Merci Linky (par Frédéric Wolff)

(Je publie ci-dessous un nouvel article de Frédéric Wolff. Je précise que Frédéric est un vieux lecteur de Planète sans visa, mais que je ne l’ai jamais rencontré. Comment en est-on arrivé à ce point, où je passe des points de vue qu’il m’adresse ? J’avoue ne pas même m’en souvenir. En tout cas, je m’en félicite)

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La fronde contre les compteurs communicants gagne du terrain. Des communes – 91 à ce jour – s’opposent à ces mouchards toxiques, des collectifs s’organisent, des individus cadenassent leurs bons vieux compteurs… Manifestement, le courant a du mal à passer.

Vendredi dernier, une réunion publique a rassemblé près de 400 personnes dans un village du nord-Bretagne. Du jamais vu, de mémoire d’autochtone. La salle était comble, les prises de parole se sont succédé pour dénoncer avec véhémence l’assujettissement technologique et les méthodes des installateurs – c’est à croire que les maîtres et leurs valets font tout pour nous pousser à les rejeter. Une jeune femme électro-hypersensible a témoigné de sa vie en errance dans un monde où elle n’a plus sa place. Prochaine réunion mardi, en plus petit comité, pour réfléchir à la suite.

Des fils seraient-ils en train de se nouer entre individus et collectifs issus d’horizons différents ? Nos modes de vie et nos prothèses sans fil vont-ils être mis en question ?  Des liens vont-ils se faire, dans les consciences, entre la planète intelligente et la surveillance, la contrainte, la déshumanisation électroniques ? Bref, Linky serait-il l’un des liens manquants pour penser, se rassembler et, pourquoi pas, s’affranchir de l’emprise des machines ? Dira-t-on bientôt : Merci Linky ?

En attendant l’arrivée de ces compteurs sur ma commune – dont j’interpelle depuis des mois les élus sans succès jusqu’ici –, j’ai préparé ma lettre de refus. La voici. Refuser… Soyons nombreux à faire nôtre ce verbe et à lui adjoindre le maximum de métastases industrielles de notre choix !

Cher Messieurs Linky et consorts,

Vous m’informez de votre venue chez moi pour m’installer un compteur communicant et, mieux encore, intelligent, d’après vos déclarations. C’est très aimable à vous, de penser à mon bien-être sans aucun frais, mais malheureusement, je ne vais pas pouvoir donner suite à votre proposition, en raison de tout l’intérêt qu’elle ne présente pas.

Pourquoi cela ? Tout simplement parce que j’ai déjà ce qu’il faut.

– Question conteur, mon ami Roland, entre autres, me donne toute satisfaction, et tous les deux, nous communiquons admirablement bien, nous n’avons pas besoin de machine pour cela. Quand il passe me voir, il a toujours une histoire à me raconter et, sans vouloir désobliger, je doute qu’un compteur, aussi communicant soit-il, me parle et m’écoute avec autant d’humanité sensible. C’est une question de bonne connexion avec ses semblables, une manière d’être sur la même longueur d’ondes, autrement dit.

– A propos des ondes justement, je dispose déjà d’une collection assez complète à domicile, et ce, 24 heures sur 24 : la wifi de mes charmants voisins qui aiment beaucoup partager apparemment, les antennes tout près de chez moi et, où que j’aille, la camelote des shootés du selfie, du twitt et du trip d’être “joint” à toute heure et en tous lieux.

Vous me proposez gentiment d’en rajouter une couche, vous m’assurez de l’absence de risque, sans assurance couvrant quoi que ce soit, curieusement… Bref, vous me demandez de vous croire sur parole, vous qui êtes juge et partie. Vous me permettrez d’être libre de mes croyances et de ne pas m’en laisser conter en ce domaine, quelle que puisse être l’intelligence de vos compteurs.

Et voyez-vous, ce que je crois, c’est avant tout ce que je vois : des alertes par milliers, venant de scientifiques, de médecins, de l’Europe, de l’OMS, à propos des dangers de toutes ces ondes nocives. Je vois des sœurs et des frères humains qui doivent quitter tout ce qui donne de la valeur à leur vie : leur maison, leurs amitiés, leur famille, leur travail, la joie simple d’être vivant. Ils le quittent, non par masochisme ou par phobie, mais parce que ces ondes sont devenues une torture pour leur corps et pour leur cerveau. Ce que je vois, ce sont des êtres qui n’ont plus ni refuge, ni lieu où vivre sans douleurs, parce que vous et vos gadgets détruisez ce qui reste de monde habitable.

Alors vraiment, merci, mais je préfère ne pas devenir Alzheimer, même pour mon bien. Désolé, mais finalement, non, je ne vais pas profiter de vos offres de maladies gratuites, j’ai d’autres projets dans ma vie. Je vais peut-être vous paraître rétrograde, mais j’aime autant éviter un cancer, même intelligent.

– Pour l’intelligence, j’essaie de faire avec celle dont je dispose et dont je n’ai exploré qu’une parcelle infime. Je n’ai nullement besoin d’une machine qui pense à ma place, je sais encore lire l’index de mon compteur situé dans mon garage. J’ai juste le désir d’avancer dans ma conscience du monde et de la vie, avec d’autres cœurs intelligents, et je doute fort que votre intelligence électronique soit celle de l’âme de notre humanité.

– Ce qui reste d’humanité, précisément, vous le remplacez par des puces, en laissant derrière vous des êtres désœuvrés, seuls avec leurs écrans et, quand ils ne peuvent plus supporter leurs ondes toxiques, seuls avec leurs souffrances.

Personnellement, je n’ai aucune envie d’être pucé, fiché et fliqué, que ce soit par un compteur, un téléphone, des objets connectés ou des machines qui parlent à des machines. Je n’aspire pas à brader ma vie privée à des fins commerciales ou policières, au profit d’escrocs ayant ou n’ayant pas pignon sur rue.

– Vous me certifiez que ces nouveaux compteurs épargneront mes économies et la planète par-dessus le marché. J’ai dû me pincer plusieurs fois car, pour tout vous dire, je ne vous savais pas philanthropes à vos heures.

Enfin, quand même… Vous et votre énergie de destruction massive, vous et vos EPR ruineux et dangereux, vous et vos pertes financières, vos centrales hors d’usage et vos déchets radioactifs dont vous ne savez que faire… Et vous vous voudriez être acclamés comme sauveurs de la planète et de nos petites économies ? Permettez-moi juste d’exprimer ma perplexité, pour ne pas dire mon impression d’être pris pour un débile profond qui a décidément besoin d’être assisté de prothèses intelligentes pour comprendre le monde un tant soit peu.

D’ailleurs, je ne suis pas sûr de tout saisir. Un exemple ? En quoi gaspiller des dizaines de millions de compteurs qui fonctionnent parfaitement est-il écologique ? Je pensais naïvement que nous avions à combattre l’obsolescence programmée, mais sans doute, cette résolution est-elle obsolète à son tour, grâce aux dogmatiques de la croissance verte dont vous êtes ?

Un autre exemple ? Vous expliquez doctement que ces compteurs permettront d’avoir enfin des factures précises, non basées sur des estimations, en feignant d’ignorer que, depuis des années, il est possible de communiquer par téléphone l’index de sa consommation réelle.

Quant à vos exhortations sempiternelles à nous connecter à vos pages d’accueil et à vos tableaux de bord, via des smartphones, des ordinateurs et des tablettes, en quoi cela est-il vertueux, quand on sait ce que ces technologies dilapident de ressources rares et d’énergie ? Vous qui avez incité au chauffage nucléaire dans des logements passoires, vous voilà aujourd’hui adeptes de l’hyper-connexion polluante et prédatrice. Franchement, je m’incline.

En matière de cynisme, vous rayonnez au-delà de toute limite. Ainsi, commercialiser des produits et des services liés à ces compteurs – comme des alarmes contre le vol, après avoir rendu nos données privées piratables par des cambrioleurs, notamment !  – vous appelez ça comment ? Une source d’économie ? Une arnaque au carré ? Avec vous, on n’est jamais déçu. Tant qu’à faire dans l’indécence, autant mettre le paquet en se payant une vertu et nos têtes de nœud par la même occasion.

Cerise sur le gâteau, votre courant, qu’on dit porteur en ligne (CPL), peut provoquer des incendies et endommager les appareils électriques. Comme vous dégagez toute responsabilité, comme les assurances ont exclu de leurs garanties les dommages causés par vos ondes, la facture sera payée par qui ? Par les victimes de ces sinistres ! Chapeau bas. Le doute n’est plus permis : vous êtes hors concours.

Sachez quand même que je ne vous ai pas attendu – et je suis loin d’être le seul –  pour me passer de votre énergie délétère et pour aller vers la sobriété et, même si le mot vous déplaît, vers la décroissance.

Bref, vous l’aurez compris, votre compteur, fût-il intelligent, communicant – ou bienveillant pendant que vous y êtes –, je n’en veux pas. Ne comptez pas sur moi pour faire partie des pigeons que l’on plume et qui finissent cobayes dans les micro-ondes de votre monde-laboratoire.

Je préfère des humains qui comptent pour moi, des êtres de chair et d’âme à qui parler de vive voix, avec qui vivre en bonne intelligence et, si le cœur nous en dit, pourquoi pas, avec qui conter fleurette, un dimanche de soleil, dans les bonnes ondes du printemps.

Inutile de me proposer un moratoire ou je ne sais quelle autre supercherie dilatoire. Vous êtes nuisibles sur tous les plans et vous le resterez, moratoire ou pas.

Sans façon, merci de ne pas me refourguer vos mesures d’exposition en millivolt par mètre, fussent-elles scientifiques et indépendantes. Parce qu’enfin, à partir de quel seuil d’irradiation risque-t-on pour sa santé, en fonction de son âge, de ses antécédents et de sa vulnérabilité ? Quels effets cocktails convient-il d’éviter entre les différentes fréquences de Méga-hertz et les millions de molécules chimiques dont nous abreuvent les industriels depuis le jour de notre conception ? Combien faudra-t-il torturer de cobayes de laboratoire pour savoir ce que nous savons déjà : ces technologies sont incompatibles avec la vie. La société de surveillance et de contrainte deviendra-t-elle subitement acceptable parce que nous aurons câblé les circuits électriques de nos habitations ? La dévastation du monde sensible et naturel sera-t-elle recevable parce que vos appareils de mesure n’afficheront aucune valeur critique sur leurs écrans ?

Monsieur “Linky”, Monsieur “Smartphone”, Monsieur “Wifi”, Monsieur “Tablette”, Monsieur “GPS”, Monsieur “RFID”, Monsieur “Restez connecté”, je ne vous salue pas.

Connecté, je le suis, mais pas à vous. Je le suis à la vie, enfin j’essaie, malgré les efforts que vous déployez pour nous éloigner d’elle, vous et vos collègues de l’empoisonnement chimique. Ce que vous incarnez, tous autant que vous êtes, c’est le contraire de la vie et de la liberté. Et j’espère – oh, si peu, mais quand même –, j’ose espérer que l’opposition à Linky fera boule de neige dans les consciences et dans les vies de quelques-uns, de quelques-unes qui le refusent. Verra-t-on un jour émerger des slogans qui diront : « Linky, smartphone, wifi, tablette, gadgets connectés, mêmes nuisances, mêmes refus » ?

Monsieur “Linky”, Messieurs qu’on nomme “intelligents”, je vous prie de ne pas franchir les portes de ma maison et de ne pas croire à ma considération distinguée.

Frédéric Wolff

J’ai grand besoin de vous (et c’est vrai)

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Pour répondre à cet appel : nicolino.fabrice1@orange.fr

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Chers lecteurs, j’ai réellement besoin de vous. Je me lance – je me lance peut-être – dans une enquête au long cours. Sur un événement cataclysmique dont à peu près personne ne semble avoir la moindre conscience. Je veux parler de la disparition de la simple nature chez nous, en France.

Nous n’allons pas ici chipoter sur les chiffres qui, de toute manière, resteront indicatifs. On estime que la moitié des oiseaux qui habitaient à un moment ou un autre chez nous au cours d’une année ont disparu. Depuis à peu près 1960. Que nous avons perdu environ la moitié de nos si chers papillons en seulement trente ans. Je vous fais grâce des amphibiens, des abeilles, des lucioles, des coquelicots, des saumons, de tant d’autres merveilles jadis omniprésentes dans la moindre campagne.

Ce qui nous manque, c’est le regard susceptible d’embrasser l’ensemble. Et c’est pourquoi je sollicite avec force – et un peu d’appréhension – votre aide. Je recherche des témoignages, directs ou non; des personnes bien sûr; des lieux évidemment; des histoires aussi. Bref, tout ce qui pourrait documenter cette formidable régression dont tous les aménageurs – si seulement il n’y avait qu’eux ! – se contrefoutent.

Je pense, je crois pouvoir vous assurer que toute information fiable venant de vous me serait et vous serait finalement d’une grande utilité. Je dis bien : toute, y compris un bout de film super8, un carnet déchiré au fond d’une malle, une photo sépia. On se comprend ? J’en suis certain.

Vous pouvez et vous allez répondre sur cette adresse : nicolino.fabrice1@orange.fr

Bruno Retailleau, Iznogoud du bocage

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère

Le nouveau président de la région Pays de Loire compare tranquillement les zadistes de Notre-Dame-des-Landes à des terroristes islamistes. Et réclame leur évacuation par la force. Au fusil ou au canon ?

Attention, histoire vraie. Un jour, Bruno Retailleau est tout petit, et il se fait tellement chier dans son bled de Vendée qu’il attend l’arrivée de Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, seigneur local. Papa Retailleau et grand-papa Retailleau ont été maires du patelin familial, Saint-Malô-du-Bois, 1500 âmes entre les mains du curé et de son évêque. Bruno, qui voit grand, fait le pèlerinage au Puy-du-Fou, et le 2 août 1978 – il a encore 17 ans -, se jette sur de Villiers pour le remercier de son œuvre. Villiers, en extase, en épectase peut-être, le presse contre son cœur.

Retailleau entre alors dans la grande parade du Puy-du-Fou : il est cavalier, metteur en scène de la Cinéscénie, ponte adjoint de la grande radio villiériste Alouette, puis même président de la société qui gère le Grand Parcours et le parc d’attractions, avec ses deux millions de visiteurs par an. Retailleau sourit de son franc sourire chrétien, mais dans son ombre ricane la face mahométane d’un Iznogoud du bocage. Il veut la place du boss.

Villiers, qui le tient officiellement pour un fils, semble ne rien voir venir, ce qui n’est pas loin de distraire. Bruno, catho tendance socquettes blanches et pull noué autour du cou, devient un politique, tendance népotisme impeccable politique. En 1988, il est conseiller général, en 2004, sénateur. Bien entendu, dès qu’il est possible, il entre au glorieux Mouvement pour la France, le parti d’archidroite créé en 1994 par Villiers.

Tout va au mieux. Entre Villiers et Bruno, il y aura au total 30 ans d’embrassades goulues. Mais vers 2008-2009, Villiers commence à sentir le vieux pâté vendéen. Il se chope un cancer de l’œil et n’a plus la vista – hi hi. Il préside le conseil général de Vendée depuis une vingtaine d’années, et même les patrons locaux, qui lui doivent tant, tordent le nez. Bruno, dont il a enfin aperçu les crocs rayant le parquet, l’emmerde de plus en plus. En 2009, la même année que son cancer, Villiers lourde Bruno du Puy-du-Fou et pique une crise d’hystérie auprès d’un Fillon alors Premier ministre. Il est question de refiler un secrétariat d’État à Frère Bruno, mais Villiers obtient qu’il ne reçoive pas le cadeau dont il rêvait tant. L’enfant de chœur de Saint-Malô-du-Bois rêve le soir venu de kalachnikov avant de réciter trois Pater Noster.

En 2010, Villiers père les plombs et démissionne de la présidence du conseil général vendéen. Le sot croit qu’on va se prosterner pour qu’il revienne, mais c’est plutôt raté. Bruno-le-preux lui pique sa place de président du conseil général. Villiers, qui s’est fait chaudement baiser, pleure, mais c’est trop tard. La suite est quelconque. Retailleau cherche des idées, mais n’arrive pas à en formuler une seule. Dans un désopilant numéro sur vidéo, il vante la nécessité des routes, qui feraient surgir par un coup de baguette magique des emplois (www.dailymotion.com/video/x38nlhn_bruno-retailleau-envisage-un-nouveau-plan-routier-pour-la-region_news). On dirait du Georges Pompidou en 1969.

Parallèlement, Bruno se déchaîne naturellement contre le mariage homo, car enfin, Dieu a beau être partout, faudrait pas en profiter. Mais il lâche discrètement le morceau, accusé par les purs et durs de la Manif pour tous de baisser sa culotte consacrée à Jésus. Et d’oublier ses envolées. L’explication est simple : recentré, il a désormais des ambitions chez Les Républicains de Sarkozy. En 2011, il fonde le Cercle des Vendéens de Paris, avec les braves patrons de Système U, de Fleury-Michon, la croûte du Figaro Ivan Rioufol, l’ancienne gloire de Schneider Pineau-Valencienne. Mot d’ordre des aventuriers : « Nous sommes en quelque sorte des Vendéens de l’émigration ».

Le lobbying marche. En 2014, Bruno devient Grand Manitou des sénateurs UMP, et il décroche la timbale en devenant en décembre 2015 président du Conseil régional des Pays de Loire. En abandonnant sa si chère Vendée natale ? Villiers, qui ne loupe pas une occasion de lui chier dans les bottes, pond un énième communiqué sur ce pauvre Bruno : « Il avait juré fidélité aux Vendéens : “la Vendée d’abord”. Aujourd’hui, c’est “la Carrière d’abord” ». Emballé par sa sainte haine catholique, il conclut : « Trahir un jour, trahir toujours ». Shakespeare, revu par Dario Moreno.

Entre-temps, Bruno a rencontré un paquet d’anges fourchus. Il en est sûr, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes sont des djihadistes. Tout plein d’une charitable onction, il déclare le 12 octobre passé sur Europe 1 : « Ce que les Français doivent savoir c’est que Notre-Dame-des-Landes est le territoire perdu de la République (…) On se croirait à Damas ou alors à Mossoul. C’est incroyable ». Et comme il réclame chaque jour davantage une évacuation par la force de la ZAD, on n’attend plus que ses derniers conseils avisés. M-16, Kalach, Famas, eau bénite ?

Un bon petit verre de métazachlore

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Loin dans la belle campagne française – l’Yonne profonde -, on sert à boire au robinet une eau surchargée d’un pesticide dangereux pour la santé. Dans le silence et les filouteries coutumières. En novlangue, il s’agit d’une « variation de qualité ».

Il arrive parfois ce qui va être raconté. On reçoit un mail, on l’oublie deux ou trois heures, et puis on y revient. On commence à trouver cela intéressant. D’un côté, c’est banal. De l’autre, ça raconte bel et bien la façon dont les gens normaux et ordinaires sont traités chaque jour dans l’immense démocratie qui est la nôtre.

Un jour donc, Priscilla Ferte appelle au secours. Elle est maraîchère bio dans un petit village de l’Yonne, Villeneuve-les-Genêts. Elle vient de recevoir un courrier de la SAUR, l’un des grands de la distribution de l’eau. La lettre, datée du 18 février, est un pesant chef d’œuvre. Il s’agit, selon l’objet, d’une « restriction de consommation sur le réseau d’eau potable ». À la suite d’une « variation de la qualité de la ressource en eau », il ne faut plus boire cette dernière, ni laver les légumes ou cuire des aliments avec. Une autre lettre, à suivre, annoncera « un retour à la situation normale ».

Que faire ? Priscilla s’alarme avec quelques autres, et faute de mieux, se tourne vers le quotidien local – L’Yonne Républicaine – pour en savoir plus. Elle apprend ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé le 12 février une analyse d’eau dévastatrice. Elle n’en ferait qu’une par an, ce qui laisse de la marge pour les surprises. Environ 2000 personnes des environs reçoivent au robinet une eau qui contient 7,48µg par litre de métazachlore, un pesticide. L’µg est une unité de mesure qui signifie microgramme. Et ce n’est pas lerche, car ainsi que le monde entier sait, un microgramme est un millionième de gramme. Par litre d’eau. Seulement, la limite légale de concentration de métazachlore dans l’eau est de 0, 1 µg par litre, soit 74,8 fois moins. Or, bien que les études manquent – comme c’est étrange -, le métazachlore est dangereux. Très toxique pour les organismes aquatiques, cancérogène suspecté pour les humains, il doit être manipulé « avec des gants de protection appropriés résistant aux agents chimiques » et à l’abri de lunettes de professionnels.

Au Luxembourg, une affaire comparable a eu lieu, presque hilarante. Premier acte en septembre 2014 : on découvre une pollution grave au métazachlore sur un affluent de la Haute-Sûre, rivière qui se jette dans le lac-barrage d’Esch-sur-Sûre, le grand réservoir d’eau potable du Luxembourg. Et l’on se rassure aussitôt en jurant que le risque est nul. Deuxième acte quelques jours après : en vérifiant les effets de la première pollution, on en découvre une autre, chronique, dans le lac. Au métazachlore. Le 3 d’octobre, on décide de ne plus fabriquer d’eau potable à partir du lac-barrage. Le choc ébranle tout le Luxembourg. Par chance, il y a les réserves spéciales, c’est-à-dire les grandes nappes souterraines. Acte trois : une semaine plus tard, de nouvelles analyses montrent que les nappes sont elles aussi polluées par le métazachlore jusqu’à une profondeur de 150 mètres. Et là, panique. La ministre de l’Environnement locale convoque en urgence une conférence de presse, et en l’absence de solutions – faut-il changer toutes les eaux du Luxembourg ? –, les autorités décident que la farce sera grandiose. On met à la poubelle la norme européenne de 0,1 µg par litre, et on la multiplie par 30.

Bien joué. Mais c’est encore très au-dessous de la contamination française de Villeneuve-les-Genêts. N’écoutant que son devoir d’information, Charlie décide alors d’appeler l’ARS de Bourgogne. Il en ressort qu’après une amélioration due à de pauvres parades techniques  – du charbon actif en poudre -, la pollution au métazachlore a recommencé de croître. Notre noble administration de la santé s’est contentée d’un communiqué, estimant que le journal et les visites domiciliaires des élus suffisaient à informer la population. Une fraction de cette dernière n’est pas même au courant des événements courants. Circulons, car il n’y a rien à voir. Ni à savoir. Si, tout de même : le producteur du métazachlore n’est autre qu’un philanthrope bien connu : BASF, géant de l’agrochimie et tueur patenté d’abeilles.

 

Cette mort qui rôde autour de nous

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère

Selon un lourd document de l’OMS, un quart des morts ont des causes environnementales. On serait tenté d’applaudir – enfin !-, mais c’est finalement un poil plus compliqué. L’agence de l’ONU a de biens curieux moments d’oubli. Alzheimer ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est une grosse mémère, et elle n’a cessé de prendre du poids. Quantité d’États, de structures et encore davantage de bureaucrates l’ont rejointe depuis sa création par l’ONU en 1948. Combien de bataillons aujourd’hui ? 200 pays en font partie, 7000 personnes y bossent, dans 150 bureaux partout dans le monde.

Dernier rapport en date ? Un bastringue intitulé en novlangue onusienne « Prévenir la maladie grâce à un environnement sain: une estimation de la charge de morbidité imputable à l’environnement ». Ça ne fait pas envie, on est bien d’accord. Dans ce gros ragoût de 150 pages en anglais (1), on apprend que 12, 6 millions d’humains sont morts dans le monde en 2012, « d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre ». C’est-à-dire près du quart – 23 % – de toutes les morts de cette même année. Impressionnant.

Cela n’empêche pas de se poser quelques menues questions. L’OMS balance en effet dans son fourre-tout quantité de drôles de chiffres. Par exemple une partie des morts de la route, pour la raison qu’elles sont souvent liées à un mauvais état des routes. Ou des suicides. Ou du paludisme, ce qui est déjà un peu plus raisonnable, même si les auteurs semblent aimer beaucoup l’art de tirer par les cheveux. Et l’on s’en rend mieux compte lorsque l’on entre dans le vif du sujet.

L’OMS retient en effet 1,7 million de morts par cancer chaque année, soit environ 22 % des 8 millions de morts au total. Le choix – c’en est un -, est politique, et revient à minorer le résultat, car un débat mondial fait rage entre au moins deux catégories de scientifiques. D’une part, ceux qui tiennent le facteur environnemental pour second, voire négligeable. En France, leur représentant distingué est le cancérologue David Khayat, de loin le plus militant : selon lui, l’environnement pèse 2% des cancers. D’autre part, ceux pour lesquels les différentes pollutions jouent un rôle décisif. En France, le cancérologue Dominique Belpomme préside l’association Artac, qui diffuse des informations et des chiffres très éloignés des statistiques officielles (2). En 2004, l’Appel de Paris qu’il avait initié déclarait dès son article 1 : « Le développement de nombreuses maladies actuelles est consécutif à la dégradation de l’environnement ». Au sens large – la définition fort vague retenue par l’OMS – 60 à 70 % des cancers auraient une origine environnementale. Y a donc de la marge.

Le rapport contient beaucoup de chiffres importants, qui pourraient servir de base à de vraies politiques de santé, mais présentés ainsi, ils ont toute chance de passer inaperçus. D’ailleurs, qui en parle ? C’est peut-être un hasard complet, mais de même que toutes les institutions onusiennes, l’OMS est soumise à des politiques d’influence systématiques menées par des lobbys industriels de mieux en mieux organisés.

On citera pour mémoire trois cas bien documentés. Un, l’accord signé en entre l’OMS et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) le 29 mai 1959, implique des règles de confidentialité stricte qui ont permis de proprement ligoter la première et de probablement dissimuler des faits gênants pour la nucléocratie. Deux, l’incroyable cadeau fait par l’OMS aux laboratoires pharmaceutiques, sur fond de virus H1N1 – la grippe aviaire -, dénoncé ouvertement par le Conseil de l’Europe (« De graves lacunes ont été identifiées en ce qui concerne la transparence des processus de décision liés à la pandémie »).

Et enfin les liens viscéralement pourraves noués entre l’OMS et le plus grand des lobbys de l’alimentation industrielle, The International Life Sciences Institute (Ilsi). Ensemble, ces si braves personnes avaient décidé de définir des normes internationales de protection des pauvres pékins que nous sommes (3). L’alimentation industrielle ? Tiens, l’OMS n’en parle pas dans son plantureux document.

(1) http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/204585/1/9789241565196_eng.pdf?ua=1

(2) www.artac.info/fr/prevention/prevention-environnementale/l-origine-environnementale-des-cancers_000126.html

(3) Voir notamment Un empoisonnement universel, Les Liens qui Libèrent (2014)