qu’en octobre 2020 – nous comptons bien tenir jusque là -, cinq millions d’entre nous auront rejoint notre Appel ! Cinq millions ! Que dit notre Appel ? Quelque chose de simple, mais en même temps décisif : nous voulons des coquelicots, et parce que nous voulons des coquelicots, très fort, nous exigeons l’interdiction de tous les pesticides de synthèse.

Qu’est-ce donc qu’un coquelicot ? Le mot a fait des cabrioles dans la langue française passant de coquelicoq à coquelicoz (au pluriel), s’autorisant la variante coquerico. En réalité, c’est simple : notre fleur magnifique tire son nom d’une ressemblance avec la crête d’un coq, au moins par sa couleur. Citation du grand agronome Oliver de Serres, mort en 1619 : « Quoquelicoq est espece de pavot ; il croist en terre grasse et bien labourée, estant en fleur un peu devant la maturité des bleds ([blés], parmi lesquels se mesle il ». Nous ne sommes pas les premiers amoureux.

Mais bien sûr, outre qu’il est somptueux, le coquelicot est un combattant de la biodiversité. Demandez leur avis aux abeilles décimées par les pesticides ! Elles ne fondent pas sur eux pour le nectar, qu’ils ne produisent pas, mais pour leur pollen. Bien que les études demeurent rares, le coquelicot joue un grand rôle pour le maintien de nombreux ruchers, pendant la disette printanière qui succède au fleurissement du colza. Au reste, c’est un prêté pour un rendu, car le coquelicot ne peut pas s’autoféconder, et dépend en bonne part des circonvolutions des abeilles pour se féconder. Elles ne le voient pas en rouge, comme nous, mais en bleu, dans un rayonnement ultraviolet. Comme on les envie, hein ?

Au fait, combien de graines ? Une fleur peut produire 20 000 graines à elle seule, qui ne pèseraient dans l’affreuse balance du marchand, que 2 grammes. Soit 0,0001 gramme l’unité. Une plume, moins qu’une plume. Et là, patiemment planquées sous trois grains de terre, elles attendent le moment favorable. Combien de temps gardent-elles leur pouvoir de germination ? Chez les semeurs de tous horizons, la discussion n’en finira jamais : certains comptent en années, d’autres en décennies. Et les plus audacieux en siècles. Notre avis : le coquelicot est increvable. Et même celui qui se moquerait de sa beauté de reine devra bien reconnaître qu’il est divin sur le pain ou les salades, souverain pour qui veut faire une vraie sieste réparatrice. Disons-le : c’est un grand ami.

Il y a moins drôle. Le 2 mai 1915, le médecin-major canadien John McCrae doit enterrer son ami Alexis Helmer, tout juste âgé de 22 ans, qui vient de mourir sur le front belge de la Première Guerre mondiale. Le lendemain, il écrit en hommage ces mots puissants :

« Dans les champs des Flandres, les coquelicots fleurissent

Entre les croix qui, une rangée après l’autre,

Marquent notre place ; dans le ciel

Les alouettes chantent encore courageusement

A peine audibles entre les canons qui tonnent (…). »

C’est horrible, mais en ce premier printemps du massacre, les terres bouleversées par les obus ramènent à la surface des graines de coquelicots qui couvrent les champs de la mort de milliards de fleurs rouges, qui deviendront, en Angleterre et au Canada, le symbole du souvenir. Depuis 1920, les poppies – nos coquelicots – sont arborés chaque 11 novembre par des millions d’humains recueillis.

On n’est pas obligé de se prosterner. Ni d’accepter qu’un tel symbole puisse représenter tant de corps déchiquetés. Notre grand ethnobotaniste Pierre Lieutaghi, par exemple, note que le coquelicot « se moque des frontières », ajoutant qu’il y a « de par le vaste monde, beaucoup d’êtres qui, en mai, le découvrent avec bonheur et qu’il vaut mieux, pour une fleur, symboliser la joie que le sanglant sacrifice ».

Comment ne pas exulter avec lui ? On connaît au moins 9 tableaux de Monet avec des coquelicots, peints entre 1873 et 1891. Preuve que qui plantait alors son chevalet en Île-de-France au printemps avait les yeux éblouis par les quatre pétales écarlates. On les voit aussi chez le Van Gogh d’Auvers-sur-Oise, comme dans cette merveille peinte en juin 1890 sous un inimitable ciel bleu et jaune. Ou chez Courbet, Klimt, Sérusier, Renoir. Le coquelicot, ensorcelante beauté du monde.

L’historienne Arlette Farge est pour nous une amie depuis qu’elle a décrit sa « fragile audace », notant : « Grâce aux graines qui s’échappent du fruit, il se ressème seul où bon lui semble, tel un fugitif. Cela ne fait que renforcer mon désir de l’approcher, sans le cueillir bien sûr tant j’aurais crainte qu’il ne s’étiole ou se chiffonne. Jamais, on le sait, on ne pourra en faire des bouquets à mettre dans des vases, comme on le fait des roses ou des pivoines. Quelque chose me dit que c’est un peu de sa fierté d’être ainsi, et me plaît son refus d’être en quelque sorte apprivoisé ».

Oh oui ! Le coquelicot est cette fleur anarchiste qui reparaît sans cesse là où les méchants de l’histoire, comme ces damnés pesticides, croyaient l’avoir éradiqué. Pour nous, et pour vous tous nous l’espérons, vouloir des coquelicots, en ce début d’année, est l’espoir puissant que nous pouvons inverser le courant maudit qui nous conduit au précipice.  Ensemble, tant de choses seraient possibles, qui paraissent aujourd’hui démesurées. Nous allons vaincre la rapacité, le profit, la laideur, l’incommensurable sottise de ceux qui ne font pas de vraie différence entre une fleur sauvage et son artefact en plastique imputrescible. Nous allons vaincre, parce que nous n’avons plus le choix. Nous allons vaincre, amis lecteurs de Reporterre, si vous vous décidez à sortir du rituel et du virtuel des pétitions sur internet.

Si nous vous invitons à signer massivement notre Appel (nousvoulonsdescoquelicots.org), c’est que, justement, il ne s’agit pas d’une pétition. Mais d’un véritable Appel à l’action. Vous en saurez plus le 4 janvier à 18h30, devant les centaines de mairies de France où tous les Coquelicots se réuniront pour le quatrième mois consécutif. N’écoutez pas les rieurs : relevant enfin la tête, nous allons faire l’Histoire.

François de Beaulieu et Fabrice Nicolino

Les excellents voeux de Frédéric Wolff

Mon ami, votre ami Frédéric Wolff m’a envoyé ses voeux. J’y joins les miens et vous précise que, si Planète sans visa est en déshérence, c’est pour la bonne cause des coquelicots (nousvoulonsdescoquelicots.org).
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L’heure des vœux, chaque année, se rappelle à nous, et chaque année un peu plus, l’exercice s’apparente à une forme de conjuration. Où trouver les forces d’y croire, alors qu’il y a tant de raisons d’être pris d’épouvante, et finalement de renoncer ? Tous ces fronts où porter nos combats. Et cette facilité de la machine, en face, à tout récupérer, à détourner notre attention, à faire de nous de bons soldats de la société industrielle. Et il faudrait garder confiance en demain ou, à l’inverse, tenir l’effondrement pour inéluctable et s’en remettre à des experts de la vie administrée après avoir englouti les dernières miettes du festin ?

Des vœux, donc, mais pour quoi ? Pour combler notre besoin d’illusion ? Pour renouveler notre foi parce que, profane ou pas, il nous faut croire en quelque chose ? Force est de reconnaître que les grands récits de notre civilisation ont, à mes yeux, perdu en crédibilité. Définitivement. Je résume, en sachant qu’il conviendrait de développer, de nuancer parfois, mais cela entraînerait trop loin.

L’héritage des Lumières ? Ambivalent, pour le moins. A côté de ses apports indéniables, il y a aussi la part obscure. L’anthropocentrisme suffisant, fier de ne rien devoir à Dieu, à la tradition et à la nature1. Le culte du nouveau, nécessairement meilleur que l’ancien.

Le Progrès scientifique et technique ? Un regrès humain sur lequel prospèrent les ennemis de l’humain (les transhumanistes2), saisissant là une occasion de renouveler le prestige écorné du progrès. Autre astuce pour redorer le blason d’une science assujettie aux pouvoirs militaires, industriels et étatiques : le mythe de la recherche pure, fondamentale, publique, neutre, bref, quelque chose qui n’existe que dans la propagande éculée des imposteurs. Une classe sociale – les ingénieurs, les technocrates, les experts – a pris le pouvoir. Aux yeux de cette oligarchie, seule compte l’efficacité. A tout problème, une solution, une seule : la technique. Mieux encore, le problème, c’est la solution. La technologie saccage le monde ? Soyons donc innovants, fabriquons une technologie nouvelle pour réparer les dégâts de la précédente, puis une autre encore et une autre jusqu’à ce que mort s’en suive. A ce stade, ce n’est plus de la science, mais de la pensée magique. Et encore, gratifier de pensée ce qui, précisément, procède de l’impensé, c’est être bien charitable. Qu’importe si nous ne maîtrisons rien, si nous compromettons les fondements mêmes de la vie. Une innovation technologique viendra plus tard. Ou pas. Ce système est cinglé ? Criminel ? Les deux à la fois ? Les deux. Un seul exemple : le nucléaire et ses déchets, ses catastrophes, ses bombes. Merci la science pure.

La société de croissance infinie dans un monde fini ? Un désastre écologique, moral et culturel. Variantes en guise de diversion, le développement durable, la croissance verte, la transition énergétique. Trois des plus belles escroqueries de ces dernières décennies, pour une raison bien simple : l’impossible découplage entre croissance économique et croissance des consommations d’énergie, des déchets et des pollutions, sans même parler de l’aliénation et de la déshumanisation. Changer de moteur et d’énergie pour mieux continuer à fabriquer des objets futiles et nuisibles, plutôt que de changer de paradigme pour sauver le miracle de la vie sur terre. Hélas, les énergies vertes ne sont ni propres, ni renouvelables, ni respectueuses des peuples autochtones et des vies non-humaines3. Quant à l’efficacité énergétique, comment ne pas y voir une mystification de plus ? Par l’économie dégagée, elle conduit à accroître la consommation globale de ressources et d’énergie. Et donc, à aggraver la prédation, la pollution et le chaos climatique, dans une société inféodée à l’évangile de la croissance et du consumérisme. Les voitures consomment moins, mais nous roulons davantage, nous prenons l’avion, nous importons des marchandises de l’autre bout du monde…

Le numérique, le téléphone portable, la bagnole ? Des multiplicateurs de nuisances, ni soutenables, ni équitables, en dépit des impostures grotesques du Fairphone, de l’informatique libre, de la voiture propre. Ce qui devait nous libérer nous asservit. Jamais nous n’avons été autant déconnectés de nous-mêmes, des autres, de la nature. Nos savoir-faire, nos choix, nos capacités, nous les déléguons à des machines. Qu’avons-nous gagné ? Des ersatz de vie, des automates à la place des humains, l’illusion de la toute-puissance infantile, la surveillance généralisée, un devenir de données et de machine, un univers de prothèses faisant de nous des mutilés. Qu’avons-nous perdu ? L’autonomie, la pensée, la vie intérieure, la présence, le sens des limites, un monde où l’air était encore à peu près respirable, exempt d’ondes délétères.

Tant de promesses, parmi d’autres, pour aboutir à quoi ? A l’asservissement, à la laideur, à la sixième extinction des espèces. La cerise sur le gâteau ? Même pas foutu d’être heureux. Deux mille ans de civilisation pour en arriver là, ça valait le coup. Malgré leur naufrage, ces croyances continuent d’être assénées dans tous les grands médias, dans toutes les assemblées. Ceux qui se réclament du nouveau monde, de l’extrême gauche à l’extrême droite, sont incapables d’imaginer autre chose que le développement industriel, la techno-science, le numérique, la bagnole, les vacances à la neige, dans les îles, l’emploi qui vaut mieux que la vie… Incapables de rompre avec la vieille politique, avec la racine-même du désastre : la société industrielle. Tout juste bons à en appeler à augmenter indéfiniment la taille du gâteau, à le répartir plus équitablement, qu’ils disent, la main sur le cœur. Que ce gâteau soit toxique, que sa fabrication détruise des habitats, aliène à la tâche et empoisonne des malheureux, tout cela ne semble pas émouvoir les gardiens de l’ordre existant. Vivre sans la quincaille du bipède postmoderne ? Vous n’y pensez pas sérieusement ? Seriez-vous réac ? Limite facho ? Voulez-vous revenir à l’âge des cavernes ? Essayez donc de toucher, que dis-je, d’effleurer la voiture, l’avion, les écrans… et vous verrez. La révolution. Par contre, aucun vrai sursaut – ou si peu au regard des enjeux – face à la perspective d’un monde sans eau potable, sans terre vivante, sans climat propice à la vie. Ma foi, les techniciens trouveront une solution. On inventera des bagnoles qui dépolluent l’air en roulant, comme le prophétise le leader en chef de la France insoumise4. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas imaginer des voitures fabriquées sans énergie et sans matières premières ? Mieux encore, des véhicules compostables, bio-circulaires pour mieux tourner en rond et éviter la fuite en avant. Et, tant qu’à faire, entièrement autonomes, sans route, sans bitume, sans fragmentation des habitats, sans écrabouillage d’âme qui vive… Un genre de télévoiturage universel, gratuit et accessible à toutes et à tous dans le cadre d’un grand service public, parce que n’est-ce pas, on est de gauche. Il suffit de demander à nos ingénieurs. En attendant, il faut vivre avec son temps, avoir confiance en nos hommes de science et d’industrie, rester positif, car c’est bon pour la santé.

Justement, la santé. J’allais l’oublier, celle-là. Incontournable, dans le souhait des bons vœux. Parce que la chose est entendue, n’est-ce pas. C’est une priorité de tous les instants. Voyez donc. Usines à fabriquer des malades et à les entasser dans des usines à prolonger l’agonie, agences sanitaires, académies de science et de médecine, et leurs prouesses héroïques pour défendre les industriels de l’amiante, du chlordécone, du glyphosate, de la téléphonie mobile, des vaccins et de leurs adjuvants toxiques. Et j’en passe. Avec un peu de chance, dans un siècle ou deux, ils vont découvrir que le poison tue. Ne jamais perdre espoir… Finalement, que demande le peuple ? A peu près tout le monde veut son bien. Si après ça, vous êtes souffrant, vous l’aurez bien cherché. Le responsable, c’est vous. Car dans ce monde, il n’y a pas de multinationales de l’empoisonnement. Plus facile de faire porter le chapeau aux individus plutôt qu’aux malfaiteurs du genre humain et non-humain5. Je ne prétends pas que nous n’ayons pas notre part de responsabilité personnelle, je la considère même comme primordiale, ne serait-ce que pour des raisons morales. Le capitalisme, c’est nous aussi, par notre mode de vie. Que nous le voulions ou non, et à des degrés certes différents, nous sommes parties prenantes de ce monde. Mais s’agissant des crapules de l’industrie et de leurs valets, c’est autre chose. C’est de culpabilité dont il est question.

Jusqu’à la nausée, j’abhorre ce monde et ses chiens de garde capables, dans le même temps et sans mourir de honte, d’en appeler à tout et à son contraire. La croissance et le respect des limites de la terre ; la biodiversité et l’abattage des loups ; les droits humains et les gadgets électroniques fabriqués par des esclaves ; la santé et la soumission aux pires lobbies qui soient, des nucléocrates aux forcenés de la téléphonie mobile, de la malbouffe, des fabricants de pesticides et de leur syndicat majoritaire ; la compassion dégoulinante, la lutte contre la discrimination et le déni quant au sort des sacrifiés de notre civilisation : les électro-hypersensibles, les chimico-sensibles, les suicidés de l’enfer industriel, les assassinés de l’amiante, des agro-carburants, du PVC, de l’aluminium, du nucléaire, de la bagnole, de l’industrie chimique, de nos colifichets, de nos déchets. Et les peuples du Sud écrasés. Et les animaux exterminés.

Des vœux dans ce cadre morbide ? Autant pisser dans un violon, ce qui serait dommage pour ce noble instrument ; étant donné les quantités de glyphosate plus qu’inquiétantes contenues dans nos urines, il serait plus judicieux de les retourner à l’envoyeur : les fabricants de poisons en tous genres et ceux qui les autorisent.

Sortir du cadre, donc. Rejeter ces croyances mortifères. Formuler un autre imaginaire à la mesure de l’homme et de la nature, le vivre, le défendre, dans les endroits où le vivant est menacé, avec force et détermination, comme à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, sur le chantier du TGV Lyon-Turin… S’attacher à une éthique de l’action, car les moyens déterminent les fins et dictent ce qui viendra après6. Boycotter massivement ce qui nous assujettit, nous rend malades, anéantit d’autres vies que les nôtres. Lancer la grève illimitée et générale des achats toxiques. Vous imaginez ça ? Cinq millions de grévistes, avec pour slogan le pouvoir du non-achat ? Pour commencer.

Un coup d’œil vers le ciel. La nuit est tombée depuis un moment. Pas un quartier de lune, pas une étoile filante. C’est loin d’être gagné. En attendant, écrire, relire, réécrire. Le sommeil viendra plus tard. Drôle d’impression en vérité. Vouloir porter les mots au plus haut et les voir retomber à la manière du rocher de la mythologie. Absurde ? A moins que justement, le sens soit à chercher du côté de cette lutte incessante à nommer, à combattre, à refuser son consentement. « Sisyphe heureux », pour reprendre les mots de Camus ? Et pourquoi pas ?

Pour finir, et en considération de ce qui précède, mes vœux pour cette année, quand même. Qu’elle vous soit clémente autant qu’il est possible, fleurie d’amitiés, de coquelicots, bien sûr. Qu’elle porte notre Appel7 vers tous les horizons. Qu’il y ait encore des refrains d’oiseaux, des joies de presque rien et des rumeurs d’abeilles, des conversations incandescentes à défaire et à refaire le monde, des fleurs sauvages et l’envoûtante beauté, longtemps, longtemps, chaque jour qui vient et fait battre les cœurs.

1 « L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener […] Abstraction faite de mon existence et du bonheur de mes semblables, que m’importe le reste de la nature ? » Diderot.

2 Manifeste des chimpanzés du futur. Contre le transhumanisme. Pièces et Main d’œuvre.

3 Philippe Bihouix, L’âge des low-tech ; Frédéric Gaillard, Le soleil en face ; Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique.

4 « On va dire à nos ingénieurs : Non seulement vous allez faire des véhicules qu’on va vous dire, mais en plus vous allez nous faire des véhicules à impact positif […] C’est-à-dire qu’au lieu d’encrasser l’air, vous allez le nettoyer. » Jean-Luc Mélenchon, France 2, 18 octobre 2014.

5 Le développement personnel peut lui aussi contribuer à dépolitiser et individualiser des problématiques écologiques et sociales.

6 Viscéralement, je me défie des lendemains qui chantent, jonchés le plus souvent de millions de cadavres. De même, concernant les fausses oppositions. Simone Weill, la philosophe, l’a remarquablement bien exprimé à propos du fascisme et du communisme qu’elle tient tous deux pour criminels, empreints de la même emprise de l’Etat sur toutes formes de vie individuelle et collective, basés sur les mêmes dispositifs de militarisation, de parti unique et de servage.

7 Nous voulons des coquelicots, Fabrice Nicolino et François Veillerette.

A notre glorieux ministre, avec nos compliments

Ainsi que vous savez peut-être, je suis à fond dans le mouvement des Coquelicots. Pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Si vous n’avez pas encore signé – ce serait une lourde faute -, il est loin d’être trop tard. L’Appel continue en effet jusqu’en octobre 2020 et c’est ici : https://nousvoulonsdescoquelicots.org

Vous trouverez ci-dessous une mienne réaction aux propos du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, ce pauvre garçon qui ferait presque pitié.

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Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, n’épinglera pas à sa boutonnière notre cher Coquelicot, car a-t-il dit sur France Culture ce 20 décembre, « [il] n’a pas à arborer de coquelicot ». Tant mieux, car il aurait fallu le lui enlever. Que pense notre grand personnage de nous, les 450 000 qui ont déjà rejoint notre Appel ? Ceci : « Je me bats toujours contre les intégristes ». Ce mot, rappelons-le, a d’abord été utilisé pour désigner les partisans d’un évêque fasciste, Mgr Lefebvre, puis par extension l’intégrisme musulman, pratiquement synonyme de djihadisme. Un ministre de la République rapproche les amoureux de la vie, des oiseaux, des abeilles, de la beauté du monde, du crime. Nous en sommes là.

Bien sûr, et chemin faisant, il ment comme un arracheur de dents, n’hésitant pas à prétendre sans rire : « Moi qui suis un militant du bio. Un militant de la transition agroécologique ». On voit que les éléments de langage fournis clés en mains à tout ministre n’auront pas été perdus. En octobre, le même demandait des preuves de la toxicité des pesticides. C’est fou, le chemin que l’on peut faire en seulement deux mois.

Qui est vraiment Didier Guillaume ? un politicien ordinaire, mais drôle. Au début de l’année, il annonce qu’il arrête tout net sa modeste carrière politique. Il a des vues dans le privé. Et il puis il se ravise, pour quelque obscure raison, et se retrouve finalement parachuté ministre d’un domaine qu’il ne connaît pas. Combien de temps restera-t-il ? Six mois, un an, deux ? Il sera de toute façon oublié quand les intégristes de service – nous tous, les amis – en seront à fêter la victoire de la vie sur la mort.

Au fait, monsieur Guillaume, et avec tout le respect que l’on doit à votre formidable engagement, pourquoi ne dites-vous pas un mot du « lac de Caussade », dans le Lot-et-Garonne ? En ce moment même, passant outre des décisions d’Etat, la Chambre d’agriculture a ouvert un chantier illégal. Avec des bulls privés et des gros bras locaux. Pour creuser une retenue de 920 000 m3, édifier une digue de 378 mètres de long et 12,5 mètre de haut. Des dizaines d’espèces protégées verront leur habitat local disparaître. Le tout pour complaire à 20 irrigants et au maïs pesticidé.

Et ? Et rien. Vous restez là à pérorer, vous le « militant du bio ». Nous n’en attendions pas moins de vous.

Fabrice Nicolino, président de Nous voulons des coquelicots

 

 

Lulu d’Autun, gardienne du monde (un retour)

Le temps passe par abomination, je ne vous apprends rien. Le 8 décembre 2007, j’écrivais ici même l’un des premiers articles de Planète sans visa. Je le republie ci-dessous, car je viens de regarder avec grand retard le film puissant de François-Xavier Drouet, Le temps des forêts. Je ne sais pas s’il est encore en salles, mais si oui, courez !  Ma Lulu à moi y est présente, et je l’embrasse encore et encore, elle que je n’ai pas vue depuis désormais onze ans. Comment est-ce possible ? Je ne le sais pas. Lucienne Haese est une femme d’exception, ainsi que vous allez pouvoir juger vous-même. Mais place au souvenir.

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Article publié le 7 décembre 2007

Attention, l’amitié peut conduire à Autun (Saône-et-Loire). Celle que j’éprouve pour Lulu, Lucienne Haese, m’a mené là-bas, hier vendredi. Et le moins que je puisse dire, c’est que je n’étais pas dans une forme olympique. Mais bon, Lulu est Lulu.

Et comme elle m’avait invité à parler de mon livre sur les biocarburants, à la suite de l’Assemblée générale de son association, Autun-Morvan-Écologie, j’y suis allé, bien sûr. Je n’ai pas regretté une seconde, car la salle était davantage qu’intéressée par mon propos, amicale en outre, sympathique au possible. J’ai donc pu parler librement, sans détour, de la tragédie planétaire en cours, qui affame, ravage les forêts tropicales et détruit un peu plus le climat. Le maire d’Autun, le socialiste Rémy Rebeyrotte, était là, et m’a même acheté un livre. Le monde réel est plein de surprises. Thierry Grosjean, mon cher Thierry Grosjean, d’Ouroux, avait fait le déplacement. Ceux qui connaissent ce brave, que je n’avais pas vu depuis des années, comprendront.

Autun, donc, par le TGV Paris-Montchanin puis le bus jusqu’à Autun. Où Lulu m’attendait, à l’arrêt Lycée militaire. J’ai connu Lulu il y a quelque chose comme huit ans – je crois -, un jour que j’étais allé la trouver dans son local de la rue de l’Arquebuse. Elle est exceptionnelle. C’est une femme du peuple, aujourd’hui retraitée, qui a vaillamment conquis des responsabilités dans les entreprises qui l’ont employée. Elle a terminé sa carrière comme chef comptable dans une fabrique de parapluies familiale, aujourd’hui morte et enterrée sous les coups de la mondialisation. Et elle aime la forêt. Attention : d’un amour pur et violent, sans détour, évident, quoi !

Hier, elle m’a confié qu’elle devait ce grand défaut, qui est une immense qualité, à son père, qui l’emmenait, au temps de l’enfance, dans les forêts des environs, très tôt souvent. Écoutez-la, plutôt : « Un arbre, c’est comme un animal, c’est un être vivant. Un arbre, on peut l’entendre, car il parle. Vous êtes en forêt, tout est calme, et soudain l’un d’eux se met à parler, aidé parfois par le vent ». Telle est Lucienne, hélas sans son accent morvandiau.

Le soir venu, devant l’assemblée réunie, elle m’a fait un cadeau si fabuleux que l’émotion m’a saisi. Heureusement, je sais me tenir. Elle m’a en effet offert une part de forêt, la 1953 ème part de forêt morvandelle détenue par le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan. Me voilà propriétaire, théorique mais réel, d’un carré de 25 mètres sur 25, là-bas. J’en suis fier, j’en suis infiniment heureux.

Je vous dois une explication : Lucienne ne lâche jamais. Son combat principal consiste à dénoncer le massacre de cette forêt primordiale et mythologique qui a couvert pendant des millénaires sa région. Car le Morvan n’a longtemps été qu’une forêt, trouée de loin en loin pour les besoins humains. Une forêt de chênes et de hêtres, associée à quelques charmes, bouleaux ou châtaigniers, depuis quelques siècles pour ces derniers.

Mais tout a changé, comme partout. Pour la raison folle qu’il faut gagner de l’argent au plus vite – Take the money and run, Prends l’oseille et tire-toi -, des propriétaires forestiers ont commencé à remplacer les feuillus par des résineux. Dès après la Seconde guerre mondiale. Ce qui n’était qu’épiphénomène est devenu épidémie. Le Fonds forestier national (FFN) a massivement distribué des subventions publiques à qui plantait des pins Douglas, et la machine s’est emballée. En 1970, les résineux représentaient déjà 23 % du peuplement forestier du Morvan. Et 40 % en 1988. Et plus de 50 % aujourd’hui.

Des grandes compagnies bancaires ou d’assurance – Axa, les Caisses d’épargne – paient des gens pour répérer les ventes de forêts, ou pour les susciter. Ainsi sont apparues des propriétés de centaines d’hectares d’un tenant, sur lesquelles passent d’infernales machines à déraciner les arbres tout en les découpant. Table rase ! Coupe à blanc ! Lulu m’a montré des photos : je ne croyais pas cela possible en France. Une déroute écologique. Les résineux sont vendus en bloc, d’autres machines passent derrière et plantent des théories de nouveaux résineux, qui seront à leur tour broyés dans trente ou quarante ans. Ces monocultures sont des déserts biologiques. Et une insulte au beau, à l’histoire, à la culture profonde des Morvandiaux.

Lulu est restée debout, envers et contre tout, et tous. « Un jour, raconte-t-elle, j’ai pensé : « Mes cocos, vous allez voir de quel bois je me chauffe ». Et j’ai commencé à apprendre ». Oui, Lulu a dû apprendre à parler la langue des seigneurs. Et ce fut dur. Car elle ne savait pas les codes. Car, dans les réunions, elle entendait des mots qu’elle ne comprenait pas. « Les premières fois, ajoute-t-elle, j’avais les mains paralysées. Mais j’ai pris de l’aplomb ». Tout Lulu est là.

Depuis, infatigable, elle traque députés et préfets, responsables en tous genres, qui la voient arriver de loin. Au cours des repas officiels où on l’invite parfois, c’est à peine si elle mange. Son obsession, c’est le dossier qu’elle a sous le bras, et qu’elle remettra, de gré ou de force, à l’Éminence du jour. D’où ce groupement forestier, dont je fais désormais partie.

En quelques années, Lulu et ses amis sont parvenus à racheter 100 hectares environ, les sauvant de la mort industrielle. Mieux : en s’associant avec le Conservatoire des sites naturels et la ville d’Autun – eh oui, hier soir, le maire n’était pas là par hasard -, la fine équipe a pu acquérir les 270 hectares de la somptueuse forêt de Montmain, au-dessus d’Autun. Dont des sources, un aqueduc, les restes d’une ancienne villa gallo-romaine. Où est la culture ? Qui sont les barbares ?

Je ne connais pas d’exemple, en France, de groupe qui se batte avec tant de vigueur pour nos forêts. Mais peut-être suis-je ignorant ? J’en serais ravi, en l’occurrence. Reste que Lulu, Autun-Morvan-Écologie, le Groupement forestier sont des exemples. De l’esprit de résistance, bien entendu, qui nous manque tant. Si vous avez des idées pour soutenir ces valeureux, debout ! Ils le méritent. Moi, je vais tenter ce que je peux pour faire connaître ce combat, pour qu’il devienne national, européen peut-être.

L’association de Lulu a un site sur le net (autun.morvan.ecolog), et une adresse postale : Autun-Morvan-Écologie, BP 22, 71401 Autun Cedex. Mais je vous conseille de téléphoner, car avec un peu de chance, vous tomberez sur Lulu, directement : 03 85 86 26 02. Et si c’est le cas, je vous le demande, embrassez-la de ma part. Elle est irremplaçable.

 

Amis des causes communes

Ce qui suit est un message de Frédéric Wolff

 

C’est un soir de novembre. Un soir de rendez-vous devant toutes les mairies de France. Ici, en nord-Bretagne, comme dans des centaines de villes, des attroupements se forment. Il y a des visages familiers, d’autres que l’on ne connait pas. Des souvenirs remontent, ceux des grandes heures où nous avons mêlé nos voix. Notre-Dame-des-Landes, Linky, l’antenne-relais tout près de l’école maternelle… Il y a dans l’air une complicité immédiate, sans qu’il soit besoin de parole.

Ce soir, c’est une autre cause qui nous rassemble. Cette cause a un visage : celui du coquelicot. Chacun a apporté le sien, posé à l’endroit du cœur, collé sur un carton de récupération. Autour de lui, un univers rayonne, à la manière d’une galaxie dont la fleur serait l’étoile. Les épis dans le ciel, le bruissement des insectes, les chants d’oiseaux, les regards étonnés, la beauté… La vie. Celle des herbes en liberté, des arbres, des animaux, des rivières, des humains. Et ce qui détruit la vie. Un grand trou noir qui fait la nuit. Ces molécules que l’on retrouve partout, jusque dans les cours d’eau, dans l’Arctique, dans nos corps en sursis. Car oui, les pesticides tuent. Ils ne nourrissent pas le monde. Ils le font mourir. Et en plus, ils coûtent plus qu’ils ne rapportent, ce ne sont pas des écologistes radicaux qui l’affirment, mais l’INRA.

Ce modèle agricole est devenu fou. Fomenté par quelques potentats industriels et leurs valets – les politiques au pouvoir et le syndicat majoritaire –, il dévaste tout. Les coquelicots, les sols, la grande chaîne de la vie, les paysans du Sud, les agriculteurs de chez nous, les uns éliminés, les autres asservis, quand ça n’est pas empoisonnés. Ce que nous faisons aux coquelicots, aux arbres, aux rivières, aux animaux, nous le faisons aux humains.

Il est extravagant de voir avec quel acharnement nos sociétés industrielles s’appliquent à rendre inhabitable une Terre qui, à l’échelle de l’univers, est un miracle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une civilisation en guerre contre le vivant. Ses armes portent des noms anodins, presque désirables. Produits pour la bonne santé des plantes, croissance économique, innovation, transition énergétique faite de métaux rares… Autrement dit, empoisonnement massif, servitude technologique, irradiation ionisante, non ionisante…
Alors que tout aurait pu être différent. Alors que tout pourrait l’être encore. Sur qui compter ? Sur la classe politique ? La bonne blague. Autant attendre que les lobbies se préoccupent de l’intérêt général. Les agences sanitaires ? Il suffit de se pencher sur les prouesses de ces instances pour être saisi de perplexité. Qu’il s’agisse de la téléphonie mobile, des antibiotiques dans les élevages industriels, du glyphosate… la santé défendue par ces experts est plutôt celle des industriels (Lire l’excellent article de Charlie Spécial Pesticides du 12 septembre dernier, page 15). Alors qui ? C’est nous, et c’est nous seuls qui pourrons porter haut l’étendard.

Les coquelicots. Ce soir, ils ont gagné les cœurs. Nous étions une bonne soixantaine, ce qui, pour une première dans une ville de taille modeste, est prometteur. Car il y aura d’autres soirs, avec des calicots de coquelicots, avec de grandes marées rouges de la vie ardente. Il y aura des alliances, des ralliements de tous les horizons, et, j’en formule le souhait autant de fois que mon cœur peut battre, des boycotts des achats toxiques et des emplois nuisibles. Et tout ce qu’un rassemblement des âmes peut inventer d’inattendu, d’inespéré. Nous avons deux ans pour faire vivre cet Appel, pour le vivre plus encore, pour le faire fleurir. Deux ans. C’est peu et c’est beaucoup. L’urgence est absolue, et l’enjeu exige un sursaut inédit, une fraternisation des cœurs comme jamais.

C’est avec ces pensées, non formulées mais bien présentes, que nous nous promettons de nous retrouver, d’imaginer la suite. Un bon vin chaud, déjà… Bio, le vin… Et des gobelets en carton… Une banderole de plusieurs mètres de large… Un rendez-vous place de la cathédrale, la prochaine fois… Des masques de coquelicots… Des chants avec la chorale… La participation au collectif des pisseurs involontaires de glyphosate (analyses d’urine en vue de porter plainte)… Un grand rassemblement, au printemps, de tous les amis des coquelicots du département… Les amis des coquelicots sont nos amis ! Et des coups de fil encore et encore, pour élargir le cercle, pour qu’il devienne spirale !
Le soir va vers la nuit, abandonnant au silence les paroles et les pas qui s’éloignent.
Il est tard à présent. Des mots virevoltent en moi, le sommeil se dérobe. Quand je ferme les yeux, c’est une fleur que je vois. A cette image, s’en superpose une deuxième, celle d’un tout jeune garçon, plein d’inquiétude, de questions graves. Est-ce qu’il y aura des coquelicots l’année prochaine ? Et des chants d’oiseaux ? Des abeilles ? Dis, tu crois qu’ils reviendront ?

L’enfant, le coquelicot, l’enfant… Et ses questions.
Un jour, on se réveille, et l’évidence est là. Dire que l’on a failli oublier ça. La beauté d’un matin coquelicots. La beauté et la force qu’il porte en lui. L’importance qu’il acquiert à nos yeux. Une terre habitable pour nous, pour les autres que nous, à tout jamais indissociables.

Combien de graines pour une simple fleur ? Des dizaines ? Des centaines ? Combien de fleurs au bout de deux années ? Des milliers ? Des millions ?
La réponse ? Elle est entre nos mains. Et elle peut être belle.